A l’occasion de son message à la Nation prononcé le 3 avril 2023, à la veille de la fête de l’indépendance du Sénégal, Macky Sall a lancé un nouveau et quatrième appel à la concertation et au dialogue.
J’ai personnellement toujours accordé peu de crédit à ces appels au dialogue venus de Macky Sall. Je n’y ai vu que ruse. Mon parti a cependant accepté de limiter sa participation au seul volet politique du troisième appel, parce que relevant d’une tradition au Sénégal après chaque élection majeure ; il était par ailleurs organisé avec la participation d’auditeurs indépendants pour juger du code et du processus électoral sénégalais, ce qui offrait un minimum de sincérité.
Je ne vois à ce quatrième appel au dialogue que l’élément positif suivant : le président de la République constate l’existence d’une situation de crise mettant en péril le « vivre ensemble » de la Nation. Il serait légitime de penser qu’il s’adressait en priorité au front politique déjà en ébullition, y visant un apaisement qui pourrait également enlever de la radicalité au front social qui se réveille comme conséquence de son échec économique.
Pour atteindre cet apaisement devenu nécessaire, il n’est pourtant nul besoin de dialogue, et ce, pour au moins deux raisons : la première est que chaque facteur majeur de la crise sénégalaise est une création du président de la République ; la seconde est que chaque facteur majeur de la crise peut trouver sa solution par une décision venue de lui.
Le dialogue est donc inutile. La bonne foi du président de la République est la vraie solution. Elle peut se mesurer à l’aune de trois décisions qu’il doit prendre pour préserver le Sénégal de lendemains très incertains. Ces trois décisions concernent le troisième mandat, le parrainage, la loi et la justice au service de l’élimination des opposants politiques.
Le troisième mandat que le Président de la République considère comme possible et qui ne dépendrait plus que de sa seule décision politique.
Macky Sall doit savoir qu’il ne trompe personne parmi ses concitoyens. Il les a appelés à un referendum dont il a expliqué plusieurs fois le sens avant le scrutin et après lui (des archives écrites et audiovisuelles sont disponibles et en attestent).
La révision de la Constitution de 2001 a été votée comme il le souhaitait en 2016, accordant un caractère inaliénable au principe du mandat présidentiel renouvelable une seule fois, principe déjà présent dans la Constitution. Il a confirmé lors de la cérémonie d’ouverture du dernier dialogue organisé le 28 mai 2019, qu’il n’avait plus droit à un autre mandat suivant son second juste conquis (grâce au parrainage).
Ce fut également le moment d’un terrible aveu sorti de la bouche du premier des Sénégalais : il promettait de cesser d’être dans sa roublardise habituelle (« njucc njacc » en ouolof), qui ne se justifiait plus. Quel esprit sain pourrait aujourd’hui accepter que Macky Sall se soit trompé dans la juste interprétation du texte qu’il a souhaité puis validé avant de le faire voter, au point de devoir se réfugier depuis peu, derrière celle livrée par des personnages sans relief, choisis parmi ses thuriféraires ?
Son attitude porte de très gros risques pour le Sénégal. Il serait le seul responsable de ce qui pourrait advenir (avec quelques complices qui devront également rendre des comptes), si une telle posture était maintenue. Il suffit cependant d’abandonner la voie du retour au « njucc njacc », de respecter sa parole et sa Constitution afin que ce facteur majeur de crise disparaisse. Ce serait d’ailleurs aussi respecter ses compatriotes. Cette décision « politique » (qualificatif retenu lors de son interview à l’Express) majeure, ferait le plus grand bien à notre pays qui reste le sien.
Le parrainage
Le parrainage citoyen inventé par Macky Sall en 2018, a eu pour objet la réduction du nombre de candidats aux élections à l’aide d’un critère non objectif. Le parrainage est défini par la réforme constitutionnelle l’instituant comme « signature d’un électeur ». Dès sa conception, nul ne pouvait ignorer qu’il était impossible à mettre en œuvre puisque le contrôle des signatures, voulues en très grand nombre, est lui-même impossible à organiser dans les délais requis par la loi. Mais il fut imposé par « njucc njacc ».
Le dispositif mis en place a fait l’objet d’un Arrêt (N° ECW/CCJ/JUD/10/21) rendu par la Cour de Justice de la CEDEAO. Ce dernier dit que le système de parrainage mis en place par le Sénégal « viole le droit de libre participation aux élections », ce qui est un recul démocratique d’une extrême gravité ! Cet Arrêt constate son caractère illégal (contraire à des lois que le Sénégal accepte au-dessus des siennes propres) et enjoint l’État de restaurer au Sénégal, la libre participation aux élections par « la suppression du système de parrainage électoral ».
En application de cet Arrêt, les réformes supprimant le « parrainage sénégalais » auraient dues être mises en œuvre depuis fin octobre 2021. Il suffit donc de regretter de bonne foi, le retard mis à respecter un Arrêt rendu par la CJ CEDEAO et de se mettre en conformité avec les engagements internationaux du Sénégal, en supprimant le
dispositif de parrainage sénégalais.
La loi et la justice au service de l’élimination des opposants de la compétition électorale
C’est une autre roublardise (njucc njacc) qui est à l’origine de toute cette tension créée par les poursuites judiciaires engagées contre des opposants politiques sénégalais, fussent-elles justifiées ou non. Le citoyen en est venu à perdre toute confiance en sa Justice, jugée au service des desseins politiciens du Président de la République.
A la faveur de la modification de la loi électorale pour prise en compte de la roublardise du parrainage, un simple mot a été subrepticement ajouté à l’article L57 du Code électoral. Le mot « électeur » introduit après « Tout Sénégalais », a enlevé au juge sénégalais le soin de décider lui-même de priver ou non un citoyen de son droit d`être éligible. La perte automatique du droit d’être électeur (Art. L29 du Code électoral, pourtant déjà excessif et à réformer comme recommandé par des audits internationaux successifs du Code électoral sénégalais) a créé une autre automaticité : la
perte du droit d’être éligible. Dès lors la condamnation pénale, la plus minime soit-elle, est devenue un moyen de faire perdre à un opposant, sans décision spécifique du Juge (art. 34 du Code pénal sénégalais), à la fois ses droits d’électeur et d’être éligible. Pourtant rien ne devrait empêcher un non électeur d’être éligible comme le prévoit l’article 34 du Code Pénal sénégalais qui laisse au juge le choix des peines.
Il suffit donc de revenir au texte ancien (antérieur à juillet 2018) par la suppression du simple mot « électeur » de l’article sus visé, afin que les opposants éliminés ou à éliminer puissent retrouver leur droit d’être éligibles. Ce facteur de grave crise tombera et il restera au Peuple souverain d’apprécier la gravité de leurs fautes par la sanction du vote. Et le Juge ne sera plus soupçonné d’énoncer des peines avec pour objectif principal de priver un justiciable de son droit d’être éligible. Notre Justice a ce grand besoin d’être réconciliée avec son Peuple.
Il y a bien entendu beaucoup d’autres choses à corriger, à réparer, à reconstruire. Mais les décisions permettant de neutraliser ces trois facteurs majeurs de crise feraient retomber la tension. Nous retrouverions un Sénégal apaisé, en mesure de maintenir son statut d’îlot de stabilité dans la sous-région, rassurant ainsi l’ensemble de nos concitoyens et la communauté internationale.
Ces décisions sont simples et faciles à justifier. Elles n’ont pas besoin de cérémonie d’ouverture de dialogue, de nomination de modérateurs, de réunions interminables, de paiements d’indemnités. Il ne leur manque que la bonne foi du principal responsable de l’horizon immédiat vers lequel le Sénégal navigue.
A lui de nous montrer qu’il souhaite la paix et la stabilité pour le Sénégal et la sous-région.
A nous d’apprécier sa bonne foi.
Dakar le 6 avril 2023
Abdoul Mbaye
Président de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT)
Ancien Premier ministre
J’ai personnellement toujours accordé peu de crédit à ces appels au dialogue venus de Macky Sall. Je n’y ai vu que ruse. Mon parti a cependant accepté de limiter sa participation au seul volet politique du troisième appel, parce que relevant d’une tradition au Sénégal après chaque élection majeure ; il était par ailleurs organisé avec la participation d’auditeurs indépendants pour juger du code et du processus électoral sénégalais, ce qui offrait un minimum de sincérité.
Je ne vois à ce quatrième appel au dialogue que l’élément positif suivant : le président de la République constate l’existence d’une situation de crise mettant en péril le « vivre ensemble » de la Nation. Il serait légitime de penser qu’il s’adressait en priorité au front politique déjà en ébullition, y visant un apaisement qui pourrait également enlever de la radicalité au front social qui se réveille comme conséquence de son échec économique.
Pour atteindre cet apaisement devenu nécessaire, il n’est pourtant nul besoin de dialogue, et ce, pour au moins deux raisons : la première est que chaque facteur majeur de la crise sénégalaise est une création du président de la République ; la seconde est que chaque facteur majeur de la crise peut trouver sa solution par une décision venue de lui.
Le dialogue est donc inutile. La bonne foi du président de la République est la vraie solution. Elle peut se mesurer à l’aune de trois décisions qu’il doit prendre pour préserver le Sénégal de lendemains très incertains. Ces trois décisions concernent le troisième mandat, le parrainage, la loi et la justice au service de l’élimination des opposants politiques.
Le troisième mandat que le Président de la République considère comme possible et qui ne dépendrait plus que de sa seule décision politique.
Macky Sall doit savoir qu’il ne trompe personne parmi ses concitoyens. Il les a appelés à un referendum dont il a expliqué plusieurs fois le sens avant le scrutin et après lui (des archives écrites et audiovisuelles sont disponibles et en attestent).
La révision de la Constitution de 2001 a été votée comme il le souhaitait en 2016, accordant un caractère inaliénable au principe du mandat présidentiel renouvelable une seule fois, principe déjà présent dans la Constitution. Il a confirmé lors de la cérémonie d’ouverture du dernier dialogue organisé le 28 mai 2019, qu’il n’avait plus droit à un autre mandat suivant son second juste conquis (grâce au parrainage).
Ce fut également le moment d’un terrible aveu sorti de la bouche du premier des Sénégalais : il promettait de cesser d’être dans sa roublardise habituelle (« njucc njacc » en ouolof), qui ne se justifiait plus. Quel esprit sain pourrait aujourd’hui accepter que Macky Sall se soit trompé dans la juste interprétation du texte qu’il a souhaité puis validé avant de le faire voter, au point de devoir se réfugier depuis peu, derrière celle livrée par des personnages sans relief, choisis parmi ses thuriféraires ?
Son attitude porte de très gros risques pour le Sénégal. Il serait le seul responsable de ce qui pourrait advenir (avec quelques complices qui devront également rendre des comptes), si une telle posture était maintenue. Il suffit cependant d’abandonner la voie du retour au « njucc njacc », de respecter sa parole et sa Constitution afin que ce facteur majeur de crise disparaisse. Ce serait d’ailleurs aussi respecter ses compatriotes. Cette décision « politique » (qualificatif retenu lors de son interview à l’Express) majeure, ferait le plus grand bien à notre pays qui reste le sien.
Le parrainage
Le parrainage citoyen inventé par Macky Sall en 2018, a eu pour objet la réduction du nombre de candidats aux élections à l’aide d’un critère non objectif. Le parrainage est défini par la réforme constitutionnelle l’instituant comme « signature d’un électeur ». Dès sa conception, nul ne pouvait ignorer qu’il était impossible à mettre en œuvre puisque le contrôle des signatures, voulues en très grand nombre, est lui-même impossible à organiser dans les délais requis par la loi. Mais il fut imposé par « njucc njacc ».
Le dispositif mis en place a fait l’objet d’un Arrêt (N° ECW/CCJ/JUD/10/21) rendu par la Cour de Justice de la CEDEAO. Ce dernier dit que le système de parrainage mis en place par le Sénégal « viole le droit de libre participation aux élections », ce qui est un recul démocratique d’une extrême gravité ! Cet Arrêt constate son caractère illégal (contraire à des lois que le Sénégal accepte au-dessus des siennes propres) et enjoint l’État de restaurer au Sénégal, la libre participation aux élections par « la suppression du système de parrainage électoral ».
En application de cet Arrêt, les réformes supprimant le « parrainage sénégalais » auraient dues être mises en œuvre depuis fin octobre 2021. Il suffit donc de regretter de bonne foi, le retard mis à respecter un Arrêt rendu par la CJ CEDEAO et de se mettre en conformité avec les engagements internationaux du Sénégal, en supprimant le
dispositif de parrainage sénégalais.
La loi et la justice au service de l’élimination des opposants de la compétition électorale
C’est une autre roublardise (njucc njacc) qui est à l’origine de toute cette tension créée par les poursuites judiciaires engagées contre des opposants politiques sénégalais, fussent-elles justifiées ou non. Le citoyen en est venu à perdre toute confiance en sa Justice, jugée au service des desseins politiciens du Président de la République.
A la faveur de la modification de la loi électorale pour prise en compte de la roublardise du parrainage, un simple mot a été subrepticement ajouté à l’article L57 du Code électoral. Le mot « électeur » introduit après « Tout Sénégalais », a enlevé au juge sénégalais le soin de décider lui-même de priver ou non un citoyen de son droit d`être éligible. La perte automatique du droit d’être électeur (Art. L29 du Code électoral, pourtant déjà excessif et à réformer comme recommandé par des audits internationaux successifs du Code électoral sénégalais) a créé une autre automaticité : la
perte du droit d’être éligible. Dès lors la condamnation pénale, la plus minime soit-elle, est devenue un moyen de faire perdre à un opposant, sans décision spécifique du Juge (art. 34 du Code pénal sénégalais), à la fois ses droits d’électeur et d’être éligible. Pourtant rien ne devrait empêcher un non électeur d’être éligible comme le prévoit l’article 34 du Code Pénal sénégalais qui laisse au juge le choix des peines.
Il suffit donc de revenir au texte ancien (antérieur à juillet 2018) par la suppression du simple mot « électeur » de l’article sus visé, afin que les opposants éliminés ou à éliminer puissent retrouver leur droit d’être éligibles. Ce facteur de grave crise tombera et il restera au Peuple souverain d’apprécier la gravité de leurs fautes par la sanction du vote. Et le Juge ne sera plus soupçonné d’énoncer des peines avec pour objectif principal de priver un justiciable de son droit d’être éligible. Notre Justice a ce grand besoin d’être réconciliée avec son Peuple.
Il y a bien entendu beaucoup d’autres choses à corriger, à réparer, à reconstruire. Mais les décisions permettant de neutraliser ces trois facteurs majeurs de crise feraient retomber la tension. Nous retrouverions un Sénégal apaisé, en mesure de maintenir son statut d’îlot de stabilité dans la sous-région, rassurant ainsi l’ensemble de nos concitoyens et la communauté internationale.
Ces décisions sont simples et faciles à justifier. Elles n’ont pas besoin de cérémonie d’ouverture de dialogue, de nomination de modérateurs, de réunions interminables, de paiements d’indemnités. Il ne leur manque que la bonne foi du principal responsable de l’horizon immédiat vers lequel le Sénégal navigue.
A lui de nous montrer qu’il souhaite la paix et la stabilité pour le Sénégal et la sous-région.
A nous d’apprécier sa bonne foi.
Dakar le 6 avril 2023
Abdoul Mbaye
Président de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT)
Ancien Premier ministre