
Aly Tandian est professeur titulaire au Département de Sociologie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Il a bénéficié de nombreuses distinctions internationales. Il est le président de l’Observatoire Sénégalais des Migrations et s’intéresse beaucoup à la question migratoire. Dans cet entretien, le spécialiste des migrations partage sa réflexion sur la migration circulaire.
Quelle lecture faites-vous du nombre important de personnes à avoir déposé une candidature pour bénéficier de la migration circulaire ?
Ce n’est pas le travail à faire en Espagne qui intéresse les candidats aux programmes de migration circulaire qui ont été ouverts au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie. L’effectif important de jeunes s’explique au fait que dans le subconscient des jeunes, la migration est associée à la réussite économique et à l’ascension sociale. Migrer, c’est se réaliser et en faire profiter à sa famille. Deuxième chose, l’Espagne est pensée comme le pays de cocagne, c’est-à -dire une sorte de paradis terrestre, une contrée miraculeuse où la nature déborde de générosité pour ses habitants et ses hôtes. Il sera difficile à la suite de ces programmes de migration circulaire de faire comprendre aux jeunes africains que l’Espagne n’a pas besoin de main-d’œuvre. Le manque de communication va indéniablement encourager l’immigration illégale vers l’Espagne. En résumé, l’effet émergent risque de se transformer en effet pervers.
Est-ce que les programmes de migration circulaire peuvent devenir une alternative à l’immigration irrégulière ?
Je ne suis pas sûr que les programmes de migration vont être une alternative à l’immigration irrégulière. Je trouve que la migration circulaire telle qu’elle est proposée peut inciter au départ de candidats auparavant non prédestinés à la migration, mais qui saisissent cette opportunité de partir de manière tout à fait régulière et légale.
Donc, cette migration circulaire va élargir la base de recrutement des candidats au départ et constituer sous ce rapport une incitation au départ. En plus, elle individualise les départs et affaiblit les réseaux de départ qui souvent étaient le fondement des réseaux d’insertion et de réinvestissement dans les pays d’origine quelle que soit leur obédience villageoise, ethnique ou confrérique.
Donc selon vous c’est quoi l’alternative ?
L’alternative n’est rien d’autre que l’élaboration d’une politique d’emploi réaliste avec une excellente maîtrise des lois du marché et des besoins. Je pense que la survie de nos politiques en Afrique et surtout au Sénégal dépend de l’élaboration d’une politique d’emploi qui nécessite une approche inclusive et structurée, prenant en compte les réalités économiques, sociales et éducatives du pays. Il faut un excellent diagnostic de la situation actuelle, une définition des objectifs de la politique et un renforcement de l’accompagnement et des partenariats. Je pense que l’urgence est d’identifier d’abord les secteurs porteurs et ceux en déclin ; ensuite les barrières comme le manque de formation, l’inadéquation des compétences, l’accès limité aux financements pour l’entrepreneuriat, etc. Il faut également encourager d’une part la création de PME et de start-ups par des jeunes ; d’autre part l’emploi dans les zones rurales par des projets d’agriculture durable et de transformation locale. Enfin, il faut un renforcement de l’accompagnement et des partenariats en mettant en place des programmes de mentorat pour guider les jeunes dans leurs parcours professionnels.
Mais quelles explications donnez-vous au grand rush des jeunes pour se faire inscrire au niveau des BAOS ?
Je pense que certains éléments de langage ne rassurent pas du tout. Malheureusement, depuis un certain temps c’est le grand doute et l’inquiétude qui semblent bousculer le quotidien de nombreuses populations sénégalaises. Il ne faut pas être un oiseau de mauvaise augure me dira-t-on mais on n’a jamais vu autant de pirogues chargées de candidats à la migration irrégulière qui quittent les côtes sénégalaises pour se rendre en Espagne en plein hiver. Nous connaissons un chômage élevé des jeunes accompagné d’une précarité professionnelle, d’une forte prégnance d’emplois exercés dans l’économie informelle et déconnectés de toute protection sociale. Avec la forte croissance démographique, la crise de l’emploi des jeunes risque de continuer à inquiéter du fait de ses liens avec l’émigration irrégulière. C’est difficile de ne pas nous demander : Écoutons-nous les jeunes dans leurs diversités et prenons-nous en compte leurs valeurs et aspirations profondes dans l’élaboration des programmes qui leur sont proposés ? Est-ce que les programmes mis en œuvre préparent les jeunes à prendre leurs propres destins en main ? Prenons-nous en compte les nouveaux phénomènes et signaux de résilience des jeunes, leurs capacités d’innovation et leurs intelligences dans un monde de plus en plus connecté, globalisé grâce aux technologies digitales ? Nous arrive-t-il de nous interroger sur nos propres limites pratiques et méthodes en nous référant davantage à ce que nous savons faire de mieux, ce que les autres savent mieux faire que nous et ce que nous faisons de bien ensemble ?
Sudquotidien.sn
Quelle lecture faites-vous du nombre important de personnes à avoir déposé une candidature pour bénéficier de la migration circulaire ?
Ce n’est pas le travail à faire en Espagne qui intéresse les candidats aux programmes de migration circulaire qui ont été ouverts au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie. L’effectif important de jeunes s’explique au fait que dans le subconscient des jeunes, la migration est associée à la réussite économique et à l’ascension sociale. Migrer, c’est se réaliser et en faire profiter à sa famille. Deuxième chose, l’Espagne est pensée comme le pays de cocagne, c’est-à -dire une sorte de paradis terrestre, une contrée miraculeuse où la nature déborde de générosité pour ses habitants et ses hôtes. Il sera difficile à la suite de ces programmes de migration circulaire de faire comprendre aux jeunes africains que l’Espagne n’a pas besoin de main-d’œuvre. Le manque de communication va indéniablement encourager l’immigration illégale vers l’Espagne. En résumé, l’effet émergent risque de se transformer en effet pervers.
Est-ce que les programmes de migration circulaire peuvent devenir une alternative à l’immigration irrégulière ?
Je ne suis pas sûr que les programmes de migration vont être une alternative à l’immigration irrégulière. Je trouve que la migration circulaire telle qu’elle est proposée peut inciter au départ de candidats auparavant non prédestinés à la migration, mais qui saisissent cette opportunité de partir de manière tout à fait régulière et légale.
Donc, cette migration circulaire va élargir la base de recrutement des candidats au départ et constituer sous ce rapport une incitation au départ. En plus, elle individualise les départs et affaiblit les réseaux de départ qui souvent étaient le fondement des réseaux d’insertion et de réinvestissement dans les pays d’origine quelle que soit leur obédience villageoise, ethnique ou confrérique.
Donc selon vous c’est quoi l’alternative ?
L’alternative n’est rien d’autre que l’élaboration d’une politique d’emploi réaliste avec une excellente maîtrise des lois du marché et des besoins. Je pense que la survie de nos politiques en Afrique et surtout au Sénégal dépend de l’élaboration d’une politique d’emploi qui nécessite une approche inclusive et structurée, prenant en compte les réalités économiques, sociales et éducatives du pays. Il faut un excellent diagnostic de la situation actuelle, une définition des objectifs de la politique et un renforcement de l’accompagnement et des partenariats. Je pense que l’urgence est d’identifier d’abord les secteurs porteurs et ceux en déclin ; ensuite les barrières comme le manque de formation, l’inadéquation des compétences, l’accès limité aux financements pour l’entrepreneuriat, etc. Il faut également encourager d’une part la création de PME et de start-ups par des jeunes ; d’autre part l’emploi dans les zones rurales par des projets d’agriculture durable et de transformation locale. Enfin, il faut un renforcement de l’accompagnement et des partenariats en mettant en place des programmes de mentorat pour guider les jeunes dans leurs parcours professionnels.
Mais quelles explications donnez-vous au grand rush des jeunes pour se faire inscrire au niveau des BAOS ?
Je pense que certains éléments de langage ne rassurent pas du tout. Malheureusement, depuis un certain temps c’est le grand doute et l’inquiétude qui semblent bousculer le quotidien de nombreuses populations sénégalaises. Il ne faut pas être un oiseau de mauvaise augure me dira-t-on mais on n’a jamais vu autant de pirogues chargées de candidats à la migration irrégulière qui quittent les côtes sénégalaises pour se rendre en Espagne en plein hiver. Nous connaissons un chômage élevé des jeunes accompagné d’une précarité professionnelle, d’une forte prégnance d’emplois exercés dans l’économie informelle et déconnectés de toute protection sociale. Avec la forte croissance démographique, la crise de l’emploi des jeunes risque de continuer à inquiéter du fait de ses liens avec l’émigration irrégulière. C’est difficile de ne pas nous demander : Écoutons-nous les jeunes dans leurs diversités et prenons-nous en compte leurs valeurs et aspirations profondes dans l’élaboration des programmes qui leur sont proposés ? Est-ce que les programmes mis en œuvre préparent les jeunes à prendre leurs propres destins en main ? Prenons-nous en compte les nouveaux phénomènes et signaux de résilience des jeunes, leurs capacités d’innovation et leurs intelligences dans un monde de plus en plus connecté, globalisé grâce aux technologies digitales ? Nous arrive-t-il de nous interroger sur nos propres limites pratiques et méthodes en nous référant davantage à ce que nous savons faire de mieux, ce que les autres savent mieux faire que nous et ce que nous faisons de bien ensemble ?
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