C'est une série mode qui aurait pu passer inaperçue. Pourtant, "African Queen" fait couler beaucoup d'encre depuis sa parution dans le magazine Numero du mois de mars. La raison ? La revue a choisi une mannequin blanche, l'américaine Ondria Hardin, et l'a maquillée pour l'occasion en noire. Un choix incompréhensible pour certains qui lance un vrai débat : sous-représentées, les mannequins noires ont-elles leur place dans la mode ?
Ah, la mode. On n'y comprend pas toujours grand chose, mais une chose est sûre, c'est que ça fait parler. Avec "African Queen", sa série photos parue dans le numéro du mois de mars, la magazine Numero a fait fort. Le postulat de base n'a rien de dérangeant, bien au contraire : donner un aperçu de la beauté africaine. Ce qui étonne quand on jette un coup d'oeil aux clichés, c'est... l'absence de mannequin noire. Attendez, il n'y aurait pas un petit problème ?
Devant l'objectif du photographe Sebastian Kim, c'est la jeune américaine Ondria Hardin qui s'expose, du haut de ses 16 ans. Dans la vraie vie, c'est une grande blonde aux yeux noisette et à la peau diaphane. Rien à voir avec l'African Queen telle qu'on l'imagine. Pour faire illusion, c'est la maquilleuse Maud Laceppe, spécialiste des backstages, qui a été réquisitionnée. Et il faut bien avouer que le travail qu'elle a accompli est impressionnant. A l'aide d'un fond de teint foncé et de poudre bronzing, elle crée l'illusion d'un teint noir. Le leurre fonctionne sur le visage tout comme sur le corps, comme le laisse voir les clichés. Bien sûr, on ne se laisse pas duper longtemps, et un oeil à peine aguerri comprend vite qu'une fille blanche se cache sous cette couche de fond de teint.
C'est alors qu'on se met à réfléchir. Quel était donc le but de Numero avec ce choix éditorial ? Qu'est-ce que le magazine voulait montrer ? Qu'avec un bon fond de teint, on peut se transformer ? Que la peau noire est si désirable qu'on veut toute la copier ? Démonstration bancale. Surtout au vu des tenues et accessoires choisis, puisés dans la vision occidentale de la beauté africaine, avec ces colliers et bracelets XXL, ces imprimés. Tout cela donne une série aux accents folkloriques, esthétique s'il en est, surtout avec le jeu du noir et blanc et ce contraste accentué qui crée l'illusion.
Mais une question, toute bête, vient aux lèvres (et pas seulement aux nôtres, comme le prouve les nombreux papiers déjà parus sur la toile) : pourquoi ne pas avoir tout simplement choisi une mannequin noire pour représenter l'African Queen de Numero ? Était-ce par manque de choix (pourtant, l'agence Ford Models à laquelle appartient Ondria Hardin en compte plusieurs, sans doute pas toutes bookées au même moment). Était-ce par facilité ? Auquel cas on peut rétorquer que quelques litres de fond de teint auraient pu être épargnés.
Etait-ce un postulat artistique ? Quelle qu'ait été l'envie de départ de Numero, l'exécution est mal assurée. Surtout, la polémique enfle, nourrie par le manque de représentation de la diversité sur les podiums. Jezebel a ainsi compté 82% de mannequins blanches à la dernière Fashion Week de New York. Bien entendu, il n'est pas question de rendre responsable Numero de ce constat, mais on se demande : si une série mode consacrée à la beauté africaine n'est pas représentée par une mannequin noire, quel job reste-il à ces filles ?
Cette polémique fait écho a une autre, en 2010, lorsque des clichés de Claudia Schiffer coiffée d'une afro pris par Karl Lagerfeld avaient été rendus public. Certains avaient alors été choqués, mais le propos était différent, la top représentant les différents fantasmes masculins, tantôt maquillée en asiatique, en secrétaire sexy ou en diva black. Il n'y avait pas alors le désir de véritablement tromper le lecteur et l'illusion se cantonnait à une simple parodie.
C'est peut-être ce qui manque à la série African Queen, ce second degré qui aurait rendu le propos, quel qu'il soit, plus léger.
Découvrez la série African Queen, parue dans le magazine Numero du mois de mars.
Catherine Brezeky
Ah, la mode. On n'y comprend pas toujours grand chose, mais une chose est sûre, c'est que ça fait parler. Avec "African Queen", sa série photos parue dans le numéro du mois de mars, la magazine Numero a fait fort. Le postulat de base n'a rien de dérangeant, bien au contraire : donner un aperçu de la beauté africaine. Ce qui étonne quand on jette un coup d'oeil aux clichés, c'est... l'absence de mannequin noire. Attendez, il n'y aurait pas un petit problème ?
Devant l'objectif du photographe Sebastian Kim, c'est la jeune américaine Ondria Hardin qui s'expose, du haut de ses 16 ans. Dans la vraie vie, c'est une grande blonde aux yeux noisette et à la peau diaphane. Rien à voir avec l'African Queen telle qu'on l'imagine. Pour faire illusion, c'est la maquilleuse Maud Laceppe, spécialiste des backstages, qui a été réquisitionnée. Et il faut bien avouer que le travail qu'elle a accompli est impressionnant. A l'aide d'un fond de teint foncé et de poudre bronzing, elle crée l'illusion d'un teint noir. Le leurre fonctionne sur le visage tout comme sur le corps, comme le laisse voir les clichés. Bien sûr, on ne se laisse pas duper longtemps, et un oeil à peine aguerri comprend vite qu'une fille blanche se cache sous cette couche de fond de teint.
C'est alors qu'on se met à réfléchir. Quel était donc le but de Numero avec ce choix éditorial ? Qu'est-ce que le magazine voulait montrer ? Qu'avec un bon fond de teint, on peut se transformer ? Que la peau noire est si désirable qu'on veut toute la copier ? Démonstration bancale. Surtout au vu des tenues et accessoires choisis, puisés dans la vision occidentale de la beauté africaine, avec ces colliers et bracelets XXL, ces imprimés. Tout cela donne une série aux accents folkloriques, esthétique s'il en est, surtout avec le jeu du noir et blanc et ce contraste accentué qui crée l'illusion.
Mais une question, toute bête, vient aux lèvres (et pas seulement aux nôtres, comme le prouve les nombreux papiers déjà parus sur la toile) : pourquoi ne pas avoir tout simplement choisi une mannequin noire pour représenter l'African Queen de Numero ? Était-ce par manque de choix (pourtant, l'agence Ford Models à laquelle appartient Ondria Hardin en compte plusieurs, sans doute pas toutes bookées au même moment). Était-ce par facilité ? Auquel cas on peut rétorquer que quelques litres de fond de teint auraient pu être épargnés.
Etait-ce un postulat artistique ? Quelle qu'ait été l'envie de départ de Numero, l'exécution est mal assurée. Surtout, la polémique enfle, nourrie par le manque de représentation de la diversité sur les podiums. Jezebel a ainsi compté 82% de mannequins blanches à la dernière Fashion Week de New York. Bien entendu, il n'est pas question de rendre responsable Numero de ce constat, mais on se demande : si une série mode consacrée à la beauté africaine n'est pas représentée par une mannequin noire, quel job reste-il à ces filles ?
Cette polémique fait écho a une autre, en 2010, lorsque des clichés de Claudia Schiffer coiffée d'une afro pris par Karl Lagerfeld avaient été rendus public. Certains avaient alors été choqués, mais le propos était différent, la top représentant les différents fantasmes masculins, tantôt maquillée en asiatique, en secrétaire sexy ou en diva black. Il n'y avait pas alors le désir de véritablement tromper le lecteur et l'illusion se cantonnait à une simple parodie.
C'est peut-être ce qui manque à la série African Queen, ce second degré qui aurait rendu le propos, quel qu'il soit, plus léger.
Découvrez la série African Queen, parue dans le magazine Numero du mois de mars.
Catherine Brezeky