L’urgence sur le front est de travailler à porter l’estocade à Ousmane Sonko, pour espérer être le porte-drapeau le plus crédible de l’opposition. Sans doute qu’ils pourraient être nombreux, le cas échéant, à ravaler leur petite rancune pour voter Idy2024 afin de chercher à barrer la route à Macky Sall. Toutes les postures semblent possibles en politique au Sénégal, quand par exemple on voit Aminata Touré oublier le mépris qu’elle a toujours affiché à l’endroit de Barthélémy Dias, Ousmane Sonko et Guy Marius Sagna, jusqu’à en arriver à en faire des amis et des camarades de lutte, on ne devra pas être surpris de la voir un jour battre campagne pour «le tortueux» qui l’a remplacée à la tête du Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Ousmane Sonko révéla avoir essayé de se rapprocher de Idrissa Seck et l’avait rencontré déjà à deux reprises, mais avait fini par se convaincre qu’il ne pouvait rien faire avec cet homme qu’il percevait comme arrogant, trop imbu de sa personne. Je lui conseillais alors de lancer sa propre formation politique, étant entendu qu’il y avait, de mon point de vue, de la place à prendre et qu’une nouvelle offre politique incarnée par des jeunes pouvait prospérer. Le parti Pastef sera porté sur les fonts baptismaux, quelques semaines plus tard, en janvier 2014. Pour la petite histoire, quand j’en avais parlé à Amadou Bâ, alors nouveau ministre de l’Économie et des Finances, il en avait ri à gorge déployée, faisant remarquer que «Sonko a certes du bagout mais qu’il détruira lui-même tout ce qu’il aura construit».
Idrissa Seck et Ousmane Sonko se retrouveront dans les rangs de l’opposition mais leurs relations restaient des plus exécrables. D’ailleurs, Malick Gakou, leader du Grand Parti avait été amené à s’interposer entre les deux hommes, qui voulaient en venir aux mains au cours d’une réunion de Manko Wattù Sénégal, une coalition de l’opposition créée en 2017. Leur adversité sera exacerbée par les retrouvailles entre Idrissa Seck et Macky Sall en 2020.
Aujourd’hui, de retour dans l’opposition, Idrissa Seck, qui était arrivé deuxième à l’élection présidentielle de 2019, tient coûte que coûte à retrouver la place de leader naturel de l’opposition qu’il avait laissée à Ousmane Sonko. Ce dernier s’empêtre dans ses déboires judiciaires et cela a donné des idées à Idrissa Seck, de lui rendre visite, à l’heure du laitier, déguisé et à moto, afin de lui proposer un pacte d’alliance. Idrissa Seck considère que Ousmane Sonko devra faire le deuil de sa participation à la prochaine élection présidentielle de 2024 et il l’appelle à se résoudre à s’aligner derrière lui, contre la promesse d’une réhabilitation. Ousmane Sonko ne saurait accepter d’avoir simplement à chauffer la place pour Idrissa Seck, encore moins envisager une autre idée que d’être le successeur de Macky Sall, «quitte à y laisser sa vie».
Cette collaboration des principaux acteurs politiques, facilitée, à bien des égards, par l’éviction de Jean Collin, avait permis de cicatriser les plaies des élections de 1988 ainsi que l’adoption d’un nouveau code électoral, sous l’égide d’une Commission cellulaire dirigée par le Juge Kéba Mbaye. Abdoulaye Wade et ses poulains (Idrissa Seck, Ousmane Ngom, Aminata Tall, Massokhna Kane) reviendront au gouvernement en 1995. Cette nouvelle phase politique avait notamment permis de solder les contentieux politiques nés des affaires de l’assassinat de Me Babacar Sèye (1993) et les meurtres de 6 policiers sur le Boulevard Général De Gaulle (1994). Le Pds quitta le gouvernement en 1997, à la veille des élections législatives de 1998.
Le retour de Abdoulaye Wade dans les rangs de l’opposition avait freiné l’ascension de leaders politiques comme Landing Savané, Djibo Leyti Kâ ou Moustapha Niasse, qui commençaient à occuper les espaces. Abdoulaye Wade avait réussi à théoriser l’idée du «vote utile» pour arriver à vaincre le régime de Abdou Diouf en 2000. D’ailleurs à son arrivée au pouvoir en cette année, Abdoulaye Wade, fidèle à son principe d’élargir la base politique de ses gouvernements, avait eu à inviter autour de sa table du Conseil des ministres des personnalités politiques qui lui avaient pourtant mené la vie dure, comme Abdourahim Agne, Aïda Mbodji, Djibo Ka entre autres. Macky Sall a, de ce point de vue, de qui tenir.
Idrissa Seck a collaboré à deux reprises avec le Président Macky Sall, en 2012 et en 2020. Il vient de le quitter, de sa propre initiative, mais tout porte à croire que s’il perdait la présidentielle de 2024, Idrissa Seck n’aura aucun scrupule à renouer avec un Macky Sall vainqueur. Qu’est-ce que le Sénégal gagnerait dans de telles opérations politiques ? Peut-on envisager le scénario d’une victoire du candidat de Rewmi en 2024, comme si la foudre arrivait à tomber deux fois au même endroit ? Il reste que nul ne saurait prédire la suite de la carrière politique de Ousmane Sonko s’il arrivait à échapper aux multiples procédures judiciaires ouvertes contre lui, mais force est de dire que Idrissa Seck lui porterait fatalement l’estocade en lui ravissant la vedette. Assurément, le pays serait épargné des appels à l’insurrection, à la violence et au recours à des groupes subversifs du genre «Force spéciale» ou «commando spécial». Au demeurant, pourrait-on exclure l’éventualité de l’émergence d’un nouveau leadership qui arriverait à servir de réceptacle aux différents élans de l’opposition ? Quelle serait la capacité à rebondir de Khalifa Ababacar Sall ou de Karim Wade ? Idrissa Seck les disqualifie ou les délégitime d’office, les ravalant à l’infâmant sort des «voleurs de deniers publics».
Au demeurant, la participation de Khalifa Ababacar Sall et de Karim Wade aux prochaines joutes électorales reste tributaire des résultats d’un nouveau dialogue national auquel le Président Macky Sall vient d’appeler, une fois de plus, en vue de rediscuter des questions de l’éligibilité de certains potentiels candidats ou encore du filtre ténu que représente le parrainage citoyen pour les candidatures à l’élection présidentielle.