Votée par l’Assemblée nationale le 27 avril 2010 dans les conditions historiques du Cinquantenaire de l’Indépendance sénégalaise, cette loi qui dispose en son article premier que « La République du Sénégal déclare solennellement que l’esclavage et la traite négrière, sous toutes leurs formes, constituent un crime contre l’Humanité » s’est inspirée de sa consœur française en prévoyant que « la présente déclaration solennelle sera commémorée chaque année sur toute l’étendue du territoire national, le 27 avril.». Partant d’une obligation juste et légitime de mémoire et de réparation, cette innovation sénégalaise pâtit de cette logique d’instrumentalisation politique qui a été le mode principal d’action de l’ancien Président de la République. Panafricaniste convaincu mais aussi habile politicien, Abdoulaye Wade a répondu favorablement et peut-être prématurément au lobbying de la Fondation du Mémorial de la traite des noirs pour la raison inavouée que le vote de cette loi lui permettrait de faire passer la grosse pilule de l’érection de son si controversé Monument de la Renaissance Africaine. Dans ce contexte de célébration de la fierté africaine et d’une fin de règne problématique, Wade fera voter cette loi par sa majorité parlementaire comme une lettre à la Poste. C’est ainsi qu’en l’absence d’un débat dans la société sénégalaise sur l’impact de cette histoire qui, même si elle est lointaine temporellement et controversée chez les élites africaines, reste encore fraîche dans beaucoup de mémoires et l’opportunité d’en recourir à une loi pour en fixer la signification, on assistera à une indifférence relative de l’opinion publique et à un défaut d’investissement de l’Etat sénégalais depuis 2010.
Il convient néanmoins d’en cerner les enjeux. Décidée par les nations occidentales après trois siècles demi d’exploitation des africains et de leurs descendants, l’abolition de l’esclavage est un événement considérable comme progrès des liberté s de tous les hommes. C’était la fin de l’enchaînement des noirs et de leur exploitation forcée qui les maintenait dans un état de sujétion totale envers un maître ou un Etat, et en fait, à la condition inique de sous-homme, de « biens meubles » comme le définissait l’article 44 du Code noir français de 1685.
Célébrer l’abolition et les résistances contre toutes les formes de traites et d’esclavage des noirs. Si la commémoration de ce crime contre l’humanité est largement admise dans la société occidentale et dans les Amériques, il faut noter une approche extrêmement frileuse des Etats d’Afrique et des pays arabo-musulmans. Pourtant, comme la société occidentale, les société s africaines et arabo-musulmanes ont fortement été influencées par cette histoire au long cours qui a profondément modifié et instauré des rapports d’exploitation, de violence et de domination encore observables.
La traite nègrière arabo-musulmane a duré pendant plus de quatorze siècles et concerné pas moins de 14 millions d’africains. Doit-on, comme le fait le sociologue Tidiane Ndiaye, qualifier de « génocidaire » l’entreprise de déportation et d’exploitation des noirs menée par les chefs arabes qui ont siphonné une bonne partie des ressources humaines du continent ? Comment expliquer que les populations africaines soient si peu visibles et reconnues dans ces Etats malgré leur ancienneté d’installation forçée ?
Et les complicités de certains chefs africains cupides dans la capture, la vente et l’exploitation de ces millions de victimes n’ont plus besoin d’être niées pendant que l’Afrique continue de produire des dirigeants qui ont fait la preuve de leur capacité à orchestrer des massacres de masse pour le pouvoir soit par les armes soit par la corruption et les détournements des deniers publics.
Célébrer oui diaboliser non. Ni victimiser. Suivant le sens des recommandations de la Conférence de Durban et dix années après le vote de la première loi française déclarant la traite des noirs crime contre l’humanité, le Sénégal rentre donc dans le combat politique pour briser l’oubli et promouvoir la mémoire.
Enfin, dirons nous ! Car la gestion touristique de la mémoire qui avait prévalu jusqu’à lors autour de ce que certains appellent le « Gorée Business » avait fini par lasser. Oui le Sénégal a eu raison de voter cette loi. La situation de pays africains qui, pour des raisons stratégiques liées aux urgences de l’Indépendance, de l’Unité nationale et du développement, ont restreint leur champ mémoriel national à la lutte contre la colonisation, n’est ni acceptable ni juste en regard de la nécessaire valorisation de la contribution de leur diaspora à l’édification d’une société de droits et de progrés humains. Il ne faut pas cependant pas que cette commémoration désunisse plus qu’elle n’unit, à se poser en forme d’excuse, de façon anachronique autant du point de vue du temps, comme si il y avait encore une culpabilité des uns envers les autres aujourd’hui, que de l’histoire, en regard de ce que nous avons en commun et qu’il faut porter au grand jour. Il faut plutôt en faire la fête, celle de ce que l’on a conquis en s’élevant ensemble par là où l’égalité s’est élargie à tous.
« Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » disait Aimé Césaire digne et illustre descendant d’une histoire dont il aura magnifié l’énergie et la richesse dans les vers mémorables de nombreux textes qui accompagnent la construction identitaire de millions de citoyens.
Dans une société mondialisée où une marchandisation féroce et triomphante transforme les êtres humains en robots dont l’unique fonction semble être de produire et de consommer, le recours à l’identité peut sembler dérisoire. Pourtant, la mémoire reste le préalable à la construction de fraternités et de solidarités pour faire face à l’hydre capitaliste dont l’appétit de territoires, de marché s, de main d’oeuvre est sans fin.
Mais c’est surtout dans le combat contre les formes de l’esclavage contemporain qui traverse nos sociétés d’aujourd’hui que cette loi et cette commémoration de la liberté prennent un sens. C’est une vigilance, une façon d’ériger partout une digue infranchissable pour la promotion de l’égalité entre tous les hommes. Sans condition ! Sans demi-mesure !
Karfa Sira Diallo
Senenews
Il convient néanmoins d’en cerner les enjeux. Décidée par les nations occidentales après trois siècles demi d’exploitation des africains et de leurs descendants, l’abolition de l’esclavage est un événement considérable comme progrès des liberté s de tous les hommes. C’était la fin de l’enchaînement des noirs et de leur exploitation forcée qui les maintenait dans un état de sujétion totale envers un maître ou un Etat, et en fait, à la condition inique de sous-homme, de « biens meubles » comme le définissait l’article 44 du Code noir français de 1685.
Célébrer l’abolition et les résistances contre toutes les formes de traites et d’esclavage des noirs. Si la commémoration de ce crime contre l’humanité est largement admise dans la société occidentale et dans les Amériques, il faut noter une approche extrêmement frileuse des Etats d’Afrique et des pays arabo-musulmans. Pourtant, comme la société occidentale, les société s africaines et arabo-musulmanes ont fortement été influencées par cette histoire au long cours qui a profondément modifié et instauré des rapports d’exploitation, de violence et de domination encore observables.
La traite nègrière arabo-musulmane a duré pendant plus de quatorze siècles et concerné pas moins de 14 millions d’africains. Doit-on, comme le fait le sociologue Tidiane Ndiaye, qualifier de « génocidaire » l’entreprise de déportation et d’exploitation des noirs menée par les chefs arabes qui ont siphonné une bonne partie des ressources humaines du continent ? Comment expliquer que les populations africaines soient si peu visibles et reconnues dans ces Etats malgré leur ancienneté d’installation forçée ?
Et les complicités de certains chefs africains cupides dans la capture, la vente et l’exploitation de ces millions de victimes n’ont plus besoin d’être niées pendant que l’Afrique continue de produire des dirigeants qui ont fait la preuve de leur capacité à orchestrer des massacres de masse pour le pouvoir soit par les armes soit par la corruption et les détournements des deniers publics.
Célébrer oui diaboliser non. Ni victimiser. Suivant le sens des recommandations de la Conférence de Durban et dix années après le vote de la première loi française déclarant la traite des noirs crime contre l’humanité, le Sénégal rentre donc dans le combat politique pour briser l’oubli et promouvoir la mémoire.
Enfin, dirons nous ! Car la gestion touristique de la mémoire qui avait prévalu jusqu’à lors autour de ce que certains appellent le « Gorée Business » avait fini par lasser. Oui le Sénégal a eu raison de voter cette loi. La situation de pays africains qui, pour des raisons stratégiques liées aux urgences de l’Indépendance, de l’Unité nationale et du développement, ont restreint leur champ mémoriel national à la lutte contre la colonisation, n’est ni acceptable ni juste en regard de la nécessaire valorisation de la contribution de leur diaspora à l’édification d’une société de droits et de progrés humains. Il ne faut pas cependant pas que cette commémoration désunisse plus qu’elle n’unit, à se poser en forme d’excuse, de façon anachronique autant du point de vue du temps, comme si il y avait encore une culpabilité des uns envers les autres aujourd’hui, que de l’histoire, en regard de ce que nous avons en commun et qu’il faut porter au grand jour. Il faut plutôt en faire la fête, celle de ce que l’on a conquis en s’élevant ensemble par là où l’égalité s’est élargie à tous.
« Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » disait Aimé Césaire digne et illustre descendant d’une histoire dont il aura magnifié l’énergie et la richesse dans les vers mémorables de nombreux textes qui accompagnent la construction identitaire de millions de citoyens.
Dans une société mondialisée où une marchandisation féroce et triomphante transforme les êtres humains en robots dont l’unique fonction semble être de produire et de consommer, le recours à l’identité peut sembler dérisoire. Pourtant, la mémoire reste le préalable à la construction de fraternités et de solidarités pour faire face à l’hydre capitaliste dont l’appétit de territoires, de marché s, de main d’oeuvre est sans fin.
Mais c’est surtout dans le combat contre les formes de l’esclavage contemporain qui traverse nos sociétés d’aujourd’hui que cette loi et cette commémoration de la liberté prennent un sens. C’est une vigilance, une façon d’ériger partout une digue infranchissable pour la promotion de l’égalité entre tous les hommes. Sans condition ! Sans demi-mesure !
Karfa Sira Diallo
Senenews