Droit de réponse au professeur de droit public Alioune Sall


Rédigé le Dimanche 5 Mai 2013 à 00:38 | Lu 214 fois | 0 commentaire(s)



Dans deux entretiens publiés dans le Quotidien, le Professeur de droit public Alioune Sall nous livre ses réflexions sur l’affaire Habré à l’occasion de la sortie de son livre sur ce dossier et bien sûr dans le contexte de la création des chambres africaines par le pouvoir sénégalais.


Droit de réponse au professeur de droit public Alioune Sall
Campant dans la posture que lui confère son magistère, Alioune Sall revendique se livrer à une analyse purement académique, et partant objective de cette affaire, et aussi pédagogique, souhaitant expliciter pour le simple citoyen « notre rapport à la justice internationale ». Nous devrions donc y voir une réflexion indépendante, détachée des intérêts des parties, distanciée des passions soulevées par ce dossier.

Pourtant, à l’évidence, ce livre écrit dans les semaines qui ont suivi la constitution des chambres africaines s’inscrit parfaitement dans la campagne médiatique orchestrée par le pouvoir sénégalais et n’a d’autre objectif que de justifier en définitive la raison d’être d’un nouveau procès aux yeux du peuple sénégalais passablement « embrouillés » par les dérapages de la justice sénégalaise et de ses gouvernants, et dont la bonne foi selon le Professeur Sall ne saurait être mise en cause, et qu’il absous d’ailleurs de toute immixtion dans le domaine judiciaire !

Il est vrai qu’à suivre les argumentations développées par l’exécutif sénégalais soit devant la Cour de la CEDEAO, soit devant la Cour Internationale de Justice, on pourrait s’interroger sur le statut de la « parole présidentielle » au Sénégal ; tant il est vrai que dans le souci de parvenir à tout prix, pour de basses raisons économiques, financières ou stratégiques, au re-jugement de l’affaire, en violation des décisions rendues par la Cour Suprême et de la Constitution sénégalaise, le Gouvernement sénégalais aura soutenu tout et le contraire de tout en fonction de la juridiction devant laquelle il était attrait.

Eh oui, Monsieur le Professeur, les sciences juridiques ne font pas partie du domaine des sciences exactes, et vous le savez mieux que quiconque, vous qui avez été le représentant de l’Etat sénégalais devant la Cour de la CEDEAO, comme devant la Cour internationale de Justice ! L’éthique, Monsieur le Professeur, que vous enseignez à Cheick Anta Diop, n’exigeait-elle pas que vous révéliez au lecteur du Quotidien votre rôle d’avocat ou d’agent de l’Etat sénégalais ?

Devant la Cour de la CEDEAO, les avocats de l’Etat avait invoqué le mandat de l’Union africaine, le concept de dossier africain, la responsabilité conférée au Sénégal par l’Union africaine, et vous nous dites maintenant, ce que les avocats du président Habré n’ont cessé de clamer depuis 2006, à savoir que « l’Union africaine n’était pas habilitée d’une manière ou d’une autre à se saisir de cette affaire », que « depuis 2006, les chefs d’Etat africains ont proclamé - je ne sais trop pourquoi - que cette affaire était africaine alors qu’il n’en est rien ». Mais, pourquoi avez-vous soutenu le contraire en 2010 devant la Cour de la CEDEAO ?





Pourquoi n’avez-vous pas relevé devant la Cour cette « curiosité -qui- se trouve dans la démarche du Sénégal, qui est allé poser la question de Habré devant les instances de l’Union africaine »…….soulignant par ailleurs que « cette démarche procède plus d’une impulsion de type sentimental ou passionnel que rationnel parce qu’en droit, rien n’autorisait cette sorte de transfert de l’affaire Habré du plan national au plan international ».

Le gardien de la Constitution sénégalaise aurait donc cédé à ses impulsions de type sentimental ou passionnel ? Mais quelle est cette fable « bien mal acquise » ?

La deuxième curiosité, ajoutez-vous « c’est la réponse même de l’Union africaine qui, sur la foi d’un rapport établi par un comité de juristes, s’est déclarée compétente pour discuter de cette affaire et décider des conditions dans lesquelles elle devait être jugée. Or, cette compétence -dites vous- me paraît éminemment contestable ». Mais la Cour de la CEDEAO qui vous a donné tort, vous entend encore Monsieur le Professeur ; pourquoi ne pas l’avoir instruite plus tôt de ce savoir universitaire ?

Or, vous soulignez vous-même qu’aujourd’hui la démarche du Gouvernement sénégalais s’inspire du même fondement, le mandat de l’UA, visé dans l’accord signé entre l’UA et la Ministre de la Justice, en violation de toutes les règles constitutionnelles ; vous contestez la compétence de l’UA, qui va aujourd’hui au-delà même du mandat, en participant à la création des chambres africaines, et même au processus de désignation des juges, ce que nombre de vos collègues ont décrié !

Vos étudiants retiendront sans doute que vous vous positionnez aujourd’hui dans le droit fil de l’exécution de la Cour Internationale de Justice et que vous regrettez que votre Gouvernement, qui prétend respecter la décision de la Cour de la CEDEAO, ne s’en inspire pas davantage. Voilà une bien curieuse affirmation pour quelqu’un qui professe le respect de droit communautaire, « pour le juriste, dites-vous, « la non-exécution d’une décision de justice constitue, en principe, une violation du droit communautaire ». La Cour de la CEDEAO se voit maintenant taxée de « parasitage », -elle appréciera lors de votre prochaine visite- venant « embrouiller » le Sénégal. Mais c’est vous qui prenez la posture de « l’embrouilleur ».

Vous en oubliez les principes élémentaires que vous enseignez, notamment, le principe de non rétroactivité affirmé par la Cour de la CEDEAO et surtout le principe de l’autorité de la chose jugée des décisions rendues en 2000, 2001 par les juridictions sénégalaises, également tranché définitivement par la Cour. Dans le même état d’esprit, vous passez sous silence le fait que la Cour a interdit au système judiciaire du Sénégal de connaître à nouveau de l’affaire, et ce, sous quelque prétexte que ce soit, disqualifiant ainsi, de façon définitive, ledit système que vous tentez, vous aussi, comme la Ministre de la Justice, votre client, de remettre en selle !

Certes, la CIJ a recommandé au Sénégal de soumettre l’affaire à ses autorités compétentes -je dis bien à ses autorités-, c’est-à-dire même pas à ses juridictions ! Or, c’est précisément ce qu’elles avaient fait en 2000 ; et la CIJ ajoute même qu’une fois l’affaire soumise, lesdites autorités ont rempli leurs obligations, et retrouvent leur discrétion souveraine dans l’appréciation des faits et obstacles de droit à l’exercice des poursuites !

Mais c’est ce qu’elles avaient fait aussi et vous préconisez donc qu’elles doivent recommencer ! Et vous vous étonnez que le citoyen sénégalais s’en indigne ?

Et que bien plus, le précédent gouvernement avait non seulement « jugé », mais avait aussi statué sur l’extradition, demandée par la Belgique, allant donc au-delà des dispositions de la Convention sur la torture qui ne prévoit qu’une simple alternative ! Et vous oubliez d’ailleurs que la Cour Internationale de Justice a refusé ladite extradition ; certains juges de la CIJ soulignant même l’illégalité de la demande d’extradition belge que vous avez aussi oublié de soutenir devant la CIJ dès l’origine de la saisine de cette juridiction !

En définitive, force est de constater que le Professeur Sall ne se sort pas de « l’embrouille » que l’Etat du Sénégal lui demande de défendre, qui invoque soit le mandat de l’UA devant la Cour de la CEDEAO, dont il reconnaît aujourd’hui l’illégalité, soit la Convention contre la torture devant la CIJ, alors même que la voie préconisée par cette juridiction a déjà été suivie, exécutée et qu’il n’y a donc pas lieu de la reprendre. Critiquant la démarche du Gouvernement sénégalais et le respect de ce dernier pour la décision communautaire, le Professeur Sall en oubliera de mentionner que ces chambres africaines n’ont pas ce caractère internationalisé qu’elles auraient pu avoir.

Voici que sur 20 magistrats triés sur le volet par la Ministre de la Justice, 18 sont sénégalais, et que les magistrats du Parquet comme de l’instruction sont tous sénégalais, et pré désignés par ladite Ministre qui conduit au Sénégal l’action publique ; est-ce qu’un procès équitable peut avoir lieu quand la même personne hiérarchiquement supérieure au Parquet désigne et les magistrats du parquet, et ceux de l’instruction, et les magistrats du siège qui auront de toutes façons la majorité sur leurs deux collègues africains ! Voilà un vrai thème de réflexion pour Alioune Sall ?

Est-ce qu’il peut y a voir procès équitable quand Monsieur SALL affirme qu’il ne s’agit pas pour lui, dans cet exercice de « cautionner la complaisance à l’égard d’un homme sur qui pèsent des charges aussi écrasantes », oui de faits, pourrait-il ajouter, sur lesquels aucune enquête indépendante n’a jamais été menée à l‘exception de « preuves » que fournira Idriss Déby, le grand argentier des juges, à ces derniers pour assurer la condamnation de son ennemi politique !

De façon plus inquiétante, le professeur Sall s’inquiète des fondements juridiques qui inspirent la Cour de la CEDEAO dans ses arrêts, préconisant même l’intervention de l’Etat du Sénégal pour réduire ces zones d’incertitude, sans doute pour brider la Cour ?

Il est ici loin de sa fonction académique, dans cette posture liberticide, tellement loin qu’en deux entretiens, il en oubliera de mentionner que le fondement de base des arrêts de la Cour reste la Charte africaine des droits de l’Homme, - pas une seule fois mentionnée dans ses analyses- comme l’est la Convention européenne pour la Cour européenne, préconisant de « doubler notre action judiciaire d’une action diplomatique tendant précisément à réfléchir sur les conditions dans lesquelles la Cour travaille, sinon nous aurons, dans le futur, d’autres problèmes » !




Voilà bien les intentions révélées de l’avocat de l’Etat sénégalais, intentions à peine cachées derrière un paravent pédagogique du professeur.


François SERRES
Avocat du Président Habré


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