La résilience de notre peuple est forte, très forte. Depuis les indépendances de 1960, seuls huit (8) pays sur les 55 que compte l'Afrique, n’ont pas connu de changements non constitutionnels à leur tête. Le Sénégal est du lot et se trouve être le seul pays anciennement colonie française sur la liste. Ceci n’est pas le coup du hasard.
Cette stabilité plonge ses racines dans nos cultures, nos us et coutumes, nos traditions, bref la civilisation de notre pays. Les spécialistes pourraient nous en révéler les fondements mais le fait est là et il est établi que les contradictions qui sont gérées ici, dans une relative maîtrise, sont, pour l’essentiel, celles-là qui ont bouleversé et déstabilisé des pays qui nous entourent. Nous aurions cependant tort de surestimer nos capacités à surfer indéfiniment sur les facteurs et les phénomènes de déstabilisation.
La raison en est que les caractéristiques actuelles du pays, ont radicalement évolué avec l’avènement du pétrole et du gaz. D’aucuns avaient vite conclu que ces découvertes ne seraient pas de grande importance, au motif que les pays dominants avaient déjà décidé de migrer vers les énergies propres qui rendraient les énergies fossiles déclinantes et, à terme, inutiles. La guerre en Ukraine a montré que nous sommes encore loin de ce scénario.
Par conséquent le Sénégal, qui était déjà à une position stratégique sur le continent africain, intéressant toutes les grandes puissances militaires de la planète, devient aujourd’hui, plus que par le passé, une plaque tournante d’énormes intérêts de dimension mondiale. Ne pas regarder notre contexte sous cet éclairage, pour ne voir que l’actualité du champ politique, serait gravement préjudiciable à une bonne perception des défis qui nous sont lancés. S’y ajoute la guerre asymétrique presque partout dans la sous-région, avec ses milliers de morts, ses centaines de milliers de blessés et de déplacés.
Pour tout dire, nous apparaissons comme un îlot relativement paisible au milieu d’une mer déchaînée, charriant des drames innommables sur de vastes étendues de l’Afrique de l’Ouest. Pendant ce temps, chaque jour qui passe, nous administre aussi la preuve que nous ne comptons que pour du beurre aux yeux de la fameuse communauté internationale. Combien de milliers de pauvres citoyens burkinabé ont été jusqu’ici trucidés sans qu’il y ait la moindre initiative sérieuse pour ramener la paix et la tranquillité dans ce pays frère ? Même les instances d’intégration africaines sont aux abonnés absents devant tant de souffrance, devant cette descente aux enfers.
C’est l’Ukraine qui les préoccupe, la mer de Chine, le proche et le moyen Orient … Lorsqu’ils s’intéressent à nou,s c’est tout juste pour les richesses de notre sol et de notre sous-sol. Ce serait une grande naïveté que de croire le contraire. C’est pourquoi l’importance qui est accordée dans nos pays, à ce que pensent l’Élysée et les Français de notre politique intérieure, m’étonne toujours.
J’ai évoqué la guerre en Ukraine qui est en train d’accélérer les changements de paradigmes dans le monde. Le Professeur Samir Amin montre que « le monde d’aujourd’hui est caractérisé par l’implosion du capitalisme contemporain sans qu’il y ait coïncidence, jusqu'à présent, entre cet automne, cette implosion, et l'amorce d'un véritable et authentique printemps des peuples ». Selon lui, « l’écart dans le temps entre la mort douce mais violente du système capitaliste contemporain et la naissance retardée d'une alternative cohérente, positive, donne tout son caractère tragique à notre époque ».
Et de rappeler la fameuse et saisissante formule de Gramsci : « Lorsqu'un système a épuisé son potentiel historique, et que la vague qu’il a représentée dans l'histoire s’éteint, mais que la nouvelle vague qui représente l'avenir est à peine en formation, entre la nuit qui n’est pas encore terminée et le jour qui n’est pas encore là, se profilent des fantômes et des monstres ».
Samir Amin poursuit : « Et notre époque est pleine de monstres, pas seulement du côté des forces dominantes du système, mais également des fantômes, parfois sympathiques par leur naïveté mais des fantômes et des monstres qui se profilent également dans les réponses que les peuples donnent à ce défi. C’est-à-dire que le meilleur mais également le pire sont possibles, dépendant de la prise de conscience éventuelle des peuples ».
Quelles doivent être, sur cette base, les réponses de notre peuple à ce défi ? Telle est, à mon sens, la question posée et à résoudre. Les contentieux d’aujourd’hui, n’en sont qu’un aspect dans un rapport évidemment dialectique avec les autres.
Dans les concertations (c’est le terme que j’ai toujours préféré à celui de dialogue qui est galvaudé), on identifie généralement quelques points essentiels :
le troisième mandat
le caractère inclusif des candidatures
la transparence et la sincérité du processus électoral
les libertés publiques.
Naturellement, comme de nombreux Sénégalais, j’accorde à très juste titre, une grande importance aux conditions de vie de la grande masse. Hélas, dans les concertations politiques cette dimension est très en-deçà de sa véritable place. Même dans nos plates-formes et surtout dans leur prise en charge pratique sur le terrain de l’accompagnement des luttes de résistance des travailleurs et des populations en général, l’engagement militant souffre d’un gros déficit.
Passons donc en revue ces questions politiques, dont aucune, selon mon hypothèse, ne mérite qu’on se fasse la guerre. Comme indiqué plus haut, les institutions de notre pays, en dépit des critiques justifiées que l’on peut formuler à leur encontre, sont plus solides qu’on a pu le penser au regard de ce qu’elles sont dans certains autres pays tout autour. Il en est de même de nos traditions de stabilité. Comprendre cela, permet de dépasser les réflexes irrationnels qui nous empêchent parfois d’avoir les bonnes réactions.
En effet, on a pu observer dans beaucoup de cas, que lorsqu’une des parties souhaite discuter avec l’autre, le réflexe immédiat de la partie sollicitée est un réflexe de rejet au motif que la partie qui demande, serait en position de faiblesse et qu’il faut au contraire l’anéantir. Au Sénégal, par le passé, lorsque l’opposition exprimait le souhait de discuter, la réponse du pouvoir a souvent été qu’« en démocratie, le dialogue c’est à l’Assemblée nationale ». Et vogue la galère !
Quand par contre, c’est le pouvoir qui appelait à discuter, le réflexe de l’opposition était de s’imaginer que les carottes étaient cuites du côté du pouvoir et qu’il faut juste se baisser pour ramasser le fruit. Deux attitudes totalement contreproductives. Même entre des nations en conflit, l’Histoire nous apprend que c’est justement lorsqu’on est en position de force qu’on discute. Si l’opposition estime que le rapport de forces lui est favorable, alors elle doit discuter pour la satisfaction de ses revendications.
Sur la question de la 3e candidature, la question est la suivante : Est-ce qu’une décision possible du président de la République de se porter candidat en 2024, devrait nous conduire à nous faire la guerre, au motif qu’il avait dit le contraire? Ma position est : NON ! En effet, notre peuple a déjà suffisamment administré la preuve de sa lucidité et son esprit de responsabilité, pour mériter des acteurs politiques qu’ils lui fassent confiance et le respectent. En 2012, le peuple a écarté le Président Wade après que sa 3e candidature a été validée par le Conseil constitutionnel. Quand les autres candidats passaient leur temps à protester contre la candidature de Wade, Macky Sall est allé faire campagne et a fini par être élu par le peuple souverain. Cette leçon doit être retenue.
Certains disent : « Macky Sall va se porter candidat et truquer les élections. Entendons-nous bien ! Quelqu’un qui est capable de truquer des élections perdrait-il la capitale nationale de son pays et d’autres centres névralgiques du territoire aux élections locales de janvier 2022 ? Quand on est capable de truquer des élections, devrait-on perdre presque sa majorité à l’Assemblée nationale ? Bien sûr que non ! Nous devrions donc tous nous convaincre que le peuple sénégalais ne versera pas dans la violence au profit de qui que ce soit, mais il prendra ses responsabilités le moment venu. Cela dit, je considère comme démocratiquement justifié que des citoyens s’opposent à la troisième candidature du président de la République, tout comme il est légitime qu’ils le montrent par des manifestations pacifiques.
Le caractère inclusif de la prochaine élection présidentielle
Nous nous sommes toujours battus pour le retour dans le jeu électoral de ceux qui en avaient été exclus. Si cela intervient, on ne saurait l’attribuer à quelque manœuvre, que ce soit de la part de Macky Sall, mais plutôt y voir le couronnement victorieux d’une longue lutte de l’opposition. Pour dire vrai, nous avons raté le coche en 2019, lorsqu’on a éliminé 20 candidats de l’opposition, sur des bases que nous considérions fallacieuses. Si les 4 candidats retenus à l’époque avaient refusé d’aller en compétition contre Macky Sall, en l’absence des candidats exclus, cette question aurait été réglée séance tenante et définitivement. Malheureusement, il n’en a pas été ainsi.
Pour l’heure, aucun autre candidat potentiel n’est exclu de la prochaine compétition, mais une opinion largement répandue soutient qu’on va vers l’élimination d'un candidat, en passant par des procès. En tout cas, les leaders actuellement éliminés l’ont été certes à la suite de décisions de justice, mais le fait est qu’ils ont été attraits devant les juridictions par l’Etat lui-même, à travers des procédures bien déterminées qui, pour nous, étaient inacceptables. Aujourd’hui, la particularité du contexte est qu’un candidat potentiel est également attrait à la barre par des personnes physiques. On note cependant que malgré tout, les parties concernéess’inscrivent dans une logique de suivre les procédures judiciaires devant les tribunaux,, ce dont il faut se féliciter tout en exigeant en toutes circonstances, que lesprocès soient justes et équitables et que les jugements qui seront prononcés soient également justes et équitables.
Le processus électoral.
Il est une tradition depuis 30 (trente) ans, qu’à l’approche de chaque élection, pouvoir et opposition s’asseyent pour chercher à s’accorder sur les règles du jeu. Il faut donc démarrer ces concertations sans tarder.
Les libertés publiques
Il faut les respecter. L’expérience a toujours montré que les manifestations pacifiques restent pacifiques toutes les fois qu’on les encadre et ne débordent que si on les interdit. Il faut par conséquent, résoudre structurellement ce dossier.
Les conditions de vie des populations
Les forces démocratiques doivent constamment se tenir aux côtés des couches laborieuses, qui subissent de plein fouet les effets de la crise et de l’incurie du gouvernement, tout en sachant que seul un pouvoir au service du peuple pourrait venir à bout et de façon définitive, des déficits primaires que vivent les populations.
Si les concertations peuvent permettre de ressusciter les discussions de 2020 sur les questions de paix et de sécurité, au vu de la grave situation qui prévaut dans la sous-région, ce serait également à saluer. Il en est de même de la question soulevée, à l’époque au sujet des incohérences territoriales, sources de conflit sociaux sérieux, qui avait d’ailleurs connu de bonnes propositions de solutions.
Dakar ce vendredi 5 mai 2020
Mamadou Diop Decroix
Ps : Pendant la crise en Guinée, sous le Président Alpha Condé, j’avais défendu l’idée selon laquelle le dialogue en Guinée était le moindre mal pour le pouvoir et pour l’opposition. Je convoque dans le contexte présent, mon propos de novembre 2019, publié 2 ans avant le coup d’Etat militaire contre Alpha Condé.
https://www.dakaractu.com/La-situation-en-Guinee-l-urgence-de-s-asseoir-pour-discuter-Par-Mamadou-Diop-Decroix_a179959.html
J’en ressors quelques extraits pour illustrer mes positions d’aujourd’hui.
« C’est au regard de tout ce qui précède, que les logiques d’affrontements en cours dans ce pays frère, ne me semblent absolument pas être la voie à suivre pour résoudre les contradictions politiques qui s’y développent. Ne serait-ce que le contexte géostratégique en Afrique de l’Ouest, nettement marqué par une guerre asymétrique qui se propage comme un cancer, y compris au Mali, pays limitrophe de la Guinée, devrait inciter au dépassement.
Nous savons également que les immenses richesses de la Guinée n’intéressent pas que les Guinéens. Des forces puissantes n’ayant aucun égard pour le peuple de Guinée et ses intérêts, sont probablement à l’affût, prêtes à fondre sur ces richesses-là, tel l’épervier sur sa proie, dès qu’elles auront la certitude que les guerres intestines ont rendu le pays et ses forces vives suffisamment exsangues, pour recevoir le coup de grâce. Tôt ou tard, il faudra s’asseoir autour de la table pour résoudre les problèmes.
Les générations actuelles d’acteurs politiques, en Guinée et ailleurs en Afrique, sur les épaules desquelles retombent tous les échecs cumulés de ces six dernières décennies en sus, par moments, de leurs propres turpitudes, devront se ressaisir, se doter de la carrure, de la trempe et de la vision nécessaires, pour se hisser à la hauteur des exigences d’une situation dont la gravité n’a pas de précédent depuis les indépendances.
C’est à ce prix, selon moi, que nous prendrons le tournant qu’il faut pour sauver le continent « d’une longue histoire d’abjection et restituer à l’Afrique, sa force et sa puissance propres », j’ai cité Achille Mbembe.
Cette stabilité plonge ses racines dans nos cultures, nos us et coutumes, nos traditions, bref la civilisation de notre pays. Les spécialistes pourraient nous en révéler les fondements mais le fait est là et il est établi que les contradictions qui sont gérées ici, dans une relative maîtrise, sont, pour l’essentiel, celles-là qui ont bouleversé et déstabilisé des pays qui nous entourent. Nous aurions cependant tort de surestimer nos capacités à surfer indéfiniment sur les facteurs et les phénomènes de déstabilisation.
La raison en est que les caractéristiques actuelles du pays, ont radicalement évolué avec l’avènement du pétrole et du gaz. D’aucuns avaient vite conclu que ces découvertes ne seraient pas de grande importance, au motif que les pays dominants avaient déjà décidé de migrer vers les énergies propres qui rendraient les énergies fossiles déclinantes et, à terme, inutiles. La guerre en Ukraine a montré que nous sommes encore loin de ce scénario.
Par conséquent le Sénégal, qui était déjà à une position stratégique sur le continent africain, intéressant toutes les grandes puissances militaires de la planète, devient aujourd’hui, plus que par le passé, une plaque tournante d’énormes intérêts de dimension mondiale. Ne pas regarder notre contexte sous cet éclairage, pour ne voir que l’actualité du champ politique, serait gravement préjudiciable à une bonne perception des défis qui nous sont lancés. S’y ajoute la guerre asymétrique presque partout dans la sous-région, avec ses milliers de morts, ses centaines de milliers de blessés et de déplacés.
Pour tout dire, nous apparaissons comme un îlot relativement paisible au milieu d’une mer déchaînée, charriant des drames innommables sur de vastes étendues de l’Afrique de l’Ouest. Pendant ce temps, chaque jour qui passe, nous administre aussi la preuve que nous ne comptons que pour du beurre aux yeux de la fameuse communauté internationale. Combien de milliers de pauvres citoyens burkinabé ont été jusqu’ici trucidés sans qu’il y ait la moindre initiative sérieuse pour ramener la paix et la tranquillité dans ce pays frère ? Même les instances d’intégration africaines sont aux abonnés absents devant tant de souffrance, devant cette descente aux enfers.
C’est l’Ukraine qui les préoccupe, la mer de Chine, le proche et le moyen Orient … Lorsqu’ils s’intéressent à nou,s c’est tout juste pour les richesses de notre sol et de notre sous-sol. Ce serait une grande naïveté que de croire le contraire. C’est pourquoi l’importance qui est accordée dans nos pays, à ce que pensent l’Élysée et les Français de notre politique intérieure, m’étonne toujours.
J’ai évoqué la guerre en Ukraine qui est en train d’accélérer les changements de paradigmes dans le monde. Le Professeur Samir Amin montre que « le monde d’aujourd’hui est caractérisé par l’implosion du capitalisme contemporain sans qu’il y ait coïncidence, jusqu'à présent, entre cet automne, cette implosion, et l'amorce d'un véritable et authentique printemps des peuples ». Selon lui, « l’écart dans le temps entre la mort douce mais violente du système capitaliste contemporain et la naissance retardée d'une alternative cohérente, positive, donne tout son caractère tragique à notre époque ».
Et de rappeler la fameuse et saisissante formule de Gramsci : « Lorsqu'un système a épuisé son potentiel historique, et que la vague qu’il a représentée dans l'histoire s’éteint, mais que la nouvelle vague qui représente l'avenir est à peine en formation, entre la nuit qui n’est pas encore terminée et le jour qui n’est pas encore là, se profilent des fantômes et des monstres ».
Samir Amin poursuit : « Et notre époque est pleine de monstres, pas seulement du côté des forces dominantes du système, mais également des fantômes, parfois sympathiques par leur naïveté mais des fantômes et des monstres qui se profilent également dans les réponses que les peuples donnent à ce défi. C’est-à-dire que le meilleur mais également le pire sont possibles, dépendant de la prise de conscience éventuelle des peuples ».
Quelles doivent être, sur cette base, les réponses de notre peuple à ce défi ? Telle est, à mon sens, la question posée et à résoudre. Les contentieux d’aujourd’hui, n’en sont qu’un aspect dans un rapport évidemment dialectique avec les autres.
Dans les concertations (c’est le terme que j’ai toujours préféré à celui de dialogue qui est galvaudé), on identifie généralement quelques points essentiels :
le troisième mandat
le caractère inclusif des candidatures
la transparence et la sincérité du processus électoral
les libertés publiques.
Naturellement, comme de nombreux Sénégalais, j’accorde à très juste titre, une grande importance aux conditions de vie de la grande masse. Hélas, dans les concertations politiques cette dimension est très en-deçà de sa véritable place. Même dans nos plates-formes et surtout dans leur prise en charge pratique sur le terrain de l’accompagnement des luttes de résistance des travailleurs et des populations en général, l’engagement militant souffre d’un gros déficit.
Passons donc en revue ces questions politiques, dont aucune, selon mon hypothèse, ne mérite qu’on se fasse la guerre. Comme indiqué plus haut, les institutions de notre pays, en dépit des critiques justifiées que l’on peut formuler à leur encontre, sont plus solides qu’on a pu le penser au regard de ce qu’elles sont dans certains autres pays tout autour. Il en est de même de nos traditions de stabilité. Comprendre cela, permet de dépasser les réflexes irrationnels qui nous empêchent parfois d’avoir les bonnes réactions.
En effet, on a pu observer dans beaucoup de cas, que lorsqu’une des parties souhaite discuter avec l’autre, le réflexe immédiat de la partie sollicitée est un réflexe de rejet au motif que la partie qui demande, serait en position de faiblesse et qu’il faut au contraire l’anéantir. Au Sénégal, par le passé, lorsque l’opposition exprimait le souhait de discuter, la réponse du pouvoir a souvent été qu’« en démocratie, le dialogue c’est à l’Assemblée nationale ». Et vogue la galère !
Quand par contre, c’est le pouvoir qui appelait à discuter, le réflexe de l’opposition était de s’imaginer que les carottes étaient cuites du côté du pouvoir et qu’il faut juste se baisser pour ramasser le fruit. Deux attitudes totalement contreproductives. Même entre des nations en conflit, l’Histoire nous apprend que c’est justement lorsqu’on est en position de force qu’on discute. Si l’opposition estime que le rapport de forces lui est favorable, alors elle doit discuter pour la satisfaction de ses revendications.
Sur la question de la 3e candidature, la question est la suivante : Est-ce qu’une décision possible du président de la République de se porter candidat en 2024, devrait nous conduire à nous faire la guerre, au motif qu’il avait dit le contraire? Ma position est : NON ! En effet, notre peuple a déjà suffisamment administré la preuve de sa lucidité et son esprit de responsabilité, pour mériter des acteurs politiques qu’ils lui fassent confiance et le respectent. En 2012, le peuple a écarté le Président Wade après que sa 3e candidature a été validée par le Conseil constitutionnel. Quand les autres candidats passaient leur temps à protester contre la candidature de Wade, Macky Sall est allé faire campagne et a fini par être élu par le peuple souverain. Cette leçon doit être retenue.
Certains disent : « Macky Sall va se porter candidat et truquer les élections. Entendons-nous bien ! Quelqu’un qui est capable de truquer des élections perdrait-il la capitale nationale de son pays et d’autres centres névralgiques du territoire aux élections locales de janvier 2022 ? Quand on est capable de truquer des élections, devrait-on perdre presque sa majorité à l’Assemblée nationale ? Bien sûr que non ! Nous devrions donc tous nous convaincre que le peuple sénégalais ne versera pas dans la violence au profit de qui que ce soit, mais il prendra ses responsabilités le moment venu. Cela dit, je considère comme démocratiquement justifié que des citoyens s’opposent à la troisième candidature du président de la République, tout comme il est légitime qu’ils le montrent par des manifestations pacifiques.
Le caractère inclusif de la prochaine élection présidentielle
Nous nous sommes toujours battus pour le retour dans le jeu électoral de ceux qui en avaient été exclus. Si cela intervient, on ne saurait l’attribuer à quelque manœuvre, que ce soit de la part de Macky Sall, mais plutôt y voir le couronnement victorieux d’une longue lutte de l’opposition. Pour dire vrai, nous avons raté le coche en 2019, lorsqu’on a éliminé 20 candidats de l’opposition, sur des bases que nous considérions fallacieuses. Si les 4 candidats retenus à l’époque avaient refusé d’aller en compétition contre Macky Sall, en l’absence des candidats exclus, cette question aurait été réglée séance tenante et définitivement. Malheureusement, il n’en a pas été ainsi.
Pour l’heure, aucun autre candidat potentiel n’est exclu de la prochaine compétition, mais une opinion largement répandue soutient qu’on va vers l’élimination d'un candidat, en passant par des procès. En tout cas, les leaders actuellement éliminés l’ont été certes à la suite de décisions de justice, mais le fait est qu’ils ont été attraits devant les juridictions par l’Etat lui-même, à travers des procédures bien déterminées qui, pour nous, étaient inacceptables. Aujourd’hui, la particularité du contexte est qu’un candidat potentiel est également attrait à la barre par des personnes physiques. On note cependant que malgré tout, les parties concernéess’inscrivent dans une logique de suivre les procédures judiciaires devant les tribunaux,, ce dont il faut se féliciter tout en exigeant en toutes circonstances, que lesprocès soient justes et équitables et que les jugements qui seront prononcés soient également justes et équitables.
Le processus électoral.
Il est une tradition depuis 30 (trente) ans, qu’à l’approche de chaque élection, pouvoir et opposition s’asseyent pour chercher à s’accorder sur les règles du jeu. Il faut donc démarrer ces concertations sans tarder.
Les libertés publiques
Il faut les respecter. L’expérience a toujours montré que les manifestations pacifiques restent pacifiques toutes les fois qu’on les encadre et ne débordent que si on les interdit. Il faut par conséquent, résoudre structurellement ce dossier.
Les conditions de vie des populations
Les forces démocratiques doivent constamment se tenir aux côtés des couches laborieuses, qui subissent de plein fouet les effets de la crise et de l’incurie du gouvernement, tout en sachant que seul un pouvoir au service du peuple pourrait venir à bout et de façon définitive, des déficits primaires que vivent les populations.
Si les concertations peuvent permettre de ressusciter les discussions de 2020 sur les questions de paix et de sécurité, au vu de la grave situation qui prévaut dans la sous-région, ce serait également à saluer. Il en est de même de la question soulevée, à l’époque au sujet des incohérences territoriales, sources de conflit sociaux sérieux, qui avait d’ailleurs connu de bonnes propositions de solutions.
Dakar ce vendredi 5 mai 2020
Mamadou Diop Decroix
Ps : Pendant la crise en Guinée, sous le Président Alpha Condé, j’avais défendu l’idée selon laquelle le dialogue en Guinée était le moindre mal pour le pouvoir et pour l’opposition. Je convoque dans le contexte présent, mon propos de novembre 2019, publié 2 ans avant le coup d’Etat militaire contre Alpha Condé.
https://www.dakaractu.com/La-situation-en-Guinee-l-urgence-de-s-asseoir-pour-discuter-Par-Mamadou-Diop-Decroix_a179959.html
J’en ressors quelques extraits pour illustrer mes positions d’aujourd’hui.
« C’est au regard de tout ce qui précède, que les logiques d’affrontements en cours dans ce pays frère, ne me semblent absolument pas être la voie à suivre pour résoudre les contradictions politiques qui s’y développent. Ne serait-ce que le contexte géostratégique en Afrique de l’Ouest, nettement marqué par une guerre asymétrique qui se propage comme un cancer, y compris au Mali, pays limitrophe de la Guinée, devrait inciter au dépassement.
Nous savons également que les immenses richesses de la Guinée n’intéressent pas que les Guinéens. Des forces puissantes n’ayant aucun égard pour le peuple de Guinée et ses intérêts, sont probablement à l’affût, prêtes à fondre sur ces richesses-là, tel l’épervier sur sa proie, dès qu’elles auront la certitude que les guerres intestines ont rendu le pays et ses forces vives suffisamment exsangues, pour recevoir le coup de grâce. Tôt ou tard, il faudra s’asseoir autour de la table pour résoudre les problèmes.
Les générations actuelles d’acteurs politiques, en Guinée et ailleurs en Afrique, sur les épaules desquelles retombent tous les échecs cumulés de ces six dernières décennies en sus, par moments, de leurs propres turpitudes, devront se ressaisir, se doter de la carrure, de la trempe et de la vision nécessaires, pour se hisser à la hauteur des exigences d’une situation dont la gravité n’a pas de précédent depuis les indépendances.
C’est à ce prix, selon moi, que nous prendrons le tournant qu’il faut pour sauver le continent « d’une longue histoire d’abjection et restituer à l’Afrique, sa force et sa puissance propres », j’ai cité Achille Mbembe.