Les dernières affiches de Yahya Jammeh se trouvent à Kanilaï, à deux heures de Banjul. Son village natal pleure ses largesses passées. Derrière un immense mur d'enceinte se cache tout son univers. Sa ferme, des maisons pour sa famille, un zoo... On n'en saura pas plus, c'est une forteresse bien gardée, d'autant qu'un impressionnant déploiement de troupes sénégalaises de la Cedeao est là pour la « sécuriser ». À côté, des femmes boivent le thé près de misérables maisonnettes en zinc.
Pas de tee-shirt « Gambia has decided » ici. Non, toutes portent des tee-shirts verts, arborant des photos de Yahya Jammeh dans son inénarrable boubou blanc, avec ses lunettes de soleil et son chéchia : « Un homme de paix et d'amour ». Sur l'un, il tient un Coran, sur l'autre, il conseille de « manger ce que vous cultivez, cultiver ce que vous mangez », sur le troisième, il brandit son éternel sceptre. « C'est un homme très généreux, il nous donne du riz, de l'huile, de l'argent, quand il vient, assure Binta. On va l'acclamer et il passe ça aux soldats pour nous. »
Elle en parle au présent : « Non, il n'est pas parti donc on n'est pas tristes ! Son frère et sa famille sont encore là , comment pourrait-il partir sans sa famille ? Il va revenir, ils l'ont dit à la télé… » À côté, Zeituna insiste : « C'est un homme bon. Avec lui, on peut parler diola si on n'est pas très éduqué et qu'on ne parle très bien anglais, parce qu'il est comme nous. » Jammeh a encore ses fans. À l'aéroport, le soir du départ de Jammeh, le 21 janvier, des partisans pleurent sur le tarmac. « Il faut se rappeler que ces gens n'ont parfois été informés que par le Daily Observer, qui inventait des rencontres de Jammeh avec tous les dirigeants de la terre et racontait qu'Obama lui distribuait des médailles », rappelle Jeffrey Smith, chercheur à Vanguard Africa. On a beau chercher, les quelques réalisations dans le pays sont pourtant bien maigres : un aéroport, la télévision nationale, des écoles, l'université, des hôpitaux quand il n'en existait qu'un seul, à Banjul. Même si Yahya Jammeh, lui, se fait soigner aux États-Unis. Au regard des souffrances imposées à la population, elles sont nulles.
En 2012, Jammeh franchit un nouveau palier en exécutant neuf prisonniers. « La sélection a été faite complètement au hasard, certains n'étaient même pas condamnés à mort, il y en avait un dont le jugement en appel n'était pas terminé, se souvient Scattred Janneh, l'ancien ministre de l'Information, qui était en prison au même moment. Il y avait deux Sénégalais et une femme. » Les rapports avec le Sénégal se dégradent encore un peu plus, de même qu'avec l'Angleterre, qui condamne les exécutions. La Gambie quitte le Commonwealth en 2013. Jammeh persiste, il passe en 2014 une loi instituant la prison à vie pour l'homosexualité et menace d'égorger lui-même quiconque « le ferait » dans son pays.
L'Union européenne lui retire 13 millions d'euros d'aide. Le dictateur s'isole de plus en plus, on dit qu'il est sous cocaïne, qu'il est dérangé. À ses titres, Son Excellence Cheikh Professeur Alhaji Dr. Yahya AJJ Jammeh Nasirul Deen ajoute « Babili Mansa », celui qui maîtrise les rivières.
« Il est tout sauf fou, croyez-moi. On peut dire que c'est un sociopathe, souffrant de narcissisme, mais il s'est maintenu au pouvoir 22 ans, je peux vous dire qu'il sait très bien ce qu'il fait », assure Essa Bokarr Sey, son ancien ambassadeur à Washington. Cruel, paranoïaque, mystique, certes. Mais rusé. « Il n'est pas fou, il est très agressif, confirme un employé qui a travaillé avec son chef de protocole. Mais il a très bien façonné les forces de sécurité, de façon à ce que tout le monde se sente en insécurité. Par exemple, il mettait quelqu'un en dessous de vous hiérarchiquement, qui vous faisait comprendre que vous étiez surveillé. »
De fait, certaines décisions font preuve d'un sacré pragmatisme. Comme l'insistance sur le facteur ethnique. Il a placé des Diolas aux postes stratégiques de l'armée et a, à l'inverse, marginalisé les Mandingues, l'ethnie majoritaire. « On était vraiment contents, à Mile 2, d'entendre les troupes sénégalaises parce que nous, les prisonniers mandingues, on pensait qu'on allait tous être tués si Jammeh restait », confie Sanussi Sanyang, un gestionnaire de fonds de retraite qui vient de sortir de prison. Lui-même, ces derniers temps, répétait au palais que les Mandingues auraient sa peau et refusait, certains soirs, de toucher sa nourriture...
Sera-t-il poursuivi pour ce qu'il a infligé à la Gambie ? L'accord de l'Union africaine, la Cedeao et l'ONU prévoit qu'il ne sera pas inquiété dans son pays d'accueil. Mais sa valeur légale est quasi nulle. Halifa Sallah, le porte-parole de l'opposition, n'a eu de cesse de rappeler qu'Adama Barrow, le nouveau président, ne l'avait pas signé et qu'il avait pour seul mérite d'avoir permis de faire partir Jammeh. Si Sallah a pris toutes les précautions en rappelant que l'ex-président était « présumé innocent », à l'étranger, certains s'activent déjà . La fondation Open Society, de Georges Soros, tentera de rassembler des preuves, en s'appuyant notamment sur les cas d'étrangers ayant été maltraités ou assassinés par le régime. Dernière question : peut-il revenir ? « Je ne vois pas Teodoro Obiang l'empêcher de mener à bien ses projets, s'il en a », admet Jeffrey Smith. Cette crainte ne doit pas être étrangère au fait que Barrow ait demandé que les forces de la Cedeao restent encore six mois. Il y a quelques jours, elles ont trouvé des armes à Kanilaï, et Barrow ne s'est toujours pas installé au palais présidentiel… L'ombre de Jammeh, même parti, planera encore longtemps sur la Gambie.
Lepointafrique.com
Pas de tee-shirt « Gambia has decided » ici. Non, toutes portent des tee-shirts verts, arborant des photos de Yahya Jammeh dans son inénarrable boubou blanc, avec ses lunettes de soleil et son chéchia : « Un homme de paix et d'amour ». Sur l'un, il tient un Coran, sur l'autre, il conseille de « manger ce que vous cultivez, cultiver ce que vous mangez », sur le troisième, il brandit son éternel sceptre. « C'est un homme très généreux, il nous donne du riz, de l'huile, de l'argent, quand il vient, assure Binta. On va l'acclamer et il passe ça aux soldats pour nous. »
Elle en parle au présent : « Non, il n'est pas parti donc on n'est pas tristes ! Son frère et sa famille sont encore là , comment pourrait-il partir sans sa famille ? Il va revenir, ils l'ont dit à la télé… » À côté, Zeituna insiste : « C'est un homme bon. Avec lui, on peut parler diola si on n'est pas très éduqué et qu'on ne parle très bien anglais, parce qu'il est comme nous. » Jammeh a encore ses fans. À l'aéroport, le soir du départ de Jammeh, le 21 janvier, des partisans pleurent sur le tarmac. « Il faut se rappeler que ces gens n'ont parfois été informés que par le Daily Observer, qui inventait des rencontres de Jammeh avec tous les dirigeants de la terre et racontait qu'Obama lui distribuait des médailles », rappelle Jeffrey Smith, chercheur à Vanguard Africa. On a beau chercher, les quelques réalisations dans le pays sont pourtant bien maigres : un aéroport, la télévision nationale, des écoles, l'université, des hôpitaux quand il n'en existait qu'un seul, à Banjul. Même si Yahya Jammeh, lui, se fait soigner aux États-Unis. Au regard des souffrances imposées à la population, elles sont nulles.
Et Jammeh commença à déraper
En 2012, Jammeh franchit un nouveau palier en exécutant neuf prisonniers. « La sélection a été faite complètement au hasard, certains n'étaient même pas condamnés à mort, il y en avait un dont le jugement en appel n'était pas terminé, se souvient Scattred Janneh, l'ancien ministre de l'Information, qui était en prison au même moment. Il y avait deux Sénégalais et une femme. » Les rapports avec le Sénégal se dégradent encore un peu plus, de même qu'avec l'Angleterre, qui condamne les exécutions. La Gambie quitte le Commonwealth en 2013. Jammeh persiste, il passe en 2014 une loi instituant la prison à vie pour l'homosexualité et menace d'égorger lui-même quiconque « le ferait » dans son pays.
L'Union européenne lui retire 13 millions d'euros d'aide. Le dictateur s'isole de plus en plus, on dit qu'il est sous cocaïne, qu'il est dérangé. À ses titres, Son Excellence Cheikh Professeur Alhaji Dr. Yahya AJJ Jammeh Nasirul Deen ajoute « Babili Mansa », celui qui maîtrise les rivières.
« Il est tout sauf fou, croyez-moi. On peut dire que c'est un sociopathe, souffrant de narcissisme, mais il s'est maintenu au pouvoir 22 ans, je peux vous dire qu'il sait très bien ce qu'il fait », assure Essa Bokarr Sey, son ancien ambassadeur à Washington. Cruel, paranoïaque, mystique, certes. Mais rusé. « Il n'est pas fou, il est très agressif, confirme un employé qui a travaillé avec son chef de protocole. Mais il a très bien façonné les forces de sécurité, de façon à ce que tout le monde se sente en insécurité. Par exemple, il mettait quelqu'un en dessous de vous hiérarchiquement, qui vous faisait comprendre que vous étiez surveillé. »
De fait, certaines décisions font preuve d'un sacré pragmatisme. Comme l'insistance sur le facteur ethnique. Il a placé des Diolas aux postes stratégiques de l'armée et a, à l'inverse, marginalisé les Mandingues, l'ethnie majoritaire. « On était vraiment contents, à Mile 2, d'entendre les troupes sénégalaises parce que nous, les prisonniers mandingues, on pensait qu'on allait tous être tués si Jammeh restait », confie Sanussi Sanyang, un gestionnaire de fonds de retraite qui vient de sortir de prison. Lui-même, ces derniers temps, répétait au palais que les Mandingues auraient sa peau et refusait, certains soirs, de toucher sa nourriture...
Jammeh, un homme pragmatique qui s'adapte
Il adapte également sa politique étrangère aux circonstances. En novembre 2015, il bannit l'excision. « C'était le moment où il s'était mis tout l'Occident à dos, c'était une très belle opération de communication à peu de frais, il savait très bien que cela ne serait jamais respecté », décrypte Jeffrey Smith. Voyant que les fonds européens sont bel et bien perdus, il se tourne vers les pays du Golfe… et la Gambie devient, en janvier 2016, une République islamique. Par ailleurs, son appétit de l'argent semble très ancré dans le réel. Sa fille est scolarisée dans une pension hors de prix de Manhattan. Dans sa collection de villas figure une maison à 3,5 millions de dollars à Potomac, dans le Maryland, aux États-Unis, en face de chez son ami Teodoro Obiang, le président de Guinée équatoriale chez qui il vient de trouver refuge, pendant que son peuple végète dans la misère.Qu'en sera-t-il de Jammeh ?
Sera-t-il poursuivi pour ce qu'il a infligé à la Gambie ? L'accord de l'Union africaine, la Cedeao et l'ONU prévoit qu'il ne sera pas inquiété dans son pays d'accueil. Mais sa valeur légale est quasi nulle. Halifa Sallah, le porte-parole de l'opposition, n'a eu de cesse de rappeler qu'Adama Barrow, le nouveau président, ne l'avait pas signé et qu'il avait pour seul mérite d'avoir permis de faire partir Jammeh. Si Sallah a pris toutes les précautions en rappelant que l'ex-président était « présumé innocent », à l'étranger, certains s'activent déjà . La fondation Open Society, de Georges Soros, tentera de rassembler des preuves, en s'appuyant notamment sur les cas d'étrangers ayant été maltraités ou assassinés par le régime. Dernière question : peut-il revenir ? « Je ne vois pas Teodoro Obiang l'empêcher de mener à bien ses projets, s'il en a », admet Jeffrey Smith. Cette crainte ne doit pas être étrangère au fait que Barrow ait demandé que les forces de la Cedeao restent encore six mois. Il y a quelques jours, elles ont trouvé des armes à Kanilaï, et Barrow ne s'est toujours pas installé au palais présidentiel… L'ombre de Jammeh, même parti, planera encore longtemps sur la Gambie.
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