«Lamine Diack est un seigneur. C’est un homme d’honnêteté et de générosité. » Le 29 janvier, sur l’antenne de Télé Futurs Médias (TFM), Khalifa Sall, le maire de Dakar, élude la première question de son intervieweur pour se lancer dans un vibrant plaidoyer en faveur de Lamine Diack.
Véritable icône nationale, ancien sportif de haut niveau passé par la politique avant de régner pendant seize ans sur l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF), l’octogénaire aux cheveux couleur de neige a entamé de la pire des manières une retraite qui s’annonçait méritée.
Le 4 novembre 2015, soupçonné d’avoir étouffé plusieurs cas de dopage d’athlètes russes en échange de pots-de-vin, il était mis en examen par le juge français Renaud Van Ruymbeke pour « corruption passive et blanchiment aggravé ». Depuis, le Sénégal est en émoi.
Otage de la justice française ?
Placé sous contrôle judiciaire après avoir dû verser une caution de 500 000 euros, Lamine Diack n’a pu quitter la France depuis quinze mois. À en croire le maire de Dakar, ce « patriote qui s’est dévoué pour son pays » serait un « otage » de la justice française. Quant aux faits qui lui sont reprochés, comme tant d’autres hauts responsables sénégalais qui n’hésitent pas à proclamer leur solidarité avec le vieux lion, Khalifa Sall y voit un « complot » sur fond de succession disputée à la tête de l’IAAF. Régulièrement, à Dakar, des cérémonies de prières et de soutien sont organisées pour réclamer son retour au pays.
Né en juin 1933 dans le quartier populaire de Rebeuss, à Dakar, Lamine Diack a grandi dans une famille de sportifs. Ses deux grands frères, Maguette et Alioune, font office de pionniers. Membre fondateur de la Coupe de football de l’Afrique-Occidentale française (AOF), Maguette fut le premier président de la Fédération sénégalaise de football (FSF) au lendemain de l’indépendance.
Quant à Alioune, footballeur remarqué puis entraîneur, il remporta la première Coupe d’AOF en 1948, avec le Foyer France-Sénégal – devenu le mythique Jaraaf. Autre figure émérite de cette fratrie, Mademba « Ass » Diack, qui fut le formateur et l’entraîneur de nombreux footballeurs sénégalais dans les années 1970 et 1980.
Champion de France de saut en hauteur
Privé de son père alors qu’il n’a qu’une dizaine d’années, Lamine Diack marche sur les traces de ses deux aînés. Passionné de foot, il est champion junior avec le Foyer France-Sénégal, où il évolue au poste de demi-centre. « Chaque soir, il se rendait au stade Assane-Diouf, au cœur de son quartier natal », se rappelle un vieil ami. Scolarisé au lycée Van Vollhenhoven (devenu Lamine-Guèye), il se frotte parallèlement au volley-ball, au ping-pong ou au basket.
Mais c’est dans l’athlétisme qu’il écrira le premier chapitre de sa légende. Champion d’AOF de saut en longueur, il est sacré champion de France de la discipline en 1958, puis champion de France universitaire l’année suivante.
À la veille des Jeux olympiques de 1960, à Rome, une blessure au genou met prématurément un terme à sa carrière. Après avoir obtenu un diplôme de l’École des impôts, à Paris, il rentre au Sénégal en 1961, où il se destine à une carrière administrative.
Amené en politique par Senghor
Le sport aura tôt fait de le rattraper. D’abord, secrétaire général de la Fédération sénégalaise d’athlétisme, il prend en main, en 1965, les destinées du Foyer France-Sénégal. Entraîneur respecté, il est ensuite nommé Directeur technique national, en prévision du championnat d’Afrique de football. En 1969, c’est le sport, toujours, qui est à l’origine de son entrée en politique.
Encore ébranlé par les troubles sociaux de mai 1968, Léopold Sédar Senghor le nomme commissaire général au Sport du gouvernement, espérant qu’il saura apaiser une jeunesse en ébullition. « Sa nomination coïncidait avec la finale de la Coupe du Sénégal, témoigne son fils aîné, Seydou. Or, à l’époque, Senghor n’osait même plus sortir du palais. Lamine Diack est venu le chercher à la présidence et l’a escorté jusqu’au stade, où il a été applaudi. »
« Malgré leurs différences, Senghor appréciait son côté désinvolte, un peu hors normes », se souvient son ami d’enfance. À Rebeuss, Lamine Diack commence à militer dans les rangs du parti présidentiel. En parallèle, il continue de gravir les échelons. Secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports, il crée par la suite la Confédération africaine d’athlétisme – qu’il présidera de 1973 à 2003 – et entre à l’IAAF. De 1978 à 1980, il exerce la fonction de maire de Dakar, ce qui lui vaudra d’accueillir sur ses terres le premier rallye Paris-Dakar. Élu député en 1978, il siégera jusqu’en 1993.
Entrée dans le monde du business sportif
Cette année-là, dans un contexte politique extrêmement tendu entre le Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) et le régime d’Abdou Diouf, un incendie d’origine volontaire ravage sa maison du quartier Amitié, à Dakar, sans faire de victimes. Lamine Diack prend ses distances avec la politique pour rejoindre l’Olympe. En 1999, il devient président de l’IAAF, dont il était jusqu’alors, vice-président.
Là, il bascule dans un autre monde : celui du sport-business et des contrats de sponsoring à six zéros – en dollars. Un univers que connaît bien l’un de ses enfants, Papa Massata. Fils de sa seconde épouse, le seul garçon de la deuxième fratrie Diack a commencé en 1990 une carrière prometteuse dans le marketing sportif. Après une formation en finances et affaires internationales à Paris puis à San Diego (États-Unis), il a rejoint ISL Marketing, l’agence qui détient alors l’exclusivité des contrats de sponsoring de la Fédération internationale de football (Fifa), du Comité international olympique (CIO) et de l’IAAF.
Le début des affaires avec son fils
Basé en Afrique du Sud, Papa Massata Diack a eu tôt fait de tisser son réseau et de décrocher ses premiers contrats de sponsoring au profit de différents championnats d’athlétisme continentaux. Peu à peu, il s’est orienté vers le football, concluant un partenariat juteux entre Coca-Cola et la Coupe d’Afrique des nations 1996.
Quelques mois plus tard, il lance sa propre agence, Pamodzi Sports Marketing & Consulting, avant de travailler successivement pour les fédérations de football sud-africaine, nigériane, sénégalaise puis togolaise. En 2001, sa collaboration fructueuse avec les instances fédérales de son pays – auxquelles il apporte de nombreux sponsors – l’incite à revenir s’installer à Dakar.
C’est tout naturellement que Lamine Diack, fraîchement nommé à la présidence de l’IAAF, sollicite l’expertise de son rejeton. Après une première collaboration de deux mois, en 2001, Papa Massata Diack est convié à une réunion de la commission marketing de l’IAAF, en marge des championnats du monde juniors d’athlétisme qui se déroulent à Pékin en août 2006.
« À l’époque, se souvient l’intéressé, la plupart de leurs partenaires étaient japonais, car leur sponsoring était géré par Dentsu [une multinationale japonaise]. Je leur ai expliqué qu’il était vital d’organiser des compétitions et de dénicher de nouveaux sponsors dans les pays émergents comme la Russie, l’Inde ou le Brésil. »
Collaboration avec la Russie
Convaincus par son plaidoyer, les barons du marketing à l’IAAF auraient insisté auprès de Lamine Diack afin qu’il recrute son fils. Le 1er septembre 2007, Papa Massata Diack signe un contrat de consultant avec la Fédération internationale. Sa mission ? Négocier ses contrats de sponsoring dans les pays « émergents ».
Massata se tourne notamment vers la Russie, où il dispose de nombreuses entrées. Il entretient par exemple une relation privilégiée avec Valentin Balakhnichev, président de la Fédération russe d’athlétisme et trésorier de l’IAAF. Dès 2007, la VTB Bank (seconde banque commerciale de Russie) devient pour cinq ans un sponsor de l’IAAF.
« La Russie avait la volonté d’affirmer son rang de puissance mondiale en organisant des événements sportifs internationaux, ce qui est tout à fait légitime », explique le Sénégalais, qui se définit comme un « droujba », un ami de la Russie. Pays qui, selon lui, a beaucoup fait pour « contribuer au développement de l’athlétisme » à travers le monde.
Le scandale de dopage
À la fin des années 2000, tandis que Lamine Diack a repris du service dans la sphère politique sénégalaise (lire ci-dessous), tout semble aller pour le mieux pour le patriarche et le fils prodigue, qui fait fructifier ses affaires dans l’ombre de son père. Mais, en décembre 2014, une enquête accablante de la chaîne de télévision allemande ARD vient ébranler le landerneau de l’athlétisme mondial.
Outre un système institutionnalisé de dopage au sein de la Fédération russe d’athlétisme, les journalistes pointent des pratiques répandues de corruption afin d’obtenir de l’IAAF, l’impunité pour les athlètes incriminés lors des contrôles. L’entourage de Lamine Diack – qui doit terminer son dernier mandat en août 2015 – est mis en cause. Une enquête interne est diligentée.
Début novembre 2015, l’affaire rebondit. Cette fois, Lamine Diack est au cœur du scandale, accablé par un rapport de l’Agence mondiale antidopage (AMA). Selon ses auteurs, l’octogénaire aurait organisé, avec l’aide de son conseiller juridique, Habib Cissé, d’un médecin français spécialiste de la lutte antidopage, Gabriel Dollé, de Papa Massata Diack et de l’un de ses frères, Khalil, un système de corruption généralisé en échange de manœuvres frauduleuses visant à retarder ou à abandonner les procédures disciplinaires contre des athlètes soupçonnés de dopage. Alertée entre-temps, la justice française est entrée en piste. Le scandale du dopage russe devient le « Diackgate ».
Le fils nie en bloc
À Paris, Lamine Diack échappe de peu à la détention provisoire. Au Sénégal et dans la diaspora, ses proches se sont cotisés pour réunir les 500 000 euros de caution. Habib Cissé, lui, restera incarcéré pendant quelques jours avant d’être placé sous contrôle judiciaire. Quant à Papa Massata Diack, recherché par Interpol, il se terre au Sénégal, où il affirme se tenir à la disposition du juge Van Ruymbeke, mais refuse d’être entendu en France.
Depuis le premier jour, le golden boy sénégalais du marketing sportif nie en bloc les accusations portées contre lui et contre son père. « Je n’ai pas besoin d’aller racketter des athlètes pour gagner convenablement ma vie », lâche-t-il, bravache, dans le salon de sa villa cossue de Dakar, d’où il continue de mener son business.
Lorsqu’il s’agit d’évoquer l’affaire qui a sali son clan, il se montre intarissable et très offensif. « Tout cela est un complot fomenté par les adversaires britanniques de mon père dans le cadre de sa succession à l’IAAF. Le rapport de l’AMA est totalement à charge, il a été rédigé avec un objectif clair : faire plonger Lamine Diack pour favoriser sa succession par Sebastian Coe [le nouveau président britannique de l’IAAF] », éructe-t-il, tout en exhibant nombre de documents censés contredire « les mensonges » de l’AMA.
Un héros sportif oublié
En position inconfortable, sous l’épée de Damoclès de la justice française, le Senghor du sport sénégalais vit désormais à des années-lumière du siège rutilant de l’IAAF, à Monaco. Depuis quinze mois, il ronge son frein dans une HLM de Sainte-Geneviève-des-Bois, en région parisienne, aux côtés de l’épouse et des enfants de son fils Seydou.
Une chute inimaginable pour l’ancien champion de saut en longueur, icône nationale aujourd’hui placée au banc d’infamie. Le 11 février, il devait être à nouveau entendu par le magistrat instructeur pour s’expliquer sur ce cocktail explosif qui mêle, dans un même shaker, relations familiales, sport-business et dopage.
LAMINE DIACK A-T-IL FINANCÉ L’OPPOSITION AU TEMPS D’ABDOULAYE WADE ?
Fin 2015, face aux magistrats français, Lamine Diack avait lancé une bombe atomique en affirmant que l’argent perçu de la Fédération russe lui avait servi à financer l’opposition sénégalaise à Abdoulaye Wade: il fallait "gagner la “bataille de Dakar”, c’est-à-dire renverser le pouvoir en place dans mon pays", déclarait-il.
En France, le quotidien Le Monde – qui avait révélé ses propos – en avait alors déduit que l’ex-président de l’IAAF avait été le principal soutien de la campagne présidentielle de Macky Sall, avec des pots-de-vin russes.
Une thèse contredite par beaucoup à Dakar, l’ancien athlète ayant avant tout été un soutien de la coalition Benno Siggil Senegal, issue du Parti socialiste. « Si j’avais [reçu] 200 millions [de Lamine Diack] en 2009, on n’aurait pas mangé autant de cacahuètes ni autant marché », ironise Khalifa Sall, maire de Dakar depuis 2009.
Simplement engagé ?
Selon lui, Lamine Diack apporta seulement une obole symbolique aux opposants à Abdoulaye Wade, le président qui avait bradé le stade de son enfance – Assane-Diouf, à Rebeuss – à des promoteurs immobiliers chinois. Un déclic pour l’ancien athlète.
Quant à savoir si le vieux lion a réellement financé l’opposition à Abdoulaye Wade, mieux vaut attendre un éventuel procès. Lamine Diack, qui n’a jamais cité le moindre mouvement ni parti, s’en expliquera probablement en temps voulu.
Véritable icône nationale, ancien sportif de haut niveau passé par la politique avant de régner pendant seize ans sur l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF), l’octogénaire aux cheveux couleur de neige a entamé de la pire des manières une retraite qui s’annonçait méritée.
Le 4 novembre 2015, soupçonné d’avoir étouffé plusieurs cas de dopage d’athlètes russes en échange de pots-de-vin, il était mis en examen par le juge français Renaud Van Ruymbeke pour « corruption passive et blanchiment aggravé ». Depuis, le Sénégal est en émoi.
Otage de la justice française ?
Placé sous contrôle judiciaire après avoir dû verser une caution de 500 000 euros, Lamine Diack n’a pu quitter la France depuis quinze mois. À en croire le maire de Dakar, ce « patriote qui s’est dévoué pour son pays » serait un « otage » de la justice française. Quant aux faits qui lui sont reprochés, comme tant d’autres hauts responsables sénégalais qui n’hésitent pas à proclamer leur solidarité avec le vieux lion, Khalifa Sall y voit un « complot » sur fond de succession disputée à la tête de l’IAAF. Régulièrement, à Dakar, des cérémonies de prières et de soutien sont organisées pour réclamer son retour au pays.
Né en juin 1933 dans le quartier populaire de Rebeuss, à Dakar, Lamine Diack a grandi dans une famille de sportifs. Ses deux grands frères, Maguette et Alioune, font office de pionniers. Membre fondateur de la Coupe de football de l’Afrique-Occidentale française (AOF), Maguette fut le premier président de la Fédération sénégalaise de football (FSF) au lendemain de l’indépendance.
Quant à Alioune, footballeur remarqué puis entraîneur, il remporta la première Coupe d’AOF en 1948, avec le Foyer France-Sénégal – devenu le mythique Jaraaf. Autre figure émérite de cette fratrie, Mademba « Ass » Diack, qui fut le formateur et l’entraîneur de nombreux footballeurs sénégalais dans les années 1970 et 1980.
Champion de France de saut en hauteur
Privé de son père alors qu’il n’a qu’une dizaine d’années, Lamine Diack marche sur les traces de ses deux aînés. Passionné de foot, il est champion junior avec le Foyer France-Sénégal, où il évolue au poste de demi-centre. « Chaque soir, il se rendait au stade Assane-Diouf, au cœur de son quartier natal », se rappelle un vieil ami. Scolarisé au lycée Van Vollhenhoven (devenu Lamine-Guèye), il se frotte parallèlement au volley-ball, au ping-pong ou au basket.
Mais c’est dans l’athlétisme qu’il écrira le premier chapitre de sa légende. Champion d’AOF de saut en longueur, il est sacré champion de France de la discipline en 1958, puis champion de France universitaire l’année suivante.
À la veille des Jeux olympiques de 1960, à Rome, une blessure au genou met prématurément un terme à sa carrière. Après avoir obtenu un diplôme de l’École des impôts, à Paris, il rentre au Sénégal en 1961, où il se destine à une carrière administrative.
Amené en politique par Senghor
Le sport aura tôt fait de le rattraper. D’abord, secrétaire général de la Fédération sénégalaise d’athlétisme, il prend en main, en 1965, les destinées du Foyer France-Sénégal. Entraîneur respecté, il est ensuite nommé Directeur technique national, en prévision du championnat d’Afrique de football. En 1969, c’est le sport, toujours, qui est à l’origine de son entrée en politique.
Encore ébranlé par les troubles sociaux de mai 1968, Léopold Sédar Senghor le nomme commissaire général au Sport du gouvernement, espérant qu’il saura apaiser une jeunesse en ébullition. « Sa nomination coïncidait avec la finale de la Coupe du Sénégal, témoigne son fils aîné, Seydou. Or, à l’époque, Senghor n’osait même plus sortir du palais. Lamine Diack est venu le chercher à la présidence et l’a escorté jusqu’au stade, où il a été applaudi. »
« Malgré leurs différences, Senghor appréciait son côté désinvolte, un peu hors normes », se souvient son ami d’enfance. À Rebeuss, Lamine Diack commence à militer dans les rangs du parti présidentiel. En parallèle, il continue de gravir les échelons. Secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports, il crée par la suite la Confédération africaine d’athlétisme – qu’il présidera de 1973 à 2003 – et entre à l’IAAF. De 1978 à 1980, il exerce la fonction de maire de Dakar, ce qui lui vaudra d’accueillir sur ses terres le premier rallye Paris-Dakar. Élu député en 1978, il siégera jusqu’en 1993.
Entrée dans le monde du business sportif
Cette année-là, dans un contexte politique extrêmement tendu entre le Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) et le régime d’Abdou Diouf, un incendie d’origine volontaire ravage sa maison du quartier Amitié, à Dakar, sans faire de victimes. Lamine Diack prend ses distances avec la politique pour rejoindre l’Olympe. En 1999, il devient président de l’IAAF, dont il était jusqu’alors, vice-président.
Là, il bascule dans un autre monde : celui du sport-business et des contrats de sponsoring à six zéros – en dollars. Un univers que connaît bien l’un de ses enfants, Papa Massata. Fils de sa seconde épouse, le seul garçon de la deuxième fratrie Diack a commencé en 1990 une carrière prometteuse dans le marketing sportif. Après une formation en finances et affaires internationales à Paris puis à San Diego (États-Unis), il a rejoint ISL Marketing, l’agence qui détient alors l’exclusivité des contrats de sponsoring de la Fédération internationale de football (Fifa), du Comité international olympique (CIO) et de l’IAAF.
Le début des affaires avec son fils
Basé en Afrique du Sud, Papa Massata Diack a eu tôt fait de tisser son réseau et de décrocher ses premiers contrats de sponsoring au profit de différents championnats d’athlétisme continentaux. Peu à peu, il s’est orienté vers le football, concluant un partenariat juteux entre Coca-Cola et la Coupe d’Afrique des nations 1996.
Quelques mois plus tard, il lance sa propre agence, Pamodzi Sports Marketing & Consulting, avant de travailler successivement pour les fédérations de football sud-africaine, nigériane, sénégalaise puis togolaise. En 2001, sa collaboration fructueuse avec les instances fédérales de son pays – auxquelles il apporte de nombreux sponsors – l’incite à revenir s’installer à Dakar.
C’est tout naturellement que Lamine Diack, fraîchement nommé à la présidence de l’IAAF, sollicite l’expertise de son rejeton. Après une première collaboration de deux mois, en 2001, Papa Massata Diack est convié à une réunion de la commission marketing de l’IAAF, en marge des championnats du monde juniors d’athlétisme qui se déroulent à Pékin en août 2006.
« À l’époque, se souvient l’intéressé, la plupart de leurs partenaires étaient japonais, car leur sponsoring était géré par Dentsu [une multinationale japonaise]. Je leur ai expliqué qu’il était vital d’organiser des compétitions et de dénicher de nouveaux sponsors dans les pays émergents comme la Russie, l’Inde ou le Brésil. »
Collaboration avec la Russie
Convaincus par son plaidoyer, les barons du marketing à l’IAAF auraient insisté auprès de Lamine Diack afin qu’il recrute son fils. Le 1er septembre 2007, Papa Massata Diack signe un contrat de consultant avec la Fédération internationale. Sa mission ? Négocier ses contrats de sponsoring dans les pays « émergents ».
Massata se tourne notamment vers la Russie, où il dispose de nombreuses entrées. Il entretient par exemple une relation privilégiée avec Valentin Balakhnichev, président de la Fédération russe d’athlétisme et trésorier de l’IAAF. Dès 2007, la VTB Bank (seconde banque commerciale de Russie) devient pour cinq ans un sponsor de l’IAAF.
« La Russie avait la volonté d’affirmer son rang de puissance mondiale en organisant des événements sportifs internationaux, ce qui est tout à fait légitime », explique le Sénégalais, qui se définit comme un « droujba », un ami de la Russie. Pays qui, selon lui, a beaucoup fait pour « contribuer au développement de l’athlétisme » à travers le monde.
Le scandale de dopage
À la fin des années 2000, tandis que Lamine Diack a repris du service dans la sphère politique sénégalaise (lire ci-dessous), tout semble aller pour le mieux pour le patriarche et le fils prodigue, qui fait fructifier ses affaires dans l’ombre de son père. Mais, en décembre 2014, une enquête accablante de la chaîne de télévision allemande ARD vient ébranler le landerneau de l’athlétisme mondial.
Outre un système institutionnalisé de dopage au sein de la Fédération russe d’athlétisme, les journalistes pointent des pratiques répandues de corruption afin d’obtenir de l’IAAF, l’impunité pour les athlètes incriminés lors des contrôles. L’entourage de Lamine Diack – qui doit terminer son dernier mandat en août 2015 – est mis en cause. Une enquête interne est diligentée.
Début novembre 2015, l’affaire rebondit. Cette fois, Lamine Diack est au cœur du scandale, accablé par un rapport de l’Agence mondiale antidopage (AMA). Selon ses auteurs, l’octogénaire aurait organisé, avec l’aide de son conseiller juridique, Habib Cissé, d’un médecin français spécialiste de la lutte antidopage, Gabriel Dollé, de Papa Massata Diack et de l’un de ses frères, Khalil, un système de corruption généralisé en échange de manœuvres frauduleuses visant à retarder ou à abandonner les procédures disciplinaires contre des athlètes soupçonnés de dopage. Alertée entre-temps, la justice française est entrée en piste. Le scandale du dopage russe devient le « Diackgate ».
Le fils nie en bloc
À Paris, Lamine Diack échappe de peu à la détention provisoire. Au Sénégal et dans la diaspora, ses proches se sont cotisés pour réunir les 500 000 euros de caution. Habib Cissé, lui, restera incarcéré pendant quelques jours avant d’être placé sous contrôle judiciaire. Quant à Papa Massata Diack, recherché par Interpol, il se terre au Sénégal, où il affirme se tenir à la disposition du juge Van Ruymbeke, mais refuse d’être entendu en France.
Depuis le premier jour, le golden boy sénégalais du marketing sportif nie en bloc les accusations portées contre lui et contre son père. « Je n’ai pas besoin d’aller racketter des athlètes pour gagner convenablement ma vie », lâche-t-il, bravache, dans le salon de sa villa cossue de Dakar, d’où il continue de mener son business.
Lorsqu’il s’agit d’évoquer l’affaire qui a sali son clan, il se montre intarissable et très offensif. « Tout cela est un complot fomenté par les adversaires britanniques de mon père dans le cadre de sa succession à l’IAAF. Le rapport de l’AMA est totalement à charge, il a été rédigé avec un objectif clair : faire plonger Lamine Diack pour favoriser sa succession par Sebastian Coe [le nouveau président britannique de l’IAAF] », éructe-t-il, tout en exhibant nombre de documents censés contredire « les mensonges » de l’AMA.
Un héros sportif oublié
En position inconfortable, sous l’épée de Damoclès de la justice française, le Senghor du sport sénégalais vit désormais à des années-lumière du siège rutilant de l’IAAF, à Monaco. Depuis quinze mois, il ronge son frein dans une HLM de Sainte-Geneviève-des-Bois, en région parisienne, aux côtés de l’épouse et des enfants de son fils Seydou.
Une chute inimaginable pour l’ancien champion de saut en longueur, icône nationale aujourd’hui placée au banc d’infamie. Le 11 février, il devait être à nouveau entendu par le magistrat instructeur pour s’expliquer sur ce cocktail explosif qui mêle, dans un même shaker, relations familiales, sport-business et dopage.
LAMINE DIACK A-T-IL FINANCÉ L’OPPOSITION AU TEMPS D’ABDOULAYE WADE ?
Fin 2015, face aux magistrats français, Lamine Diack avait lancé une bombe atomique en affirmant que l’argent perçu de la Fédération russe lui avait servi à financer l’opposition sénégalaise à Abdoulaye Wade: il fallait "gagner la “bataille de Dakar”, c’est-à-dire renverser le pouvoir en place dans mon pays", déclarait-il.
En France, le quotidien Le Monde – qui avait révélé ses propos – en avait alors déduit que l’ex-président de l’IAAF avait été le principal soutien de la campagne présidentielle de Macky Sall, avec des pots-de-vin russes.
Une thèse contredite par beaucoup à Dakar, l’ancien athlète ayant avant tout été un soutien de la coalition Benno Siggil Senegal, issue du Parti socialiste. « Si j’avais [reçu] 200 millions [de Lamine Diack] en 2009, on n’aurait pas mangé autant de cacahuètes ni autant marché », ironise Khalifa Sall, maire de Dakar depuis 2009.
Simplement engagé ?
Selon lui, Lamine Diack apporta seulement une obole symbolique aux opposants à Abdoulaye Wade, le président qui avait bradé le stade de son enfance – Assane-Diouf, à Rebeuss – à des promoteurs immobiliers chinois. Un déclic pour l’ancien athlète.
Quant à savoir si le vieux lion a réellement financé l’opposition à Abdoulaye Wade, mieux vaut attendre un éventuel procès. Lamine Diack, qui n’a jamais cité le moindre mouvement ni parti, s’en expliquera probablement en temps voulu.