« Les conditions de ma sortie en ont décidé autrement… » Karim Wade a expliqué d’une manière lapidaire les raisons qui ont fait qu’il n’a pu passer plus de deux heures au Sénégal après sa libération. Il n’est pas allé remercier le Khalife de Touba, encore moins les dirigeants du PDS et tous les nombreux soutiens qui ont créé des associations en faveur de sa libération. Le fils de Me Wade ne pouvait certainement en dire plus. Sa sortie a été organisée quasiment « à l’insu de son propre gré ». Il n’a même pas pu aller faire un tour au domicile familial du point E. Pire ou mieux, il n’eut même pas besoin d’écrire de sa main sa demande de grâce. C’est Me Madické Niang qui s’en est chargé. Il en avait le pouvoir en tant qu’avocat de Karim. A-t-il informé « son client » de sa hardiesse ? Il prit sur lui en tant que défenseur du détenu de ne pas lui demander son autorisation ou son avis. Avec cette demande de grâce déposée par Me Niang, les formalités étaient sauves.
Karim Wade aurait souhaité aller à Touba et en France pour embrasser ses filles. Il sut que ce n’était pas au programme qu’on lui avait confectionné. Bref, comme il le dit lui même dans son message après sa libération, il a subi cette grâce et cette libération. D’où l’interrogation à une question qui mérite réponse : Karim n’a-t-il pas été qu’un figurant dans des tractations dont tout le monde a cru qu’il avait la maîtrise ? Apparemment et avec ce dont NH est mesure d’établir, Karim a dansé sur une musique qu’il n’a pas écrit ou choisi.
Mais quelle est cette main invisible qui a écrit comme sur un papier à musique le scénario de la sortie en catimini de Karim Wade pour ensuite l’expédier aux antipodes comme un encombrant colis ? Pour comprendre l’emballage final de la libération de Karim Wade et ses derniers jours de prison à Rebeuss et de ses premières heures de liberté entre les Almadies et son envol vers Doha, il faut bien revenir sur cette histoire qui a nécessité un casting touffu avec des acteurs recrutés au Sénégal, en Amérique, au Moyen Orient et dans bien d’autres pays.
La libération de Karim Wade et son départ en catimini vers le Golfe est comme une belle séquence d’un film dont l’acteur principal s’en sort très esquinté et que certaines péripéties et séquences lui ont échappé. L’homme a cherché à vouloir prouver qu’il avait les capacités à jouer un rôle dans les négociations sur sa libération. Depuis le début de l’affaire Karim, le principal condamné de la CREI a toujours nié, jamais avoué. Ni devant les juges encore moins devant sa famille ou ses avocats. Quand les intentions du gouvernement d’instruire les tribunaux et en particulier la CREI sur le dossier qui le concerne, le président Wade ne comprend pas sur quoi son fils pouvait être suspecté.
ME WADE DUBITATIF
Sur le dossier de l’ANOCI, il y avait bien sûr l’enquête de l’Inspection générale d’Etat (IGE). Mais ce n’était pas bien méchant. Le président Sall avait souhaité que Me Wade lui indique un plénipotentiaire qui servirait à garder le contact entre eux. L’ancien président de la République désigne alors Me Madické Niang. A celui-ci, Macky Sall indique qu’il ne souhaite pas que le dossier des enfants de Wade soit transmis à la chambre d’accusation de la CREI. La médiation pénale pouvait permettre de régler le problème. Me Wade dubitatif interroge son fils qui nie tout enrichissement. D’ailleurs, il refuse de satisfaire les exigences financières de son père. Et c’est souvent Me Niang qui est contraint de mettre la main à la poche pour calmer l’ancien président. Pour faire face à certaines charges domestiques de la villa de Fann que Me Niang avait mis à la disposition de Me Wade, Karim n’était jamais prompt à payer. De quoi convaincre qu’effectivement, les accusations d’enrichissement ne pouvaient être qu’infondées.
Devant l’entêtement de Karim, le chef de l’Etat envoie un émissaire vers l’ancien président. C’est l’ancien Vérificateur général de l’IGE, en l’occurrence Mme Nafi Ngom Keïta, qui ira en France rencontrer le président Wade, dit-on, avec dans ses bagages un énorme dossier sur l’ANOCI et le FESMAN. Ledit dossier était devenu plus consistant depuis que ce Me Wade avait quitté le pouvoir. Il est accablant même si toutes les preuves n’y sont pas. Les traces des fortunes supposées manquent. Mais le dossier est suffisamment renseigné pour montrer que contrairement à ce que Karim affirme, il y a bien un enrichissement. La mise en garde du président Sall est claire : si le dossier atterrit à la CREI, il ne pourra plus s’opposer à la machine judiciaire. Aux envoyés spéciaux qui viennent le dissuader d’aller plus loin, Macky réplique que tout peut s’arrêter si Karim accepte de payer parce qu’il ne peut oublier cette demande forte des Sénégalais et son engagement de mener à son terme cette traque des biens mal acquis. Même face l’argument qui voudrait que si le fils du président Wade se trouve en prison dans le cadre d’une procédure, le Sénégal risque de donner un mauvais signal aux chefs d’Etat africains qui hésiteront désormais à céder le pouvoir pour ne pas se voir trainer devant la justice, eux et leur famille, Macky Sall recule pas. Droit dans ses bottes, il veut que la traque se poursuive sauf si les cibles acceptent de négocier.
Est-ce toute cette pression qui a fait croire à Karim que Macky n’oserait jamais aller jusqu’au bout ou la confiance sur le système mis en place pour dissimuler sa fortune ? Toujours est-il qu’il répond sans hésiter aux convocations de la CREI tout de blanc vêtu, comme montrer qu’il est blanc comme neige ou comme un agneau du sacrifice ? La machine judiciaire qu’il ne craint pas pouvait alors méthodiquement commencer à le broyer. Malgré les délais de procédure draconiens qui pèse sur le travail des magistrats et enquêteurs, il en bavera à l’instruction puis au procès. Le verdict est sans clémence. Si le Parquet demande sept ans, le juge lui colle six. Déjà , il en avait déjà purgé deux ans en préventive.
Macky Sall avait averti tous ceux qui, dans les couloirs, s’ingéniaient à arrêter la machine judiciaire qu’il n’en ferait rien si celle-ci s’enclenche. Le procès bouclé, Karim condamné, les négociations pouvaient reprendre. Les chefs religieux s’y engagent. Wade s’étranglent de colère puis s’adoucit. En revanche, Macky se montre plutôt disponible pour discuter du cas Karim.
Mais pourquoi donc après le procès, le dossier est-il subitement devenu négociable ?
BIBO ET SON AMI QATARI
Pour trouver la réponse, il ne faut pas aller chercher la réponse chez les religieux encore moins chez les politiques et le besoin de ramener la quiétude sur la scène politique. Toute l’évolution du dossier vers la grâce vient de Ibrahim Abou Khalil dit Bibo Bourgi. L’homme est malade. Très malade, confirment ses médecins. Il souffre du cœur depuis très longtemps. Un de ses meilleurs amis le sait. Il s’agit du directeur de cabinet de l’émir du Qatar, Khaleed Ben Khalifa ben Abdelaziz Al Thani, avec qui il a fait des études à l’université George Washington, à Washington, au milieu des années 1980. Avec celui-ci, il s’est lancé dans les affaires en mettant sur pied plusieurs start-up qui allaient prospérer. Leur vente rapportera gros. Le Dc de l’Emir est un Al Thani, donc membre de la famille royale. C’est grâce à Bibo, qui avait connu Karim lors de leurs études secondaires aux Cours Sainte Marie de Hann, que ce dernier fait la connaissance de la famille Al Thani du Qatar. Le reste, c’est la consolidation des relations entre les trois jeunes aux dents longues.
Si Wade père est plutôt séduit par les Emirats arabes unis, son fils lui ne jure que par le Qatar. Il est bien reçu. L’Emir lui voue une très forte sympathie. Mais c’est Bibo qui demeure le maître du jeu. Son inculpation dans l’affaire des biens mal acquis traumatise les Qataris. Le handling de la société Ahs est un business construit avec le Qatari. L’implantation en Jordanie de Ahs revient au lobby des Al Thani. L’expansion du groupe aussi. Dans les contrées du Moyen Orient, la peine privative de liberté n’existe que pour les pauvres et les démunies, s’ils ne sont pas victimes de bannissement. Dans les traditions arabes, l’auteur d’une faute en assume la réparation par le paiement d’une dîme sur sa fortune ou ses autres biens. La réparation est donc toujours d’ordre pécuniaire ou au prix de sa vie. Si Bibo n’avait pas de fortune ou que sa famille en soit démunie, eux pouvaient le faire à sa place. D’autant plus qu’ils étaient bien au courant du dossier médical. Il fallait sauver l’ami Bibo. Et pour y parvenir, le principal prévenu dans l’affaire devait lui aussi l’être. Le Qatar s’invite ainsi dans l’affaire Karim Wade.
Retardé par les dénégations de Karim, ceux qui étaient prêts à jouer un rôle pour arrêter la machine judiciaire ne peuvent que constater les dégâts. Le procès eut bien lieu. Si les chefs d’Etat africains (Ouattara, Sassou Guesso) en sont désespérés. Mouhamed 6 lui, explique que cette affaire va nuire aux relations avec les bailleurs arabes qui seront de plus en plus réticents à faire des libéralités aux dirigeants politiques africains. Les Occidentaux, eux, s’en félicitent. Leur exigence de bonne gouvernance trouve un écho favorable avec l’affaire Karim. N’est-ce pas leurs hommes d’affaires et leurs diplomates qui avaient collé à Karim Wade le sobriquet de Monsieur 10%. Les autorités judiciaires ont bénéficié dans la traque de quelques largesses pour trouver des pistes. La Grande Bretagne, les Etats Unis d’Amérique, la Suisse n’ont pas totalement fermé la porte au nez aux enquêteurs.
Bien que pas parfait sur le plan procédural, le procès servit de trêve pour toutes interventions. Une fois les peines prononcées, le Qatar revient donc à la charge. Il faut sauver Bibo qui risque sa vie sans un traitement adéquat en Europe. Les chefs religieux s’y remettent. Mais du côté de Me Wade, la condamnation de son fils n’était pas acceptable. Il rue sur les brancards bien que disposant de toutes les informations sur ce qui est reproché à son fils. Jusqu’à ce que les Panama Papers viennent s’inviter dans l’affaire. Les pistes des enquêteurs s’étaient arrêtées face à des culs-de-sac ; les documents révélés sur les micmacs du cabinet Mossack-Fonseca permettent de découvrir d’autres voies pour aller plus loin dans le traçage des fonds. Les sociétés écran créés par Pouye et Diassé, les complices de Bibo et Karim sont mises à jour. Elles ouvrent de nouveaux axes d’enquête sur les flux d’argent. L’expert Alboury Ndao avait donc bien en main le fil d’Ariane pour parvenir à la caverne d’Ali Baba, mais il n’avait pas les moyens d’aller plus loin. Cette donnée nouvelle a-t-elle eu un effet sur la défense butée de Karim qui, malgré, la condamnation continuait de nier tout enrichissement. En tout cas, depuis que les Panama Papers ont éclairé d’un jour nouveau l’imbrication entre Karim et ses acolytes, du côté du PDS comme de la famille, tout le monde est devenu silencieux. Même les groupes de soutien sont devenus moins audibles et moins visibles. Et les visiteurs anonymes beaucoup moins nombreux à Rebeuss avec certes les limitations imposées par l’administration pénitentiaire.
Si les Panama Papers ont pesé lourd dans le changement d’attitude du côté de Karim et consorts, le président Macky Sall a aussi noté l’impact politique de l’emprisonnement de Karim Wade avec les résultats du référendum du 20 mars 2016. Dans le département de Mbacké où est située l’importante agglomération de Touba Mosquée, le Non a triomphé avec 71,4% des suffrages. C’est un signe que la communauté mouride, certes relativement, est réticente à adhérer au nouveau régime installé depuis 2012. A Touba, les chefs religieux qui sont en manque de terres de culture ou d’avantages ne cachent pas leur amertume. Et les hommes d’affaires tout autant. Et tous murmurent à l’oreille des plus éminents chefs de la communauté. Macky ne pouvait pas ignorer ce mécontentement qui croit et risque de peser lors de futures consultations électorales. Dès lors que la CREI a tranché l’affaire Karim et que celui-ci pouvait décemment être sorti de prison, Macky a vu tous les avantages à en tirer. Auprès de Touba certes, mais aussi auprès de l’Emir du Qatar qui a su proposer la formule de sortie de crise.
En graciant Karim Wade, le président a semblé n’avoir plus la main sur cette affaire. Pourtant il n’en est rien. Il a su tenir les faucons de son camp. Aussi bien Mimi Touré, élevée au rang de PM pour mieux la sortir du dossier alors qu’elle était ministre de la Justice, que Mahmoud Saleh ou Mor Ngom. Il n’a pas cédé à la pression de Me Wade qui a fini par comprendre que la solution que Macky lui avait proposé au départ était la meilleure d’autant plus que le cas Syndielly a été réglé en douce sans bruit. Me Madické Niang qui a tout fait pour rapprocher l’ancien et le nouveau président a compris, peut-être trop tard, qu’il fallait trouver la solution en ignorant les états d’âme de Karim. Et c’est ce qui s’est passé le vendredi 24 juin. Karim a été obligé de prendre le jet privé de l’Emirat du Qatar pour se rendre à Doha. Et là -bas, il a été briefé sur la solution décidée sans son accord.
Reste à savoir sur le comment du recouvrement des faramineuses sommes annoncées. Le ministre de la Justice annonce 50 milliards de FCFA en cours de recouvrement. Apparemment, Bibo et Diassé ont fait leur deuil des biens et comptes saisis. Il reste Pouye qui va devoir passer à la caisse, selon certaines sources, s’il veut lui aussi bénéficier d’une grâce présidentielle commeKarim, Bibo et Diassé. Et le Qatar ? Il se dit que l’Emirat va se montrer généreux vers le Sénégal. N’a-t-il pas offert à la Tunisie un milliard de dollars pour soutenir le régime Marzouki. Et il a encore mis la main à la poche pour sortir la même somme pour les ivoiriens. A Dakar, un geste de Doha pourrait emmener le Sénégal à ne pas aller plus loin dans le dépouillement de Karim et consorts. Surtout de Bibo dont les entrées à Doha ont ouvert les grilles des palais du Golfe et emmené la diplomatie qatarie à intervenir pour que la dernière page de l’affaire Karim Wade et consorts soit fermée. Définitivement.
Abdoulaye Bamba Diallo et Issa Sall
ENCADRE :Bibo et ses amis
C’est à Washington que les protagonistes de l’affaire Karim Wade se sont connus. D’abord Bibo et son royal ami qatari Al Thani, Khaleed de son nom, aujourd’hui directeur du cabinet de l’Emir. A cette même époque, d’autres jeunes sénégalais étudient à Washington. A New York, Omar Sow de la CSE est inscrit à NY University alors que le fils de Abdou Diouf, Papa Ndiaye Diouf étudie à Columbia.
Une deuxième vague de jeunes Sénégalais les rejoindra. Ceux-ci sont aujourd’hui des experts de la haute finance ou chefs d’entreprises. On peut citer Kéba Keinde, Ardo Sow et son frère Yérim, le patron du Groupe Teylium (Canada), frère de Oumar et fils de leur père le fondateur de la CSE, Aliou Sadio Sow. Un autre jeune brillant étudiant, Papa Madiaw Ndiyae, frère du notaire Me Moustapha Ndiaye, étudie dans la même ville. Il est aujourd’hui le gérant du Fonds d’investissement AFIG Funds.
S’ils ne sont pas tous des proches, c’est cette génération qui aujourd’hui, s’illustrent dans les affaires au pays et à l’extérieur. Le plus flamboyant est sans doute, Kéba Keinde installé à Dubaï.
Textes : assemblage de Mamadou Ly