Le professeur Ismaïla Madior Fall s'éloigne de plus en plus de l'orthodoxie que lui exige sa posture d'intellectuel et de professeur d'université pour verser dans le raisonnement facile et l'argumentaire partisan et politicien. S'il a réussi à emballer les identités remarquables de la majorité présidentielle, tenaillées par une paresse intellectuelle inconcevable qui les guide à répéter sans réfléchir, ce n'est pas le cas pour ceux qui fourniront le minimum d'efforts de réflexion et de recherche.
À travers les ondes de la radio sudfm le 23 juin 2015, le professeur Ismaïla Madior Fall, venant à la rescousse des signataires de la proposition de loi scélérate, avait voulu justifier le nombre requis de 1/10ème pour la constitution d'un groupe parlementaire en ces termes « pour constituer un groupe parlementaire au Sénégal, le nombre a toujours varié. Mais la règle, c’est qu’on a considéré pendant longtemps que, pour constituer un groupe parlementaire, il faut 1/10ème ». Revenant sur la genèse de sa réduction de ce nombre à 10, il déclare qu' "en 2007, l’opposition avait boycotté les élections législatives. Ce qui a fait que les partis n’étaient suffisamment pas nombreux pour constituer un groupe parlementaire. Il fallait donc permettre à cette opposition d’avoir un groupe parlementaire. Autrement dit, c’est une règle qu’on avait instauré parce qu’il y avait eu un boycott des élections législatives et parce que l’opposition était numériquement très faible.»
Cette déclaration, reprise par le journal Sud Quotidien du 24 juin 2015, sonnait comme du déjà entendu puisque beaucoup de signataires de la proposition de loi avait déjà entonné la même chanson. Mais, venant d'un professeur d'université, cela nous avait semblé bizarre puisque très loin de la vérité. Nous avons, à cet effet, fait un démenti dans les colonnes du même journal en présumant que le professeur Ismaïla Madior Fall s'était trompé. Nous avions déclaré que ce n'est pas en 2007 qu’il a été convenu de retenir le nombre de 10 députés pour former un groupe parlementaire, mais plutôt en 2002. J'avais cité la loi 2002 du 15 mai 2002 en son article 20 qui dispose : « Les députés peuvent s’organiser en groupes, par affinités politiques : aucun groupe ne peut comprendre moins de dix membres, non compris les députés apparentés, dans les conditions prévues à l’alinéa 2 de l’article 23".
Il s'est rectifié dans son interview parue ce mercredi 08 juillet 2015 dans le journal L'Observateur à la page 5. Maintenant, l'argument ce n'est plus de parler de boycott de l'opposition puisque l'année 2002 ne coïncidera pas à l'événement. Il change de fusil d'épaule et nous sort une parade : "C'est vrai qu'à l'époque, il était démocratiquement impensable qu'il y eût un seul et unique groupe parlementaire à l'assemblée". Il décide donc d'adapter une autre version à la nouvelle date.
Dans l'interview accordée au journal L'Observateur, il est malheureux et désolant de constater que le professeur ne renonce pas à vouloir justifier l'injustifiable par des procédés indignes d'un intellectuel. Il essaie d'influencer la justice à travers un argumentaire qui n'est pas conforme à la vérité et qui est dénué de tout fondement juridique. Il déclare dans l'interview : "Le nombre constant, structurel (pour ainsi dire) dans l'histoire parlementaire du Sénégal a toujours été le dixième du nombre de députés (8/80, 10/100, 12/120, 14/140, et aujourd'hui 15/150 avec la parenthèse 2002-2015 où il a été de 10/150)".
Cet argumentaire est erroné puisque la loi 63/63 du 17 juillet 1963, portant règlement intérieur de l'Assemblée nationale et publié dans le journal officiel du 31 août 1963, dispose, en son article 20, qu'un groupe ne peut être constitué que s'il réuni au moins 20 membres alors que l'assemblée nationale comptait 80 membres à l'époque. Il s'y ajoute que la loi portant règlement intérieur, publiée dans le journal officiel de la République du Sénégal, du 29 avril 1978, dispose qu'un groupe "ne peut être reconnu comme administrativement constitué que s'il réunit au moins 15 membres" alors que l'Assemblée nationale en cette période ne comptait que 100 membres. Ces différentes dispositions révèlent que la démocratie sénégalaise a évolué dans le sens de réduire le nombre de députés pour constituer un groupe parlementaire et ainsi faciliter une pluralité parlementaire.
C'est cette logique qui a guidé le législateur de 2002 mais notre constitutionnaliste préfère le qualifier de "parenthèse conjoncturelle". Comment peut-on qualifier de parenthèse conjoncturelle une loi qui s'est appliquée à l'Assemblée nationale pendant deux législatures et demi sans être touchée ? (2002-2007/2007-2012/2012-2015). Il s'est plutôt agi d'un acquis démocratique qui a été sauvegardé durant tout ce temps et qu'on cherche à remettre en question avec la complicité du professeur Ismaïla Madior Fall. Une attitude qui relègue notre pays loin derrière des pays comme la Côte d'Ivoire, par exemple, où il suffit simplement d'avoir 8 députés pour constituer son groupe parlementaire sur les 255 que compte l'Assemblée nationale et 15 députés sur les 577 que compte l'Assemblée nationale française.
Dans son interview accordée au journal L'Observateur, le professeur Ismaïla Madior Fall est allé jusqu'à entrer dans des considérations philosophiques pour traiter une question de droit et ainsi déclarer irrecevable le recours des 19 députés. Il déclare que "le règlement intérieur de l'Assemblée, même si certains articles de la Constitution continuent à faire référence à lui comme Loi organique et même s'il porte encore la mention Loi organique, est juridiquement devenu un acte non législatif, une simple résolution pouvant être coutumièrement assimilée pour les commodités de la procédure législative à une loi, mais que les députés n'ont pas rigoureusement le droit d'attaquer en inconstitutionnalité".
Cette déclaration est inquiétante pour un juriste qui parle de simple résolution assimilée à une loi. C'est à se demander le régime juridique qui s'appliquera à une telle invention. En réalité, il s'agit bien d'une loi votée par l'Assemblée nationale, soumise au contrôle à posteriori du Conseil constitutionnel et promulguée par le président de la République.
En tout état de cause, la loi organique sur le Conseil constitutionnel (99-71) dispose clairement en son article 1er : "...Le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité des règlements intérieurs des Assemblées". Cette disposition est très claire et n'est sujette à aucune interprétation. En l'espèce, il s'agit bel et bien d'un recours qui porte sur une loi modifiant le règlement intérieur de l'Assemblée nationale et introduit par 19 députés, donc, plus du dixième des députés de l'Assemblée nationale tel que requis par la Constitution en son article 74.
En réalité le zèle affiché par le professeur Ismaïla Madior Fall dans cette affaire de proposition de loi cache mal son désarroi. Il a piteusement contribué à produire une pilule difficile à avaler puisque consacrant un recul démocratique inacceptable et une logique éhontée de confiscation des libertés dans un pays comme le Sénégal.
Thierno Bocoum
Député à l'Assemblée nationale sénégalaise
Signataire du recours pour l'inconstitutionnalité
De la première proposition de loi de la 12ème législature
Portant modification du règlement intérieur de l'assemblée nationale.
À travers les ondes de la radio sudfm le 23 juin 2015, le professeur Ismaïla Madior Fall, venant à la rescousse des signataires de la proposition de loi scélérate, avait voulu justifier le nombre requis de 1/10ème pour la constitution d'un groupe parlementaire en ces termes « pour constituer un groupe parlementaire au Sénégal, le nombre a toujours varié. Mais la règle, c’est qu’on a considéré pendant longtemps que, pour constituer un groupe parlementaire, il faut 1/10ème ». Revenant sur la genèse de sa réduction de ce nombre à 10, il déclare qu' "en 2007, l’opposition avait boycotté les élections législatives. Ce qui a fait que les partis n’étaient suffisamment pas nombreux pour constituer un groupe parlementaire. Il fallait donc permettre à cette opposition d’avoir un groupe parlementaire. Autrement dit, c’est une règle qu’on avait instauré parce qu’il y avait eu un boycott des élections législatives et parce que l’opposition était numériquement très faible.»
Cette déclaration, reprise par le journal Sud Quotidien du 24 juin 2015, sonnait comme du déjà entendu puisque beaucoup de signataires de la proposition de loi avait déjà entonné la même chanson. Mais, venant d'un professeur d'université, cela nous avait semblé bizarre puisque très loin de la vérité. Nous avons, à cet effet, fait un démenti dans les colonnes du même journal en présumant que le professeur Ismaïla Madior Fall s'était trompé. Nous avions déclaré que ce n'est pas en 2007 qu’il a été convenu de retenir le nombre de 10 députés pour former un groupe parlementaire, mais plutôt en 2002. J'avais cité la loi 2002 du 15 mai 2002 en son article 20 qui dispose : « Les députés peuvent s’organiser en groupes, par affinités politiques : aucun groupe ne peut comprendre moins de dix membres, non compris les députés apparentés, dans les conditions prévues à l’alinéa 2 de l’article 23".
Il s'est rectifié dans son interview parue ce mercredi 08 juillet 2015 dans le journal L'Observateur à la page 5. Maintenant, l'argument ce n'est plus de parler de boycott de l'opposition puisque l'année 2002 ne coïncidera pas à l'événement. Il change de fusil d'épaule et nous sort une parade : "C'est vrai qu'à l'époque, il était démocratiquement impensable qu'il y eût un seul et unique groupe parlementaire à l'assemblée". Il décide donc d'adapter une autre version à la nouvelle date.
Dans l'interview accordée au journal L'Observateur, il est malheureux et désolant de constater que le professeur ne renonce pas à vouloir justifier l'injustifiable par des procédés indignes d'un intellectuel. Il essaie d'influencer la justice à travers un argumentaire qui n'est pas conforme à la vérité et qui est dénué de tout fondement juridique. Il déclare dans l'interview : "Le nombre constant, structurel (pour ainsi dire) dans l'histoire parlementaire du Sénégal a toujours été le dixième du nombre de députés (8/80, 10/100, 12/120, 14/140, et aujourd'hui 15/150 avec la parenthèse 2002-2015 où il a été de 10/150)".
Cet argumentaire est erroné puisque la loi 63/63 du 17 juillet 1963, portant règlement intérieur de l'Assemblée nationale et publié dans le journal officiel du 31 août 1963, dispose, en son article 20, qu'un groupe ne peut être constitué que s'il réuni au moins 20 membres alors que l'assemblée nationale comptait 80 membres à l'époque. Il s'y ajoute que la loi portant règlement intérieur, publiée dans le journal officiel de la République du Sénégal, du 29 avril 1978, dispose qu'un groupe "ne peut être reconnu comme administrativement constitué que s'il réunit au moins 15 membres" alors que l'Assemblée nationale en cette période ne comptait que 100 membres. Ces différentes dispositions révèlent que la démocratie sénégalaise a évolué dans le sens de réduire le nombre de députés pour constituer un groupe parlementaire et ainsi faciliter une pluralité parlementaire.
C'est cette logique qui a guidé le législateur de 2002 mais notre constitutionnaliste préfère le qualifier de "parenthèse conjoncturelle". Comment peut-on qualifier de parenthèse conjoncturelle une loi qui s'est appliquée à l'Assemblée nationale pendant deux législatures et demi sans être touchée ? (2002-2007/2007-2012/2012-2015). Il s'est plutôt agi d'un acquis démocratique qui a été sauvegardé durant tout ce temps et qu'on cherche à remettre en question avec la complicité du professeur Ismaïla Madior Fall. Une attitude qui relègue notre pays loin derrière des pays comme la Côte d'Ivoire, par exemple, où il suffit simplement d'avoir 8 députés pour constituer son groupe parlementaire sur les 255 que compte l'Assemblée nationale et 15 députés sur les 577 que compte l'Assemblée nationale française.
Dans son interview accordée au journal L'Observateur, le professeur Ismaïla Madior Fall est allé jusqu'à entrer dans des considérations philosophiques pour traiter une question de droit et ainsi déclarer irrecevable le recours des 19 députés. Il déclare que "le règlement intérieur de l'Assemblée, même si certains articles de la Constitution continuent à faire référence à lui comme Loi organique et même s'il porte encore la mention Loi organique, est juridiquement devenu un acte non législatif, une simple résolution pouvant être coutumièrement assimilée pour les commodités de la procédure législative à une loi, mais que les députés n'ont pas rigoureusement le droit d'attaquer en inconstitutionnalité".
Cette déclaration est inquiétante pour un juriste qui parle de simple résolution assimilée à une loi. C'est à se demander le régime juridique qui s'appliquera à une telle invention. En réalité, il s'agit bien d'une loi votée par l'Assemblée nationale, soumise au contrôle à posteriori du Conseil constitutionnel et promulguée par le président de la République.
En tout état de cause, la loi organique sur le Conseil constitutionnel (99-71) dispose clairement en son article 1er : "...Le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité des règlements intérieurs des Assemblées". Cette disposition est très claire et n'est sujette à aucune interprétation. En l'espèce, il s'agit bel et bien d'un recours qui porte sur une loi modifiant le règlement intérieur de l'Assemblée nationale et introduit par 19 députés, donc, plus du dixième des députés de l'Assemblée nationale tel que requis par la Constitution en son article 74.
En réalité le zèle affiché par le professeur Ismaïla Madior Fall dans cette affaire de proposition de loi cache mal son désarroi. Il a piteusement contribué à produire une pilule difficile à avaler puisque consacrant un recul démocratique inacceptable et une logique éhontée de confiscation des libertés dans un pays comme le Sénégal.
Thierno Bocoum
Député à l'Assemblée nationale sénégalaise
Signataire du recours pour l'inconstitutionnalité
De la première proposition de loi de la 12ème législature
Portant modification du règlement intérieur de l'assemblée nationale.