Visiblement mal à l’aise face aux Sénégalais, l’air fatigué, le président de la République a donc décidé unilatéralement et sans surprise de ne pas organiser à date due l’élection présidentielle prévue le 25 février 2024. En même temps, Macky Sall dont le mandat expire le 2 avril prochain va pouvoir prolonger son bail à la tête du pays pour une durée indéterminée. A une échéance qu’il lui plaira de faire sienne en accord peut-être avec ses députés à l’assemblée nationale. La descente aux enfers de la démocratie se poursuit, quasi naturellement. Celui qui doit faire ses valises le 2 avril 2024 se retrouve à vouloir régir le présent et l’avenir de notre pays !
Quand il arrivait au pouvoir en avril 2012, rares étaient ceux qui étaient en mesure de soupçonner que cet homme serait encore au pouvoir en 2024. Il promettait, déjà, de réduire son mandat de 7 à 5 ans, sa façon à lui de moderniser la démocratie sénégalaise. Mais il finit par s’en remettre aux fameuses « décisions » du Conseil constitutionnel. Il s’était engagé á ne faire que deux mandats avec une révision de la Constitution qui, selon lui, fermait la porte à tous débats sur le nombre de mandats. Le 3 juillet 2023, il fait face à son peuple pour lui annoncer deux choses : il respectera son engagement pour 2 mandats, mais il précise que « sa » Constitution issue du référendum populaire de mars 2016 lui donne quand même le droit de briguer un 3e mandat consécutif. Seul son « code d’honneur » le pousse à renoncer à ce 3e mandat !
Pour boucler la boucle (provisoirement ?), il fait de ce 3 février 2024 un Black Day pour le Sénégal, son peuple, ses institutions, sa réputation. En privant les électeurs de leur élection, moment unique pour eux de placer à la tête du pays l’homme qu’il leur plaise de choisir, Macky Sall se rend coupable d’une agression caractérisée et préméditée contre la souveraineté du peuple. Il creuse davantage l’énorme fossé sentimental (et politique) qui le séparait déjà depuis plusieurs années de ses compatriotes.
Les Sénégalais étant généralement raisonnables, le contenu du discours du chef de l’Etat aurait pu les convaincre de la justesse de son point de vue, de son souci de garantir la justice et l’équité dans les délibérations du Conseil constitutionnel, de l’impérieuse nécessité pour tous de rester dans le périmètre étroit de la paix civile et politique. Mais là, c’est un grand charabia sans queue ni tête qui leur a été servi sur un plateau rouillé, enrobé dans des considérations juridico-politiciennes qui forcent l’irrespect, volontairement éloignées des raisons fondamentales á l’origine de cette fausse crise qui nous vole une élection présidentielle.
Que reste-t-il aujourd’hui du pouvoir de Macky Sall ? La force brute et brutale, le cynisme, l’égoïsme, la répression des libertés individuelles et collectives, le trucage des faits et des réalités, le baronnage de ses élites corrompues devenues complices actives d’une régression monumentale des standards démocratiques de notre pays. Nous sommes bien en face d’un coup d’Etat constitutionnel dont l’origine est dans les dysfonctionnements du parti-Etat et sa phobie panique de perdre un pouvoir devenu illégitime.
Que vaut désormais Macky Sall ? Que lui reste-t-il de bonne foi après douze ans de pouvoir ? Il va devoir vivre avec une étiquette nouvelle de fossoyeur d’un principe sacro-saint qui veut que l’élection présidentielle soit organisée tous les cinq ans. En capturant honteusement le scrutin du 25 février, il s’érige ainsi en preneur d’otage du peuple sénégalais pour perpétuer un pouvoir qui ne lui appartient plus. Ecce homo !