Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a reconnu coupable mardi 18 août Salim Ayyash, membre présumé du Hezbollah, dans l'assassinat en 2005 de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, au bout de six ans de procès.
«La chambre de première instance déclare Salim Ayyash coupable au delà de tout doute raisonnable en tant que coauteur de l'homicide intentionnel de Rafic Hariri», a déclaré le juge président David Re, avant d'acquitter les trois autres suspects. «La Chambre de première instance déclare Hassan Merhi, Hussein Oneissi et Assad Sabra non coupables de tous les chefs d'accusation retenus», a déclaré le juge président David Re.
«Le tribunal a statué, et au nom de la famille de l'ancien premier ministre Rafic Hariri, et au nom des familles des martyrs et victimes, nous acceptons la décision du tribunal», a déclaré Saad Hariri à des journalistes à l'issue du prononcé du jugement, devant le TSL.
Proches du Hezbollah
Jugés par contumace, les 4 hommes, présumés proches du Hezbollah, n'ont jamais été arrêtés par les autorités. Lors de l'audience, le tribunal a par ailleurs indiqué qu'il n'y avait pas de preuves que des dirigeants du mouvement chiite étaient impliqués dans l'attentat. «Si nos frères sont condamnés injustement, comme nous nous y attendons, nous resterons attachés à leur innocence», avait de son côté indiqué vendredi dernier le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, rejetant d'avance le verdict du TSL.
Le drame avait provoqué une vive émotion à l'international, amenant à la création d'un tribunal spécial par l'ONU le 30 mai 2007. En ligne de mire des enquêteurs, le «Parti de Dieu» n'a jamais reconnu la légitimité de cette instance installée (TSL) aux Pays-Bas, arguant que l’institution ne valait «absolument rien» à ses yeux. L'accusation estime pourtant que Rafic Hariri «était perçu comme une grave menace par les prosyriens et pro-Hezbollah». Ces derniers ont cependant toujours clamé leur innocence dans l'affaire.
Dans cette action hors normes démarrée en 2011 par l'émission des premiers actes d'accusations, le TSL assure que 297 témoins ont été entendus, 3131 pièces à conviction ont été versées et 1532 décisions ont été rendues. En 2015, le New York Times Magazine estimait à 500 millions de dollars le coût du financement international (dont la France fait partie) de l'organisation. Selon leur prédiction, l'investissement dans ce dernier frôlerait aujourd'hui le milliard. Initialement prévu pour le 7 août 2020, le verdict a finalement été reporté en raison de l'explosion du port de Beyrouth survenue 3 jours plus tôt et du deuil national décrété consécutif par les autorités libanaises.
Le jour où le Liban a tremblé
L'attentat spectaculaire contre l'ancien premier ministre Rafic Hariri est pour de nombreux Libanais ce que l'assassinat de Kennedy était pour les Américains : chacun se souvient de ce qu'il faisait en ce funeste 14 février 2005. Le multimilliardaire sunnite, qui incarnait l'ère de la reconstruction au sortir de la guerre civile (1975-1990), a été tué le jour de la Saint-Valentin par une camionnette bourrée d'explosifs ciblant son convoi blindé.
Dans l'élégant quartier des hôtels du centre-ville de Beyrouth, la déflagration avait provoqué des flammes hautes de plusieurs mètres, soufflant les vitres des bâtiments dans un rayon d'un demi-kilomètre. Au volant d'une fourgonnette blanche chargée de deux tonnes d'explosifs, le kamikaze s'était stratégiquement garé pour attendre le convoi, qui venait de quitter le Parlement pour se rendre à la résidence des Hariri.
À 12h55, le détonateur est déclenché, une seconde après le passage du troisième véhicule, une Mercedes S600 que Rafic Hariri conduisait lui-même. Nombreux sont ceux qui ont cru à un tremblement de terre. Tout Beyrouth a entendu ou ressenti l'explosion, qui a laissé un cratère d'au moins dix mètres de diamètre et de deux mètres de profondeur.
Rapidement la nouvelle tombe. L'ancien premier ministre, passé dans l'opposition en 2004, fait partie des 22 morts. Des gardes du corps ont aussi péri. Illustrant l'ampleur de la dévastation dans le centre-ville, la dépouille d'une victime ne sera retrouvée qu'après 17 jours. Et 226 personnes ont été blessées.
Quatre suspects jugés, le «cerveau» décédé
15 ans plus tard, quatre hommes présumés proches du Hezbollah étaient donc jugés par contumace. Malgré l'attente de la part des victimes et de leurs proches, l'ancien premier ministre et fils Rafic Hariri Saad Hariri en tête, le verdict par le TSL n'est pas le point final de cette affaire. La peines sera en effet énoncée à une date ultérieure, seule la culpabilité des prévenus étant déterminée ce jour.
Le premier suspect, Salim Ayyash, 56 ans, était accusé d'avoir dirigé l'équipe qui a perpétré l'attentat. Les chefs qui lui sont reprochés sont «la commission d'un acte de terrorisme», ainsi que «l'homicide intentionnel de Rafic Hariri» et de 21 autres personnes. Il était également accusé de «tentative d'homicide intentionnel» de 226 personnes, selon le site du TSL. Dans une autre affaire, le tribunal l'a accusé en 2019 de «terrorisme» et de meurtre pour trois attaques meurtrières perpétrées contre des politiciens libanais en 2004 et 2005.
Hussein Oneissi et Assad Sabra, respectivement âgés de 46 ans et 43 ans, étaient soupçonnés d'avoir fait parvenir à la chaîne d'information Al Jazeera une vidéo revendiquant l'assassinat de Rafic Hariri au nom d'un groupe fictif. Ils étaient notamment accusés par le TSL de «complicité de commission d'un acte de terrorisme» mais aussi de «complicité d'homicide intentionnel». Hussein Oneissi était aussi suspecté d'avoir recruté un islamiste libanais, Ahmed Abu Adass, et de l'avoir aidé à enregistrer la fausse vidéo de revendication. La plupart des éléments recueillis à l'encontre de M. Oneissi sont basés sur des enregistrements de téléphonie mobile ou des cartes SIM utilisées pendant l'attentat.
Enfin, Hassan Habib Merhi, 54 ans, faisait l'objet de chefs d'accusations similaires pour «complicité de perpétration d'un acte de terrorisme» ou encore «complicité d'homicide intentionnel».
Un cinquième suspect, Moustafa Badreddine, soupçonné par l'accusation d'être le «cerveau» de l'attentat du 14 février 2005 a été déclaré mort par le mouvement chiite en 2016. Le TSL a souligné qu'il ne disposait pas de preuves indiquant le rôle précis de cet ancien chef militaire du Hezbollah, tué, selon l'organisation, dans un attentat près de l'aéroport de Damas. À l'époque, le «Parti de Dieu», militairement impliqué dans le conflit syrien au côté du régime, avait accusé des islamistes extrémistes «takfiris» d'avoir mené l'attaque, qui n'a jamais été revendiquée et dont les circonstances restent mystérieuses à ce jour. La même année, le TSL avait annoncé qu'il ne poursuivrait pas le procès de Badreddine, estimant avoir des «preuves suffisantes» confirmant son décès.