Peu importe la signification réelle de l’acronyme FCFA, cette monnaie commune à 14 pays d’Afrique Francophone est devenue le symbole d’une ligne de fracture vivace entre ceux qui souhaitent la conserver au nom de la stabilité, et ceux qui veulent s’en affranchir, y voyant l’ultime avatar d’un néocolonialisme économique. Mais de quoi la crise grandissante autour du Franc CFA est-elle véritablement le nom ?
Il n'aura pas échappé à l'observateur que le débat autour du FCFA est en train de cristalliser. Pas une conversation sur l'avenir de l'Afrique Francophone sans que soutiens et détracteurs de la monnaie ne s'écharpent, brandissant tour à tour arguments techniques ou plaidoyers vibrants pour que le continent « mette à la retraite » le CFA, 60 ans après la vague d'indépendances africaines.
De quoi la crise autour du Franc CFA est-elle le nom ?
Et depuis trois mois, le débat s'est même internationalisé, un « front anti CFA » trouvant de plus en plus d'écho dans de grandes villes européennes telles Lausanne, Londres ou Paris. La pression est telle que même l'austère patronne du FMI, Christine Lagarde, a du effectuer une rarissime opération de communication de crise en décembre dernier, après que certains de ses propos relatifs à une possible dévaluation de la monnaie en Afrique centrale ont mis le feu aux poudres.
Il faut dire que le sujet a tout pour déchainer les passions. Les détracteurs de la monnaie unique y voient en effet un instrument qui favorise les multinationales européennes et un frein à l'ajustement par les pays de leurs politiques monétaires en fonction de la situation de leurs économies. De même, ils fustigent la gestion d'une part importante des réserves en devises du CFA par la Banque de France, afin de garantir la convertibilité de la monnaie. Pour eux, à l'instar du Sénégalais Felwine Sarr, un régime de change flottant adossé à un panier de monnaies serait plus judicieux et plus efficace pour les économies de la zone.
Les partisans du maintien du CFA avancent quant à eux la crainte de voir certains dirigeants africains être tentés par l'utilisation de la « planche à billets »- argument paternaliste selon certains- entraînant inflation et dévaluation massive. Ils mettent également en avant le fait que le CFA a été un moteur de l'intégration régionale en Afrique de l'Ouest et Centrale, favorisant les échanges et garantissant la stabilité macro-économique.
Les deux camps ont, en partie, raison. Mais là n'est pas l'essentiel
Les deux camps ont, en partie, raison, mais aucun des deux ne raconte l'histoire en entier. En effet, la crise autour du FCFA doit d'abord être examinée à l'aune des acteurs qui la composent, et appréhendée comme le signe d'une vitalité intellectuelle du continent.
En effet, à la faveur de cette polémique, l'on constate l'émergence d'une génération d'économistes africains qui mettent de côté le traditionnel discours anticolonial parfois mâtiné de théories conspirationnistes pour avancer un réel argumentaire technique. Gage de cette montée en puissance d'une production de connaissance africaine, la parution récente d'un ouvrage dédiée spécifiquement à ce sujet, intitulé « Sortir l'Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le franc CFA? » rédigé par un collectif d'économistes dirigés par Kako Nubukpo.
Il faut supprimer le mot « Franc » du FCFA
Quel que soit le sort réservé au FCFA par les gouvernements concernés, une chose au moins devrait faire consensus et serait très simple à mettre en pratique : la suppression du mot « Franc » du CFA.
Dans un continent où les symboles sont extrêmement importants, faute d'indépendance monétaire, cela permettrait au moins l'indépendance lexicale et la réappropriation du nom de cette monnaie par les nations qui en ont l'usage. De fait, cela permettrait aussi de centrer le débat sur le terrain économique et d'en évacuer les discussions autour de la prévalence d'une post-colonisation économique, sujet qui mérite un débat séparé et à part entière.
En ce domaine, il est utile de méditer les propos d'un ancien Président français, Jacques Chirac, lequel indiquait dans une interview télévisée après son départ du pouvoir qu'une « grande partie de l'argent qui est dans notre porte-monnaie vient de l'exploitation pendant des siècles de l'Afrique (...) il faut avoir un peu de bon sens, de justice pour rendre aux africains ce qu'on leur a pris, d'autant plus que c'est nécessaire si l'on veut éviter les pires convulsions ». Reste donc à ouvrir sans attendre et dans la sérénité cette conversation cruciale pour l'avenir du continent et de ses partenaires.
Par Abdelmalek Alaoui