Le « quadra » au crâne rasé et au bouc poivre et sel pèserait dans les 150 milliards de F CFA (228,7 millions d’euros), mais il est totalement absent de la sphère médiatique, si ce n’est à travers ses nombreux investissements. Le mall Sea Plaza et l’hôtel de luxe Radisson Blu, les immeubles de bureaux et d’appartements Trilénium et Rivonia, le complexe immobilier haut de gamme Waterfront… Son empreinte se révèle aux quatre coins de Dakar, et ses édifices contemporains – il travaille notamment avec l’architecte sud-africain Stefan Antoni – sculptent la capitale. On retrouve aussi sa trace à Bamako et à Abidjan, en Guinée et au Cap-Vert, à Maurice et en Suisse.
Son nom est à peine susurré, et peu osent évoquer une rencontre, une anecdote. « Il est chatouilleux, il ne veut pas qu’on parle de lui, il est puissant… Je ne veux pas être cité », confie un entrepreneur. Au siège suisse de Teylium, le holding qui chapeaute ses affaires, on obtient un sourire poli pour toute réponse à une demande d’entretien… qui n’aura jamais lieu. « M. Sow ne souhaite pas donner suite à la parution d’un article le concernant. » C’est un homme discret, dans la vie privée comme dans les affaires.
La bosse du commerce
Peut-être un héritage familial. Le père est tout aussi effacé. Nulle interview fleuve d’Aliou Sow, aucun article sur son empire du BTP fondé en 1970, la Compagnie sahélienne d’entreprises (CSE). Yérim et ses sept frères et sÅ“urs, issus du mariage d’Aliou Sow avec la petite sÅ“ur de Mohamed ÂTiecoura Diawara, ancien ministre du Plan du président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, ont grandi à Dakar à l’ombre de cette réussite africaine, dans la maison familiale de la rue Aimé-Césaire, dans le quartier résidentiel de Fann. De quoi susciter des vocations. Et si l’un des aînés, Oumar, reprendra plus tard les affaires du père, Yérim semble très tôt plus indépendant.
Aujourd’hui encore, un avocat d’affaires dit de lui qu’il aime « travailler seul ». Enfant, Yérim fait ses premières affaires dans le quartier, aux abords de l’école franco-sénégalaise située en face de la maison. « Il avait la bosse du commerce », se souvient un ancien voisin. De ses voyages, il ramène des objets introuvables à Dakar. « Il pouvait arriver avec une paire de baskets qu’il revendait en se faisant un petit bénéfice. » Écolier, collégien puis lycéen dilettante dans les établissements sénégalais, il part étudier, comme nombre de jeunes Africains aisés, au Canada, où il s’inscrit à l’Université de Montréal pour faire polytechnique. Il a 19 ans. Il dit avoir complété son parcours à l’Université de Boston où, officiellement, il décroche un diplôme d’ingénieur.
En Amérique du Nord, au milieu des années 1980, l’informatique balbutiante est portée par quelques visionnaires comme Bill Gates (Microsoft) et Steve Jobs (Apple). En Afrique, tout est à faire. Probablement inspiré par ces réussites, Yérim Sow, 21 ans, monte en 1988 sa première société, Direct Access, spécialisée dans l’informatique. L’aventure va durer six années, au terme desquelles Yérim ne deviendra pas le Bill Gates africain qu’il avait sûrement rêvé d’être.
Il aurait pu s’arrêter là , rejoindre son frère Oumar embauché depuis quelques années dans l’affaire familiale, mais au lieu de ça, il sollicite un prêt à son père. Son idée?? Répandre au Sénégal et en Côte d’Ivoire ces petits appareils révolutionnaires, les pagers, qui permettent de recevoir un message. Ils font un tabac chez les jeunes Occidentaux, alors pourquoi pas en Afrique?? Mais le chef de famille ne l’entend pas de cette oreille. Est-il échaudé par la première expérience de son fils?? Ou refuse-t-il simplement par principe, lui qui s’est fait tout seul?? L’amour maternel, inconditionnel, aura raison de son intransigeance, et Yérim se retrouve à 27 ans à la tête d’un capital colossal, de 1 milliard de F CFA. Cette fois sera la bonne et, sous le regard débonnaire du clan, ses « bip access » marquent toute une génération?: un succès immédiat, qui gagne aussi la Côte d’Ivoire. Yérim jette ainsi les bases de sa réussite sous l’ère Abdou Diouf.
Ce qui fera sa force, sûrement, c’est de ne jamais attendre, de profiter de l’ascension pour investir, lancer d’autres affaires. « Il peut bosser quinze à dix-sept heures par jour quand il est sur un nouveau projet, et il ne comprend pas que les autres n’en fassent pas autant, rapporte un vieil ami. Il est toujours à 100 km/h. » Il veut gagner, vite et beaucoup. En phase avec son temps, celui des golden boys et de l’argent facile, il fait partie de cette génération d’entrepreneurs férus de nouvelles technologies, habiles avec les chiffres et suffisamment dans le vent pour sentir poindre une tendance.
La déferlante des mobiles, qui commencent à conquérir le Nord, ne pouvait lui échapper. Il s’associe à l’homme d’affaires ivoirien Koffi Bergson, patron de Loteny Electronics, proche des milieux politiques. Depuis la fin des années 1980, Bergson possède la première licence de téléphonie du pays, ÂLoteny Telecom, mais n’a pas les moyens suffisants pour démarrer. Yérim Sow les lui fournira, en partenariat avec Telecel International, détenu par le millionnaire rwando-congolais Miko Rwayitare (décédé en 2007), présent dans d’autres pays ouest-africains, et racheté plus tard par l’égyptien Orascom Telecom. L’amitié entre Bergson et Sow sera de courte durée?: lors d’une assemblée générale de Loteny, une recapitalisation est décidée. Bergson ne peut pas suivre, il est éjecté du poste de président et devient actionnaire minoritaire, avec 0,8 %. Par la suite, Yérim Sow se lie à Bernard Koné Dossongui, businessman ivoirien de dix-sept ans son aîné, patron du Groupe Atlantique (banques, télécoms…), avec qui il rachète en 2004 les parts d’Orascom dans Telecel Côte d’Ivoire, pour 53,1 millions de dollars.
Une aventure ivoirienne
Outre les affinités naturelles qui le lient au pays natal de sa mère (il a la double nationalité), la Côte d’Ivoire est propice aux affaires. Il a pu l’expérimenter avec ses pagers, et la marque Telecel suit le même chemin en devenant vite incontournable dans le paysage de la téléphonie?: trois ans après son lancement, le chiffre d’affaires atteint 34 milliards de F CFA, avec un profit de 9 milliards.
Yérim Sow se sent bien à Abidjan. Il fait construire une villa dans le quartier chic de Cocody, rue de la Canebière. « Un bateau suspendu au dessus l’Atlantique » – comme la décrivent certains – mis en vente pour 2 millions d’euros et qui n’a pas encore trouvé preneur. Outre les affaires, la capitale économique est connue pour ses nuits festives. Yérim sort beaucoup, aime se montrer, exhiber sa réussite… Un jet-setteur est né. Riche et célibataire d’à peine 30 ans, il a tout pour plaire. Les milieux huppés d’Abidjan s’habituent à la présence de ce jeune insolent, dont les traits d’enfant gâté n’ont pas totalement disparu. Il veut toujours avoir le dernier mot et « boude » quand on le contredit.
Ses amis louent cependant sa générosité. Ses conquêtes un peu moins, qui le décrivent comme quelqu’un d’avare, de jaloux et de possessif. Le succès de Telecel a révélé un vrai talent, celui d’un requin des affaires qui ne connaît pas le mot « compromis ». S’il signe, c’est qu’il est sûr de gagner, à des conditions qui font bien souvent fuir les investisseurs internationaux, peu disposés, néanmoins, à se brouiller avec un businessman qualifié de « talentueux ». On ne sait jamais.
Dans cette aventure ivoirienne, Yérim Sow est d’abord un opportuniste avide de nouvelles affaires, dont les acquisitions et créations de filiales ne paraissent pas le fruit d’une stratégie cohérente et mûrement réfléchie. En 2001, il met en place Teylium?: enregistré à Maurice, le holding est administré par l’avocat et conseiller fiscal français Philippe Ledesma et l’homme d’affaires mauricien José Poncini. Des bureaux seront ouverts en 2006 à Genève, rue du Prince, à deux pas des banques.
Attiré par le monde de la finance, Yérim Sow y fait ses premiers pas en 2006 en rachetant 5 % d’African Financial Holding, devenu par la suite BOA Group, maison mère du réseau Bank of Africa. La même année, il réalise le plus beau coup de sa carrière. Le groupe de télécoms sud-africain MTN est en pleine croissance et cherche à s’étendre sur le continent. Phuthuma Nhleko, son directeur général, ne pouvait ignorer l’ascension fulgurante du fleuron ivoirien?: dix ans après sa création, Loteny possède pas moins de 46 % de part de marché en Côte d’Ivoire et revendique plus de 800?000 abonnés. Au terme des négociations, MTN achète une partie du capital de Loteny à Yérim Sow, pour la modique somme de 76 millions d’euros, plus de 17 fois le capital de la société (4,3 millions d’euros). C’est le jackpot pour Teylium, qui reste le troisième actionnaire, avec 15,5 % (une participation estimée aujourd’hui entre 25 milliards et 40 milliards de F CFA).
Chouchou de Simone Gbagbo
Fort de ces nouveaux fonds, Sow fonde dans la foulée Bridge Bank Group à Abidjan avec Pape Diouf, patron de la banque d’affaires Linkstone Capital et fils d’Abdou Diouf. La Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et le fonds d’investissement Cauris Croissance rejoindront par la suite le capital de la banque, dont l’immeuble a été inauguré en mars 2007 par le Premier ministre ivoirien d’alors, Charles Konan Banny, ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Encore un allié de poids, toujours plus près du Palais, vers lequel Yérim fait un pas de plus à travers Continental Beverage Company.
Cette usine d’eau située à Bonoua, ville natale de la première dame ÂSimone Ehivet Gbagbo, est un vieux projet jamais abouti de l’ancienne star libérienne du football George Weah. Sow achète 85 % des parts et investit 2 milliards de F CFA pour démarrer la production d’eau minérale connue sous la marque Olgane. Simone se prend d’estime pour ce jeune patron qui met en valeur sa région. Elle lui prouvera son attachement en présidant notamment la cérémonie d’ouverture. Habile. Les bases ivoiriennes sont solides, et le fils d’Aliou Sow peut développer sereinement ses autres branches dans la région. Teylium Telecom acquiert 60 % du guinéen Intercel et 70 % de T+, deuxième opérateur au Cap-Vert.
Retour à Dakar
Le jeune loup solitaire approche alors de la quarantaine et semble vouloir se rapprocher de son pays natal, surtout depuis la naissance de son fils, en 2002, fruit de son union avec une Sénégalaise. En outre, l’instabilité chronique de la Côte d’Ivoire et son environnement des affaires dégradé sont pesants. S’il vit la majeure partie du temps à Genève, ses séjours à Dakar s’allongent. Avec l’Organisation de la conférence islamique (OCI), prévue en 2008, il voit une opportunité supplémentaire de développer ses activités immobilières et touristiques (avec Teylium Properties et Chain Hotels & Resorts), encore peu étendues. Tout juste a-t-il montré son savoir-faire lors de l’édification de la tour Trilénium, construite en 2005 par l’empire familial CSE. Un premier rapprochement avec le clan Sow qui se réitère, toujours à Dakar, via la Société immobilière du Golf (immobilier résidentiel) et l’immeuble Rivonia.
Ses projets se multiplient à partir de 2007. Avec l’Agence nationale de l’OCI, dirigée par un homme de sa génération, un autre fils de président, l’actuel ministre d’État Karim Wade, il monte le projet d’un hôtel de luxe sur la corniche, le Radisson Blu. Selon un ancien cadre de l’établissement l’ayant rencontré plusieurs fois, Yérim Sow est « un homme discret, pas franchement sympathique, assez glacial et exigeant, qui intervient peu dans les affaires de l’hôtel ». Le bâtiment est aujourd’hui prolongé d’un centre commercial, Sea Plaza, le premier mall sénégalais, ouvert en juillet 2010. L’ensemble a nécessité un investissement de 50 millions d’euros, dont 17 millions en provenance de la Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale). Les banques locales, la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (BIDC) et les fonds propres de la société comblent le reste. Teylium affiche désormais ses ambitions dans l’immobilier et le tourisme de luxe?: en 2010, le portefeuille d’actifs global en cours représentait quelque 100 milliards de F CFA, répartis entre Bamako, Dakar et Abidjan.
Les ambitions de Yérim Sow sont désormais portées par une vision et des projets de long terme. De nouveau père, d’une petite fille née en 2008, il se fait aussi plus discret. Quand il rend visite à ses ouvriers, « il descend de son 4×4, en basin, serre la main de tout le monde, il est vraiment simple et modeste », rapporte un entrepreneur dakarois. Opération séduction?? Ou prudence dans un pays où il ne fait pas toujours bon s’exposer?? Toutes les rumeurs circulent à son sujet?: il serait un proche de Karim, il aurait des ambitions politiques… D’aucuns se demandent comment il a pu obtenir des terrains sur la corniche, supputant quelques largesses avec le pouvoir.
Une forteresse où se cacher
« Yérim est totalement intègre dans ses affaires, il ne veut pas rentrer dans ce système », défend un proche. De fait, aucune preuve n’a jamais été apportée, ni de sa proximité avec le pouvoir actuel, ni du recours à des pratiques peu avouables – bien que courantes. Déjà présent dans l’aviation avec deux appareils en location (un Cessna Caravane et un Embraer Legacy), il est sollicité pour entrer dans le capital de la nouvelle compagnie aérienne Sénégal Airlines, phénix de la défunte Air Sénégal International. Il ne conclura pas l’affaire. Trop risqué?? Peut-être.
Le golden boy de Côte d’Ivoire a mûri et paraît plus réfléchi. Il se sépare de certains biens encombrants, comme son appartement new-yorkais de plus de 250 m2, situé au très couru 15, Central Park West, acquis en 2008 pour 10,3 millions de dollars. Toujours sur un bon coup, le Sénégalais le revend en 2010 pour le double du prix d’achat (environ 19,3 millions de dollars). De quoi financer un autre projet, de taille, plus personnel, et dont personne ne parle?: sur la corniche, non loin de la place Soweto et du palais présidentiel, Yérim Sow achève sa villa dakaroise?: 400 m2 de métal chromé, de pierre et de marbre, un cinéma, un réfrigérateur industriel, des douves… et des gardiens qui veillent jour et nuit. Un bâtiment à la démesure d’un homme d’affaires hors normes. Ou une forteresse pour mieux se cacher.
Jeune Afrique
Son nom est à peine susurré, et peu osent évoquer une rencontre, une anecdote. « Il est chatouilleux, il ne veut pas qu’on parle de lui, il est puissant… Je ne veux pas être cité », confie un entrepreneur. Au siège suisse de Teylium, le holding qui chapeaute ses affaires, on obtient un sourire poli pour toute réponse à une demande d’entretien… qui n’aura jamais lieu. « M. Sow ne souhaite pas donner suite à la parution d’un article le concernant. » C’est un homme discret, dans la vie privée comme dans les affaires.
La bosse du commerce
Peut-être un héritage familial. Le père est tout aussi effacé. Nulle interview fleuve d’Aliou Sow, aucun article sur son empire du BTP fondé en 1970, la Compagnie sahélienne d’entreprises (CSE). Yérim et ses sept frères et sÅ“urs, issus du mariage d’Aliou Sow avec la petite sÅ“ur de Mohamed ÂTiecoura Diawara, ancien ministre du Plan du président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, ont grandi à Dakar à l’ombre de cette réussite africaine, dans la maison familiale de la rue Aimé-Césaire, dans le quartier résidentiel de Fann. De quoi susciter des vocations. Et si l’un des aînés, Oumar, reprendra plus tard les affaires du père, Yérim semble très tôt plus indépendant.
Aujourd’hui encore, un avocat d’affaires dit de lui qu’il aime « travailler seul ». Enfant, Yérim fait ses premières affaires dans le quartier, aux abords de l’école franco-sénégalaise située en face de la maison. « Il avait la bosse du commerce », se souvient un ancien voisin. De ses voyages, il ramène des objets introuvables à Dakar. « Il pouvait arriver avec une paire de baskets qu’il revendait en se faisant un petit bénéfice. » Écolier, collégien puis lycéen dilettante dans les établissements sénégalais, il part étudier, comme nombre de jeunes Africains aisés, au Canada, où il s’inscrit à l’Université de Montréal pour faire polytechnique. Il a 19 ans. Il dit avoir complété son parcours à l’Université de Boston où, officiellement, il décroche un diplôme d’ingénieur.
En Amérique du Nord, au milieu des années 1980, l’informatique balbutiante est portée par quelques visionnaires comme Bill Gates (Microsoft) et Steve Jobs (Apple). En Afrique, tout est à faire. Probablement inspiré par ces réussites, Yérim Sow, 21 ans, monte en 1988 sa première société, Direct Access, spécialisée dans l’informatique. L’aventure va durer six années, au terme desquelles Yérim ne deviendra pas le Bill Gates africain qu’il avait sûrement rêvé d’être.
Il aurait pu s’arrêter là , rejoindre son frère Oumar embauché depuis quelques années dans l’affaire familiale, mais au lieu de ça, il sollicite un prêt à son père. Son idée?? Répandre au Sénégal et en Côte d’Ivoire ces petits appareils révolutionnaires, les pagers, qui permettent de recevoir un message. Ils font un tabac chez les jeunes Occidentaux, alors pourquoi pas en Afrique?? Mais le chef de famille ne l’entend pas de cette oreille. Est-il échaudé par la première expérience de son fils?? Ou refuse-t-il simplement par principe, lui qui s’est fait tout seul?? L’amour maternel, inconditionnel, aura raison de son intransigeance, et Yérim se retrouve à 27 ans à la tête d’un capital colossal, de 1 milliard de F CFA. Cette fois sera la bonne et, sous le regard débonnaire du clan, ses « bip access » marquent toute une génération?: un succès immédiat, qui gagne aussi la Côte d’Ivoire. Yérim jette ainsi les bases de sa réussite sous l’ère Abdou Diouf.
Ce qui fera sa force, sûrement, c’est de ne jamais attendre, de profiter de l’ascension pour investir, lancer d’autres affaires. « Il peut bosser quinze à dix-sept heures par jour quand il est sur un nouveau projet, et il ne comprend pas que les autres n’en fassent pas autant, rapporte un vieil ami. Il est toujours à 100 km/h. » Il veut gagner, vite et beaucoup. En phase avec son temps, celui des golden boys et de l’argent facile, il fait partie de cette génération d’entrepreneurs férus de nouvelles technologies, habiles avec les chiffres et suffisamment dans le vent pour sentir poindre une tendance.
La déferlante des mobiles, qui commencent à conquérir le Nord, ne pouvait lui échapper. Il s’associe à l’homme d’affaires ivoirien Koffi Bergson, patron de Loteny Electronics, proche des milieux politiques. Depuis la fin des années 1980, Bergson possède la première licence de téléphonie du pays, ÂLoteny Telecom, mais n’a pas les moyens suffisants pour démarrer. Yérim Sow les lui fournira, en partenariat avec Telecel International, détenu par le millionnaire rwando-congolais Miko Rwayitare (décédé en 2007), présent dans d’autres pays ouest-africains, et racheté plus tard par l’égyptien Orascom Telecom. L’amitié entre Bergson et Sow sera de courte durée?: lors d’une assemblée générale de Loteny, une recapitalisation est décidée. Bergson ne peut pas suivre, il est éjecté du poste de président et devient actionnaire minoritaire, avec 0,8 %. Par la suite, Yérim Sow se lie à Bernard Koné Dossongui, businessman ivoirien de dix-sept ans son aîné, patron du Groupe Atlantique (banques, télécoms…), avec qui il rachète en 2004 les parts d’Orascom dans Telecel Côte d’Ivoire, pour 53,1 millions de dollars.
Une aventure ivoirienne
Outre les affinités naturelles qui le lient au pays natal de sa mère (il a la double nationalité), la Côte d’Ivoire est propice aux affaires. Il a pu l’expérimenter avec ses pagers, et la marque Telecel suit le même chemin en devenant vite incontournable dans le paysage de la téléphonie?: trois ans après son lancement, le chiffre d’affaires atteint 34 milliards de F CFA, avec un profit de 9 milliards.
Yérim Sow se sent bien à Abidjan. Il fait construire une villa dans le quartier chic de Cocody, rue de la Canebière. « Un bateau suspendu au dessus l’Atlantique » – comme la décrivent certains – mis en vente pour 2 millions d’euros et qui n’a pas encore trouvé preneur. Outre les affaires, la capitale économique est connue pour ses nuits festives. Yérim sort beaucoup, aime se montrer, exhiber sa réussite… Un jet-setteur est né. Riche et célibataire d’à peine 30 ans, il a tout pour plaire. Les milieux huppés d’Abidjan s’habituent à la présence de ce jeune insolent, dont les traits d’enfant gâté n’ont pas totalement disparu. Il veut toujours avoir le dernier mot et « boude » quand on le contredit.
Ses amis louent cependant sa générosité. Ses conquêtes un peu moins, qui le décrivent comme quelqu’un d’avare, de jaloux et de possessif. Le succès de Telecel a révélé un vrai talent, celui d’un requin des affaires qui ne connaît pas le mot « compromis ». S’il signe, c’est qu’il est sûr de gagner, à des conditions qui font bien souvent fuir les investisseurs internationaux, peu disposés, néanmoins, à se brouiller avec un businessman qualifié de « talentueux ». On ne sait jamais.
Dans cette aventure ivoirienne, Yérim Sow est d’abord un opportuniste avide de nouvelles affaires, dont les acquisitions et créations de filiales ne paraissent pas le fruit d’une stratégie cohérente et mûrement réfléchie. En 2001, il met en place Teylium?: enregistré à Maurice, le holding est administré par l’avocat et conseiller fiscal français Philippe Ledesma et l’homme d’affaires mauricien José Poncini. Des bureaux seront ouverts en 2006 à Genève, rue du Prince, à deux pas des banques.
Attiré par le monde de la finance, Yérim Sow y fait ses premiers pas en 2006 en rachetant 5 % d’African Financial Holding, devenu par la suite BOA Group, maison mère du réseau Bank of Africa. La même année, il réalise le plus beau coup de sa carrière. Le groupe de télécoms sud-africain MTN est en pleine croissance et cherche à s’étendre sur le continent. Phuthuma Nhleko, son directeur général, ne pouvait ignorer l’ascension fulgurante du fleuron ivoirien?: dix ans après sa création, Loteny possède pas moins de 46 % de part de marché en Côte d’Ivoire et revendique plus de 800?000 abonnés. Au terme des négociations, MTN achète une partie du capital de Loteny à Yérim Sow, pour la modique somme de 76 millions d’euros, plus de 17 fois le capital de la société (4,3 millions d’euros). C’est le jackpot pour Teylium, qui reste le troisième actionnaire, avec 15,5 % (une participation estimée aujourd’hui entre 25 milliards et 40 milliards de F CFA).
Chouchou de Simone Gbagbo
Fort de ces nouveaux fonds, Sow fonde dans la foulée Bridge Bank Group à Abidjan avec Pape Diouf, patron de la banque d’affaires Linkstone Capital et fils d’Abdou Diouf. La Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et le fonds d’investissement Cauris Croissance rejoindront par la suite le capital de la banque, dont l’immeuble a été inauguré en mars 2007 par le Premier ministre ivoirien d’alors, Charles Konan Banny, ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Encore un allié de poids, toujours plus près du Palais, vers lequel Yérim fait un pas de plus à travers Continental Beverage Company.
Cette usine d’eau située à Bonoua, ville natale de la première dame ÂSimone Ehivet Gbagbo, est un vieux projet jamais abouti de l’ancienne star libérienne du football George Weah. Sow achète 85 % des parts et investit 2 milliards de F CFA pour démarrer la production d’eau minérale connue sous la marque Olgane. Simone se prend d’estime pour ce jeune patron qui met en valeur sa région. Elle lui prouvera son attachement en présidant notamment la cérémonie d’ouverture. Habile. Les bases ivoiriennes sont solides, et le fils d’Aliou Sow peut développer sereinement ses autres branches dans la région. Teylium Telecom acquiert 60 % du guinéen Intercel et 70 % de T+, deuxième opérateur au Cap-Vert.
Retour à Dakar
Le jeune loup solitaire approche alors de la quarantaine et semble vouloir se rapprocher de son pays natal, surtout depuis la naissance de son fils, en 2002, fruit de son union avec une Sénégalaise. En outre, l’instabilité chronique de la Côte d’Ivoire et son environnement des affaires dégradé sont pesants. S’il vit la majeure partie du temps à Genève, ses séjours à Dakar s’allongent. Avec l’Organisation de la conférence islamique (OCI), prévue en 2008, il voit une opportunité supplémentaire de développer ses activités immobilières et touristiques (avec Teylium Properties et Chain Hotels & Resorts), encore peu étendues. Tout juste a-t-il montré son savoir-faire lors de l’édification de la tour Trilénium, construite en 2005 par l’empire familial CSE. Un premier rapprochement avec le clan Sow qui se réitère, toujours à Dakar, via la Société immobilière du Golf (immobilier résidentiel) et l’immeuble Rivonia.
Ses projets se multiplient à partir de 2007. Avec l’Agence nationale de l’OCI, dirigée par un homme de sa génération, un autre fils de président, l’actuel ministre d’État Karim Wade, il monte le projet d’un hôtel de luxe sur la corniche, le Radisson Blu. Selon un ancien cadre de l’établissement l’ayant rencontré plusieurs fois, Yérim Sow est « un homme discret, pas franchement sympathique, assez glacial et exigeant, qui intervient peu dans les affaires de l’hôtel ». Le bâtiment est aujourd’hui prolongé d’un centre commercial, Sea Plaza, le premier mall sénégalais, ouvert en juillet 2010. L’ensemble a nécessité un investissement de 50 millions d’euros, dont 17 millions en provenance de la Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale). Les banques locales, la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (BIDC) et les fonds propres de la société comblent le reste. Teylium affiche désormais ses ambitions dans l’immobilier et le tourisme de luxe?: en 2010, le portefeuille d’actifs global en cours représentait quelque 100 milliards de F CFA, répartis entre Bamako, Dakar et Abidjan.
Les ambitions de Yérim Sow sont désormais portées par une vision et des projets de long terme. De nouveau père, d’une petite fille née en 2008, il se fait aussi plus discret. Quand il rend visite à ses ouvriers, « il descend de son 4×4, en basin, serre la main de tout le monde, il est vraiment simple et modeste », rapporte un entrepreneur dakarois. Opération séduction?? Ou prudence dans un pays où il ne fait pas toujours bon s’exposer?? Toutes les rumeurs circulent à son sujet?: il serait un proche de Karim, il aurait des ambitions politiques… D’aucuns se demandent comment il a pu obtenir des terrains sur la corniche, supputant quelques largesses avec le pouvoir.
Une forteresse où se cacher
« Yérim est totalement intègre dans ses affaires, il ne veut pas rentrer dans ce système », défend un proche. De fait, aucune preuve n’a jamais été apportée, ni de sa proximité avec le pouvoir actuel, ni du recours à des pratiques peu avouables – bien que courantes. Déjà présent dans l’aviation avec deux appareils en location (un Cessna Caravane et un Embraer Legacy), il est sollicité pour entrer dans le capital de la nouvelle compagnie aérienne Sénégal Airlines, phénix de la défunte Air Sénégal International. Il ne conclura pas l’affaire. Trop risqué?? Peut-être.
Le golden boy de Côte d’Ivoire a mûri et paraît plus réfléchi. Il se sépare de certains biens encombrants, comme son appartement new-yorkais de plus de 250 m2, situé au très couru 15, Central Park West, acquis en 2008 pour 10,3 millions de dollars. Toujours sur un bon coup, le Sénégalais le revend en 2010 pour le double du prix d’achat (environ 19,3 millions de dollars). De quoi financer un autre projet, de taille, plus personnel, et dont personne ne parle?: sur la corniche, non loin de la place Soweto et du palais présidentiel, Yérim Sow achève sa villa dakaroise?: 400 m2 de métal chromé, de pierre et de marbre, un cinéma, un réfrigérateur industriel, des douves… et des gardiens qui veillent jour et nuit. Un bâtiment à la démesure d’un homme d’affaires hors normes. Ou une forteresse pour mieux se cacher.
Jeune Afrique