Vente de carburant toxique au Sénégal : Chronique d’un scandale


Rédigé le Lundi 19 Septembre 2016 à 13:06 | Lu 114 fois | 0 commentaire(s)



L’affaire du carburant toxique vendu par des négociants suisses en Afrique, notamment au Sénégal, est un scandale sur tous les plans. Alors que l’on tente de la minimiser, Libération a pris connaissance de la version anglaise du rapport accusateur de 260 pages publié par l’Ong Public Eye qui a livré des détails extrêmement précis sur les stations où les prélèvements mis en cause ont été faits.


Vente de carburant toxique au Sénégal : Chronique d’un scandale
Malgré le tollé mondial suscité par l’enquête « Dirty diesel » réalisée par l’Ong Public Eye, la Cour pénale internationale n’exclut pas d’entrer dans la danse, tout le monde semble vouloir, au Sénégal, étouffer ce scandale. A quelques exceptions près, Alioune Tine a demandé l’ouverture d’une information judiciaire, on tente de vite faire oublier cette affaire alors que la responsabilité voudrait que les autorités fassent immédiatement des prélèvements pour vérifier la véracité ou non des éléments contenus dans le rapport. Car « Public Eye » a fait un travail poussé de vérifications à la suite de prélèvements effectués au niveau des stations service. 

L’enquête aura duré trois ans et le résultat sans appel : « En Afrique de l’Ouest notamment, les négociants Vitol, Trafigura ou encore Addax & Oryx profitent de la faiblesse des standards pour vendre des carburants de mauvaise qualité et réaliser des profits au détriment de la santé de la population africaine. Les résultats des échantillons prélevés à la pompe par Public Eye dans huit pays sont choquants : les carburants analysés présentent jusqu’à 378 fois plus de soufre que la teneur autorisée en Europe. Ils contiennent d’autres substances très nocives, comme du benzène et des aromatiques polycycliques, à des niveaux également interdits par les normes européennes. » 

L’Ong révèle aussi que « les négociants suisses ne se contentent pas de vendre du diesel et de l’essence toxiques ; ils les fabriquent à dessein, en mélangeant divers produits pétroliers semi-finis à d’autres substances pétrochimiques afin de créer ce que l’industrie appelle « la qualité africaine ». Ces carburants très polluants sont principalement produits et exportés depuis la zone ARA (Amsterdam-Rotterdam-Anvers), où les négociants suisses disposent d’importantes infrastructures telles que des raffineries et des entrepôts. Les sociétés suisses produisent en Europe des carburants qui ne pourraient jamais y être vendus. Ils sont par ailleurs responsables d’une parti importante des exportations de diesel et d’essence à haute teneur en soufre entre la zone ARA et l’Afrique de l’Ouest. 

De nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, qui exportent vers l’Europe du pétrole brut d’excellente qualité, reçoivent ainsi en retour des carburants toxiques. » Pourquoi Total n’est pas dans le lot. La version anglaise du rapport, étalée sur 260 pages, cite nommément les stations où les prélèvements ont été effectués avec un tableau détaillé des résultats obtenus. Pour Vivo Energy (Shell) par exemple, il est indiqué que les prélèvements ont été effectués à la station sise à l’Avenue Pasteur le 7 novembre 2012 mais aussi à la station de Pikine. C’était le 15 juillet 2013, comme l’indique le document consulté par Libération. C’est dire… En lieu et place d’une réaction sérieuse, certains parmi les pétroliers ont tenté de faire croire que c’est Total qui se cacherait derrière cette offensive puisque le groupe français ne figure pas dans le rapport. C’est une légende pour la bonne et simple raison que Public Eye, basée à Lausanne, s’intéresse particulièrement à l’impact des sociétés suisses sur les pays pauvres. C’est la raison pour laquelle, l’Ong qui regroupe 250 000 membres, a concentré ses recherches sur les négociants suisses à savoir Trafigura, Oryx, Vitol… Anciennement appelée « La Déclaration de Berne », cette organisation a été fondée en 1968 et tel qu’écrit sur son siteweb : « Depuis près de cinquante ans, Public Eye porte un regard critique sur l’impact de la Suisse et de ses entreprises sur les pays pauvres. Elle lutte contre les injustices trouvant leur origine en Suisse et demande le respect des droits humains partout dans le monde. Association indépendante, Public Eye agit ici pour un monde plus juste. Alors que les populations vulnérables des pays pauvres sont contraintes d’accepter des conditions de travail indignes, subissent les conséquences de la dégradation de l’environnement, vivent en dessous du seuil de pauvreté, souffrent de malnutrition et sont victimes de violations des droits humains, la Suisse bénéficie d’une prospérité grandissante. Elle joue un rôle de premier plan dans de nombreux secteurs économiques sensibles cristallisant les dérives d’une globalisation poussée à l’extrême. Par son importance économique et financière, l’influence de ses multinationales et ses habitudes de consommation, la Suisse participe au maintien des inégalités. » 

Trafigura, un scandale sans fin Si Public Eye a fait ce travail de recherche, c’est surtout à cause de l’affaire Probo Koala qui avait fait plusieurs morts en Côte d’Ivoire. Or, dix ans après ce drame, Trafigura, qui est au cœur du scandale, n’a pas révélé la nature des déchets toxiques déversés à Abidjan (Côte d’Ivoire). Amnesty International a d’ailleurs produit un rapport, au mois d’août passé, pour s’en indigner. « Dix années se sont écoulées depuis cette catastrophe environnementale qui est l’une des pires que le monde ait connues depuis le début du 21e siècle, et Trafigura de même que les gouvernements ont abandonné les victimes. Trafigura a cherché à redorer son image, affirmant qu’elle est une entreprise transparente et responsable. Ce géant du négoce, qui a engrangé 1,1 milliard de dollars de bénéfice en 2015, ne doit pas être autorisé à se laver totalement les mains de cette catastrophe », déclarait Lucy Graham, chargée de recherches dans l’équipe Responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International. « Trafigura n’a jamais réellement été amenée à rendre des comptes pour son rôle dans ce déversement. Si des déchets toxiques étaient déversés dans le centre de Londres, le responsable aurait très justement à payer le prix fort. Mais dans cette affaire, les dirigeants de Trafigura, dans un bureau à Londres, ont autorisé le déversement de déchets toxiques, sans que soient prises les précautions nécessaires, dans la plus grande capitale de l'Afrique de l'Ouest », ajoutait Amnesty. 

En 2012, « dans un rapport qu’elles ont publié conjointement, Amnesty International et Greenpeace ont exposé des informations montrant que le refus de Trafigura de révéler le contenu des déchets toxiques a entravé la décontamination des sites et empêché les victimes de recevoir des soins médicaux adéquats. Quand Amnesty International a écrit à Trafigura en juin pour lui demander de profiter de l’occasion du 10e anniversaire de cette catastrophe pour dévoiler enfin le contenu des déchets, l’entreprise lui a répondu : « Nous n’avons rien d’autre à ajouter par rapport à ce que nous avons déjà dit [à Amnesty International en août 2012] et nous ne voyons aucun intérêt à poursuivre cette discussion. » Amnesty d’ajouter : « Trafigura cherche à redorer son image en se présentant comme le numéro un des entreprises responsables dans le secteur du négoce de marchandises. Trafigura a été la première entreprise de négoce de marchandises à rejoindre l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives en 2014, une initiative qui, selon son dirigeant, reflète son « engagement en faveur de la transparence et du respect de l’obligation de rendre des comptes ». Elle a récemment tenu à Genève un Forum multipartite sur la promotion du commerce responsable. « Trafigur a fait preuve d’hypocrisie en mettant en 
avant une transparence de façade alors que les victimes de la catastrophe de 2006 continuent de craindre pour leur santé à cause de son opacité. Si Trafigura était réellement une entreprise transparente et responsable, elle rendrait publiques toutes les informations concernant les déchets toxiques déversés à Abidjan et leurs effets possibles sur les personnes qui vivent dans ce secteur. Pourquoi Trafigura continue- t-elle d’entraver la prise en charge médicale des habitants d’Abidjan si elle n’a rien à cacher ? », signale Lucy Graham. « Au cours des 10 années écoulées, aucun gouvernement n’a forcé Trafigura à dévoiler la nature exacte des déchets toxiques, ni mené une enquête exhaustive sur le rôle joué par Trafigura dans ce déversement, laissant ainsi les victimes mener des actions judiciaires, toujours en cours, devant des juridictions civiles en Côte d’Ivoire et aux Pays-Bas », s’indigne-t-on avant de révéler : « En août 2015, Amnesty International a braqué les projecteurs sur le fait que le gouvernement britannique s’est abstenu d’enquêter sur le rôle joué par Trafigura dans le déversement des déchets toxiques. 

Amnesty a présenté des éléments prouvant que des employés de Trafigura au Royaume-Uni pourraient avoir organisé intentionnellement le déversement à Abidjan. Les autorités britanniques ont dit à Amnesty International qu’elles ne disposaient pas de la force de frappe juridique ni des ressources et des connaissances nécessaires pour affronter ce géant. Amnesty International estime que le Royaume-Uni devrait adopter une nouvelle loi, similaire à la Loi anti-corruption britannique, réprimant pénalement les entreprises basées au Royaume-Uni qui commettent à l’étranger de graves atteintes aux droits humains, à moins qu’il ne démontre qu’il dispose de mécanismes permettant d’empêcher de tels actes. » L’organisme de rappeler que, « pendant plusieurs mois en 2006, le navire vraquier Probo Koala a navigué en Europe puis en Afrique de l’Ouest pour trouver un pays où il pourrait décharger des déchets toxiques. Trafigura a produit les déchets transportés par ce navire en utilisant de la soude caustique pour raffiner un produit pétrolier extrêmement sulfureux appelé naphta de cokéfaction. » 

Libération


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