Il a les yeux plissés par sa réussite. Sourakhata Tirera croule sur un chiffre d’affaires de 34 milliards de F Cfa construit en Chine. Il a 38 ans. Mais, il en paraît 50 cintrés dans une chemise blanche et un costume tendance. Voix caverneuse. Engagée. Et séduit par l’Empire du milieu qui l’a porté dans une autre dimension: «Je suis reconnaissant de la Chine. Ce sont des compatriotes.» L’appel de la réussite vient de loin. Il est né à Bokidiawé, dans la région de Matam où les succès se construisent à coûts d’audace sous le ciel embué par la poussière jaune du désert qui guide leurs étoiles.
En Chine, il a réussi à se faire un nom dans une ville perdue au milieu de nulle part. Yiwu…, située à 160 km des côtes, attire les commerçants du monde entier pour leurs achats en gros. Elle abrite un quartier des foulards, un marché des sacs en plastique, une avenue dont chaque magasin vend des élastiques, Binwang Zipper Professional Street, la rue de fermetures Éclair. Le centre commercial China Yiwu International Trade City regroupe plus de 30 mille boutiques et les transactions conclues dans ces échoppes influent sur le prix de vente des objets aux quatre coins du monde. Son slogan est mondialement connu : «Un océan de marchandises, un paradis pour les consommateurs».
Il a trouvé dans ce coin son paradis. Il a implanté deux entreprises spécialisées en Logistiques et dans l’export de compteurs et de coffre. Le business prospère à une vitesse exponentielle. Il dit: «Je me suis implanté assez rapidement. J’exporte dans plusieurs pays africains. J’ai réussi à avoir un bon carnet d’adresses.»
Au départ, il n’était jamais question de s’implanter dans l’Empire du milieu. Commerçant et importateur, il faisait la navette entre Dakar et Yiwu pour renforcer ses affaires. Subjugué par la Chine, il décide de rester trois mois pour observer le modèle chinois. Et une relation d’amour se noue : Il apprend l’anglais et le mandarin «langue du futur». Il explique : «Je n’étais jamais venu pour rester. Et les gens me sollicitaient pour que je leur trouve des contacts et je le faisais. Et je le faisais si bien que je multipliais les contacts.» Il sent les affaires et décide de rester à Yiwu. «Et pour me formaliser, j’ai décidé de mettre en place mes entreprises. Et le choix est plus que providentiel», sourit-il.
Aujourd’hui, Sourakhata Tirera est heureux comme un môme. Dans sa vie, il n’a pas eu le temps de louvoyer entre le dur et le mou ou de glisser sous les roues. Ou d’ahaner dans la fournaise. Il pèse 34 milliards de chiffre d’affaires. «La Chine est la première puissance économique mondiale construite dans la discipline. On peut parler de rêve américain. Mais, la Chine permet de réaliser ses rêves. Moi, j’en ai accomplis parce que ce n’est pas un pays difficile. Il faut comprendre la langue et intégrer la société chinoise qui est très ouverte», dit-il. Presque confus.
Dans la ville commerciale de Yiwu, le gamin de Bokidiawé est hélé dans les rues. Il est Vice-président du Bureau de médiation chargé d’arbitrer les conflits entre les Chinois et les étrangers dans un bureau composé de neuf étrangers. Même s’il est dirigé par un Chinois. Il est recruté alors qu’il était en compétition avec des Singapouriens, des Soudanais et des Egyptiens. Il passe haut la main. Le job est exaltant : «Notre travail consiste à arbitrer les différends entre les nationaux et les étrangers. S’il y a des cas d’escroquerie, d’abus de confiance, le bureau de médiation intervient pour arrondir les angles et éviter des contentieux judiciaires.» A Yiwu où vivent plus 13 mille étrangers dont une cinquantaine de Sénégalais, le travail auquel il est astreint est soutenu. Mais, il est ravi par ce job : «Oui ! Vous savez pourquoi ? Parce que le drapeau de mon pays flotte sur le toit de l’immeuble qui abrite notre service. Notre ambassadeur est venu me féliciter et toute la communauté sénégalaise est heureuse de cette consécration.» Ce n’est pas de la condescendance. Encore moins une vantardise. «Pas du tout ! Je partage ce que j’ai vécu en disant que rien n’est impossible dans la vie.» Récemment, la Cc Tv, Télévision publique chinoise, a fait une édition spéciale sur cette «réussite» pour susciter la multiplication de cet exemple dans d’autres provinces.
Aujourd’hui, il vient changer les idées reçues sur les Chinois au Sénégal. Dans l’imaginaire sénégalais, les produits importés dans ce pays renvoient à la pacotille. Le représentant de la Société nationale d’électricité de la Chine au Sénégal essaie de gommer cette «fausse réputation». «Au Sénégal, on peut tirer tellement profit de la présence chinoise. On n’a pas mis en place des mesures incitatives pour leur permettre de prendre des risques en investissant massivement dans plusieurs secteurs. En attendant, ils se contentent de faire du commerce et rapatrier leurs devises. Je parle en connaissance de cause.» Marié et père de quatre enfants, il n’a pas renoncé à son pays. «Je sens qu’on peut faire des affaires ici. C’est mon pays. Par exemple, mes enfants reviennent chaque année ici pour passer leurs vacances. Donc, le Sénégal reste au cœur de mes priorités. Et des investisseurs chinois veulent parier sur notre pays», avance-t-il.
La vie de cet homme est un conte de… faits. Après avoir obtenu son Bac, il ne rêve pas d’études supérieures. Il part au Gabon après la bénédiction de son Papa connu dans la région de Matam comme un commerçant assez fortuné. C’était en 1995. «Il m’a donné les moyens pour que je rejoigne mon grand-frère. Par la grâce de Dieu, les affaires ont marché et nous avons ouvert des magasins au Congo», se souvient-il. Et il frétille de bonheur : «Ensuite, nous avons décidé de revenir au Sénégal pour mettre en place une quincaillerie et faire de l’export. C’est après que j’ai commencé à partir en Chine pour rentabiliser nos affaires.» Depuis 10 ans, l’étoile brille au milieu de l’Empire.
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