Maréma Fall, victorieuse de l’édition 2014 du prix Musiques d’Afrique de RFI, va à l’assaut d’un nouveau monde qui lui tend les bras. La jeune artiste sénégalaise s’émancipe des tendances jusque-là incarnées dans le paysage musical sénégalais. Elle se réclame africaine imbue de valeurs. De ce goût de la scène, elle s’est encore forgé une fière identité… à la suite d’un parcours jamais conté. Entretien.
«Il y a une façon de faire du mbalax autre que faire du tintamarre»
Times24.info : Maréma Fall, contez-nous votre parcours ?
Maréma Fall : D’abord, mon nom d’artiste est Maréma. Je suis une jeune musicienne sénégalaise. Une carrière que j’ai sentie très tôt. Car j’ai commencé à chantonner à bas âge. Il faut dire que sans s’en rendre compte, ma mère m’a influencée ; elle était fan de Chrissy German et je me souviens, déjà toute petite, je devais m’habituer à entendre ces airs à la maison. C’est ainsi que j’ai commencé à prendre goût à la musique acoustique, d’abord de façon inconsciente, et tout est parti de là .
Times24.info : Votre mère chantait-elle ?
M.F : Non ! Elle n’a jamais chanté. Par contre, elle est restée mélomane.
L’artiste Maréma est-elle vraiment sénégalaise ?
M.F : Parfaitement. Je suis née à Dakar. J’y ai fait mes études. Précisément au lycée Kennedy où j’ai pratiquement arrêté le cursus, car à ce stade, je devais valser entre les cours et le studio. J’ai commencé par des reprises de jazz-soul. Et puis on me sollicitait déjà pour des chœurs. Par la suite, j’ai eu la chance de travailler avec pas mal d’artistes, notamment Idrissa Diop, Didier Awadi (rappeur), Yoro Ndiaye et Adiouza(des musiciens sénégalais). J’ai aussi collaboré avec Titi, Viviane de même que Waly Seck pour qui j’ai fait les chœurs dans son dernier album.
Dans le même sillage, j’assurais également, pour eux tous, la première partie de leurs soirées au Just 4 U. Et c’est ainsi que l’aventure a véritablement débuté pour moi.
Times24.info : Ensuite, tu as décidé de mener une carrière solo…
M.F : Oui, la carrière solo est venue au cours de ces expériences. Un jour, pendant que je jouais avec Idrissa Diop, j’ai fait la rencontre de Mao Etaïc. Je ne le connaissais même pas. Vivement séduit par ma voix, il m’a interpellée et m’a, tout de suite, demandé si j’étais intéressée à l’idée de faire un album. Je lui ai dit que je n’étais prête. Toutefois, on a gardé le contact.
Plus tard, une amie m’a informée que le monsieur en question a eu à travailler avec Salif Keïta, Stevie Wonder, entre autres. J’avais d’abord tiqué en entendant ces grandes stars de la musique planétaire et c’est par la suite que je l’ai contacté. Ainsi, on a commencé à travailler ensemble pour ma carrière solo.
Times24.info : Vous avez été le grand vainqueur du prix Musique d’Afrique de RFI. A votre avis, qu’est-ce qui a attiré l’attention du jury ?
M.F : Il faut rappeler, d’abord, que j’ai failli ne pas participer à ce concours. Car il fallait avoir déjà sorti un album pour être dans la course. Pour ma part, je n’avais encore à mon actif que le single Femme d’affaires. J’ai tout de même évoqué le cas et j’ai été informée que je pouvais concourir. Alors j’ai déposé ma candidature parmi un millier de prétendants au prix, répartis dans tous les pays d’Afrique. Au final, nous n’avons été que dix parmi lesquels il fallait choisir qu’un seul.
C’est ainsi que j’ai été désignée vainqueur.
Times24.info : Est-ce Awadi qui vous a poussée à participer à ce concours ?
M.F : Ce n’est pas Awadi, mais plutôt mon manager. Je vous informe que je travaille avec une structure de management qui m’a poussée à participer au concours, mais c’est surtout avec l’appui de Mao Etaïc. Ce dernier a voulu qu’on aille sur cette tribune de RFI.
Times24.info : Quels ont été vos sentiments à la suite de ce prix ?
M.F : J’ai été contente (Rires) ! Et je me suis dit, dès lors, qu’il s’agit d’une bonne opportunité, que le prix RFI me permet d’avoir une bonne visibilité en tant que jeune artiste.
Times24.info : Visibilité en matière de propositions vous voulez dire ?
M.F : Exactement ! D’autant plus que nous préparons une tournée continentale en Afrique, dans les Alliances Françaises, de l’Afrique du Nord en Afrique du Sud, en passant par le Mozambique, entre autres pays. Ce sera un gros événement sur deux mois, mars et avril.
M.F : Par ailleurs, je me réjouis déjà que le single passe un peu partout, en particulier sur certaines chaînes françaises très suivies. Et puis, ce n’est pas le seul prix que j’ai remporté.
Times24.info : Nous avons également eu écho de votre participation à un concours de musique au Nigeria.
M.F : Effectivement, il s’agit de Music Awards qui se passe au Nigeria. J’ai été choisie avec un autre musicien sénégalais, qui évolue en Finlande, pour représenter le Sénégal. Nous ne sommes que cinq filles, sur toute l’Afrique, à être nominées. Mais l’événement a été reporté je ne sais pour quelle raison. Là nous attendons qu’on nous fasse signe.
Entre-temps, j’ai aussi remporté le prix Bémol du SIMA (Salon international de la musique africaine).
Times24.info : Quel style de musique faites-vous ?
M.F : Quand on me pose cette question, je préfère répondre que je fais juste de la bonne musique. Je ne veux pas entrer dans ces considérations de style de musique, car je ne voudrais pas justement entendre dire que Maréma fait tel ou tel autre style de musique. En réalité, je fais de la world-music.
Times24.info : Et c’est quoi une bonne musique ?
M.F : (Rires) C’est la musique que je fais ! (Elle repart d’un grand rire). Pour moi, c’est une musique agréable à écouter, la musique qui nous fait danser aussi.
Times24.info : Vous jouez du mbalax (style musical le plus célèbre au Sénégal) ?
M.F : Non, pas encore. Et ce n’est pas un non définitif ; j’ai juste dit pas encore.
Times24.info : A votre avis, comment se porte la musique sénégalaise ?
M.F : Si vous parlez du mbalax, car le plus souvent, quand j’attends parler de musique sénégalaise, c’est pour faire allusion à ce seul style de musique, alors qu’il y a d’autres. Justement, je trouve que ce mbalaxsénégalais n’est pas mal, c’est une musique qu’on a tous chantonnée et qui nous a fait aussi danser. C’est une musique qu’on ne peut pas renier. Toutefois, je pense qu’il y a une façon de faire du mbalax qui ne correspond pas forcément à du tintamarre. Je prends l’exemple de Youssou Ndour à qui cette forme de musique a permis de beaucoup tourner à l’époque. Il faut noter qu’il l’a fait, jusque-là , de manière différente.
Ainsi, je pense qu’il faut revoir les choses. Une jeune génération de musiciens talentueux est là . Il faut leur tendre la perche. Enfin, il n’y a pas que le mbalax, il y a d’autres sonorités qu’on peut exploiter, notamment avec la diversité ethnique et culturelle.
Times24.info : A quand la sortie de votre album ?
M.F : On est presque. On l’avait prévu ce mois de mars avant qu’on aille en tournée. Aussi, on est en train de voir encore si ce sera le cas.
Times24.info : Il sera composé de combien de titres ?
M.F : Ce sera un album de 12 titres qui aborde du social living. C’est-à -dire les problèmes de société. Cela peut être le mien, le vôtre ou de quelqu’un d’autre. En tout, on sera dans les faits sociaux.
Times24.info : Vous avez tantôt évoqué la musique de Youssou Ndour ; l’avez-vous déjà rencontré pour une éventuelle collaboration ?
M.F : Nous avons juste eu l’occasion de nous voir une fois. C’était lors d’un événement. Il m’a félicitée et a dit qu’on devrait se voir. Pas plus ! Mais on ne s’est pas encore revu.
Times24.info : Vous pensez donc à une collaboration avec Youssou Ndour ?
M.F : On ne sait jamais…
Times24.info : Au-delà de Youssou Ndour, vous avez une idée d’autres artistes avec qui collaborer ?
M.F : Je collabore déjà avec des gens du milieu. Mon manager s’appelle Julie Poncelet, elle a un représentant ici du nom de Samba Diaité. Au-delà de cette équipe, il y a Mao Etaïc qui m’aide beaucoup, je l’avoue. C’est d’abord et avant tout un musicien qui a une grande expérience et a travaillé avec de grosses pointures, entre autres, Alpha Blondy, Salif Keïta et Stevie Wonder.
Times24.info : Peut-on dire de votre musique qu’elle est africaine, si l’on sait que vous faites une pluralité dans le genre en plus de mettre en avant votre voix ?
M.F : En effet, ma vision est de représenter le Sénégal, également l’Afrique partout dans le monde.
Times24.info : Et votre style de coiffure reflète-t-il quelque chose ?
M.F : Cette coiffure a été celle de nos linguères (appellation donnée aux épouses des rois dans le Sénégal colonial). Je l’ai juste modernisée un peu (Rires).
Times24.info : Vous arrive-t-il de vous comparer à Coumba Gawlo (musicienne sénégalaise, double Disque d’Or) ?
M.F : Oui au début, il y a des gens qui faisaient cette comparaison. Et j’aime bien suivre son esprit, pourquoi pas. C’est une femme battante. Elle n’est pas seulement une artiste, elle est encore une intellectuelle. Coumba Gawlo, je peux la prendre comme idole, car en plus de la musique, je pense qu’elle a beaucoup de choses à faire valoir.
Times24.info : Et quel autre artiste appréciez-vous ?
M.F : Ils sont nombreux. J’apprécie beaucoup Ismaël Lô, Baba Maal…
Times24.info : Quelles sont vos relations avec eux ?
M.F : De très bonnes relations ! Quand on se rencontre, ils me félicitent tous et surtout m’encouragent. Je les apprécie vraiment tous.
Times24.info : Si vous faites ce style de musique bien différent, comment avez-vous réussi à faire un parcours par exemple avec Waly Seck ?
M.F : Avec les chœurs. Je le faisais bien. C’est ce que j’ai vraiment connu avant d’adopter mon propre style.Tout le monde sait que Waly Seck fait du mbalax de même que Viviane, Adiouza, etc.
Times24.info : Etes-vous prête à repartir avec eux ?
M.F : Bien sûr ! Pourquoi pas ? Et j’aime bien aussi ce que fait Pape Diouf, je l’adore.
Times24.info : Et que vous inspire la censure de la danse du «couper-décaler» (célèbre danse ivoirienne) en République démocratique du Congo ?
M.F : Je pense que les autorités congolaises pouvaient le faire d’une autre manière, même si elles peuvent avoir raison de soutenir que cette danse est vulgaire. Ce sont peut-être les clips qui sont vulgaires, mais cela n’a rien avoir avec la musique. Chacun a son style de musique. Elles pouvaient s’y prendre autrement. Je pense vraiment que ce n’est pas bien. D’autant plus que les Ivoiriens, aussi, commencent à critiquer et censurer d’autres danses congolaises. Une manière de renvoyer la balle. Et personne ne sait ce qui pourrait advenir. En réalité, cette situation est dangereuse.
Times24.info : Peut-on donc comparer le «couper-décaler» au «leumbeul» sénégalais (forme de danse adoptée au Sénégal) ?
M.F : (Rires) On peut bien écouter, mais c’est peut-être la manière de danser qui est vulgaire. Par conséquent, c’est ce côté-là qu’on censure, le fait par exemple qu’on montre quelques parties intimes de son corps, mais pas la musique.
Times24.info : Donc en tant qu’artiste, on ne vous verra jamais faire de la danse à l’image de Beyonce ou encore Rihanna, etc. ?
M.F : On ne sait jamais. Je préfère éviter de dire que je ferai ou ne ferai pas ceci ou cela. Ma vision en tant qu’artiste est de représenter l’Afrique.
Times24.info : Mais puisque vous critiquez vous-mêmes certaines danses, vous ne pensez peut-être pas, un jour, incarner les types d’images de Rihanna ou de Beyonce sur scène ?
M.F : Avec slip et autres ! Non ! Ça par contre, je ne le ferai pas (Elle part d’un éclat de rire). Non ! Je n’y pense vraiment pas.
Times24.info : Même avec de plus larges perspectives artistiques ?
M.F : Never (Jamais) ! Ecoutez, vous avez bien dit avec un slip, peut-être à la limite je porterai un short mais jamais un slip sur scène !
Times24.info : Et les pieds nus sur scène ? Est-ce une marque de fabrique à l’image de Cesaria Evora (célèbre chanteuse capverdienne) ?
M.F : Non pas tout à fait ! En réalité, cela n’a rien à voir avec Cesaria Evora. C’est juste que je l’ai essayé un jour au studio pendant que j’étais mal à l’aise avec mes chaussures. Et puis, je me suis rendu compte que j’étais plus légère avec ma guitare.
Times24.info : Le mot de la fin ?
M.F : Rappeler que j’ai sorti un deuxième single qui s’appelle My Friend et qui parle de l’amitié. Ce sera déjà deux clips à mon compte. Je vous donne ainsi rendez-vous pour bientôt.
Entretien réalisé parTimes24.info / Photos Ame Fall