Xuman, que faîtes-vous présentement ?
Je ne sais pas si on peut considérer cela comme de la musique, mais je suis sur la préparation de la prochaine saison du Journal rappé qui doit normalement commencer à partir du mois prochain. Pour l’instant, on est dessus à part ça, il y a des sorties de single avec comme objectif un son tous les mois, notamment le dernier Det ak det, Bombass et ceux des jeunes artistes que je produis comme Krumah, No Face et Mia afin de les mettre au-devant de la scène.
D’où est venue l’idée du Journal rappé ?
Le Journal rappé est né d’une «nécessité». Je me suis rendu compte à un moment donné que l’information n’allait pas forcément aux bonnes personnes et à temps réel. Il y a beaucoup d’informations voire même trop d’informations. Beaucoup de jeunes fans du hip-hop s’informent sur internet sur les dernières nouveautés musicales, les derniers pas de danse, entre autres. Il y en a très peu qui prennent la peine de se renseigner sur leur quotidien, que ça soit économique, social, éducatif… Le Journal rappé était donc une manière de joindre l’utile à l’agréable, l’éducatif au divertissement. C’est du divertissement informatif. Beaucoup de clips passaient à la télé, sur Youtube, mais il y en avait très peu qui parlaient d’actualité, de nos problèmes. Les journalistes font un métier très noble, mais il fallait trouver une manière différente d’informer les gens, surtout les jeunes qui aiment beaucoup la musique et qui ont une autre manière de communiquer. Il y a aussi qu’au Sénégal, tout le monde écoute la revue de presse sans prendre la peine de lire l’article en entier. Pourtant, le contenu de l’article peut différer de ce que l’on présente au sommaire. Je ne dirai pas que c’est de la mauvaise information, mais elle est biaisée dans la mesure où au gré des affinités que l’on peut nouer et des accointances qui se forment, on peut servir une information soit pro soit anti-gouvernementale. C’est selon le groupe de presse auquel on appartient. Il nous fallait donc trouver un moyen d’informer juste.
Aujourd’hui, ce Journal rappé est présenté dans d’autres pays africains et même asiatiques. Comment êtes-vous parvenu à l’internationaliser ?
C’était un transfert de compétences. On a trouvé des partenaires. On est parti en Côte d’Ivoire. J’avais quelques contacts sur place. On devait trouver une personne-ressource qui serait capable de faire le travail que nous faisions, de former une équipe qui allait relayer l’information. On a fait recours à Nash. Par la suite, on leur a fait une formation d’une semaine. On leur a pas appris à rapper. Le reste, ils le savaient déjà . Comment faire du mixage, l’enregistrement, le montage final. A leur tour, ils faisaient un journal adapté à leurs réalités culturelles et musicales, passaient l’information à leur manière. Ensuite, on a été contacté par la Mauritanie. Cependant, bien avant eux, d’autres pays ont repris le concept du Journal rappé comme la Jamaïque, l’Ouganda, le Vietnam, le Madagascar : tous intéressés par le petit secret de fabrication. Je pars du principe que tout ce qui se dit peut être rappé. Prenons l’exemple du Gabon, Aly Bongo lors de sa dernière campagne présidentielle a rappé son discours de campagne parce qu’il voulait toucher une cible différente. Aujourd’hui, une information n’appartient plus à un corps limité, il y a des bloggeurs, des statuts sur Facebook, autant de façons de donner son point de vue, car on est dans un monde où la connectivité, l’interactivité agissent à 100%. C’est dans cet environnement qu’est né le Journal rappé et c’est la raison pour laquelle on est dans beaucoup de pays.
De manière générale, quelle lecture faites-vous de la situation actuelle du pays ?
Malheureusement, on n’est pas encore sorti de l’auberge. Il y avait la trêve, mais je vois dernièrement que la politique règne en maître dans ce pays. La politique politicienne bien sûr. Quand on regarde les débats, les discours et en plus la violence inouïe, on se demande à quoi tout cela rime ? On n’est pas dans une campagne présidentielle. Aucun ministre, député, maire ni président ne sera élu, mais on a l’impression que tout le monde sort son arsenal de guerre pour prêcher la bonne ou fausse parole. Cela devient de plus en plus, j’ai envie de dire «ridicule». Face à la conjoncture actuelle (Ndlr : cherté de la vie, choses qui marchent au ralenti), j’ai l’impression qu’on les nargue. On n’a pas rompu avec les vieilles habitudes, les personnes ont changé, mais les régimes sont les mêmes.
Vous avez récemment sorti un single Det ak det (Non et non). D’où vous est venue l’idée ?
L’historique du morceau est une chanson de Krumah Waw ak det, qui verse plus dans la généralité et on en a fait une version remix axée sur la politique pour les besoins du référendum.
Quel rôle attribuez-vous à votre single ?
Depuis le début de ma carrière, je me suis efforcé à être toujours du côté du Peuple. Je ne fais pas que ce qui me passionne, j’essaye au-delà d’être une voix assez représentative de mon entourage. Aujourd’hui, si je constate que le mécontentement des gens qui m’entourent atteint un certain niveau, j’essaye de le traduire. Parfois, c’est juste un coup de gueule, un constat, une chronique, de la parodie. Quand Diouf était au pouvoir, on avait fait un single qui parlait des magouilles politiciennes. A l’ère de Wade, il y a eu des singles, notamment Lettre au président, li loumou done et cette fois-ci, il y a Det ak Det. Ce dernier est à la fois un appel au référendum. Aller voter, s’ériger contre le wax waxati waxeet (se dédire) et aussi une chronique ou un tableau de son mandat. Ce single a pour but de rappeler qu’on a voté pour des valeurs. On doit avoir un Président vertueux, qui respecte sa parole et ses promesses. Ce son, c’est pour dire qu’on n’est pas d’accord avec quelqu’un qui fait des promesses et qui trouve des subterfuges. Det ak det éclaire les Sénégalais qui voient une campagne sans pour autant savoir le pourquoi de l’adhésion au Oui ou Non. C’est pour dire aux gens qu’on est des Sénégalais, au lendemain du vote le pays nous reviendra. Autant faire attention. Evitons de faire ou de dire des choses irréparables en période préélectorale. On a l’impression d’une guerre au vu de ce qui se passe à la télé, dans les débats, dans la rue, chez les manifestants alors que les politiciens qui s’entredéchirent aujourd’hui partageront demain le même repas. La population, ne vous faites pas manipuler ! Le politicien n’a pas le même intérêt que nous. L’opposant tiendra le même discours à l’accession du pouvoir que celui qui le détient actuellement.
Quand vous dites dafa am piège dans Det ak det, vous faites allusion à quoi ?
Il y en a plein. Et l’un des principaux c’est que les gens pensent que si Macky perd le référendum, il va démissionner. Alors que tel n’est pas le cas. Que le Oui l’emporte ou pas, il va rester 7 ans et la prochaine personne élue peut ou ne pas changer la Constitution. Les Sénégalais n’ont pas encore perçu toute la portée de ce référendum. On dit que l’objet du référendum est de renforcer la démocratie, mais je suis désolé, cette démocratie est bafouée. Aujourd’hui, quand j’ai envie de faire une marche et qu’on me l’interdise sous prétexte qu’il n’y a pas assez de forces de sécurité pour encadrer la marche alors qu’il y en a assez pour la disperser, moi je ne comprends pas cela. Quand je regarde la Rts, 80% des programmes nous parlent de l’Apr ou des voyages du Président alors que l’opposition est très mal représentée à la télévision nationale. Ce sont des actes à revoir. L’exemple du point 4 (La reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens : droit à un environnement sain, sur leur patrimoine foncier et leur ressources naturelles, Ndlr) sont des choses qui existent déjà .
Dans la Constitution, le respect des droits de l’Homme est fondamental alors que ma chanson est utilisée de par des politiciens qui ne payent pas les droits d’auteur qui sont fondamentaux. Cet exemple est à titre personnel, car c’est mon droit à moi, mon travail, mon œuvre et personne n’y pense. Après la campagne, ce sera aux oubliettes. Il y a énormément de choses dans la Constitution qu’on ne respecte pas. Alors, pourquoi la renforcer ?
Dans Det ak det toujours, vous parlez d’opposants qui croupissent à Rebeuss et d’autre part des transhumants qui sont libres. Vous faites allusion à qui ?
Il y en a plein. Je peux vous sortir une liste. Oumar Sarr qui est sorti il n’y a pas longtemps, Karim Wade, tout le directoire du Pds qui est en prison [rires]. Les transhumants sont au pouvoir et les opposants en prison, disons un Karim qui est toujours en prison alors que Awa Ndiaye est en liberté. Et beaucoup d’autres, tous les transhumants absous de tous les péchés. Tous les dossiers qui ont été déposés par M. Macky Sall lui-même par rapport à ses biens, on ne sait pas ce qui s’est passé. Aussi les chantiers de Thiès, autant de sujets auxquels on n’a pas donné suite. Que cela soit Niasse, Djibo etc. ils ont tous des affaires plus ou moins louches avec la justice, mais ils sont dans le pouvoir ; donc on n’en parle pas. C’est un ensemble de personnes [rires].
Le référendum est prévu ce dimanche. Selon vous, entre le «Oui» et le «Non», qui sera vainqueur ?
J’aimerais que le «Non» l’emporte. Mais étant réaliste et avec tous les moyens qui ont été déployés par le parti au pouvoir pour battre campagne, je pense qu’il sera très difficile que le «Non» l’emporte. Maintenant, à quel pourcentage le «Oui» va l’emporter est important, car comme je le dis dans le son, ce n’est pas juste un référendum. C’est un sondage. Il cherche son degré de popularité et s’il est vraiment populaire, il va gagner avec un pourcentage écrasant. Et même s’il gagne avec un pourcentage limite, je pense que ça peut lui donner un message et cela voudra dire que d’ici la fin de son mandat, il faut qu’il réagisse, qu’il réajuste, se rectifie.
Xuman est un rappeur très engagé. Qu’est-ce qui motive votre engagement ?
J’ai baigné dans une musique de contestation qui est le reggae. Et depuis tout jeune, j’écoute Alpha Blondy, Bob Marley et Cie. Pour moi, je devais être la voix. Les personnes qui sont au-devant de la scène ont un devoir : celui de pouvoir servir à quelque chose. Il peut être juste chanteur, éveilleur de conscience, collecter des fonds pour les œuvres caritatives et c’est à lui d’honorer l’obligation qu’il a envers son public ou de le trahir. C’est comme ça que je le considère. Aujourd’hui, si jetais millionnaire aussi, peut-être que j’allais combattre d’une autre manière. Donc si le micro est le seul moyen que j’aie de me faire entendre, donc il faut faire passer des messages à travers le rap. Je dis aux gens d’aller voter. Et personnellement, je voterai «Non» pour la bonne et simple raison que je ne crois pas à ceci et cela. Maintenant si vous qui m’écoutiez, cela vous incite à voter «Non», tant mieux. A défaut, l’essentiel c’est d’aller voter. Exprimer sa voix est un devoir citoyen et pouvoir changer les choses avec sa carte est formidable. Il ne faut pas s’en priver. Quand des gens se déplacent pour mes concerts, achètent des albums, en retour je sens une obligation envers eux. Quand j’ai sorti le morceau, les réactions que j’ai eues ne sont pas toutes positives, mais au moins cela fait réagir. Et comme on dit souvent la démocratie c’est être d’accord ou ne pas l’être ; donc je respecte le choix de ceux qui ne sont pas du même avis que moi.
Au plan personnel, votre engagement vous attire-t-il parfois des ennuis ?
Oui bien sûr. Ça m’attire des problèmes. A cause de cet engagement, certaines portes nous sont fermées. Il y a des sponsors qui ont peur. D’autres ont peur de nous inviter à leurs manifestations. C’est normal. Je préfère d’ailleurs aller dans des endroits où je suis apprécié et où je peux mieux m’exprimer. C’est pareil avec le Journal rappé. C’est le même ton. Aucun sponsor n’est venu nous voir. Ils nous ont carrément fait savoir qu’ils ne peuvent pas. Cela veut dire qu’on «dérange». Mais le but du jeu ce n’est pas de plaire à tout le monde. Si on le voulait, on aurait fait de la musique qui plaît à tout le monde. On aurait chanté Faxass. Des morceaux qui auraient pu faire danser les gens. Il y a des musiques qui sont vides de sens, qui ne servent pas, qui n’ont pas de message. Cela est normal. Certaines musiques sont juste faites pour danser, d’autres pour réfléchir et d’autres encore pour déranger.
Xuman est si engagé qu’on se demande s’il ne fait pas une politique déguisée pour l’opposition. Est-ce le cas ?
Je ne sais pas. C’est vrai que je ne me suis jamais vraiment posé la question. Mais aujourd’hui, je peux dire la position que j’occupe c’est comme celle du mouvement Y’en a marre, de la société civile. Je suis très proche de ces derniers, du Forum civil pour la bonne et simple raison que je me suis toujours positionné non pas en gardien - ce serait trop prétentieux de me part - mais en quelqu’un de vigilant qui regarde comment les choses évoluent. Ce qui est très marrant (rires), c’est qu’hier, le 23 juin, on avait dans nos rangs les mêmes personnes que l’on combat aujourd’hui. Sauf qu’il y a lieu de préciser ici qu’on ne combat pas des personnes. On combat un système. Ce combat s’inscrit dans la continuité. Je l’ai fait pendant des années. Que cela soit avec Abdou Diouf, j’ai été aux côtés de «Wade» pour que Abdou Diouf s’en aille. Le 23 juin, quand nous sommes partis devant l’Assemblée nationale, c’était parce que le Peuple voulait cela. Moi je ne fais pas une politique pour l’opposition parce que malheureusement au Sénégal, la plupart des gens qui font de la politique le font pour l’argent. Moi je fais de la politique par conviction. S’il y a des gens que cela intéresse, c’est tant mieux. Peut-être que d’ici 10 ans, 15 ans quand je n’aurai plus envie de chanter, je vais faire de la politique. C’est comme je dis souvent à notre chanteur Youssou Ndour. Il confond auditeur et électeur. Un meeting, ce n’est pas un concert. C’est exactement cela, le jour où je ferai de la politique ce serait comme vouloir être à la fois homme religieux et politicien. Chaque fois l’un prédominera l’autre. Et quand on veut mixer les deux, parfois le mélange ne prend pas. Moi, je ne fais pas de la politique pour l’opposition, je fais de la politique sociale. Je ne fais pas de la politique politicienne, je fais de la politique citoyenne. Je fais ce que je crois, ce en quoi je crois et je crois en cela. Je crois en mon combat. Je ne demande pas que les gens viennent me suivre. Non ! Je demande au contraire que chacun fasse ce qu’il a envie de faire. Parfois, c’est sûr que les gens trouvent que je suis trop agressif, que j’attaque les gens. Par exemple quand on fait «Djombor waxet», on croit que c’est une attaque personnelle contre Abdoulaye Wade. Alors que ce n’est pas contre Wade, mais ce que Wade représente. C’est la même chose avec Macky. Je n’attaque pas Macky. J’attaque ce qu’il représente. J’attaque les fausses promesses qu’il avait faites. Ces promesses qui faisaient qu’il ait eu de la valeur à mes yeux. Si aujourd’hui il manque à une de ces promesses et qu’il ne donne pas de justificatifs qui me suffisent, moi je ne vais pas le suivre. Et demain, si ceux qui aujourd’hui sont dans l’opposition se retrouvent au pouvoir et font la même chose, il y aura la même chose. Le jour où je m’associe à quelqu’un et que demain cette personne fait des choses qu’on doit réprimer, vu que je me suis associé, je serai très mal placé pour aller au-devant de la presse et dire voilà ce que je pense et ce que je ne pense pas. Je préfère rester dans mon coin et dire ce que je pense à équidistance entre le pouvoir et l’opposition. Dans une partie de la chanson Waw ak det, je dis d’ailleurs «lo nam, ngourou Pds ? La réponse c’est Det det. Dafa melni gni gno guena yeess. Waw waw. Nammouma nioniou…» Je peux avoir de la sympathie pour une autre personne, mais si cette personne respecte ou ne respecte pas les règles je lui dirais moi voilà ce que je pense de cela.
Pourquoi vous n’adhérez pas aux mouvements Y’en a marre, Niani bagn na… puisque vous partagez le même combat ?
Même si je n’y adhère pas, il faut que les politiques comprennent que ce n’est pas les partisans de leur parti politique qui vont voter, c’est la population. Et 99% des votants n’ont pas de carte de parti politique. Ce ne sont pas des gens qui sont dans des partis politiques. C’est exactement cette frange de la population que moi j’essaye de représenter. Je n’ai pas besoin de faire cette marche. Je fais ma campagne sur internet et elle est assez bien relayée. Le morceau ne passe pas à la télé ni à la radio, mais les gens le téléchargent sur internet et l’écoutent. C’est dans les téléphones, les camions de campagne. Le morceau a été repris par la population. C’est le plus important. Je ferai une caravane pourquoi ? Déjà que je suis représenté dans ces caravanes où ma chanson est en train de tourner. Cela veut dire que j’adhère à la cause. Mais ma conviction profonde c’est que chacun fasse son boulot dans son domaine de prédilection. Pour les uns, c’est de descendre dans les rues et d’organiser des caravanes qui font que les messages passent. Pour d’autres, c’est de rester là avec son téléphone, de faire des sms, d’appeler les gens ; de poster des choses sur Twitter, Facebook. Pour moi comme on dit en Wolof kaata sax sott la.
Vos sorties à l’international sont inscrites dans quel cadre ?
Ça dépend. A propos du Journal rappé, on doit partir en Tunisie pour y installer une équipe. Je suis parti en Côte d’Ivoire pour voir comment l’équipe du Journal rappé ivoirien se comportait et pour jouer au Masa (Marché des arts du spectacle en Afrique). C’est un grand marché où des tourneurs viennent du monde entier recruter des artistes et des musiciens pour des spectacles et j’ai pu rencontrer des professionnels de la musique africaine. En avril, il y a un programme prévu en Irlande où le Journal rappé est invité pour parler de son expérience etc. L’année dernière aussi, on était au Japon de même qu’en Suisse, à Amsterdam… A chaque fois qu’on voyage, c’est en grande partie à cause ou grâce au Journal rappé.
Avez-vous été convoqué par la Dic ?
Non, que des histoires ! C’était le buzz. J’ai trouvé cela assez drôle. J’ai enregistré le morceau avec Krumah et No Face. On a fait le shooting le lundi, et puis le mardi on a fait le montage vidéo, le mercredi je suis parti à Abidjan. Il fallait sortir le single parce qu’on était en période de campagne (Ndlr : à moins de 10 jours du référendum). On l’a sorti et moi je suis parti à Abidjan. Arrivé à Abidjan, j’ai posté une photo où je dis «bon au cas où la Dic me cherche je suis à Abidjan». C’est cette photo qui a fait que certaines personnes l’ont interprété de cette manière. C’était du second degré et ils l’ont pris disant hop que j’avais fui et que j’étais allé chercher l’asile.
Vous n’étiez pas allé trouver refuge à Abidjan donc ?
C’est l’effet des réseaux sociaux qui pervertissent l’information. Aujourd’hui, certains de vos collègues de la presse en ligne recherchent le buzz à tout prix. Tellement qu’ils sont parfois obligés d’inventer des informations. Ils prennent de gros titres pour juste que les gens aillent cliquer sur leurs liens. Cependant, cela a permis à la chanson d’avoir le buzz que cela a eu. Il y a eu plein de gens qui ont cru que c’était vrai et qui sont allés voir ce que Xuman (Wahkatou ndiakhoum) a dit. Je les remercie pour cela (ton ironique). Merci d’avoir créé le buzz. Si je suis convoqué à la Dic pour des propos que j’aurais tenus, j’irais m’expliquer. Mais à vrai dire, je me vois mal dire des choses et puis m’enfouir. Pour moi ce n’est pas digne.
Xuman est alors très courageux à ce point ?
Ce n’est pas une histoire de courageux, mais c’est juste par principe.
Il s’est produit récemment un attentant en Côte d’Ivoire. Vous étiez à Abidjan en ce moment ?
Oui ! Mais je suis parti le même jour, j’ai appris l’attentat dans l’avion. L’une des hôtesses en parlait. Quand je suis arrivé à Dakar, je me suis renseigné et on me l’a confirmé.
Que pensez-vous de ces actes terroristes ?
Cela m’a choqué. J’étais choqué parce qu’il y avait les attentats. Et j’étais doublement choqué parce qu’une personne qui est décédée dans les attentats est une de nos amies et une de nos collaboratrices (Ndlr : Henrike Groth, directrice de Goethe Institut Côte d’Ivoire). C’est grâce à elle qu’on est parti au Japon. C’est grâce à elle en grande partie que le Journal rappé a pu s’installer en Côte d’Ivoire. On était ensemble le vendredi au concert de Maréma, on s’est parlé la veille de sa mort (le samedi) et le dimanche elle a été tuée (voix triste). Quand on entend parler de Charlie Hebdo, de Bataclan, de Boko haram, tant qu’on n’est pas forcément impliqué, ça ne nous fait rien. Vous connaissez la personne, je revois l’image, on était en train de discuter, et puis deux jours après, on vous apprend que la personne est décédée, le choc est différent. C’est dur à dire, mais quand j’entends toutes ces choses que j’entends. Oui que le Sénégal est menacé ça ne me rassure guère. Parce que la Côte d’Ivoire était menacée et savait qu’elle l’était. Mais elle ne s’attendait pas à ce que ça soit en ce moment là qu’elle allait être frappée. C’est la même chose au Sénégal. Actuellement on sait qu’on est menacé, on le sait très bien. Je touche du bois (alliant le geste à la parole), j’espère que cela ne va pas se produire, mais franchement je ne suis pas du tout rassuré. On pense que les djihadistes ce sont des barbus, des gens en djellaba qui descendent en parachute dans une ville ou un pays avec leurs kalachnikovs. Non ! Les djihadistes sont des gens qu’on ne soupçonne pas d’être djihadistes. Comme par exemple le cas de Côte d’Ivoire, il n’y a rien qui les distingue des autres personnes. Le cas du Bataclan, c’est la même chose.
Pensez-vous que le dispositif sécuritaire mis en place au Sénégal peut nous sauver ?
Ça peut nous protéger. Parce qu’avant la Bataclan, il y a eu Charlie Hebdo, il y a des contrôles partout. Malgré tout cela, il y a eu Bataclan qui a fait 180 et quelques morts. Pour la Côte d’Ivoire, c’est la même chose. Il y a eu les attentats au Burkina Faso, on ne s’y attendait pas, il y a eu le Mali. C’est quand on s’y attend le moins que ça éclate. C’est leur stratégie, ils savent que le pays (Ndlr : Sénégal) est protégé, ils le savent très bien. J’ai l’intime conviction qu’ils sont parmi nous. Billay (Ndlr : au nom de dieu). C’est ce qui fait peur. Dans tout ces autres pays, ce sont des gens qui vivent dans la ville. Ils savent juste attendre le bon moment. Les djihadistes mènent une guerre sale et n’ont pas besoin de tuer beaucoup de personnes. Pour eux, il s’agit de prendre un couteau, d’aller dans un endroit pour faire un maximum de blessés. C’est cela le terrorisme. Cela fait que j’ai peur d’aller à Sandaga. Ce qui est marrant (rires) c’est qu’ils disent : «Eviter d’aller dans les endroits fréquentés par les occidentaux.» Cela veut dire quoi ? Y a-t-il des endroits spécifiquement fréquentés par les occidentaux ? Les occidentaux sont partout. Lorsqu’on nous fait le récit de notre amie tuée en Côte d’Ivoire, cela fait froid dans le dos. Une balle n’a pas de Gprs pour dire toi tu es un musulman, l’autre est chrétien, toi tu es une toubab. Le terroriste tire sur la foule. Et moi je suis très sceptique. Billay (Ndlr : au nom de Dieu). Est-ce qu’on a un contrôle strict sur les armes qui circulent au Sénégal ? Je n’en suis pas sûr.
Le Quotidien
Je ne sais pas si on peut considérer cela comme de la musique, mais je suis sur la préparation de la prochaine saison du Journal rappé qui doit normalement commencer à partir du mois prochain. Pour l’instant, on est dessus à part ça, il y a des sorties de single avec comme objectif un son tous les mois, notamment le dernier Det ak det, Bombass et ceux des jeunes artistes que je produis comme Krumah, No Face et Mia afin de les mettre au-devant de la scène.
D’où est venue l’idée du Journal rappé ?
Le Journal rappé est né d’une «nécessité». Je me suis rendu compte à un moment donné que l’information n’allait pas forcément aux bonnes personnes et à temps réel. Il y a beaucoup d’informations voire même trop d’informations. Beaucoup de jeunes fans du hip-hop s’informent sur internet sur les dernières nouveautés musicales, les derniers pas de danse, entre autres. Il y en a très peu qui prennent la peine de se renseigner sur leur quotidien, que ça soit économique, social, éducatif… Le Journal rappé était donc une manière de joindre l’utile à l’agréable, l’éducatif au divertissement. C’est du divertissement informatif. Beaucoup de clips passaient à la télé, sur Youtube, mais il y en avait très peu qui parlaient d’actualité, de nos problèmes. Les journalistes font un métier très noble, mais il fallait trouver une manière différente d’informer les gens, surtout les jeunes qui aiment beaucoup la musique et qui ont une autre manière de communiquer. Il y a aussi qu’au Sénégal, tout le monde écoute la revue de presse sans prendre la peine de lire l’article en entier. Pourtant, le contenu de l’article peut différer de ce que l’on présente au sommaire. Je ne dirai pas que c’est de la mauvaise information, mais elle est biaisée dans la mesure où au gré des affinités que l’on peut nouer et des accointances qui se forment, on peut servir une information soit pro soit anti-gouvernementale. C’est selon le groupe de presse auquel on appartient. Il nous fallait donc trouver un moyen d’informer juste.
Aujourd’hui, ce Journal rappé est présenté dans d’autres pays africains et même asiatiques. Comment êtes-vous parvenu à l’internationaliser ?
C’était un transfert de compétences. On a trouvé des partenaires. On est parti en Côte d’Ivoire. J’avais quelques contacts sur place. On devait trouver une personne-ressource qui serait capable de faire le travail que nous faisions, de former une équipe qui allait relayer l’information. On a fait recours à Nash. Par la suite, on leur a fait une formation d’une semaine. On leur a pas appris à rapper. Le reste, ils le savaient déjà . Comment faire du mixage, l’enregistrement, le montage final. A leur tour, ils faisaient un journal adapté à leurs réalités culturelles et musicales, passaient l’information à leur manière. Ensuite, on a été contacté par la Mauritanie. Cependant, bien avant eux, d’autres pays ont repris le concept du Journal rappé comme la Jamaïque, l’Ouganda, le Vietnam, le Madagascar : tous intéressés par le petit secret de fabrication. Je pars du principe que tout ce qui se dit peut être rappé. Prenons l’exemple du Gabon, Aly Bongo lors de sa dernière campagne présidentielle a rappé son discours de campagne parce qu’il voulait toucher une cible différente. Aujourd’hui, une information n’appartient plus à un corps limité, il y a des bloggeurs, des statuts sur Facebook, autant de façons de donner son point de vue, car on est dans un monde où la connectivité, l’interactivité agissent à 100%. C’est dans cet environnement qu’est né le Journal rappé et c’est la raison pour laquelle on est dans beaucoup de pays.
De manière générale, quelle lecture faites-vous de la situation actuelle du pays ?
Malheureusement, on n’est pas encore sorti de l’auberge. Il y avait la trêve, mais je vois dernièrement que la politique règne en maître dans ce pays. La politique politicienne bien sûr. Quand on regarde les débats, les discours et en plus la violence inouïe, on se demande à quoi tout cela rime ? On n’est pas dans une campagne présidentielle. Aucun ministre, député, maire ni président ne sera élu, mais on a l’impression que tout le monde sort son arsenal de guerre pour prêcher la bonne ou fausse parole. Cela devient de plus en plus, j’ai envie de dire «ridicule». Face à la conjoncture actuelle (Ndlr : cherté de la vie, choses qui marchent au ralenti), j’ai l’impression qu’on les nargue. On n’a pas rompu avec les vieilles habitudes, les personnes ont changé, mais les régimes sont les mêmes.
Vous avez récemment sorti un single Det ak det (Non et non). D’où vous est venue l’idée ?
L’historique du morceau est une chanson de Krumah Waw ak det, qui verse plus dans la généralité et on en a fait une version remix axée sur la politique pour les besoins du référendum.
Quel rôle attribuez-vous à votre single ?
Depuis le début de ma carrière, je me suis efforcé à être toujours du côté du Peuple. Je ne fais pas que ce qui me passionne, j’essaye au-delà d’être une voix assez représentative de mon entourage. Aujourd’hui, si je constate que le mécontentement des gens qui m’entourent atteint un certain niveau, j’essaye de le traduire. Parfois, c’est juste un coup de gueule, un constat, une chronique, de la parodie. Quand Diouf était au pouvoir, on avait fait un single qui parlait des magouilles politiciennes. A l’ère de Wade, il y a eu des singles, notamment Lettre au président, li loumou done et cette fois-ci, il y a Det ak Det. Ce dernier est à la fois un appel au référendum. Aller voter, s’ériger contre le wax waxati waxeet (se dédire) et aussi une chronique ou un tableau de son mandat. Ce single a pour but de rappeler qu’on a voté pour des valeurs. On doit avoir un Président vertueux, qui respecte sa parole et ses promesses. Ce son, c’est pour dire qu’on n’est pas d’accord avec quelqu’un qui fait des promesses et qui trouve des subterfuges. Det ak det éclaire les Sénégalais qui voient une campagne sans pour autant savoir le pourquoi de l’adhésion au Oui ou Non. C’est pour dire aux gens qu’on est des Sénégalais, au lendemain du vote le pays nous reviendra. Autant faire attention. Evitons de faire ou de dire des choses irréparables en période préélectorale. On a l’impression d’une guerre au vu de ce qui se passe à la télé, dans les débats, dans la rue, chez les manifestants alors que les politiciens qui s’entredéchirent aujourd’hui partageront demain le même repas. La population, ne vous faites pas manipuler ! Le politicien n’a pas le même intérêt que nous. L’opposant tiendra le même discours à l’accession du pouvoir que celui qui le détient actuellement.
Quand vous dites dafa am piège dans Det ak det, vous faites allusion à quoi ?
Il y en a plein. Et l’un des principaux c’est que les gens pensent que si Macky perd le référendum, il va démissionner. Alors que tel n’est pas le cas. Que le Oui l’emporte ou pas, il va rester 7 ans et la prochaine personne élue peut ou ne pas changer la Constitution. Les Sénégalais n’ont pas encore perçu toute la portée de ce référendum. On dit que l’objet du référendum est de renforcer la démocratie, mais je suis désolé, cette démocratie est bafouée. Aujourd’hui, quand j’ai envie de faire une marche et qu’on me l’interdise sous prétexte qu’il n’y a pas assez de forces de sécurité pour encadrer la marche alors qu’il y en a assez pour la disperser, moi je ne comprends pas cela. Quand je regarde la Rts, 80% des programmes nous parlent de l’Apr ou des voyages du Président alors que l’opposition est très mal représentée à la télévision nationale. Ce sont des actes à revoir. L’exemple du point 4 (La reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens : droit à un environnement sain, sur leur patrimoine foncier et leur ressources naturelles, Ndlr) sont des choses qui existent déjà .
Dans la Constitution, le respect des droits de l’Homme est fondamental alors que ma chanson est utilisée de par des politiciens qui ne payent pas les droits d’auteur qui sont fondamentaux. Cet exemple est à titre personnel, car c’est mon droit à moi, mon travail, mon œuvre et personne n’y pense. Après la campagne, ce sera aux oubliettes. Il y a énormément de choses dans la Constitution qu’on ne respecte pas. Alors, pourquoi la renforcer ?
Dans Det ak det toujours, vous parlez d’opposants qui croupissent à Rebeuss et d’autre part des transhumants qui sont libres. Vous faites allusion à qui ?
Il y en a plein. Je peux vous sortir une liste. Oumar Sarr qui est sorti il n’y a pas longtemps, Karim Wade, tout le directoire du Pds qui est en prison [rires]. Les transhumants sont au pouvoir et les opposants en prison, disons un Karim qui est toujours en prison alors que Awa Ndiaye est en liberté. Et beaucoup d’autres, tous les transhumants absous de tous les péchés. Tous les dossiers qui ont été déposés par M. Macky Sall lui-même par rapport à ses biens, on ne sait pas ce qui s’est passé. Aussi les chantiers de Thiès, autant de sujets auxquels on n’a pas donné suite. Que cela soit Niasse, Djibo etc. ils ont tous des affaires plus ou moins louches avec la justice, mais ils sont dans le pouvoir ; donc on n’en parle pas. C’est un ensemble de personnes [rires].
Le référendum est prévu ce dimanche. Selon vous, entre le «Oui» et le «Non», qui sera vainqueur ?
J’aimerais que le «Non» l’emporte. Mais étant réaliste et avec tous les moyens qui ont été déployés par le parti au pouvoir pour battre campagne, je pense qu’il sera très difficile que le «Non» l’emporte. Maintenant, à quel pourcentage le «Oui» va l’emporter est important, car comme je le dis dans le son, ce n’est pas juste un référendum. C’est un sondage. Il cherche son degré de popularité et s’il est vraiment populaire, il va gagner avec un pourcentage écrasant. Et même s’il gagne avec un pourcentage limite, je pense que ça peut lui donner un message et cela voudra dire que d’ici la fin de son mandat, il faut qu’il réagisse, qu’il réajuste, se rectifie.
Xuman est un rappeur très engagé. Qu’est-ce qui motive votre engagement ?
J’ai baigné dans une musique de contestation qui est le reggae. Et depuis tout jeune, j’écoute Alpha Blondy, Bob Marley et Cie. Pour moi, je devais être la voix. Les personnes qui sont au-devant de la scène ont un devoir : celui de pouvoir servir à quelque chose. Il peut être juste chanteur, éveilleur de conscience, collecter des fonds pour les œuvres caritatives et c’est à lui d’honorer l’obligation qu’il a envers son public ou de le trahir. C’est comme ça que je le considère. Aujourd’hui, si jetais millionnaire aussi, peut-être que j’allais combattre d’une autre manière. Donc si le micro est le seul moyen que j’aie de me faire entendre, donc il faut faire passer des messages à travers le rap. Je dis aux gens d’aller voter. Et personnellement, je voterai «Non» pour la bonne et simple raison que je ne crois pas à ceci et cela. Maintenant si vous qui m’écoutiez, cela vous incite à voter «Non», tant mieux. A défaut, l’essentiel c’est d’aller voter. Exprimer sa voix est un devoir citoyen et pouvoir changer les choses avec sa carte est formidable. Il ne faut pas s’en priver. Quand des gens se déplacent pour mes concerts, achètent des albums, en retour je sens une obligation envers eux. Quand j’ai sorti le morceau, les réactions que j’ai eues ne sont pas toutes positives, mais au moins cela fait réagir. Et comme on dit souvent la démocratie c’est être d’accord ou ne pas l’être ; donc je respecte le choix de ceux qui ne sont pas du même avis que moi.
Au plan personnel, votre engagement vous attire-t-il parfois des ennuis ?
Oui bien sûr. Ça m’attire des problèmes. A cause de cet engagement, certaines portes nous sont fermées. Il y a des sponsors qui ont peur. D’autres ont peur de nous inviter à leurs manifestations. C’est normal. Je préfère d’ailleurs aller dans des endroits où je suis apprécié et où je peux mieux m’exprimer. C’est pareil avec le Journal rappé. C’est le même ton. Aucun sponsor n’est venu nous voir. Ils nous ont carrément fait savoir qu’ils ne peuvent pas. Cela veut dire qu’on «dérange». Mais le but du jeu ce n’est pas de plaire à tout le monde. Si on le voulait, on aurait fait de la musique qui plaît à tout le monde. On aurait chanté Faxass. Des morceaux qui auraient pu faire danser les gens. Il y a des musiques qui sont vides de sens, qui ne servent pas, qui n’ont pas de message. Cela est normal. Certaines musiques sont juste faites pour danser, d’autres pour réfléchir et d’autres encore pour déranger.
Xuman est si engagé qu’on se demande s’il ne fait pas une politique déguisée pour l’opposition. Est-ce le cas ?
Je ne sais pas. C’est vrai que je ne me suis jamais vraiment posé la question. Mais aujourd’hui, je peux dire la position que j’occupe c’est comme celle du mouvement Y’en a marre, de la société civile. Je suis très proche de ces derniers, du Forum civil pour la bonne et simple raison que je me suis toujours positionné non pas en gardien - ce serait trop prétentieux de me part - mais en quelqu’un de vigilant qui regarde comment les choses évoluent. Ce qui est très marrant (rires), c’est qu’hier, le 23 juin, on avait dans nos rangs les mêmes personnes que l’on combat aujourd’hui. Sauf qu’il y a lieu de préciser ici qu’on ne combat pas des personnes. On combat un système. Ce combat s’inscrit dans la continuité. Je l’ai fait pendant des années. Que cela soit avec Abdou Diouf, j’ai été aux côtés de «Wade» pour que Abdou Diouf s’en aille. Le 23 juin, quand nous sommes partis devant l’Assemblée nationale, c’était parce que le Peuple voulait cela. Moi je ne fais pas une politique pour l’opposition parce que malheureusement au Sénégal, la plupart des gens qui font de la politique le font pour l’argent. Moi je fais de la politique par conviction. S’il y a des gens que cela intéresse, c’est tant mieux. Peut-être que d’ici 10 ans, 15 ans quand je n’aurai plus envie de chanter, je vais faire de la politique. C’est comme je dis souvent à notre chanteur Youssou Ndour. Il confond auditeur et électeur. Un meeting, ce n’est pas un concert. C’est exactement cela, le jour où je ferai de la politique ce serait comme vouloir être à la fois homme religieux et politicien. Chaque fois l’un prédominera l’autre. Et quand on veut mixer les deux, parfois le mélange ne prend pas. Moi, je ne fais pas de la politique pour l’opposition, je fais de la politique sociale. Je ne fais pas de la politique politicienne, je fais de la politique citoyenne. Je fais ce que je crois, ce en quoi je crois et je crois en cela. Je crois en mon combat. Je ne demande pas que les gens viennent me suivre. Non ! Je demande au contraire que chacun fasse ce qu’il a envie de faire. Parfois, c’est sûr que les gens trouvent que je suis trop agressif, que j’attaque les gens. Par exemple quand on fait «Djombor waxet», on croit que c’est une attaque personnelle contre Abdoulaye Wade. Alors que ce n’est pas contre Wade, mais ce que Wade représente. C’est la même chose avec Macky. Je n’attaque pas Macky. J’attaque ce qu’il représente. J’attaque les fausses promesses qu’il avait faites. Ces promesses qui faisaient qu’il ait eu de la valeur à mes yeux. Si aujourd’hui il manque à une de ces promesses et qu’il ne donne pas de justificatifs qui me suffisent, moi je ne vais pas le suivre. Et demain, si ceux qui aujourd’hui sont dans l’opposition se retrouvent au pouvoir et font la même chose, il y aura la même chose. Le jour où je m’associe à quelqu’un et que demain cette personne fait des choses qu’on doit réprimer, vu que je me suis associé, je serai très mal placé pour aller au-devant de la presse et dire voilà ce que je pense et ce que je ne pense pas. Je préfère rester dans mon coin et dire ce que je pense à équidistance entre le pouvoir et l’opposition. Dans une partie de la chanson Waw ak det, je dis d’ailleurs «lo nam, ngourou Pds ? La réponse c’est Det det. Dafa melni gni gno guena yeess. Waw waw. Nammouma nioniou…» Je peux avoir de la sympathie pour une autre personne, mais si cette personne respecte ou ne respecte pas les règles je lui dirais moi voilà ce que je pense de cela.
Pourquoi vous n’adhérez pas aux mouvements Y’en a marre, Niani bagn na… puisque vous partagez le même combat ?
Même si je n’y adhère pas, il faut que les politiques comprennent que ce n’est pas les partisans de leur parti politique qui vont voter, c’est la population. Et 99% des votants n’ont pas de carte de parti politique. Ce ne sont pas des gens qui sont dans des partis politiques. C’est exactement cette frange de la population que moi j’essaye de représenter. Je n’ai pas besoin de faire cette marche. Je fais ma campagne sur internet et elle est assez bien relayée. Le morceau ne passe pas à la télé ni à la radio, mais les gens le téléchargent sur internet et l’écoutent. C’est dans les téléphones, les camions de campagne. Le morceau a été repris par la population. C’est le plus important. Je ferai une caravane pourquoi ? Déjà que je suis représenté dans ces caravanes où ma chanson est en train de tourner. Cela veut dire que j’adhère à la cause. Mais ma conviction profonde c’est que chacun fasse son boulot dans son domaine de prédilection. Pour les uns, c’est de descendre dans les rues et d’organiser des caravanes qui font que les messages passent. Pour d’autres, c’est de rester là avec son téléphone, de faire des sms, d’appeler les gens ; de poster des choses sur Twitter, Facebook. Pour moi comme on dit en Wolof kaata sax sott la.
Vos sorties à l’international sont inscrites dans quel cadre ?
Ça dépend. A propos du Journal rappé, on doit partir en Tunisie pour y installer une équipe. Je suis parti en Côte d’Ivoire pour voir comment l’équipe du Journal rappé ivoirien se comportait et pour jouer au Masa (Marché des arts du spectacle en Afrique). C’est un grand marché où des tourneurs viennent du monde entier recruter des artistes et des musiciens pour des spectacles et j’ai pu rencontrer des professionnels de la musique africaine. En avril, il y a un programme prévu en Irlande où le Journal rappé est invité pour parler de son expérience etc. L’année dernière aussi, on était au Japon de même qu’en Suisse, à Amsterdam… A chaque fois qu’on voyage, c’est en grande partie à cause ou grâce au Journal rappé.
Avez-vous été convoqué par la Dic ?
Non, que des histoires ! C’était le buzz. J’ai trouvé cela assez drôle. J’ai enregistré le morceau avec Krumah et No Face. On a fait le shooting le lundi, et puis le mardi on a fait le montage vidéo, le mercredi je suis parti à Abidjan. Il fallait sortir le single parce qu’on était en période de campagne (Ndlr : à moins de 10 jours du référendum). On l’a sorti et moi je suis parti à Abidjan. Arrivé à Abidjan, j’ai posté une photo où je dis «bon au cas où la Dic me cherche je suis à Abidjan». C’est cette photo qui a fait que certaines personnes l’ont interprété de cette manière. C’était du second degré et ils l’ont pris disant hop que j’avais fui et que j’étais allé chercher l’asile.
Vous n’étiez pas allé trouver refuge à Abidjan donc ?
C’est l’effet des réseaux sociaux qui pervertissent l’information. Aujourd’hui, certains de vos collègues de la presse en ligne recherchent le buzz à tout prix. Tellement qu’ils sont parfois obligés d’inventer des informations. Ils prennent de gros titres pour juste que les gens aillent cliquer sur leurs liens. Cependant, cela a permis à la chanson d’avoir le buzz que cela a eu. Il y a eu plein de gens qui ont cru que c’était vrai et qui sont allés voir ce que Xuman (Wahkatou ndiakhoum) a dit. Je les remercie pour cela (ton ironique). Merci d’avoir créé le buzz. Si je suis convoqué à la Dic pour des propos que j’aurais tenus, j’irais m’expliquer. Mais à vrai dire, je me vois mal dire des choses et puis m’enfouir. Pour moi ce n’est pas digne.
Xuman est alors très courageux à ce point ?
Ce n’est pas une histoire de courageux, mais c’est juste par principe.
Il s’est produit récemment un attentant en Côte d’Ivoire. Vous étiez à Abidjan en ce moment ?
Oui ! Mais je suis parti le même jour, j’ai appris l’attentat dans l’avion. L’une des hôtesses en parlait. Quand je suis arrivé à Dakar, je me suis renseigné et on me l’a confirmé.
Que pensez-vous de ces actes terroristes ?
Cela m’a choqué. J’étais choqué parce qu’il y avait les attentats. Et j’étais doublement choqué parce qu’une personne qui est décédée dans les attentats est une de nos amies et une de nos collaboratrices (Ndlr : Henrike Groth, directrice de Goethe Institut Côte d’Ivoire). C’est grâce à elle qu’on est parti au Japon. C’est grâce à elle en grande partie que le Journal rappé a pu s’installer en Côte d’Ivoire. On était ensemble le vendredi au concert de Maréma, on s’est parlé la veille de sa mort (le samedi) et le dimanche elle a été tuée (voix triste). Quand on entend parler de Charlie Hebdo, de Bataclan, de Boko haram, tant qu’on n’est pas forcément impliqué, ça ne nous fait rien. Vous connaissez la personne, je revois l’image, on était en train de discuter, et puis deux jours après, on vous apprend que la personne est décédée, le choc est différent. C’est dur à dire, mais quand j’entends toutes ces choses que j’entends. Oui que le Sénégal est menacé ça ne me rassure guère. Parce que la Côte d’Ivoire était menacée et savait qu’elle l’était. Mais elle ne s’attendait pas à ce que ça soit en ce moment là qu’elle allait être frappée. C’est la même chose au Sénégal. Actuellement on sait qu’on est menacé, on le sait très bien. Je touche du bois (alliant le geste à la parole), j’espère que cela ne va pas se produire, mais franchement je ne suis pas du tout rassuré. On pense que les djihadistes ce sont des barbus, des gens en djellaba qui descendent en parachute dans une ville ou un pays avec leurs kalachnikovs. Non ! Les djihadistes sont des gens qu’on ne soupçonne pas d’être djihadistes. Comme par exemple le cas de Côte d’Ivoire, il n’y a rien qui les distingue des autres personnes. Le cas du Bataclan, c’est la même chose.
Pensez-vous que le dispositif sécuritaire mis en place au Sénégal peut nous sauver ?
Ça peut nous protéger. Parce qu’avant la Bataclan, il y a eu Charlie Hebdo, il y a des contrôles partout. Malgré tout cela, il y a eu Bataclan qui a fait 180 et quelques morts. Pour la Côte d’Ivoire, c’est la même chose. Il y a eu les attentats au Burkina Faso, on ne s’y attendait pas, il y a eu le Mali. C’est quand on s’y attend le moins que ça éclate. C’est leur stratégie, ils savent que le pays (Ndlr : Sénégal) est protégé, ils le savent très bien. J’ai l’intime conviction qu’ils sont parmi nous. Billay (Ndlr : au nom de dieu). C’est ce qui fait peur. Dans tout ces autres pays, ce sont des gens qui vivent dans la ville. Ils savent juste attendre le bon moment. Les djihadistes mènent une guerre sale et n’ont pas besoin de tuer beaucoup de personnes. Pour eux, il s’agit de prendre un couteau, d’aller dans un endroit pour faire un maximum de blessés. C’est cela le terrorisme. Cela fait que j’ai peur d’aller à Sandaga. Ce qui est marrant (rires) c’est qu’ils disent : «Eviter d’aller dans les endroits fréquentés par les occidentaux.» Cela veut dire quoi ? Y a-t-il des endroits spécifiquement fréquentés par les occidentaux ? Les occidentaux sont partout. Lorsqu’on nous fait le récit de notre amie tuée en Côte d’Ivoire, cela fait froid dans le dos. Une balle n’a pas de Gprs pour dire toi tu es un musulman, l’autre est chrétien, toi tu es une toubab. Le terroriste tire sur la foule. Et moi je suis très sceptique. Billay (Ndlr : au nom de Dieu). Est-ce qu’on a un contrôle strict sur les armes qui circulent au Sénégal ? Je n’en suis pas sûr.
Le Quotidien