Il y a d’un côté la mécanique implacable du crime. L’accusée elle-même l’a décrite mieux que quiconque. Avec ses mots si bien choisis et son vocabulaire châtié, elle a raconté à maintes reprises cette scène sur la plage de Berck, lorsqu’elle a abandonné sa fille de 15 mois à la marée montante : «Je cours droit devant et quand je sens mes pas alourdis par le sable mouillé, je m’arrête. Je serre ma fille contre moi. Je vois qu’elle dort, je lui donne le sein et je lui demande pardon. Je la dépose et je m’enfuis.»
Il y a, de l’autre côté, les voix de Fabienne Kabou, «les injonctions», les «fait ceci, fait cela». L’accusée ne peut concevoir qu’elle souffre uniquement d’une «psychose délirante paranoïaque», comme disent les psychiatres, elle ne peut se résoudre à abandonner l’idée de la sorcellerie.
Comment expliquer autrement les «pieds en escalope panée», et «la tête qui ne tient plus sur le cou» ? Et puis le bruxisme, les murs qui tremblent, les portes qui s’ouvrent, la musique qui se met en marche toute seule ?
Lorsqu’elle s’est exprimée pour la première fois, à l’ouverture du procès devant la cour d’Appel du Nord, elle avait plaidé «non coupable», parce qu’elle «a été agi par une énergie malveillante », parce que ce n’était pas elle, c’était l’Autre qui avait tué. Ce vendredi, lorsque la présidente lui a demandé si elle avait quelque chose a ajouter pour sa défense, elle s'est contentée de répondre «non».
La veille, l’avocate générale, Pascale Girardon, a demandé aux jurés de s’en «tenir aux faits, rien qu’au faits» : le 19 novembre 2013, Fabienne Kabou a déposé son bébé sur le sable froid, la promettant à une mort certaine. Pour le ministère public : «Fabienne Kabou a prémédité son geste.» Elle s’est renseignée sur les horaires des marées, elle a réservé les billets de train.
La sorcellerie évoquée tout au long du dossier par Fabienne Kabou ne serait qu’un stratagème, «une explication de pure opportunité». L’avocate générale a donc requis une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle, conforme à celle demandée en première instance. Elle a également réclamé un suivi socio-judiciaire avec une injonction de soin.
Les deux avocats de la défense ont alors choisi d’incarner, tour à tour, les voix de Fabienne Kabou. La première, Me Fabienne Roy Nansion, a raconté «sa Fabienne», la cliente qu’elle a rencontrée juste après son arrestation et qu’elle épaule depuis quatre ans. Elle a décrit «la prisonnière», celle qui n’arrive pas à faire demi-tour sur la plage, celle qui s’exprime tellement bien qu’on pense qu’elle est rationnelle.
«La seule question que vous devez vous posez c’est pourquoi cette femme intelligente va à Berck pour abandonner son bébé ?», dit-elle. Me Frank Berton s’est avancé pour faire exister «l’Autre». Celle qui prend un bus pour emmener sa fille à la mort, celle qui entend des «injonctions», qui parle de marabouts et de guérisseurs. «Juger c’est comprendre. Elle est malade. Trois psychiatres l’ont dit, ils la mettent sur le fil du rasoir de l’abolition du discernement», a-t-il lancé aux jurés.
Puis il les a exhortés à «baisser sa peine», qui était de vingt ans de réclusion criminelle en première instance, afin de «donner un sens à ce procès». «Même sur sa tombe, Adélaïde n’a pas de nom de famille. Alors aujourd’hui vous allez lui donner un nom. Elle s’appelle Kabou ! Fille de Fabienne Kabou !», a-t-il terminé.
Les neuf jurés semblent avoir entendu la défense : ils ont réussi à chausser les bottes pleines de sable de Fabienne Kabou, sont parvenus à comprendre cette accusée si singulière, à cheval entre deux mondes.
Après trois heures de délibéré, ils l'ont condamnée à quinze ans de réclusion criminelle, retenant l’altération du discernement comme circonstance atténuante. Dans le box, il n’y a plus l’Autre. Seulement Fabienne Kabou, en larmes.
Avec Libération
Il y a, de l’autre côté, les voix de Fabienne Kabou, «les injonctions», les «fait ceci, fait cela». L’accusée ne peut concevoir qu’elle souffre uniquement d’une «psychose délirante paranoïaque», comme disent les psychiatres, elle ne peut se résoudre à abandonner l’idée de la sorcellerie.
Comment expliquer autrement les «pieds en escalope panée», et «la tête qui ne tient plus sur le cou» ? Et puis le bruxisme, les murs qui tremblent, les portes qui s’ouvrent, la musique qui se met en marche toute seule ?
Lorsqu’elle s’est exprimée pour la première fois, à l’ouverture du procès devant la cour d’Appel du Nord, elle avait plaidé «non coupable», parce qu’elle «a été agi par une énergie malveillante », parce que ce n’était pas elle, c’était l’Autre qui avait tué. Ce vendredi, lorsque la présidente lui a demandé si elle avait quelque chose a ajouter pour sa défense, elle s'est contentée de répondre «non».
La veille, l’avocate générale, Pascale Girardon, a demandé aux jurés de s’en «tenir aux faits, rien qu’au faits» : le 19 novembre 2013, Fabienne Kabou a déposé son bébé sur le sable froid, la promettant à une mort certaine. Pour le ministère public : «Fabienne Kabou a prémédité son geste.» Elle s’est renseignée sur les horaires des marées, elle a réservé les billets de train.
La sorcellerie évoquée tout au long du dossier par Fabienne Kabou ne serait qu’un stratagème, «une explication de pure opportunité». L’avocate générale a donc requis une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle, conforme à celle demandée en première instance. Elle a également réclamé un suivi socio-judiciaire avec une injonction de soin.
Les deux avocats de la défense ont alors choisi d’incarner, tour à tour, les voix de Fabienne Kabou. La première, Me Fabienne Roy Nansion, a raconté «sa Fabienne», la cliente qu’elle a rencontrée juste après son arrestation et qu’elle épaule depuis quatre ans. Elle a décrit «la prisonnière», celle qui n’arrive pas à faire demi-tour sur la plage, celle qui s’exprime tellement bien qu’on pense qu’elle est rationnelle.
«La seule question que vous devez vous posez c’est pourquoi cette femme intelligente va à Berck pour abandonner son bébé ?», dit-elle. Me Frank Berton s’est avancé pour faire exister «l’Autre». Celle qui prend un bus pour emmener sa fille à la mort, celle qui entend des «injonctions», qui parle de marabouts et de guérisseurs. «Juger c’est comprendre. Elle est malade. Trois psychiatres l’ont dit, ils la mettent sur le fil du rasoir de l’abolition du discernement», a-t-il lancé aux jurés.
Puis il les a exhortés à «baisser sa peine», qui était de vingt ans de réclusion criminelle en première instance, afin de «donner un sens à ce procès». «Même sur sa tombe, Adélaïde n’a pas de nom de famille. Alors aujourd’hui vous allez lui donner un nom. Elle s’appelle Kabou ! Fille de Fabienne Kabou !», a-t-il terminé.
Les neuf jurés semblent avoir entendu la défense : ils ont réussi à chausser les bottes pleines de sable de Fabienne Kabou, sont parvenus à comprendre cette accusée si singulière, à cheval entre deux mondes.
Après trois heures de délibéré, ils l'ont condamnée à quinze ans de réclusion criminelle, retenant l’altération du discernement comme circonstance atténuante. Dans le box, il n’y a plus l’Autre. Seulement Fabienne Kabou, en larmes.
Avec Libération