Le Premier ministre Abdoul Mbaye sera aujourd’hui devant le juge correctionnel pour une affaire de faux présumé. Il y sera en même temps que son ancienne épouse Aminata Diack puisque le leader de l’ACT lui a servi une citation directe pour le même jour. Va-t-on joindre les deux dossiers? On le saura dans les prochaines heures. En attendant, Libération révèle en exclusivité l’ordonnance de non lieu partiel et de renvoi en police correctionnelle du doyen des juges qui vise Abdoul Mbaye et Adama Thiam.
«Courant 2015, Madame la Présidente du tribunal de grande instance hors classe de Dakar a adressé une lettre de dénonciation à Monsieur le Procureur de la République. Il résulte de ladite lettre que par requête en date du 06 août 2014, Monsieur Abdoul Mbaye, saisi par l’organe de son conseil, le tribunal d’instance hors classe de céans d’une requête aux fins de divorce dirigée contre son épouse Madame Aminata Diack. À l’appui désabonner requête, le sieur Mbaye a versé le livret de famille numéro 2 de l’année 1982 délivré par le Centre secondaire d’Etat civil de l’hôpital Principal de Dakar et dans lequel il avait opté pour la monogamie et les époux avaient souscrit au régime de la séparation des biens.
L’autorité précise qu’en cours de procédure, l’épouse Aminata Diack a, par l’organe de ses conseils, attiré l’attention du tribunal sur le fait que son mariage avec le sieur Mbaye est placé sous le régime de la monogamie et la communauté des biens et a produit, à l’appui, le certificat de mariage numéro 002/1982 délivré le 25 juillet 2014 par le Centre secondaire d’Etat-civil de l’hôpital Principal de Dakar », écrit le doyen des juges Samba Sall.
Que s’est-il passé ? Qui ajoute: «Devant cette contrariété de documents, les vérifications effectuées et notamment la production du registre par le sieur Ousseynou Ndiaye officier dudit centre, ont révélé que les mentions originelles relatives à la communauté des biens ont été raturées et surchargées afin de changer l’option par celle de la séparation des biens. Ce changement du régime matrimonial de la communauté des biens a été fait à travers une ordonnance rectificative numéro 685 rendue le 26 mai 1994 par le tribunal départemental de Dakar, ladite ordonnance n’a jamais été produite. Il résulte également de ladite lettre que le nommé Abdoul Mbaye a contracté un second mariage avec la dénommée Bilo Wane en violation de l’option de monogamie à laquelle il avait régulièrement et volontairement souscrit.
L’enquête ouverte a permis d’entendre le sieur Adama Thiam officier d’Etat-civil à la retraite, sur les circonstances dans lesquelles il a été amené à porter la mention raturée et surchargée dans le registre des actes de mariage et par rapport au jugement ayant trait à l’ordonnance rectificative supracitée et qui a permis la suppression du régime de la communauté des biens et son remplacement par celui de la séparation des biens dans le livret de famille, délivrée aux époux Mbaye, il a reconnu que c’est lui qui a reçu à la date du 26/06/1994 ladite ordonnance rectificative signée par le Président du tribunal départemental hors classe de Dakar d'alors, feu Abdoulaye Ba dit Zeundet contre-signée par Me Hyacinthe César Gomis, greffier en chef à la retraite.
Il a avoué en outre avoir barré ladite mention à la suite d’un entretien qu’il a eu à l’époque avec la Présidente du tribunal d’instance hors classe de Dakar à l’époque. Qu’au cours de cet entretien, cette dernière lui avait déclaré que l’ordonnance à l’origine de la mention portée sur le registre est illégale car non prévue par le Code de la famille. Ce qui l’a amené à raturer à nouveau les mentions et à approuver les mots rayés nuls.
Entendue, la dame Aminata Diack, épouse Mbaye, a confirmé avoir contracté mariage avec le sieur Abdoul Mbaye sous l’option de la monogamie et le régime de la communauté des biens. Elle a ajouté avoir vécu avec son époux dans cet état jusqu’en1994, date à laquelle ce dernier lui a proposé de changer le régime initial de communauté de biens par celui de la séparation. Elle a soutenu avoir donné son accord en signant une requête conjointe et quelques temps après, son époux lui avait déposé un livret dans lequel était mentionné le régime de la séparation des biens. Ledit livret ayant été délivré par l’officier d’Etat civil Adama Thiam du Centre secondaire d’Etat-civil de l’hôpital Principal de Dakar où le mariage a été constaté en 1982.
Elle poursuit en indiquant que son époux ayant repris ledit livret en lui expliquant que la procédure de changement d’option était invalide. Elle a sollicité et obtenu de l’officier d’état-civil un duplicata et a été surprise de constater que c’est le régime initial de la communauté des biens qui a été porté en lieu et place de la séparation. »
Ce que disent les acteurs du dossier: « Répondant à l’interpellation, l’officier d'état-civil lui a indiqué que c’est ce livret qui existe au niveau de son service. C’est pourquoi, elle a pensé que l’autre livret consacrant le changement d’option n’avait aucune valeur et a été surprise de constater que son mari l’avait versé dans les pièces de la procédure de divorce. Elle a précisé n’avoir jamais suivi une procédure de liquidation judiciaire anticipée conformément à la loi devant le tribunal de grande instance, après que son mari a manifesté son intention de changer le régime initial. Elle a terminé en affirmant ne pas porter plainte pour ces faits et pour l’existence d’un second mariage de son époux avec une nommée Bilo Wane en violation de l’option de monogamie régulièrement et volontairement souscrite. Entendue, la dame Bilo Wane a reconnu avoir contracté mariage avec le sieur Abdoul Mbaye le 4 octobre 1998 à la mosquée de Tally Boubess à Pikine selon la coutume islamique et le régime matrimonial est celui de la polygamie avec séparation des biens. »
L’ordonnance poursuit : « Entendu à son tour, Maître Hyacinthe César Gomis, ancien greffier en chef du tribunal départemental, a reconnu avoir enregistré l’ordonnance dont il s’agit sous le numéro 685 du 26 mai 1994. Il a soutenu fermement, contrairement aux termes de la dénonciation de l’ancienne présidente du tribunal d’instance hors classe de Dakar, que l’ordonnance rectificative existe bel et bien; cependant il n’a pas pu produire de ladite ordonnance.
Quant au sieur Abdoul Mbaye, il révèle avoir contracté le mariage religieusement avec la dame Aminata Diack le 04 décembre 1981 et ledit mariage a été constaté le 23 janvier 1982 sous l’option de la monogamie et le régime de la communauté des biens. Il explique qu’en 1994, dans l’objectif pour lui et son épouse de contacter des prêts sans faire porter les risques à l’autre conjoint, ils ont adressé au président du tribunal départemental de l’époque, un courrier conjoint pour solliciter le changement du régime de la communauté des biens en celui de séparation des biens. Informé de l’ordonnance rectificative rendue, il soutient avoir remis le livret de famille à l’officier d’état-civil pour que la mention de ladite ordonnance soit portée sans pour autant produire copie de cette ordonnance.
Il affirme en outre que c’est dans le certificat de mariage établi le 25 juillet 2014 et faisant référence à un régime de communauté de biens sans inscription de la mention de l’ordonnance rectificative. Ce qui l’a amené à interpeller l’officier d’état-civil et ce dernier a confirmé que la mention existe bel et bien, mais a été raturée. Réagissant par rapport aux assertions selon lesquelles il aurait été informé après la délivrance de ladite ordonnance rectificative de ce que la procédure entreprise pour procéder au changement du régime juridique des biens n’était pas valide, il les a catégoriquement réfutées en précisant qu’il ignorait que c’est une procédure de liquidation anticipée devant le tribunal de grande instance qui était nécessaire pour ce faire. »
Abdoul Mbaye se défend
S’agissant du mariage contracté en violation de l’option de la monogamie, le sieur Mbaye a reconnu sans ambages ces faits et a déclaré n’avoir aucun commentaire à faire par rapport aux conséquences pénales de ces agissements.
Inculpés respectivement de faux commis dans un document administratif, d’usage dudit faux et tentative d’escroquerie, les sieurs Adama Thiam et Abdoul Mbaye ont catégoriquement nié les fait qui leur sont reprochés. Le premier précisant spontanément s’être fondé sur une ordonnance du président du tribunal départe- mental hors classe de Dakar pour procéder à la rectification du régime matrimonial des biens communs en biens séparés. Entendu au fond par le magistrat instructeur, les mis en cause ont persisté dans leurs dénégations et ont réitéré l’intégralité des déclarations tenues à l’enquête préliminaire. »
Sur le non-lieu, le juge estime que x visé dans le réquisitoire du paquet n’a pu être édifié et qu’il y a échec de dire n’y avoir lieu à suivre davantage contre quiconque. Sur le faux commis dans un document administratif reproché à Adama Thiam, le juge est catégorique : « (...) Il est constant comme résultant de la procédure et des pièces jointes que le sieur Abdoul Mbaye a versé dans le cadre d’une instance de divorce le livret de famille numéro 02/1982 constatant son mariage avec la dame AminataDiack sous l’option de la monogamie et le régime de la séparation des biens. Parallèlement, l’épouse a versé un certificat de mariage numéro 02/1982 délivré le 25/07/2014 par le même centre d’état- civil, qui porte cette fois-ci sur l’option de la monogamie et le régime de la communauté des biens.
L’examen du registre de mariage a permis de découvrir que les mentions originelles relatives à la communauté des biens ont été raturées et surchargées afin de changer l’option par celle de la séparation des biens ; qu’il n’est pas davantage contesté que ces ratures et surcharges ont été faites parle sieur Adama Thiam, officier d’état-civil en fonction au moment des faits; que ce dernier ayant été informé par l’autorité du caractère illégal de ce changement d’option, n’a fait aucune action légale pour annuler ledit changement sinon que de raturer ou surcharger les mentions.
Attendu qu’en procédant ainsi le sieur Adama Thiam a sciemment contrefait, altéré un certificat de mariage qui est un acte d’état-civil délivré par une collectivité locale. Que cette altération porte sur la substance même de l’acte, c’est- à -dire sur les mentions essentielles que l’acte avait pour objet d’établir ou de prouver notamment le régime des biens en l’espèce. Que l’intention frauduleuse est avérée dans la mesure où il déclare lui même qu’en quarante ans de carrière, il n’a jamais rencontré une telle ordonnance de changement de régime juridique des biens. Qu’ainsi, il tombe sous le coup de l’article 137 du Code pénal et qu’il y a lieu de le renvoyer de ce chef devant le tribunal correctionnel. »
Les convictions du juge
Pour la complicité de faux commis dans un document administratif et d’usage de faux reprochés à Abdoul Mbaye, le doyen des juges affirme : « (...) Qu’il résulte de l’information qu’au cours d’une procédure de divorce, les époux Mbaye ont déposé chacun un livret de famille délivré par le même centre d’état-civil avec des mentions différentes relativement au régime des biens ; que pour justifier cette contrariété de documents le sieur Mbaye invoque sans le produire, une ordonnance rectificative rendue le 25 mai 1994 par le Président du tribunal départemental de Dakar.
Qu’en sollicitant par requête adressée au Président du tribunal départemental de Dakar, le changement de régime juridique des biens, le sieur Mbaye savait pertinemment que la procédure usitée, pour ce faire, est illégale, et c’est en ayant une claire conscience de cela, qu’il s’est bien gardé de s’attacher les services d’un avocat préférant agir en solitaire.
Qu’en effet, il résulte des dispositions légales notamment les articles 594 et 604 du Code de procédure civile que le régime de la communauté des biens ne peut être remis en cause que par voie de la liquidation judiciaire anticipée devant le tribunal de grande instance. Qu’il résulte également des déclarations de la dame Aminata Diack, que le sieur Mbaye savait pertinemment que le changement du régime juridique des biens était illégal et c’est pour cette raison qu’il a omis de lui restituer ledit livret.
Qu’en malgré tout une telle procédure qui a permis de changer le régime juridique des biens, le sieur Mbaye a fourni à l’officier d’état-civil les moyens nécessaires à la commission du faux, étant entendu que le faux porte aussi bien sur les ratures et surcharges que sur le changement du régime juridique des biens. Attendu que l’usage de faux ainsi commis découle même du comportement du sieur Abdoul Mbaye qui a consisté à déposer ledit document falsifié dans la procédure de divorce qu’il a initiée devant le tribunal hors de Dakar. Qu’il y a lieu donc de le renvoyer de ces chefs.»
Sur la tentative d’escroquerie reprochée à l’ancien Premier ministre, le juge martèle : « (...) En produisant dans la procédure de divorce dirigée contre son épouse Aminata Diack le livret de famille dans lequel le régime juridique des biens a été frauduleusement changé, le sieur Mbaye avait manifestement l’intention de soustraire des biens de la liquidation de la communauté; que la conséquence d’une telle action est de porter atteinte à tout ou partie de la fortune de la dame Aminata Diack. Attendu que la tentative d’escroquerie s’est manifestée par un commencement d’exécution qui se caractérise par la production de faux documents; que ce commencement d’exécution n’a pas manqué son effet que par la vigilance du conseil de la dame Diack et du juge de la famille. Qu’ainsi le délit est établi, nonobstant l’absence de plainte dès l’instant que les éléments constitutifs sont réunis; qu’il y a lieu de renvoyer le sieur Mbaye de ce chef. »
Cheikh Mbacké Guissé-Libération