Le président de la République Macky Sall et son épouse Marième Faye ont été tout ouïe, hier, face à Bruno Diatta. Comme une boule d’énergie qui ne s’arrêtait jamais de manœuvrer, de distiller les bons mots et les bons emplacements au couple présidentiel visiblement sous le charme. Physique d’éternel jeune, les cheveux poivre sel, vêtu d’un costume sombre, chemise blanche assortie d’une cravate rouge, Bruno Diatta a été encore à la hauteur du cérémonial républicain. Les choses étaient réglées en ce lundi d’histoire, comme du papier à musique. Bruno Diatta, 63 ans, carcasse dure à pénétrer, a encore assuré avec tact, maîtrise et entregent.
Le Chef de protocole à la Présidence de la République du Sénégal, homme de peu de mots publics, semble vivre dans une tour du silence, comme s’il planait au-dessus d’un champ de mystères. On ne le surprend jamais en train de flâner en ville, courir les soirées de galas, faire les choux gras des journaux. Pourtant, la rue publique a longtemps épié ses faits et gestes, mais jamais Bruno Diatta n’est tombé dans le piège de l’excès, de la frime, de l’ostentation débridée et de l’arrogance abrupte. On lui prête la soixantaine baroque et recluse, mais aussi il porte beau la compétence d’un homme à cheval sur son métier. «Il devait aller à la retraite depuis belle lurette, mais c’est l’ancien Président de la République, Me Wade, qui l’a maintenu dans ses fonctions. Car, c’est le meilleur Chef de protocole d’Afrique», vante Pape Samba Mboup, l’ancien ministre Chef de Cabinet du président de la République sortant. Me Wade l’avait tellement adoubé qu’il le comparaissait à un «ordinateur».
Chez Bruno Diatta, la raideur est rarement de la rudesse et la politesse se détend comme un réflexe. L’actuel Chef de protocole du Président Macky Sall est entré dans sa maison, le service présidentiel, à la veille de l’année 1980. «Je pense qu’il est arrivé au Palais vers la fin de l’année 1978 et au début de l’année 1979», confirme le Colonel Birane Wane, ancien Aide de Camp du Président Léopold Sédar Senghor. 34 ans après, Bruno s’échine à faire du service de protocole du Palais sénégalais l’une des références en Afrique.
Bruno est une tombe qui ne s’ouvre jamais. Un taiseux volontaire qui a vite, très vite compris que, dans son métier, la technique sans l’éthique n’est que ruine de l’âme. Il ne parle jamais, mais il sait tout. Ou presque. Des soirées glauques où la République a vacillé, des matins blafards où le pays a failli sombrer, des inconstances et faiblesses de nos plus hauts gouvernants, des complots ourdis au nom de la raison d’Etat. Il a servi de béquille au vieillissant Senghor, offert à Diouf ses meilleures années, appris à Wade les bonnes manières de la République, il va s’échiner désormais à accompagner les nouveaux pas de Macky Sall. Sans jamais dévier de la voie de la loyauté silencieuse. «Un homme comme Bruno avec tous les secrets d’Etat qu’il garde jalousement, s’il décide d’écrire un livre, mais c’est le pays qui va être sens dessus dessous», avise Talla Cissé, l’ancien chef de Cabinet du Président Abdou Diouf de 1983 à 2001. Aujourd’hui sexagénaire, cet ancien proche collaborateur de l’actuel Secrétaire général de la Francophonie, qui a blanchi sous le harnais, sort de son album, aux instantanés jaunis par le temps, une dernière confidence de la mère de Bruno à l’article de la mort. «Sa mère (Clotilde), raconte Talla Cissé, m’a fait appeler pour me demander de dire à Bruno qu’elle était contente de lui et qu’elle ne cessait de prier pour lui. Ce moment était très fort et je n’arrive pas encore à l’oublier.»
«Major de sa promotion à l’Ena»
Bruno n’a pas poussé la porte du protocole du Palais par la force d’un «bras long», ni n’a usé de quelque raccourci de circonstance pour trouver grâce au saint des saints. Mais, par le biais de brillantes études effectuées au Sénégal et à Paris dans les années 1970. Avec son allure affûtée de jeune premier, le jeune Bruno Diatta, toujours la mise soignée et le pas alerte, est un teigneux qui ne préfère pas mourir avec les idées des autres. Son sérieux n’a d’égal que sa ténacité. La scène qui en témoigne avec à propos se passe dans le bureau du ministre de l’Education, Assane Seck, dans les années 1968-1973. Bruno Diatta, alors jeune bachelier qui vient de décrocher son Baccalauréat littéraire au lycée Van Vo (actuel Lamine Guèye) avec la mention «Bien», est reçu par le ministre pour se faire remettre une bourse d’études à l’étranger, comme il était de coutume pour récompenser les élèves les plus méritants du Sénégal de ce Soleil des indépendances. «Tu veux aller étudier quoi ?», questionne le ministre de l’Education d’alors, Assane Seck. «Sciences Politiques !», tonne sec le jeune Bruno Diatta. «Ça, je ne peux pas vous le garantir, parce que nous ne donnons pas des bourses pour Sciences-Po. Alors, je te propose de retourner chez toi, de réfléchir à tête reposée et de me revenir avec une nouvelle proposition», conseille le ministre de l’Education d’alors. Bruno Diatta revient quinze jours plus tard dans les couloirs du ministère. A peine assis devant le ministre, il répète à l’envi son souhait de faire Sciences-Po. Uniquement Sciences-Po. «A l’époque, j’étais coincé, parce que parmi tous les élèves que j’avais reçus, c’était le seul qui voulait faire Sciences-Po. Finalement, comme il était brillant, je lui ai donné une bourse pour Sciences-Po Toulouse», confie le professeur Assane Seck.
La vingtaine ambitieuse et des idées pleines la tête, Bruno débarque en France avec la ferme volonté de réussir ses études à Sciences-Po Toulouse (France). Dans la Ville Rose, il fait une course contre la montre, car il a envie de terminer ses quatre années d’études et de rentrer au plus vite au pays. Sa Maîtrise en poche, Bruno Diatta retourne au Sénégal en 1976 pour intégrer l’Ena (Ecole nationale d’administration). Son ami d’enfance, Charles Gérard : «Il a fait deux ans à l’Ena et est sorti Major de sa promotion. Il était de la même promotion que Doudou Salla Diop, l’ancien ambassadeur du Sénégal en France.»
Entre-temps, Assane Seck devient le chef de la Diplomatie sénégalaise. Encore charmé par le parcours brillant du jeune Bruno, le ministre des Affaires étrangères Assane Seck fait appel au «jeune d’alors bardé de diplômes». «Je l’ai nommé conseiller technique à mon Cabinet, car il était tellement brillant et je ne voulais pas qu’il se fasse détruire sa carrière dans les ambassades», raconte M. Seck.
Bruno Diatta, frais émoulu de Sciences-Po Toulouse, étonne par son sérieux et son sens de l’initiative. Il ne va pas tarder à taper dans l’œil du Président Senghor qui, lors d’une visite de routine au ministère des Affaires étrangères, tombe sous le charme de ce garçon séduisant et brillant. Il décide de l’enrôler au service de protocole où il y avait déjà le guilleret Cheikh Lèye qui dirigeait le service. Mais, Bruno se voit très vite désigner Chef de protocole à la faveur d’une promotion de Cheikh Lèye, au rang d’ambassadeur du Sénégal en République fédérale d’Allemagne en 1979. Bruno a alors les pleins pouvoirs et règne en maître au sein du service de protocole. Il participe et anticipe, étonne et détonne par sa discrétion et son sens de l’organisation.
«Lucide en toutes circonstances»
Les pouvoirs passent, les Présidents aussi, mais Bruno, lui, reste toujours au service de la Présidence. Inamovible et inoxydable. Sans se lasser de cette longévité qui semble le ravaler au rang d’immortel. «Sa longévité s’explique par son sens de l’organisation. C’est quelqu’un également qui est très proactif», admet l’ancien capitaine Ely Manel Diallo, chef de la protection rapprochée du Président Diouf de 1982 en 2001.
Sous ses dehors graciles et sa silhouette d’éternel serviteur de rois, sous ses sourcils clairsemés, sa moue svelte et sérieuse, ses paupières fières de conserver une part d’authenticité, ce jeune sous un corps de vieux sacrifie à la fois au conformisme du présent et à la mélancolie des temps anciens. La mise parfaite, la démarche impeccable toujours égale à lui-même, il ne donne jamais l’air d’un homme tenaillé par la peur ou dépassé par les événements du moment. Un de ses collaborateurs : «En toutes circonstances, il garde par devers lui un soupçon de lucidité et beaucoup de vertus.»
Mais ce florilège d’éloges ne saurait réduire Bruno à un béni-oui-oui qui ne souffre d’aucune contrariété avec les collaborateurs du Président. Il peut arriver qu’il y ait des incompréhensions, comme ce fut le cas parfois avec la garde rapprochée du Président de la République. «Souvent, lors des meetings du Parti socialiste sous Diouf, quelques fieffés zélés arrivaient à lui manquer de respect, mais lui restait de marbre et arrivait à ramener les plus coriaces à de meilleurs sentiments», s’étonne Talla Cissé, l’ancien chef de Cabinet de Diouf.
«C’est un passionné de foot»
Côté jardin, l’existence de Bruno s’est aussi réfugiée dans le secret. L’homme de l’ombre semble allergique aux mondanités, aux endroits où les parvenus de la République exhibent leurs habits de «nouveaux riches». «Malgré sa très longue proximité avec les politiciens, témoigne un de ses amis, il est d’une loyauté avec tout le monde. Il n’a jamais participé à la «Dé-senghorisation», encore mois à la «Dé-dioufisation». Et il ne prendra pas part à une «Dé-wadisation».»
Le fils d’Edouard Diatta, un Diola, ancien ministre des Travaux publics de la Loi Cadre 1956 et d’une mulâtresse saint-louisienne, Clothilde D’Erneville, une cousine à Annette Mbaye D’Erneville, vogue assez loin des turpitudes de son époque. Dans les moments de détente, il mène sa barque loin des tumultes de Dakar et de ses voisins de bureau au Palais.
Enfant, le jeune Bruno a vécu écartelé entre deux régions, la Casamance naturelle, précisément à Oussouye, terre de ses aïeux Diola, et Saint-Louis où son fonctionnaire de père a servi dans l’Administration. Dans la «vieille ville», la famille Diatta coule des jours paisibles, partagée entre le goût des poissons fumés et le petit lycée de la rue Neuville. «C’est un passionné de foot, raconte son ami Charles Gérard. Il aimait jouer dans l’axe de la défense. Il a même eu à casser les jambes de deux de ses camarades. Sa passion pour le ballon l’a poursuivi jusqu’à l’Ena.»
Plus tard, la famille Diatta rejoint Dakar, où Bruno se révélera complice avec son jeune frère Benjamin, actuel directeur de la société de fret à l’aéroport Léopold Sédar Senghor et sa sœur Françoise. Il épousera Thérèse Turpin, actuelle gérante de la galerie Kemboury au Point E et qui partage depuis une quarantaine d’années la vie de Bruno Diatta, avec lequel elle a trois enfants (2 filles, 1 garçon). «Son épouse a beaucoup d’influence sur lui», témoigne un des amis de la famille.
Est-il parfait, le Bruno ? «Je trouve qu’il n’est pas fidèle en amitié, brocarde une vieille connaissance. Il était un des amis de mon mari qui était un proche de l’ancien Président Abdou Diouf. Mais depuis que mon époux est décédé, on ne le voit plus à la maison.» Un reproche comme une tache unique dans un tableau où le rire ne manque pas. «On était si familiers qu’à chaque fois qu’il me rencontrait, il disait : «Je me mets au garde-à -vous !», raconte le Colonel Wane. Je lui répondais : «Ecoute, ne te préoccupe pas de mon pain. Parce que ça, c’est mon rôle. Si je me mettais à dire au Président : Faites ceci ! Evitez cela !, Passez par là ! Cela te dérangerait, alors le garde-à -vous, il est réservé uniquement aux militaires. Laisse-nous torturer nos chevilles, pendant que nous y sommes», sourit l’ancien Aide de Camp de Senghor.
Hier, au moment de tourner la page Wade pour ouvrir celle Macky, son sérieux et son application ont charmé la République… Le Sénégal tout entier.
MOR TALLA GAYE
futursmedias.sn
Le Chef de protocole à la Présidence de la République du Sénégal, homme de peu de mots publics, semble vivre dans une tour du silence, comme s’il planait au-dessus d’un champ de mystères. On ne le surprend jamais en train de flâner en ville, courir les soirées de galas, faire les choux gras des journaux. Pourtant, la rue publique a longtemps épié ses faits et gestes, mais jamais Bruno Diatta n’est tombé dans le piège de l’excès, de la frime, de l’ostentation débridée et de l’arrogance abrupte. On lui prête la soixantaine baroque et recluse, mais aussi il porte beau la compétence d’un homme à cheval sur son métier. «Il devait aller à la retraite depuis belle lurette, mais c’est l’ancien Président de la République, Me Wade, qui l’a maintenu dans ses fonctions. Car, c’est le meilleur Chef de protocole d’Afrique», vante Pape Samba Mboup, l’ancien ministre Chef de Cabinet du président de la République sortant. Me Wade l’avait tellement adoubé qu’il le comparaissait à un «ordinateur».
Chez Bruno Diatta, la raideur est rarement de la rudesse et la politesse se détend comme un réflexe. L’actuel Chef de protocole du Président Macky Sall est entré dans sa maison, le service présidentiel, à la veille de l’année 1980. «Je pense qu’il est arrivé au Palais vers la fin de l’année 1978 et au début de l’année 1979», confirme le Colonel Birane Wane, ancien Aide de Camp du Président Léopold Sédar Senghor. 34 ans après, Bruno s’échine à faire du service de protocole du Palais sénégalais l’une des références en Afrique.
Bruno est une tombe qui ne s’ouvre jamais. Un taiseux volontaire qui a vite, très vite compris que, dans son métier, la technique sans l’éthique n’est que ruine de l’âme. Il ne parle jamais, mais il sait tout. Ou presque. Des soirées glauques où la République a vacillé, des matins blafards où le pays a failli sombrer, des inconstances et faiblesses de nos plus hauts gouvernants, des complots ourdis au nom de la raison d’Etat. Il a servi de béquille au vieillissant Senghor, offert à Diouf ses meilleures années, appris à Wade les bonnes manières de la République, il va s’échiner désormais à accompagner les nouveaux pas de Macky Sall. Sans jamais dévier de la voie de la loyauté silencieuse. «Un homme comme Bruno avec tous les secrets d’Etat qu’il garde jalousement, s’il décide d’écrire un livre, mais c’est le pays qui va être sens dessus dessous», avise Talla Cissé, l’ancien chef de Cabinet du Président Abdou Diouf de 1983 à 2001. Aujourd’hui sexagénaire, cet ancien proche collaborateur de l’actuel Secrétaire général de la Francophonie, qui a blanchi sous le harnais, sort de son album, aux instantanés jaunis par le temps, une dernière confidence de la mère de Bruno à l’article de la mort. «Sa mère (Clotilde), raconte Talla Cissé, m’a fait appeler pour me demander de dire à Bruno qu’elle était contente de lui et qu’elle ne cessait de prier pour lui. Ce moment était très fort et je n’arrive pas encore à l’oublier.»
«Major de sa promotion à l’Ena»
Bruno n’a pas poussé la porte du protocole du Palais par la force d’un «bras long», ni n’a usé de quelque raccourci de circonstance pour trouver grâce au saint des saints. Mais, par le biais de brillantes études effectuées au Sénégal et à Paris dans les années 1970. Avec son allure affûtée de jeune premier, le jeune Bruno Diatta, toujours la mise soignée et le pas alerte, est un teigneux qui ne préfère pas mourir avec les idées des autres. Son sérieux n’a d’égal que sa ténacité. La scène qui en témoigne avec à propos se passe dans le bureau du ministre de l’Education, Assane Seck, dans les années 1968-1973. Bruno Diatta, alors jeune bachelier qui vient de décrocher son Baccalauréat littéraire au lycée Van Vo (actuel Lamine Guèye) avec la mention «Bien», est reçu par le ministre pour se faire remettre une bourse d’études à l’étranger, comme il était de coutume pour récompenser les élèves les plus méritants du Sénégal de ce Soleil des indépendances. «Tu veux aller étudier quoi ?», questionne le ministre de l’Education d’alors, Assane Seck. «Sciences Politiques !», tonne sec le jeune Bruno Diatta. «Ça, je ne peux pas vous le garantir, parce que nous ne donnons pas des bourses pour Sciences-Po. Alors, je te propose de retourner chez toi, de réfléchir à tête reposée et de me revenir avec une nouvelle proposition», conseille le ministre de l’Education d’alors. Bruno Diatta revient quinze jours plus tard dans les couloirs du ministère. A peine assis devant le ministre, il répète à l’envi son souhait de faire Sciences-Po. Uniquement Sciences-Po. «A l’époque, j’étais coincé, parce que parmi tous les élèves que j’avais reçus, c’était le seul qui voulait faire Sciences-Po. Finalement, comme il était brillant, je lui ai donné une bourse pour Sciences-Po Toulouse», confie le professeur Assane Seck.
La vingtaine ambitieuse et des idées pleines la tête, Bruno débarque en France avec la ferme volonté de réussir ses études à Sciences-Po Toulouse (France). Dans la Ville Rose, il fait une course contre la montre, car il a envie de terminer ses quatre années d’études et de rentrer au plus vite au pays. Sa Maîtrise en poche, Bruno Diatta retourne au Sénégal en 1976 pour intégrer l’Ena (Ecole nationale d’administration). Son ami d’enfance, Charles Gérard : «Il a fait deux ans à l’Ena et est sorti Major de sa promotion. Il était de la même promotion que Doudou Salla Diop, l’ancien ambassadeur du Sénégal en France.»
Entre-temps, Assane Seck devient le chef de la Diplomatie sénégalaise. Encore charmé par le parcours brillant du jeune Bruno, le ministre des Affaires étrangères Assane Seck fait appel au «jeune d’alors bardé de diplômes». «Je l’ai nommé conseiller technique à mon Cabinet, car il était tellement brillant et je ne voulais pas qu’il se fasse détruire sa carrière dans les ambassades», raconte M. Seck.
Bruno Diatta, frais émoulu de Sciences-Po Toulouse, étonne par son sérieux et son sens de l’initiative. Il ne va pas tarder à taper dans l’œil du Président Senghor qui, lors d’une visite de routine au ministère des Affaires étrangères, tombe sous le charme de ce garçon séduisant et brillant. Il décide de l’enrôler au service de protocole où il y avait déjà le guilleret Cheikh Lèye qui dirigeait le service. Mais, Bruno se voit très vite désigner Chef de protocole à la faveur d’une promotion de Cheikh Lèye, au rang d’ambassadeur du Sénégal en République fédérale d’Allemagne en 1979. Bruno a alors les pleins pouvoirs et règne en maître au sein du service de protocole. Il participe et anticipe, étonne et détonne par sa discrétion et son sens de l’organisation.
«Lucide en toutes circonstances»
Les pouvoirs passent, les Présidents aussi, mais Bruno, lui, reste toujours au service de la Présidence. Inamovible et inoxydable. Sans se lasser de cette longévité qui semble le ravaler au rang d’immortel. «Sa longévité s’explique par son sens de l’organisation. C’est quelqu’un également qui est très proactif», admet l’ancien capitaine Ely Manel Diallo, chef de la protection rapprochée du Président Diouf de 1982 en 2001.
Sous ses dehors graciles et sa silhouette d’éternel serviteur de rois, sous ses sourcils clairsemés, sa moue svelte et sérieuse, ses paupières fières de conserver une part d’authenticité, ce jeune sous un corps de vieux sacrifie à la fois au conformisme du présent et à la mélancolie des temps anciens. La mise parfaite, la démarche impeccable toujours égale à lui-même, il ne donne jamais l’air d’un homme tenaillé par la peur ou dépassé par les événements du moment. Un de ses collaborateurs : «En toutes circonstances, il garde par devers lui un soupçon de lucidité et beaucoup de vertus.»
Mais ce florilège d’éloges ne saurait réduire Bruno à un béni-oui-oui qui ne souffre d’aucune contrariété avec les collaborateurs du Président. Il peut arriver qu’il y ait des incompréhensions, comme ce fut le cas parfois avec la garde rapprochée du Président de la République. «Souvent, lors des meetings du Parti socialiste sous Diouf, quelques fieffés zélés arrivaient à lui manquer de respect, mais lui restait de marbre et arrivait à ramener les plus coriaces à de meilleurs sentiments», s’étonne Talla Cissé, l’ancien chef de Cabinet de Diouf.
«C’est un passionné de foot»
Côté jardin, l’existence de Bruno s’est aussi réfugiée dans le secret. L’homme de l’ombre semble allergique aux mondanités, aux endroits où les parvenus de la République exhibent leurs habits de «nouveaux riches». «Malgré sa très longue proximité avec les politiciens, témoigne un de ses amis, il est d’une loyauté avec tout le monde. Il n’a jamais participé à la «Dé-senghorisation», encore mois à la «Dé-dioufisation». Et il ne prendra pas part à une «Dé-wadisation».»
Le fils d’Edouard Diatta, un Diola, ancien ministre des Travaux publics de la Loi Cadre 1956 et d’une mulâtresse saint-louisienne, Clothilde D’Erneville, une cousine à Annette Mbaye D’Erneville, vogue assez loin des turpitudes de son époque. Dans les moments de détente, il mène sa barque loin des tumultes de Dakar et de ses voisins de bureau au Palais.
Enfant, le jeune Bruno a vécu écartelé entre deux régions, la Casamance naturelle, précisément à Oussouye, terre de ses aïeux Diola, et Saint-Louis où son fonctionnaire de père a servi dans l’Administration. Dans la «vieille ville», la famille Diatta coule des jours paisibles, partagée entre le goût des poissons fumés et le petit lycée de la rue Neuville. «C’est un passionné de foot, raconte son ami Charles Gérard. Il aimait jouer dans l’axe de la défense. Il a même eu à casser les jambes de deux de ses camarades. Sa passion pour le ballon l’a poursuivi jusqu’à l’Ena.»
Plus tard, la famille Diatta rejoint Dakar, où Bruno se révélera complice avec son jeune frère Benjamin, actuel directeur de la société de fret à l’aéroport Léopold Sédar Senghor et sa sœur Françoise. Il épousera Thérèse Turpin, actuelle gérante de la galerie Kemboury au Point E et qui partage depuis une quarantaine d’années la vie de Bruno Diatta, avec lequel elle a trois enfants (2 filles, 1 garçon). «Son épouse a beaucoup d’influence sur lui», témoigne un des amis de la famille.
Est-il parfait, le Bruno ? «Je trouve qu’il n’est pas fidèle en amitié, brocarde une vieille connaissance. Il était un des amis de mon mari qui était un proche de l’ancien Président Abdou Diouf. Mais depuis que mon époux est décédé, on ne le voit plus à la maison.» Un reproche comme une tache unique dans un tableau où le rire ne manque pas. «On était si familiers qu’à chaque fois qu’il me rencontrait, il disait : «Je me mets au garde-à -vous !», raconte le Colonel Wane. Je lui répondais : «Ecoute, ne te préoccupe pas de mon pain. Parce que ça, c’est mon rôle. Si je me mettais à dire au Président : Faites ceci ! Evitez cela !, Passez par là ! Cela te dérangerait, alors le garde-à -vous, il est réservé uniquement aux militaires. Laisse-nous torturer nos chevilles, pendant que nous y sommes», sourit l’ancien Aide de Camp de Senghor.
Hier, au moment de tourner la page Wade pour ouvrir celle Macky, son sérieux et son application ont charmé la République… Le Sénégal tout entier.
MOR TALLA GAYE
futursmedias.sn