On a l’impression d’être en face d’une femme qui rajeunit, malgré la fatigue.
C’est parce que tout simplement je suis une femme épanouie. Je sens que tout le monde m’adore. J’ai retrouvé un charmant public, mais aussi une nouvelle famille : celle des enfants. Ils nous témoignent sympathie et amour. C’est un ensemble de facteurs qui donnent le courage de reprendre les activités, d’organiser, de réaliser des choses extraordinaires. J’ai repris la Semaine internationale de la mode, après avoir hiberné un moment. Il me fallait prendre du recul pour voir comment faire émerger la mode et réfléchir sur les autres événements qui pourront naître. Car il faut que d’autres événements naissent pour d’autres évolutions.
On peut alors parler d’un retour en force d’Oumou sy, avec la Simod qui renaît, après 5 ans d’hibernation ?
La force a toujours été là . Ce qu’il y a à souligner, c’est que je reviens avec de belles surprises pour le public. Il a besoin de nouvelles découvertes. Il a envie d’être ébahi. J’essaie toujours de créer et d’émerveiller.
Vous vous étiez retirée de la scène. Oumou Sy s’était retranchée dans le mutisme. Qu’est-ce qui justifie ce silence ?
Ce n’est pas un silence. Il se trouve qu’à un moment, je me suis mise à l’écart pour avoir un œil qui regarde, une oreille qui écoute pour être sûre que la relève est assurée, que les choses vont de l’avant. Je reviens pour donner un coup de pouce et encourager les jeunes à foncer. Je leur fais savoir qu’il y a de la place pour tout le monde.
Après que Simod est née, d’autres grands rendez-vous de la mode ont eu lieu, tels le Paluso, puis la Fima d’Alphadi. Simod a continué à un moment donné, mais quand elle a hiberné, Sira vision est né, avant qu’adama Paris ne propose Africa vision week. Le Sénégal a besoin de ces grands événements pour devenir le carrefour international de la mode. La mode est à l’image des écoles coraniques ou daaras, avec plusieurs marabouts. Tout dépend de ce qu’on en fait.
C’est la Simod, votre initiative, qui a ouvert le bal et balisé la voie aux autres événements de la mode ?
C’est parce qu’il faut qu’il y ait un commencement à tout. On a connu l’ère des défilés avec sotiba et de grandes stylistes comme Collé Sow Ardo, Diouma Dieng Diakhaté. Elles organisaient des défilés, mais il n'y avait pas une semaine de la mode encore moins d’événements de mode annuel. Mais la Simod a marqué un déclic ; dorénavant, on connaît les grandes dates de la mode sénégalaise.
On peut en déduire qu'Oumou Sy, à qui on colle l’étiquette d’une femme qui dérange, n’a pas été mise à l’écart ….
Non ! Je ne dérange personne, personne ne me dérange. Il faut faire les choses et à un moment donné, il faut reculer pour mieux sauter. J’ai beaucoup voyagé entre-temps. Je n’ai pas arrêté de travailler, malgré la non-tenue de la Simod. J’en ai profité pour ranger le Métissacana et le mettre en stand-by. Là , je reprends mes activités.
Aujourd’hui, comment se porte la Simod ?
Elle se porte bien dans l’ensemble. On a noté un retard de 3 mois dans son organisation, ce qui m’a empêchée d’accomplir ce que j’avais mis comme programme. J’ai dû condenser et éliminer certaines activités, tels l’installation de Délo, le tann béér, le fanal, le carnaval. Cela tombe bien, vu qu’on est en pleine période d’élections, il est plus sage d’éviter certains regroupements dans les rues.
L’organisation d’un tel événement nécessite des moyens importants. Oumou Sy a-t-elle les moyens de ses ambitions, ou bénéficie-t-elle d’un soutien financier de l’État ?
La fondation ‘’servir le Sénégal’’ de la première dame Marième Faye Sall nous a soutenus pour l’organisation du bal de cendrillon. Grâce à cette aide financière, nous avons pu réaliser les costumes et assurer les repas des enfants, etc. D’ailleurs, le succès de l’événement me pousse à croire que je ne galérerai pas l’année prochaine. Les Sénégalais ont compris ce qu’est la Simod. C’est un grand pas.
Le public a donc répondu présent ?
Tout à fait, c’est à la demande du public que le bal de cendrillon doit revenir l’année prochaine. J’ai rendu un vibrant hommage à mon défunt mari, dans une belle tragédie grecque. C’était un spectacle magnifique, mais c’est le bal de cendrillon qui a émerveillé le public. J’ai repris de vieux contes que j’avais quand j’étais petite. C’est un cadeau que j’ai offert aux enfants. Cela aide à leur éducation et à leur ouverture d’esprit, car chaque enfant rêve d’être prince ou princesse. Ils ont eu le privilège de porter ce titre durant le spectacle au grand bonheur de leurs parents qui ne s’y attendaient pas.
Que répondez-vous à ceux qui jugent que ce sont vos rapports pas du tout huilés avec l’ancien régime qui ont eu à plomber, à un moment, l’envol de la Simod ?
L’ancien régime ne m’a pas bloquée. Il me fallait marquer un stop, sinon je n’allais plus vivre. Car dans la vie, on ne peut pas toujours se baigner dans du miel. Les hauts et les bas qui la ponctuent lui donnent du charme. On ne peut pas y échapper, sinon on ne vit pas longtemps. Je me suis lancée très tôt dans la mode. À 5 ans je savais déjà coudre. À 13 ans j’ai ouvert mon atelier, il me fallait à un moment arrêter.
Oumou Sy n’a pas fréquenté l’école, mais a réussi à gagner une renommée internationale, c’est le fruit de l’audace ?
Je pense que la personne qui n’a pas eu la chance d’aller à l’école, ni d’apprendre un métier, doit croire en elle. C’est important de croire en soi, mais aussi de faire preuve de détermination. Il faut savoir ce qu’on veut, puis aller vers ce qu’on a envie de faire et le faire positivement. J’ai la trouille à chaque spectacle. C’est comme si c’est la première fois que je monte sur scène. Je ne suis jamais sûre de moi. D’ailleurs je pense qu’il ne faut pas être trop sûr de soi, mais cela ne m’empêche pas de persévérer.
La vie n’a pas été un conte de fées pour vous, mais vous semblez avoir toujours réussi à tirer votre épingle du jeu. D’où Oumou Sy tire-t-elle cette force ?
C’est Dieu qui fait la programmation sur tout dans la vie d’un être humain. L’homme ne programme rien. On doit tout placer dans la volonté de Dieu. On ne peut infléchir le cours de son destin.
Même si l’humain doit y mettre aussi du sien.
On met du nôtre, le fait d’être dans le bonheur et de dominer le malheur le prouve. Je ne peux pas naître dans la famille chérifienne et vouloir qu’aucun malheur ne s’abatte sur moi. Le Prophète ( Psl ) a souffert plus que tout le monde. Il a fait preuve de dépassement. Ses ennemis sont devenus ses amis les plus proches. Je n'ose pas dire qu’il ne m’arrivera pas de malheur, mais il faut savoir surmonter les coups.
De sombres épisodes ont marqué votre vie. Avez-vous réussi à faire table rase ou vous affectent-ils encore ?
Cela ne m’affecte pas du tout. Je suis là , on me pose des questions, je réponds. Cela signifie que j’existe encore. Je ne me suis pas suicidée. Je n’ai pas perdu la tête, par la grâce de Dieu. Un malheur ne fait que nous forger davantage.
Vous aviez lancé le Métissacana. Aujourd’hui, quand vous vous faites à l’idée que cela a fait long feu, quels sentiments vous animent ?
Mais, Métissacana existe toujours, car dans le monde de l’internet, le nom de Metissacana apparaîtra toujours. C’est le premier prestataire de service internet. On a connecté les gens. C’est devenu une école dans le monde. Son succès a dépassé les frontières de l’Afrique. Cela s’est arrêté, peut-être que cela va continuer.
Parlez-nous un peu de l’univers de la mode au Sénégal.
J’en ai déjà parlé. Elle est là . Tout dépend de ce qu’on fait.
Quels types de rapports entretenez-vous entre stylistes ?
Nos rapports sont au beau fixe. Chacun a un style différent de l’autre. C’est qui fait notre charme.
Donc on peut estimer que la concurrence est saine dans votre univers ?
Il n'y a pas de concurrence à notre niveau. Chacun évolue avec son propre style. Tout le monde peut briller au soleil dans ce milieu. Nos différents clients peuvent avoir toutes les pièces dans leur armoire. C’est la beauté du corps et la beauté de l’armoire.
La mode nourrit-elle son homme dans notre pays ?
Tout dépend de ce qu’on en fait. On peut travailler comme une fourmi sans rien gagner. Il faut faire des pièces.
La mode s’exporte bien à l’étranger ?
Oui cela se passe très bien.
Aujourd’hui, quel est le projet qui tient à cœur Oumou Sy ?
Je suis, pour vous dire, une femme qui ne fait jamais d’échographie. Quand je suis enceinte j’attends d’accoucher pour connaître le sexe du bébé, car je suis convaincue que Dieu ne me donnera jamais du n’importe quoi.
Pourtant on vous présente comme une visionnaire, une femme qui a le sens de l’initiative.
L’initiative vient tout de suite. Je ne le projette pas. Je suis quelqu’un qui s’amuse en travaillant. Quand je travaille, je joue. Est-ce que mon jeu est valable ou pas ? C’est au public d’apprécier.
Matel BOCOUM