Un « garçon manqué »
Toutes trois se souviennent de « Mimi », la camarade du lycée Van Vollenhoven (communément appelé Van-Vo), à Dakar, ou de la copine d’université, en France, plutôt « garçon manqué », chevelure afro, avec d’éternels blue-jeans, liquettes, baskets et passionnée de sports qualifiés alors de « virils » tels le football, le handball et les épreuves d’endurance. Cette amie, elles ne l’ont vraiment jamais perdue de vue ces dernières décennies, en dépit des vicissitudes de l’existence. « Je l’ai toujours connue sous son petit nom, Mimi » (un des multiples diminutifs d’Aminata), souligne la diplomate citée plus haut : « Elle est restée simple et facile d’accès. »
Une adolescence de « petite toubab »
Mimi Touré est née le 12 octobre 1962 à Dakar au sein d’une fratrie de huit enfants. Médecin réputé, aujourd’hui décédé, son père impressionnait son monde par son calme olympien. La mère, sage-femme de son état, toujours en vie, était en revanche la terreur des copains et copines qui défilaient à la maison, notamment parce qu’elle était très à cheval sur l’éducation de ses enfants. Mimi a passé une adolescence de « petite toubab » - dixit ses amies - dans la maison familiale de Liberté 5, à l’époque un quartier prisé par les cadres aisés et les hauts fonctionnaires.
A l’âge où d’autres jouent encore à la marelle, elle hante les assemblées générales de la Ligue communiste des travailleurs (LCT), un mouvement lambertiste (une variante du trotskysme). On la retrouve aussi dans les manifestations d’And-Jëf, la petite formation maoïste de Landing Savané, dont elle deviendra d’ailleurs, plus tard, la directrice de campagne lors de l’élection présidentielle de 1993. Cette fréquentation partisane avec les maoïstes, elle la partage alors, sans que l’un et l’autre ne se connaissent à l’époque, avec un certain Macky Sall, qui connaitra, bien plus tard, un destin national.
En France, elle troque ses baskets pour la politique
Après son bac, Mimi Touré s’envole pour la France, munie d’une inscription en AES (Administration Economique et Sociale). A Grenoble, sa première escale, elle loge sur le campus de Saint-Martin-d’Hères, dans la banlieue Est, plus exactement, selon nos informations, à la résidence Berlioz. Elle est plutôt studieuse, à en croire plusieurs témoignages, passe généralement ses week-ends avec des compatriotes à Echirolles, l’autre grande banlieue grenobloise, mais délaisse petit à petit le sport de haut niveau au profit de la politique et l’« agitprop ».
Elle avale les différents bréviaires révolutionnaires, à commencer par le Manifeste du parti communiste, de Karl Marx et Friedrich Engels, son livre de chevet à la résidence universitaire. Elle monte parfois à Paris à l’occasion des grandes manifestations du Parti communiste, dont la traditionnelle fête de l’Humanité. « Elle pouvait parler pendant des heures de politique, d’idéologie et de marxisme-léninisme sans se fatiguer », raconte une amie. Elle flirte, de nouveau, avec le trotskysme, dénonce au passage les staliniens, et milite activement au sein de l’Association des étudiants sénégalais en France (AESF), de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF).
C’est dans ce ferment révolutionnaire qu’elle rencontre un autre militant pur jus, Oumar Sarr, un surdoué en mathématiques et en informatique, avec qui elle convolera plus tard en premières noces. « Entre deux grands adeptes de la dialectique, le courant est tout de suite passé entre eux », raconte une amie du couple. Après la licence, « Mimi, la Rouge » quitte Grenoble, pour Dijon, puis Aix-en-Provence et, finalement, Paris. Ses diplômes en poche, elle rentre au Sénégal, travaille un moment à la SOTRAC (Société des transports du Cap-Vert), dont elle dirige le département « marketing et communication ». Elle coiffe ensuite les programmes de l’Association sénégalaise pour le bien-être familial (ASBEF), avant d’intégrer, à partir de 1995, avec l’aide de certains hauts fonctionnaires africains proches du Secrétaire général d’alors, Boutros Ghali, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP). Elle est en poste d’abord à Ouagadougou, puis, au siège de cette organisation, à New York.
Son troisième époux serait un vrai cordon bleu.
Mimi Touré a ses bureaux sur la Troisième Avenue, à Manhattan, mais habite dans le New Jersey voisin, dans un beau pavillon. A en croire un témoin privilégié, la décoration de la maison doit beaucoup à son actuel (et troisième) mari, un entrepreneur sénégalais en bâtiment et travaux publics (BTP). En effet, après Oumar Sarr, le féru de mathématiques et d’informatique, père de leur fille aînée, puis Momar Wade, un journaliste, avec qui elle a deux autres enfants, Mimi Touré semble avoir trouvé son bonheur au bras d’Oumar Coulibaly, décrit comme calme, prévenant et, à en croire une amie du couple, « un vrai cordon bleu ».
De New York, où elle dirige le département « Genre, Droits humains et Culture » du FNUAP, elle continue de s’intéresser de très près à l’actualité sénégalaise. Il lui arrivait ainsi de rencontrer le président Abdoulaye Wade lors des passages de ce dernier dans la grande métropole américaine. Animées, leurs discussions politiques se poursuivaient tard, généralement pour constater leurs divergences.
Une volonté de l’éloigner de la chancellerie
Puis, à l’approche de l’élection présidentielle de 2012, Mimi Touré lâche tout, la résidence arborée et ouatée du New Jersey et une carrière prometteuse, rentre au Sénégal pour collaborer très étroitement avec Macky Sall qui, après une rupture spectaculaire avec Wade, le 9 novembre 2008, entame une irrésistible ascension vers les sommets.
Après, la victoire de son mentor, elle est bombardée en avril 2012 ministre de la Justice, une position d’où elle n’aura de cesse de faire rendre gorge à nombre de dignitaires de l’ancien régime, en usant parfois de procédés dignes d’un shérif. Dans son collimateur, une belle brochette d’anciens ministres, de directeurs de société et de conseillers suspectés d’avoir allègrement puisé dans les caisses de l’Etat. Parmi eux, Karim Wade, fils et ministre de son père, incarcéré depuis plusieurs mois dans une prison dakaroise, mais aussi, Oumar Sarr, son ex-époux, coordonnateur général du Parti démocratique sénégalais (PDS, la formation politique d’Abdoulaye Wade) depuis la défaite électorale de mars 2012. Leur fille, Dior, diplômée en santé publique de la prestigieuse université Yale, située à New Haven, dans le Connecticut, a dû apprécier…
En termes de carrière et de notoriété, le choix de la fermeté dans la traque des biens supposés mal acquis semble plutôt avoir réussi à Mimi Touré, même si ses contempteurs voient dans sa récente promotion à la tête du gouvernement une volonté manifeste de Macky Sall de l’éloigner d’une chancellerie où son extrême rigidité et ses écarts avec le droit irritaient certains puristes de la discipline.
A défaut d’avoir renoncé à la révolution, Mimi Touré travaille à ripoliner ses propres aspérités. En quittant la gauche, elle a retrouvé de nouveaux amis, sans pour autant avoir perdu ses fondamentaux. Elle est moins militante, plus politique. Sa déclaration de biens, à son entrée en 2012 à la chancellerie, se chiffre à un peu plus de 700 millions de F CFA (1,06 million d’€), notamment en actifs immobiliers. A ses rares moments de détente, elle met à jour une base de données sur les jeunes Sénégalais en formation aux quatre coins de la planète. Elle entretient des relations suivies avec certains d’entre eux par courrier électronique.
Elle a remisé ses célèbres tenues décontractées dans une penderie et s’habille désormais chez de grands couturiers dakarois, entre autres chez Maryse Couture, non loin du collège Notre-Dame-du-Liban, à Castors/Derkhlé. Propulsée à la tête d’un gouvernement de trente-deux membres (dont seulement cinq femmes), celle qui a abjuré la foi marxiste continue, à sa manière, de revêtir les vieux habits de la militante communiste qu’elle fut. Avec, à son avantage, une rigueur et une certaine idée de l’intérêt général et, comme talon d’Achille, une rhétorique guerrière qui effraie même dans les cercles qui lui sont favorables. Cette alchimie, son incroyable culot et sa bonne étoile font dire à ses admirateurs les plus zélés qu’elle est « programmée » pour devenir la première femme présidente de la République…
Derniereminute.sn (avecPar Francis Kpatindé RFI)