Le 16 mars 2012, pendant l’entre-‐deux tours, le candidat Macky Sall, arrivé en deuxième position derrière le Président-‐sortant avec 26,58 % des voix, a fait au peuple sénégalais une promesse inédite dans l’histoire politique des nations : celle de réduire la durée du mandat présidentiel et de l’appliquer à son propre mandat, s’il était élu. La fierté s’est ajoutée aux raisons de mon choix de le soutenir. Cette promesse a, sans aucun doute, fait basculer les votes de nombreux sénégalais en sa faveur. Il remporta largement l’élection présidentielle, ralliant la totalité des électeurs des candidats éliminés au premier tour.
Cette promesse de candidat est devenue un engagement de Chef d’Etat réaffirmé à plusieurs reprises, devant les Sénégalais, lors d’une interview dans un média international et devant d’éminents dirigeants de pays partenaires du Sénégal.
Malheureusement, cet engagement qui recueille l’assentiment de nombreux citoyens et partis politiques, et qui aurait pu être mis en œuvre sans tarder dès après l’élection présidentielle, a été passé aux oubliettes pendant quatre ans.
C’est seulement le 31 décembre 2015, que le Président Macky Sall a décidé, conformément à l’article 27 de la Constitution, de soumettre à un référendum la modification appropriée de la constitution et de recueillir au préalable sur le projet de réforme constitutionnelle « l'avis du Président de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel », conformément à l’article 51 de ladite constitution. Ledit projet de réforme constitutionnelle comporte 15 chapitres et 22 articles, mais le seul et unique point qui a focalisé l’attention de l’opinion nationale et internationale reste la réduction du mandat présidentiel et son application au mandat en cours du Président Macky Sall.
Le Conseil a dans son avis indiqué que l’application de la durée de cinq années n’est pas applicable au mandat en cours du Président Macky Sall.
Comme beaucoup de sénégalais, je ne peux manquer de me poser une multitude de
questions :
- Pourquoi avoir attendu quatre années pour tenter de tenir laborieusement une promesse électorale devenue engagement présidentiel martelé urbi et orbi ?
- Pourquoi avoir attendu quatre années pour informer le peuple sénégalais que l’engagement présidentiel, maintes fois réaffirmé, est soumis à l’autorisation préalable du Conseil Constitutionnel ?
- Pourquoi n’avoir pas dit plus tôt que dans cette affaire le Président est simplement initiateur et que le Conseil Constitutionnel est le vrai décideur ?
‐ Mais surtout, pourquoi, une fois l’avis du Conseil Constitutionnel donné et qu’il n’y a plus d’urgence, cette précipitation soudaine et injustifiée à organiser un référendum dans un délai d’un mois à peine?
La décision étant prise d’aller au référendum, il appartient à chaque citoyen de prendre position en toute liberté : en votant « oui », « non » ou « blanc » ou en s’abstenant. Pour ma part, j’ai choisi de rendre publique ma position. Elle est à deux temps.
Le premier temps : je conseille au Président de la République d’annuler le scrutin du 20 mars 2016, que rien ne justifie.
Le référendum, surtout à une date si proche, ne se justifie plus pour plusieurs raisons: D’abord, parce que le seul article qui rendait un référendum obligatoire, aux yeux des spécialistes du droit constitutionnel, est la révision de la durée du mandat du Président de la République.
Cette révision-‐ci était le cœur de la réforme constitutionnelle envisagée, parce que la seule chargée de symbole politique fort ; le symbole d’un retour à une pratique politique vertueuse ; le symbole d’un Chef d’Etat faisant preuve de suffisamment de désintéressement pour réduire la durée de son mandat, de son seul gré ; le symbole d’un Président de la République immunisé contre la drogue du pouvoir pour le pouvoir.
Aujourd’hui, la révision du mandat du Président de la République est en très grande partie vidée de sa substance, ou du moins, de ce qui faisait du référendum une œuvre urgente. La prochaine élection présidentielle se tenant en février 2019, rien ne peut justifier la tenue dans la précipitation d’un référendum avec autant de points (15 chapitres, 22 articles et ayant nécessité 15 pages d’avis du Conseil Constitutionnel), engloutissant plusieurs milliards de nos ressources rares, sans donner le temps à la campagne, celle du oui et celle du non, de se déployer.
Toutes les autres réformes, dont l’importance de certaines ne fait pas doute, ne nécessitent pas de référendum et peuvent être soumises dans la sérénité aux députés, représentants du peuple. Pourquoi donc dépenser des milliards, si on peut, pour ces autres questions, presque toutes très techniques, utiliser la voie parlementaire, celle des représentants du peuple. Disons-‐le clairement, le référendum, outil de démocratie directe, n’est adapté ni à des questions complexes, ni à des questions multiples. Nous savons aussi qu’il a souvent été utilisé dans certains pays qui en ont la pratique, pour court-‐circuiter les représentants du peuple.
La démocratie, fût-‐elle directe, exige une période d’explication et de campagne. Après près de quatre années consacrées à concevoir ce projet, peut-‐on raisonnablement penser que la période d’un mois est suffisante pour expliquer le « oui », le « non » à tous nos concitoyens du Sénégal et de l’extérieur ? Non, mille fois non !
Une autre raison, pratique et de fond, justifie l’annulation du référendum du 20 mars 2016. C’est celle des listes électorales. Il me semble que nous soyons dans la période de révision ordinaire des listes électorales ; est-‐il logique de convoquer un référendum sans que la campagne de révision ordinaire ne soit terminée, sans que les cartes d’électeurs ne puissent être distribuées dans les délais légaux, surtout lorsqu’aucune urgence absolue ne le justifie ?
Par conséquent, je propose clairement :
- L’annulation du référendum du 20 mars 2016 ;
- La tenue d’un référendum sur la durée du mandat du Président de la République en 2017 le jour des élections législatives ; encore une fois, rien ne presse sur cette question, étant donné que la réduction de durée ne s’applique pas au mandat en cours. Nous aurons ainsi économisé de précieux milliards et énormément de temps à consacrer à une vraie émergence économique, plutôt qu’à une campagne référendaire, sans aucun doute, inutile. D’ici là, exigeons qu’on nous rende notre « scrutin majoritaire à deux tours », explicitement précisé à l’article 26 de la constitution actuelle. Il n’a pas échappé aux Sénégalais que le projet de révision de l’article 26 soumis au Conseil Constitutionnel omet curieusement le nombre de tours de l’élection présidentielle. La sagesse populaire nous ayant enseigné que deux précautions valent mieux qu’une, le scrutin majoritaire à un tour étant pratiqué dans certains pays africains (Togo et Cameroun), levons toute équivoque et ne tentons par les esprits malins.
- Soumettre toutes les autres questions au vote de l’assemblée nationale. Dans une démocratie représentative, et la nôtre en est une, c’est le rôle de l’assemblée nationale.
Le second temps : Que faire, si mon conseil n’est pas entendu et que malgré tout le référendum se tienne ?
Je le dirai clairement après les considérations ci-‐après.
Le projet de révision qui nous est soumis comporte des avancées louables, des insuffisances notoires et des oublis criants.
Pour ce qui est des avancées louables, il est à noter :
- La reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens et le renforcement de la citoyenneté par la consécration de devoirs du citoyen ;
- Le renforcement des droits de l’opposition et de son Chef ;
- La représentation des Sénégalais de l’Extérieur par des députés à eux dédiés ;
- L’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale en matière de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques ;
- La désignation par le Président de l’Assemblée nationale de certains des membres du Conseil constitutionnel ;
- La soumission au Conseil constitutionnel des lois organiques pour contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation et l’élargissement de ses compétences pour donner des avis et connaître des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’appel.
Mais, répétons-‐le, aucune de ces questions ne justifie la tenue d’un référendum. Dans tout autre pays, l’insertion de ces points dans la Constitution aurait été soumise au Parlement. Faisons-‐le !
Au delà de l’inopportunité de cette consultation, je ne peux manquer de m’interroger sur l’urgence de créer un Haut Conseil des Collectivités Territoriales et son introduction parmi les institutions de la République, lorsqu’on a constaté les ratés et insuffisances de notre politique de décentralisation. Non, l’urgence n’est ni à la création d’une institution nouvelle dont on sait peu de choses, sauf qu’elle sera budgétivore, ni à la résurrection d’un sénat supprimé en 2012. L’urgence est à la correction des insuffisances et ratés de notre politique de décentralisation, et à une réflexion sérieuse sur l’architecture administrative de notre pays.
Aussi bonne que soit la volonté de mettre fin à la prérogative du Président de la République de nommer seul les membres du Conseil Constitutionnel, je ne vois pas la nécessité de faire passer le nombre des membres de cinq à sept. N’aurait-‐il pas été plus judicieux d’en rester à cinq membres et de faire nommer deux des cinq par le Président de l’Assemblée Nationale ? Ne perdons pas de vue l’utilisation rigoureuse, vertueuse et sobre des deniers de l’Etat. Rappelons aussi qu’ils sont neuf juges en France pour 66 millions d’habitants, également neuf aux Etats-‐Unis pour 320 millions d’habitants, et que la population sénégalaise est de 13,5 millions d’habitants.
Enfin, une révision sérieuse de la constitution aurait pu être l’occasion de réparer certaines insuffisances de notre Loi Fondamentale et prendre en compte certaines des propositions de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) qui fut mise en place par le Président de la République. Je n’en citerai que quelques unes :
1) Extension de la déclaration de patrimoine prévue pour le Président de la République à l’article 37 de la Constitution actuelle aux Ministres, aux membres du bureau de l’Assemblée, aux hauts fonctionnaires ;
2) Déclaration de patrimoine du Président de la république à la fin de son mandat ; Pouvoir au conseil constitutionnel de contrôler celle-‐ci et celle faite en début de mandat ;
3) Interdiction aux ascendants, descendants, collatéraux au premier degré́, ou conjoints de succéder ou assurer la suppléance du Président de la République ;
4) Incompatibilité de la fonction de Président de la République avec l'appartenance à toute assemblée élective nationale ou locale ainsi qu’avec l'exercice de toute autre fonction, publique ou privée ;
5) Limitation du nombre de ministres à vingt-‐cinq et limitation du titre et prérogatives de Ministre aux seuls membres du Gouvernement;
6) Saisine du Conseil constitutionnel par un nombre significatif de citoyens car aujourd’hui seuls le Président de la République et des députés peuvent le saisir.
7) Présidence du Conseil supérieur de la Magistrature par le Président du Conseil Constitutionnel pour aider à construire une véritable indépendance de notre magistrature;
8) Élargissement du cercle des personnalités désignant les membres de la cour constitutionnelle.
Mais au dessus de tout ce qui précède, se trouve « la mère de toutes les considérations » : la prise en compte du caractère fondamental de notre Loi Fondamentale. Soyez indulgent pour la répétition.
La constitution d’un pays est une chose suffisamment sérieuse pour que sa révision obéisse à un processus suffisamment long et suffisamment inclusif. Ce n’est pas seulement l’affaire de chefs de partis ou de professionnels de la politique. C’est l’affaire des citoyens, hommes et femmes, riches et pauvres, forts et faibles. Ils ont droit à un débat contradictoire et à des explications détaillées sur les motivations et les objectifs des réformes proposées. Les hommes politiques doivent être les premiers à avoir un respect révérenciel pour le caractère fondamental de la constitution et l’inculquer à leurs militants et sympathisants. L’objectif recherché doit consister à éviter des révisions trop fréquentes.
Cette réflexion sérieuse et ce débat contradictoire, nous ne les avons pas eus dans ce projet de révision constitutionnelle. Rien ne presse. Donnons-‐nous le temps du débat, le temps de décider sans engager des dépenses électorales injustifiées, le temps d’avoir des listes électorales qui ne souffriront pas de contestation, le temps d’avoir une proposition de réforme de la constitution faisant réellement avancer la démocratie et l’Etat de droit au Sénégal.
Pour moi, la route vers des réformes sérieuses et plus complètes, vers le principe de sérieux qui doit être la marque de notre constitution passe par un NON à la proposition qui nous est faite. Un NON pour crier haut et fort notre exigence de sérieux et de rigueur. Un NON du 20 mars par les urnes, plutôt qu’un NON du 23 juin par les pierres. C’est la voie de notre citoyenneté retrouvée ! C’est la voie du salut !
Abdoul MBAYE
Économiste - Ancien Premier ministre
Cette promesse de candidat est devenue un engagement de Chef d’Etat réaffirmé à plusieurs reprises, devant les Sénégalais, lors d’une interview dans un média international et devant d’éminents dirigeants de pays partenaires du Sénégal.
Malheureusement, cet engagement qui recueille l’assentiment de nombreux citoyens et partis politiques, et qui aurait pu être mis en œuvre sans tarder dès après l’élection présidentielle, a été passé aux oubliettes pendant quatre ans.
C’est seulement le 31 décembre 2015, que le Président Macky Sall a décidé, conformément à l’article 27 de la Constitution, de soumettre à un référendum la modification appropriée de la constitution et de recueillir au préalable sur le projet de réforme constitutionnelle « l'avis du Président de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel », conformément à l’article 51 de ladite constitution. Ledit projet de réforme constitutionnelle comporte 15 chapitres et 22 articles, mais le seul et unique point qui a focalisé l’attention de l’opinion nationale et internationale reste la réduction du mandat présidentiel et son application au mandat en cours du Président Macky Sall.
Le Conseil a dans son avis indiqué que l’application de la durée de cinq années n’est pas applicable au mandat en cours du Président Macky Sall.
Comme beaucoup de sénégalais, je ne peux manquer de me poser une multitude de
questions :
- Pourquoi avoir attendu quatre années pour tenter de tenir laborieusement une promesse électorale devenue engagement présidentiel martelé urbi et orbi ?
- Pourquoi avoir attendu quatre années pour informer le peuple sénégalais que l’engagement présidentiel, maintes fois réaffirmé, est soumis à l’autorisation préalable du Conseil Constitutionnel ?
- Pourquoi n’avoir pas dit plus tôt que dans cette affaire le Président est simplement initiateur et que le Conseil Constitutionnel est le vrai décideur ?
‐ Mais surtout, pourquoi, une fois l’avis du Conseil Constitutionnel donné et qu’il n’y a plus d’urgence, cette précipitation soudaine et injustifiée à organiser un référendum dans un délai d’un mois à peine?
La décision étant prise d’aller au référendum, il appartient à chaque citoyen de prendre position en toute liberté : en votant « oui », « non » ou « blanc » ou en s’abstenant. Pour ma part, j’ai choisi de rendre publique ma position. Elle est à deux temps.
Le premier temps : je conseille au Président de la République d’annuler le scrutin du 20 mars 2016, que rien ne justifie.
Le référendum, surtout à une date si proche, ne se justifie plus pour plusieurs raisons: D’abord, parce que le seul article qui rendait un référendum obligatoire, aux yeux des spécialistes du droit constitutionnel, est la révision de la durée du mandat du Président de la République.
Cette révision-‐ci était le cœur de la réforme constitutionnelle envisagée, parce que la seule chargée de symbole politique fort ; le symbole d’un retour à une pratique politique vertueuse ; le symbole d’un Chef d’Etat faisant preuve de suffisamment de désintéressement pour réduire la durée de son mandat, de son seul gré ; le symbole d’un Président de la République immunisé contre la drogue du pouvoir pour le pouvoir.
Aujourd’hui, la révision du mandat du Président de la République est en très grande partie vidée de sa substance, ou du moins, de ce qui faisait du référendum une œuvre urgente. La prochaine élection présidentielle se tenant en février 2019, rien ne peut justifier la tenue dans la précipitation d’un référendum avec autant de points (15 chapitres, 22 articles et ayant nécessité 15 pages d’avis du Conseil Constitutionnel), engloutissant plusieurs milliards de nos ressources rares, sans donner le temps à la campagne, celle du oui et celle du non, de se déployer.
Toutes les autres réformes, dont l’importance de certaines ne fait pas doute, ne nécessitent pas de référendum et peuvent être soumises dans la sérénité aux députés, représentants du peuple. Pourquoi donc dépenser des milliards, si on peut, pour ces autres questions, presque toutes très techniques, utiliser la voie parlementaire, celle des représentants du peuple. Disons-‐le clairement, le référendum, outil de démocratie directe, n’est adapté ni à des questions complexes, ni à des questions multiples. Nous savons aussi qu’il a souvent été utilisé dans certains pays qui en ont la pratique, pour court-‐circuiter les représentants du peuple.
La démocratie, fût-‐elle directe, exige une période d’explication et de campagne. Après près de quatre années consacrées à concevoir ce projet, peut-‐on raisonnablement penser que la période d’un mois est suffisante pour expliquer le « oui », le « non » à tous nos concitoyens du Sénégal et de l’extérieur ? Non, mille fois non !
Une autre raison, pratique et de fond, justifie l’annulation du référendum du 20 mars 2016. C’est celle des listes électorales. Il me semble que nous soyons dans la période de révision ordinaire des listes électorales ; est-‐il logique de convoquer un référendum sans que la campagne de révision ordinaire ne soit terminée, sans que les cartes d’électeurs ne puissent être distribuées dans les délais légaux, surtout lorsqu’aucune urgence absolue ne le justifie ?
Par conséquent, je propose clairement :
- L’annulation du référendum du 20 mars 2016 ;
- La tenue d’un référendum sur la durée du mandat du Président de la République en 2017 le jour des élections législatives ; encore une fois, rien ne presse sur cette question, étant donné que la réduction de durée ne s’applique pas au mandat en cours. Nous aurons ainsi économisé de précieux milliards et énormément de temps à consacrer à une vraie émergence économique, plutôt qu’à une campagne référendaire, sans aucun doute, inutile. D’ici là, exigeons qu’on nous rende notre « scrutin majoritaire à deux tours », explicitement précisé à l’article 26 de la constitution actuelle. Il n’a pas échappé aux Sénégalais que le projet de révision de l’article 26 soumis au Conseil Constitutionnel omet curieusement le nombre de tours de l’élection présidentielle. La sagesse populaire nous ayant enseigné que deux précautions valent mieux qu’une, le scrutin majoritaire à un tour étant pratiqué dans certains pays africains (Togo et Cameroun), levons toute équivoque et ne tentons par les esprits malins.
- Soumettre toutes les autres questions au vote de l’assemblée nationale. Dans une démocratie représentative, et la nôtre en est une, c’est le rôle de l’assemblée nationale.
Le second temps : Que faire, si mon conseil n’est pas entendu et que malgré tout le référendum se tienne ?
Je le dirai clairement après les considérations ci-‐après.
Le projet de révision qui nous est soumis comporte des avancées louables, des insuffisances notoires et des oublis criants.
Pour ce qui est des avancées louables, il est à noter :
- La reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens et le renforcement de la citoyenneté par la consécration de devoirs du citoyen ;
- Le renforcement des droits de l’opposition et de son Chef ;
- La représentation des Sénégalais de l’Extérieur par des députés à eux dédiés ;
- L’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale en matière de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques ;
- La désignation par le Président de l’Assemblée nationale de certains des membres du Conseil constitutionnel ;
- La soumission au Conseil constitutionnel des lois organiques pour contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation et l’élargissement de ses compétences pour donner des avis et connaître des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’appel.
Mais, répétons-‐le, aucune de ces questions ne justifie la tenue d’un référendum. Dans tout autre pays, l’insertion de ces points dans la Constitution aurait été soumise au Parlement. Faisons-‐le !
Au delà de l’inopportunité de cette consultation, je ne peux manquer de m’interroger sur l’urgence de créer un Haut Conseil des Collectivités Territoriales et son introduction parmi les institutions de la République, lorsqu’on a constaté les ratés et insuffisances de notre politique de décentralisation. Non, l’urgence n’est ni à la création d’une institution nouvelle dont on sait peu de choses, sauf qu’elle sera budgétivore, ni à la résurrection d’un sénat supprimé en 2012. L’urgence est à la correction des insuffisances et ratés de notre politique de décentralisation, et à une réflexion sérieuse sur l’architecture administrative de notre pays.
Aussi bonne que soit la volonté de mettre fin à la prérogative du Président de la République de nommer seul les membres du Conseil Constitutionnel, je ne vois pas la nécessité de faire passer le nombre des membres de cinq à sept. N’aurait-‐il pas été plus judicieux d’en rester à cinq membres et de faire nommer deux des cinq par le Président de l’Assemblée Nationale ? Ne perdons pas de vue l’utilisation rigoureuse, vertueuse et sobre des deniers de l’Etat. Rappelons aussi qu’ils sont neuf juges en France pour 66 millions d’habitants, également neuf aux Etats-‐Unis pour 320 millions d’habitants, et que la population sénégalaise est de 13,5 millions d’habitants.
Enfin, une révision sérieuse de la constitution aurait pu être l’occasion de réparer certaines insuffisances de notre Loi Fondamentale et prendre en compte certaines des propositions de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) qui fut mise en place par le Président de la République. Je n’en citerai que quelques unes :
1) Extension de la déclaration de patrimoine prévue pour le Président de la République à l’article 37 de la Constitution actuelle aux Ministres, aux membres du bureau de l’Assemblée, aux hauts fonctionnaires ;
2) Déclaration de patrimoine du Président de la république à la fin de son mandat ; Pouvoir au conseil constitutionnel de contrôler celle-‐ci et celle faite en début de mandat ;
3) Interdiction aux ascendants, descendants, collatéraux au premier degré́, ou conjoints de succéder ou assurer la suppléance du Président de la République ;
4) Incompatibilité de la fonction de Président de la République avec l'appartenance à toute assemblée élective nationale ou locale ainsi qu’avec l'exercice de toute autre fonction, publique ou privée ;
5) Limitation du nombre de ministres à vingt-‐cinq et limitation du titre et prérogatives de Ministre aux seuls membres du Gouvernement;
6) Saisine du Conseil constitutionnel par un nombre significatif de citoyens car aujourd’hui seuls le Président de la République et des députés peuvent le saisir.
7) Présidence du Conseil supérieur de la Magistrature par le Président du Conseil Constitutionnel pour aider à construire une véritable indépendance de notre magistrature;
8) Élargissement du cercle des personnalités désignant les membres de la cour constitutionnelle.
Mais au dessus de tout ce qui précède, se trouve « la mère de toutes les considérations » : la prise en compte du caractère fondamental de notre Loi Fondamentale. Soyez indulgent pour la répétition.
La constitution d’un pays est une chose suffisamment sérieuse pour que sa révision obéisse à un processus suffisamment long et suffisamment inclusif. Ce n’est pas seulement l’affaire de chefs de partis ou de professionnels de la politique. C’est l’affaire des citoyens, hommes et femmes, riches et pauvres, forts et faibles. Ils ont droit à un débat contradictoire et à des explications détaillées sur les motivations et les objectifs des réformes proposées. Les hommes politiques doivent être les premiers à avoir un respect révérenciel pour le caractère fondamental de la constitution et l’inculquer à leurs militants et sympathisants. L’objectif recherché doit consister à éviter des révisions trop fréquentes.
Cette réflexion sérieuse et ce débat contradictoire, nous ne les avons pas eus dans ce projet de révision constitutionnelle. Rien ne presse. Donnons-‐nous le temps du débat, le temps de décider sans engager des dépenses électorales injustifiées, le temps d’avoir des listes électorales qui ne souffriront pas de contestation, le temps d’avoir une proposition de réforme de la constitution faisant réellement avancer la démocratie et l’Etat de droit au Sénégal.
Pour moi, la route vers des réformes sérieuses et plus complètes, vers le principe de sérieux qui doit être la marque de notre constitution passe par un NON à la proposition qui nous est faite. Un NON pour crier haut et fort notre exigence de sérieux et de rigueur. Un NON du 20 mars par les urnes, plutôt qu’un NON du 23 juin par les pierres. C’est la voie de notre citoyenneté retrouvée ! C’est la voie du salut !
Abdoul MBAYE
Économiste - Ancien Premier ministre