Dans une tribune intitulée : «les médias reflètent-ils la réalité du monde», publiée en août 1999 dans les colonnes du mensuel Le Monde Diplomatique, l’écrivain et journaliste polonais, Ryszard Kapuscinski, mettait à nu la capacité de diversion de la presse.
Citant des exemples, il avait alors mis le curseur sur la crise provoquée, en 1979, par la prise d’otages américains à Téhéran. «Bien que, dans la pratique, il ne se passait rien dans la capitale de l’Iran, des milliers d’envoyés spéciaux venus du monde entier sont restés des mois durant dans cette ville», regrettait-il.
La même meute s’était déplacée, selon toujours Ryszard Kapuscinski, quelques années plus tard, dans le Golfe, durant la guerre de 1991, même si, sur place, elle ne pouvait rien faire, les Américains interdisant à quiconque de s’approcher du front. Au même moment, au Mozambique et au Soudan, des événements atroces se produisaient ; mais cela n’émouvait personne, puisque la meute se trouvait dans le Golfe.
Appelée par les spécialistes de la communication «effet paravent», la diversion est devenue le lot des hommes politiques sénégalais. Depuis quelques jours, ces derniers polluent l’espace public à travers le dialogue politique et/ou le dialogue national. Or, le résultat est connu d’avance. Ils ne vont s’accorder sur rien parce qu’ils sont loin d’être animés par la vitalité démocratique de notre pays, encore moins, la consolidation de quelques acquis obtenus de haute lutte par des patriotes qui y ont laissé leur jeunesse, leur carrière voire leur vie.
D’ailleurs, on dialogue sur quoi ? Qu’est-ce qui n’a pas été fait, dit, écrit, sur des personnalités de ce pays ? Où sont les conclusions des assises nationales et leur charte de bonne gouvernance ? Quid des résultats de la commission nationale de régulation des institutions (CNRI) ? Tout a été jeté à la poubelle et les auteurs accusés d’avoir outrepassé leurs compétences.
Aujourd’hui, après plusieurs mois de discussions, le comité de pilotage dirigé par le Général Mamadou Niang, exceptée la suppléance ou vacance de pouvoir de l’élu local, n’a eu qu’un seul consensus : faire sauter le parrainage pour les élections locales. Ce qui ne devrait étonner personne parce que ce filtre n’arrange ni le camp du pouvoir qui veut profiter de l’élection du maire au suffrage universel direct (à un seul tour, alors qu’une bonne légitimité devrait être à deux tours) encore moins l’opposition qui redoute le coup de Jarnac qu’elle a subi lors de la Présidentielle de février 2019.
Le camp du pouvoir rappelle-t-on était suspecté d’avoir favorisé la multiplication des listes lors des législatives pour davantage effriter l’électorat afin de rafler les sièges sur la liste majoritaire (Raw Gaddu). Sauf que la Présidentielle, sans le parrainage, allait lui être fatal. Au finish, il constitue une belle trouvaille mais, n’est applicable que selon la volonté du chef.
Chef de l’opposition : encore un faux débat
«L’histoire ne se répète pas mais elle se plagie», dixit Jacques Deval, de son vrai nom Jacques Boularan, dramaturge, scénariste et réalisateur français (1890-1972).
Au lendemain de la première alternance survenue au Sénégal, le 19 mars 2000, Me Abdoulaye Wade, dans l’euphorie avait eu une brillante idée de confier deux dossiers au Professeur de droit constitutionnel (UCAD), El Hadji Mbodji : le financement des partis politiques et le titre de Chef de l’opposition.
Sauf que très tôt, le Pape du Sopi avait compris que ce titre risquerait de revenir à Moustapha Niasse, considéré alors comme un de ses principaux challengers en 2007. Rusé politiquement, il réussit à installer dans l’espace public le débat sur la légitimité parlementaire et celle du nombre de voix. Logiquement, le leader de l’AFP (Alliance des forces du Progrès) avec ses 11 députés devrait être considéré comme le Chef de l’opposition parlementaire ; mais Me Wade avait estimé qu’il fallait penser aussi au pourcentage engrangé par Ousmane Tanor Dieng. Or, la rivalité congénitale entre les deux ex-camarades était de notoriété publique. Finalement rien se sera fait.
Presque 20 vingt après, on remet sur la table la même question. Désormais, elle oppose Idrissa Seck, arrivé 2ème à l’élection présidentielle avec plus de 20 % des suffrages dans un régime devenu hyper-présidentialiste et Abdoulaye Wade, dont la coalition a engrangé plus de députés lors des Législatives. La leçon est sue. Comme Abdoulaye Wade à l’époque, Macky Sall réussit à son tour, à diviser son opposition. Surtout qu’on parle des avantages dignes d’un Chef d’Etat pour le futur Chef de l’opposition. Appétissant !
Last but not least, nos politiques déchirent le bulletin unique et refusent de mettre fin au cumul entre chef d’Etat et Chef de parti.
Pourtant ce sont des décisions «consolidantes» pour notre démocratie. Le bulletin unique par exemple était le meilleur moyen de lutter contre la corruption électorale et l'achat des voix. Sans occulter les économies qu’il aurait permises avec le coût astronomique de l’impression.
Quant au non cumul de Chef de parti et chef de l’Etat, il aurait permis au Président de la République d’être au dessus de la mêlée. Mais l’argument plus que fallacieux brandi depuis plus de 20 ans, consiste à dire «ça ressemble à une trahison». Diantre !
Au vu de tout ce qui précède, on peut s’accorder avec un de nos doyens, Mame Less Camara, qui avait qualifié de «ridicule», le dialogue politique.
D’autant plus que les goulots qui étranglent le Sénégal sont ailleurs. Notamment les abris provisoires. En 2015, ils étaient plus de 6600. Tout récemment c’est le pont de Diamouguel Diallobé, construit en 2017, dans le département de Kanel qui a cédé, scindant la RN2 en deux. Des centaines de villages souffrent d’enclavement.
Chaque année, des milliards sont versés dans des égouts, sans mettre fin aux inondations. Dans certains de nos villages et autres hameaux, des femmes accouchent encore dans des charrettes. La plupart de nos hôpitaux sont des dispensaires. Les urgences sont donc ailleurs. Le reste n’est que diversion pour endormir le peuple.