Président de la République du Sénégal de 2000 à 2012, Abdoulaye Wade vit, depuis, en France. Après deux ans d’absence, il se rendra, mercredi 23 avril, à Dakar. Son élection avait mis fin à quarante années de présidence socialiste au Sénégal. Il a été battu en 2012 par l’actuel président, Macky Sall. Son fils et ancien ministre, Karim Wade, a été emprisonné il y a un an pour « enrichissement illicite », dans le cadre d’une série d’enquêtes lancées par le nouveau pouvoir contre d’anciens hauts responsables. Abdoulaye Wade, 87 ans, dénonce depuis un acharnement politique contre lui et ses proches.
Quel est l’objet de ce déplacement à Dakar ? S’agit-il d’un retour politique ?
Abdoulaye Wade. J’ai été président de la République pendant douze ans, avant de perdre les élections ; je rentre dans mon pays après deux ans d’absence ; et je suis resté, à la demande des militants, le secrétaire général de mon parti, le Parti démocratique sénégalais (PDS). Tout cela fait que mon retour est hautement politique, surtout dans les circonstances actuelles où il y a beaucoup de difficultés au Sénégal. Il y a un fort mécontentement : les Sénégalais ont comparé le régime actuel avec le mien et ont tiré les conclusions qui s’imposent.
Deux ans après l’arrivée au pouvoir de Macky Sall, quel message voulez-vous délivrer ?
Je vais remercier les électeurs qui ont voté pour moi en 2012 et se sont battus jusqu’au bout. Je m’adresserai à la jeunesse sénégalaise qui souffre de la hausse du chômage et qui manifeste. Quand j’étais président, il y avait du chômage, mais j’ai créé beaucoup d’emplois, attiré de gros investissements qui ont fait de Dakar une ville moderne avec des infrastructures remarquables. Aujourd’hui, on assiste au départ des entreprises étrangères que j’avais fait venir.
Mon deuxième message ira à mes sympathisants : à l’heure actuelle, le PDS est le parti majoritaire, même s’il est dispersé du fait de l’absence d’un leader capable de fédérer tout le monde.
Mon troisième message s’adressera à Macky Sall. Il est le président. Il est donc responsable des tensions actuelles, notamment politiques. Dès le lendemain de son élection, il a commencé à faire campagne pour être réélu en 2017. S’il a mis mon fils Karim en prison, c’est parce qu’il voyait en lui le seul rival capable de l’affronter. Je vais lui dire que je ne souhaite pas qu’il y ait un affrontement pour le pouvoir au Sénégal, mais que, pour cela, la démocratie doit revenir.
Macky Sall est conscient de la dégradation politique, économique et sociale du Sénégal. Il faut y mettre fin. Je veux la paix et la démocratie mais, s’il persiste à maintenir des innocents en prison, j’utiliserai tous les moyens légaux pour combattre son régime.
Votre fils Karim, en détention préventive depuis un an, sera renvoyé devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) et jugé dans les deux mois. Comment avez-vous réagi ?
J’ai été satisfait de cette annonce. On reprochait à mon fils Karim d’avoir dissimulé 800 milliards de francs CFA. Le procureur a ramené cette somme à 350 milliards. Puis, la commission d’instruction de la CREI l’a encore ramenée à 117 milliards de FCFA. 80 % des accusations sont déjà tombées, non pas du fait des avocats de Karim, mais parce que la commission d’instruction, en examinant les documents, a vu que ça ne pouvait pas être mis à la charge de Karim. Nous allons balayer facilement les dernières accusations.
La traque des biens mal acquis lancée par le gouvernement du président Macky Sall n’est-elle pas une initiative importante ?
Lutter contre les détournements est important. J’ai moi-même mis onze inspecteurs des finances en prison quand j’étais président. Mais ce n’est pas une raison pour accuser des innocents. Macky Sall a utilisé l’idée de la traque des biens mal acquis pour combattre Karim, le faire condamner, le priver de ses droits civiques pour qu’il ne se présente pas en 2017. Pour servir cette cause, il a ressuscité la CREI, une cour créée en 1981, qui n’avait pas été activée depuis trente ans et qui avait disparu de l’architecture judiciaire du Sénégal. Il a pratiqué une chasse aux sorcières contre mes collaborateurs et moi.
Vous êtes très critique du bilan de votre successeur. Mais votre dernier mandat a été marqué par un fort mécontentement social.
Certains ne comprenaient pas ce que j’étais en train de faire : construire des routes, des infrastructures, une université. Je construisais des fondations solides pour le Sénégal. Mais le mécontentement a aussi été amplifié par mes adversaires. Ils ont réussi à mobiliser contre moi, à Dakar, mais pas à l’intérieur du pays. Globalement, la population était satisfaite.
Le Sénégal reste un îlot de stabilité dans une région agitée. Craignez-vous que la crise malienne puisse le déstabiliser ?
Non, je ne crois pas que le Sénégal soit menacé. Les marabouts ont un poids très important dans la population. Or ils pratiquent un islam tolérant. Ils sont des garanties contre l’extrémisme.
En un an, la France a mené deux interventions militaires en Afrique : au Mali et en RCA. S’agit-il de néocolonialisme ?
L’intervention au Mali était une bonne chose. Elle était demandée par le gouvernement malien. En Centrafrique, les affrontements étaient tels qu’une intervention était aussi nécessaire. Mais on aurait dû procéder autrement : organiser une conférence internationale pour dégager la nécessité d’une intervention extérieure et ensuite saisir le Conseil de sécurité de l’ONU. Cela aurait donné une légitimité à la France.
François Hollande avait annoncé une rupture dans les relations entre la France et l’Afrique. A-t-elle eu lieu ?
La Françafrique n’existe plus, mais la France n’est pas indifférente à ce qui se passe en Afrique. Vu ses intérêts économiques, elle ne le peut pas. Les déclarations officielles sont une chose, mais les réalités sont là . Pour intervenir en RCA, la France n’a demandé l’autorisation d’aucun Etat africain.
Les interventions françaises ne signent-elles pas l’échec des Etats africains ?
Nous aurions dû être capables de résoudre nos propres conflits. Malheureusement, l’organisation que nous avons aujourd’hui ne permet pas de le faire. L’Union africaine n’a aucun pouvoir. Nous serons pris au sérieux quand nous pourrons peser sur la politique mondiale, quand nous aurons formé les « Etats-Unis d’Afrique ».
Nourrissez-vous des ambitions politiques ?
J’ai dépassé l’âge d’avoir une ambition politique. Briguer un poste au Sénégal, c’est fini. Ce qui ne veut pas dire que je sors de la politique. Je dirige le parti le plus important du pays. J’ai aussi créé un bureau à Dubaï, Wade International Consulting, pour transmettre mon expérience à d’autres chefs d’Etat africains.
Le Monde