Elle a vécu comme elle est partie : dans l’anonymat. Avec comme seule bagage, sa grande foi en Allah, en Son Prophète Mouhammad (Psl) et en son époux, Khadimou Rassoul. Mais en femme bénie de Dieu, Sokhna Faty Diakhaté a légué au monde son plus grand trésor et au mouridisme son plus fidèle architecte : Serigne Saliou Mbacké Ibn Ahmadoul Khadim, l’authentique sceau de Khadimal Moustapha.
C’est une dame de jadis. Une âme d’autrefois à l’antan courtois. Celles-là dont la vie sans heurts est un sacerdoce. Dont le modèle d’existence tiendrait lieu de trame d’un livre de poche. De guide du routard sur les chemins de la noble féminité. «Mère dévouée», «Epouse soumise», «Femme modèle», Sokhna Faty Diakhaté a tout cristallisé toutes les qualités en elle. Sans jamais en faire une volonté. Simple destinée ? Une prémonition plutôt. La grâce de Dieu sur une adoratrice rompue à la souffrance et dont la plus grande ambition était d’être acceptée comme simple esclave. Sans plus. Ni moins. «Il était impossible de l’identifier parmi les autres femmes quand elle était chez elle. Ni l’habillement ni le comportement ne pouvaient laisser penser qu’il s’agissait de l’épouse de Serigne Touba, de la mère de Serigne Saliou Mbacké. Elle agissait en talibé et restait dans la discrétion. Elle s’asseyait toujours par terre, à même le sol», raconte Souhaïbou Ndoye, «Ndongo Tarbiya» de Serigne Saliou Mbacké. Le bonhomme au phrasé qui dégage la piété, à la tronche musclée comme une brindille, tient aujourd’hui sa propre école coranique à Touba Tawfekh. «Ridwan» est un internat qui accueille plus d’une trentaine de gosses. «Parler de Sokhna Faty Diakhaté reviendrait à composer une symphonie de vertus. A offrir au monde un bel exemple de féminité», ajoute-t-il, des trémolos dans la voix. Un ange vole au-dessus de Touba !
Issue de sept nobles hafisoul Qur’an
Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké n’a pas fait que convertir des ceddos (Païens). Bien qu’il en a connu plusieurs. Son chemin avait aussi croisé celui d’illustres hommes de Dieu au grade très élevé. Serigne Modou Asta Diakhaté faisait partie de ces hommes vertueux qui ont rejoint Serigne Touba, avant de lui prêter allégeance. Et ce n’est point un hasard si Serigne Touba a pris comme épouse quatre des filles de Serigne Modou Asta Diakhaté, dont Sokhna Faty Diakhaté, la mère de son cinquième khalife, Serigne Saliou Mbacké. Seulement, Cheikhoul Khadim reçut de Dieu l’ordre de prendre une autre épouse. Une femme dont les sept grands parents devraient être nobles et hafisoul Qur’an (maîtrisards du Saint-Coran). Mame Thierno Birahim Mbacké, frère cadet et disciple du Cheikh, était chargé de faire le tour du pays à la recherche de ce trésor caché. «Borom Darou» finit par tomber sur Sokhna Faty Diakhaté, dont le père était talibé de Serigne Touba depuis des années. La candidate retenue est la fille de Serigne Modou Asta Diakhaté et de Sokhna Fatou Dieng Sylla Libass. Son père est originaire Mewnou Diakhaté à Mbakole dans le Kadior. Il fait partie des premiers disciples de Serigne Touba Mbacké. Il a été disciple avant que Cheikhoul Khadim ne parte en exil. Et il n’a pas répondu à l’appel du fondateur du Mouridisme tout seul. Serigne Moustapha Asta Diakhaté est venu répondre avec toute sa famille. En particulier les enfants issus de son union avec Fatou Dieng Sylla Libass. Dès qu’il a été prouvé que les sept grands parents de Sokhna Faty étaient des nobles et qu’ils ont tous été des musulmans pratiquants, le mariage a été scellé. Un grand honneur pour Serigne Modou Asta Diakhaté, qui finalement, donnera en mariage, tour à tour, quatre de ses filles à son guide spirituel. Sokhna Faty Diakhaté est la mère de Serigne Saliou. Sokhna Mariéma Diakhaté est la mère de Serigne Abdoul Lahad et Serigne Souhaïbou. Sokhna Aïssatou Diakhaté est la mère de Serigne Bakhé et Sokhna Dieng Diakhaté n’aurait pas eu d’enfant avec le Saint-homme.
Son père, le Cheikh et le jour de la fondation du Mouridisme
En réalité, le grand-père paternel de Serigne Saliou a rejoint Serigne Touba le jour même de la fondation du Mouridisme à Mbacké Kadior. C’était un vendredi du mois de Ramadan. Ce jour-là, Serigne Touba avait envoyé Serigne Ndame Abdourahmane Lô à Mbakole. Après la commission, Serigne Abdourahmane Lô passe à Mewnou Diakhaté pour une visite de courtoisie à son parent et ami, Serigne Modou Asta Diakhaté. Au cours des discussions, Serigne Abdourahmane Lô vante les mérites de son marabout, Cheikh Ahmadou Bamba. Le père de Sokhna Asta Diakhaté a voulu se rendre auprès de ce mystérieux homme de Dieu pour s’abreuver de sa science divine incommensurable. Ce jour a aussi coïncidé avec la naissance de Serigne Amsatou Diakhaté, frère aîné de Sokhna Fatou Diakhaté. Ce qui n’a pas empêché Serigne Modou Asta Diakhaté de d’accompagner Serigne Abdourahmane Lô pour se rendre auprès de Serigne Touba. Il fait acte d’allégeance à Cheikhoul Khadim le même jour. Mais, contrairement aux autres disciples, Serigne Modou Asta Diakhaté n’avait pas décidé de rester auprès de son nouveau maître. Il est retourné chez lui à Mewnou Diakhaté auprès de sa famille. Avec la ferme volonté de se rendre très souvent auprès de son marabout. Une promesse qu’il s’était faite et qu’il a tenue plusieurs fois, l’armature pleine de cadeaux. C’est ainsi que Serigne Touba lui demande, un jour, de lui confier son fils, Massata Bineta Ndoune Diakhaté, qu’il rebaptise Amsatou Diakhaté. Ce dernier est venu auprès de Serigne Touba alors qu’il maîtrisait déjà le Saint Coran.
Une femme qui a gagné la satisfaction de son marabout
Ce n’est qu’après son exil au Gabon, sa déportation en Mauritanie et son séjour à Thieuyéne Diolof, que Cheikh Ahmadou Bamba a pris Sokhna Fatou Diakhaté comme épouse. En 1907, précisément. «Elle avait déjà maîtrisé le Saint Coran auprès de son père», rapporte Serigne Abo Guèye, qui a vécu plusieurs années sous l’aile protectrice de Sokhna Faty Diakhaté. Et c’est à Thieuyène, à Darou Khoudoss exactement, qu’elle est «descendue» après son mariage. Le premier enfant issu de cette union a été baptisé Serigne Abdoul Khoudoss. Sokhna Tahiratou et Serigne Abdoul Bakhé naîtront par la suite. Quelques années plus tard, Serigne Touba devait quitter Thieuyéne pour s’installer à Diourbel. Il s’y rend avec sa famille et ses talibés, en 1912. C’est là-bas que naquit Serigne Saliou Mbacké, en 1915. Elle habitait juste en face de «Keur gou makk», dans une maison d’époque que les «Baye Fall» ont réfectionnée récemment. Il est rapporté que c’est elle qui se chargeait de laver les habits du saint-homme et personne d’autre. Plusieurs contemporains de Serigne Touba ont également rapporté que celui-ci ne tarissait jamais d’éloges pour elle. D’ailleurs, quand le Cheikh, dans une volonté inexpliquée, a demandé qu’on lui amène chaque matin Serigne Saliou pour qu’il formule des prières en sa faveur, c’est Sokhna Faty Diakhaté qui s’en chargeait personnellement. C’était sa mission à elle.
Sa relation avec Baye Lahad
Après la disparition de Serigne Touba au mois de juillet 1927, Sokhna Fatou Diakhaté a vécu encore plusieurs années à Diourbel. Serigne Abdoul Lahad Mbacké, troisième khalife de Serigne Touba, décide de la faire venir à Touba. Serigne Abdoul Lahad, qui avait perdu sa mère (Sokhna Mariéma Diakhaté), avait transposé tout son amour sur sa tante, qu’il logea d’abord chez son jeune frère, Serigne Souhaïbou. Une demeure qui appartient aujourd’hui à Serigne Moustapha Saliou. Quelques années plus tard, ne supportant plus de vivre loin de sa «mère», Baye Lahad décide de la faire déménager chez lui, près de la grande mosquée, à quelques mètres du mausolée de Cheikhoul Khadim. Elle a vécu là-bas jusqu’à sa disparition en 1978.
Aujourd’hui, Serigne Saliou est le seul fils connu de sa mère. Mais Sokhna Faty Diakhaté en avait d’autres. Plus âgé que Borom Khelcom. Mais presque tous sont morts à bas âge. On raconte même qu’après la mort de son fils, Serigne Bakhé, Sokhna Faty Diakhaté a été tellement affectée qu’elle en a pleuré toutes les larmes de son corps. Deux années durant, elle a souffert le martyre, au point de changer de mode de vie. «Ce qui fait, rapporte-t-on, qu’un jour, Serigne Touba a fait appeler Serigne Mbacké Diakhaté, frère de Sokhna Faty, pour lui demander d’aller dire à sa sœur de s’en remettre à Dieu, puisque si elle fait preuve d’endurance, Allah la gratifiera d’un fils qui séjournera longtemps sur terre et qui sera connu de tous.» C’est ainsi qu’elle s’est conformée aux recommandations du saint homme, jusqu’à la naissance de Serigne Saliou.
«Borom Diappandal» était dans sa jeunesse, très maladif. Et sa mère, qui avait perdu plusieurs de ses enfants, le considérait comme la prunelle de ses yeux. A chaque fois qu’il tombait malade, Sokhna Faty Diakhaté se précipitait auprès de Serigne Mbacké Diakhaté pour des prières. Le talibé de Borom Touba lui rappelait toujours que Serigne Saliou était le fils annoncé, qu’il vivra longtemps et sera un grand architecte du Mouridisme. Un maître adulé par ses contemporains. Des paroles qui parvenaient toujours à rassurer la mère de celui qui plus tard, sera surnommé « Borom Jamono».
Les années passaient, Serigne Saliou grandissait. Sokhna Fatou Diakhaté transpose alors tout l’amour qu’elle devait avoir pour tous ses enfants sur Serigne Saliou. Quand celui-ci a commencé à mettre sur pied des daaras, elle ne cessait de prendre des renseignements. En 1934, Serigne Saliou met sur pied son premier daara à Loumbélé Sayéle. Toutes les conditions n’étaient pas réunies et il arrivait souvent que les talibés manquent de certaines choses. Alors, Serigne Saliou ne faisait appel qu’à Sokhna Faty Diakhaté. «Il appelait toujours Baye Matar Diaw pour l’envoyer à Diourbel auprès de sa mère pour qu’elle lui envoie des vivres. Et à chaque fois, Sokhna Faty Diakhaté rassemblait tout ce qu’elle avait pour le mettre à la disposition de Serigne Saliou. Après qu’il a fondé plusieurs autres daaras, elle s’impliquait dans leur gestion. Juste parce qu’elle s’inquiétait de tout ce qui touchait Serigne Saliou», raconte Serigne Souhaïbou Ndoye. On rapporte également qu’un jour, des talibés de Serigne Saliou sont allés chez Serigne Abdoul Lahad. Il faisait 15 heures et ils disaient qu’ils n’avaient pas encore déjeuné. Sokhna Fatou Diakhaté, pensant que son fils n’avait pas de quoi nourrir ses talibés, le fait appeler pour s’enquérir de la situation, avant de lui demander de les laisser rentrer chez eux s’il n’arrivait pas à les nourrir correctement.
Telle mère, tel fils
Le détachement de Serigne Saliou des choses de ce bas monde n’est pas fortuit. Le cinquième Khalife de Bamba aurait hérité de sa mère ce trait de caractère. Elle a toujours vécu de la sorte. Ou plus intensément. «Elle était accueillante, gentille, pleine de courtoisie et respectueuse de l’humain. Elle était surtout d’une modestie à part. Elle refusait même de s’asseoir sur une chaise. Si elle allait au lit, c’était pour dormir. Sinon, comme faisait Serigne Touba avec le Saint Coran, elle se mettait toujours par terre, lisant le Livre sacré», raconte le «Ndongo Tarbiya» de Serigne Saliou. Sokhna Faty Diakhaté avait en charge l’éducation de plusieurs dizaines de filles. Comme plus tard Serigne Saliou, elle se souciait du moindre pépin qui pouvait leur arriver. Elle entretenait aussi avec chacune d’elles une relation particulière. Comme quoi, Serigne Saliou n’est qu’un digne héritier de sa mère.
Sokhna Fatou Diakhaté était une érudite. Une femme qui a toujours vécu selon les indications de son marabout de mari et des recommandations de Dieu, le Tout-puissant. « Serigne Khalil Mbacké, fils de Sokhna Moumy, fille de Serigne Saliou, raconte que Sokhna Maty Diakhaté Bintou Serigne Abdou Rahmane disait que c’est Sokhna Faty Diakhaté qui a enseigné à Sokhna Maty un livre de fikh appelé Massalik, explique Serigne Abo Guèye. Il attestait aussi que Serigne Moustapha Saliou disait que durant son enfance, passée auprès de sa grand-mère paternelle, il l’entendait souvent réciter les khassidas et autres versets du Saint Coran destinés à protéger contre le mal et c’est là-bas qu’il les a maîtrisés pour la plupart.» Sokhna Faty Diakhaté avait aussi l’habitude de donner du «lakh (bouillie de mil)» en aumône. Elle préparait deux grandes marmites tous les lundis et jeudis et les donnait aux talibés de Serigne Souhaïbou Mbacké. Elle s’est acquittée de cette aumône jusqu’à son dernier souffle. Elle aimait le «diomboss» (légumes). Elle en mettait presque dans tous ses mets. D’ailleurs, partout où elle a habité, elle avait fait bâtir un grenier pour garder son fameux «diomboss». Sur le plan physique, Sokhna Faty Diakhaté était la copie conforme de Serigne Saliou. «De teint noir, elle avait le visage ridé et était de taille moyenne. Elle avait la démarche droite et une voix audible. Seulement, elle ne regardait presque jamais les gens dans les yeux», raconte Abo Guèye. Un trait de caractère qu’on retrouve aussi chez Serigne Saliou Mbacké, le fils prodige de Sokhna Faty Diakhaté. Qu’Allah soit satisfait d’elle.
MAKHALY NDIACK NDOYE (ENVOYE SPECIAL A TOUBA