La réélection de Macky Sall à la tête du Sénégal ne passera pas seulement par les chantiers. C’est le sentiment du N°2 du Parti de l’indépendance et du travail (Pit), Ibrahima Sène qui, dans l’entretien qu’il nous a accordé, analyse, sans détour, l’actualité nationale.
Que pensez-vous du classement du Sénégal au 25e rang des pays les plus pauvres par le Fmi ?
Vous savez, ce classement a suscité beaucoup de débats que j’ai trouvés inutiles. Tout simplement, parce que le Fmi a toujours calculé les taux de pauvreté entre les pays de la même manière et pour les classer de la même manière. L’année dernière, quand on est bien classé, il n’y avait pas de problème. Cette année, on est mal classé, ça suscite problème, on remet en cause les critères de classement. Je pense que c’est inutile, parce que ce classement ne veut pas dire que les Sénégalais se sont appauvris de manière absolue, mais se sont appauvris de manière relative par rapport à d’autres. Parce que, ce qui intéresse bien les Sénégalais, c’est est-ce qu’ils se sont appauvris entre l’année dernière et cette année ? C’est ça qui intéresse les Sénégalais. Si d’autres ont fait mieux, tant mieux, mais nous, est-ce que nous nous sommes appauvris ou enrichis ? Si on juge par le taux de croissance de 2014 qui est de 4,6% par rapport au taux de croissance de 2013, qui était de 3,6%, évidemment, la richesse du pays s’est accrue en Cfa. Maintenant, si tu le traduis en dollar, parce que le dollar a baissé, évidemment, ça peut baisser. Les Sénégalais ne vivent pas avec le dollar, c’est avec le Cfa qu’ils vivent.
Donc, tout ce tohu-bohu là n’en valait pas la peine ?
C’était inutile de faire tout ce débat-là , parce que le Fmi a démontré que le Sénégal a accru sa richesse entre 2003 et 2014. Donc, la problématique est de savoir : est-ce la croissance qu’il y a eu au Sénégal a véritablement l’impact attendu sur la réduction de la pauvreté ? Le ministre Amadou Bâ a donné les dernières évaluations du taux de pauvreté au Sénégal. En 2011, c’était 46,7%, en 2014, c’était 42,3%. Donc, c’est le taux de croissance réellement par rapport à 2011 qui est vraiment significatif. Pour 2011, le taux de croissance était de 1,8%, en 2014, il est de 4,6%. Donc, ce taux de croissance s’est réellement répercuté sur la baisse de la pauvreté. C’était vraiment inutile d’en faire un débat. C’est clair qu’au Sénégal, les gens font de la politique politicienne. Je pense que le ministre des Finances a réagi, parce qu’immédiatement, l’interprétation politicienne de ce que le Fmi a produit les a outrés. Et ils ont, à mon avis, maladroitement réagi, en disant : le Fmi aurait dû faire des comparaisons par d’autres critères, comme par exemple, parité, pouvoir d’achat. Le Fmi l’utilise pour comparer les économies dans leur existence, et non pour mesurer la pauvreté. Ce n’était vraiment pas la peine.
Quel commentaire faites-vous des troubles qui ont cours à l’Assemblée nationale, depuis l’installation d’un nouveau bureau ?
Les troubles, c’est dans le Pds. C’est le Pds qui a des problèmes. Et quand j’ai entendu leur menace de bloquer le fonctionnement de l’Assemblée nationale, j’ai dit : comment une minorité comme le Pds peut bloquer le fonctionnement de cette institution ? L’Assemblée nationale a des règles. Si quelqu’un perturbe, on le fait sortir, et la séance continue. S’ils étaient majoritaires, ils auraient pu, par leur poids politique, refuser que l’Assemblée nationale travaille. Mais, c’est une très faible minorité divisée. Donc, tout ce qu’ils ont pu faire, c’est faire du vacarme qui avait amené le président de l’Assemblée nationale à suspendre la séance, pour reprendre après, en prenant des mesures qu’il faut, parce qu’aucun député n’a le droit de perturber, par son comportement, le déroulement normal des travaux de l’Assemblée nationale. Donc, s’ils estiment que la loi a été violée à l’Assemblée nationale, sur la décision de reconnaissance du groupe parlementaire dirigé par Modou Diagne Fada, et qu’ils s’adressent à la Cour suprême, cette Cour statuera. Mais, à mon sens, une décision interne de l’Assemblée nationale, c’est une décision souveraine et non administrative. Et même le Conseil constitutionnel se dit toujours incompétent pour juger un acte interne posé par l’Assemblée nationale. Donc, tout ce bruit n’a pas de sens. De toute façon, quand on a des problèmes, et qu’on pense les exorciser par du bruit, on laisse faire. Mais, moi, je ne vois nullement où le règlement intérieur de l’Assemblée nationale a été violé.
L’opposition nourrit des suspicions de fraude par rapport au processus électoral. Vous en dites quoi ?
Quand ils avaient dit qu’il y avait des cartes d’électeur qui ont été confectionnées clandestinement, et que la Cena ai réagi pour dire : il faut que les inscriptions se fassent dans des lieux administrativement reconnus et non dans des sièges de parti, j’avais dit là , ils sont en train de marquer un point. Parce que, si réellement, les inscriptions se font dans ces lieux-là , ces inscriptions sont nulles et non avenues. Et je m’attendais, avec la publication de la liste des inscriptions par la Cena, à ce que l’opposition fasse recours, dénonce. Rien. Cela veut dire qu’ils ont fait du bruit pour rien, parce que les inscriptions, ils ne les ont pas contestées. Évidemment, il y a le système électoral sénégalais qui ne leur donne pas confiance, parce que le système est piloté par un ministre de l’Intérieur partisan. ça ne leur donne pas confiance, c’est clair. Mais, de là à dire qu’il va y avoir fraude, ça n’a pas été établi durant les élections locales, ni durant les élections législatives. L’opposition n’a établi aucune preuve de fraude. Or, durant les législatives, c’est bien Mbaye Ndiaye qui était le ministre de l’Intérieur, partisan. Et durant les Locales, c’est Abdoulaye Daouda Diallo qui a géré les Locales, sans que des contestations justificatives ne soient produites. Maintenant, l’opposition a toujours le droit de suspecter la nature partisane de la gestion de ces élections par un ministre partisan. C’est clair ! Nous, quand on était dans l’opposition, on l’avait contesté, dénoncé. On avait poussé Wade à créer un ministre délégué chargé des élections.
Le ministre de l’Intérieur que récuse l’actuelle opposition est partisan, et vous vous entêtez à le maintenir…
Il est partisan. Si ça ne rassure pas, c’est à l’opposition de se battre, comme nous nous étions battus.
Pourtant, l’opposition est en train de se battre…
C’est tout simplement que c’est une opposition divisée, affaiblie, et qui n’a pas de perspectives. Jusqu’à présent, ils ne sont pas arrivés à se rassembler, à être cohérents, et à faire quelque chose de significatif dans leurs rangs. Et je doute fort qu’ils y arrivent. Parce que les ambitions personnelles, les antécédents historiques, sont tels, que je me demande sur quelles forces politiques, elles peuvent compter pour changer les choses. Ce qui est important, c’est comment le peuple va juger ce que nous avons fait. Mais, c’est sûr et certain, que l’adhésion des peuples à l’opposition n’est pas évidente. Mon problème, c’est de savoir : est-ce que «Benno bokk yakaar» (Bby) bénéficie à son tour de l’adhésion du peuple ? Et ça se vérifiera par l’appréciation que le peuple fera du travail que nous menons au sein du gouvernement. Moi, je ne crois pas seulement aux chantiers sortis de terre. S’il n’y avait que les chantiers, Wade ne serait pas battu. Donc, ce n’est pas un problème de chantiers, mais c’est un problème de perception. Est-ce que le travail que nous faisons et la manière dont nous faisons le travail rassurent les populations, au point qu’elles renouvellent leur adhésion à «Bby», comme ce fut le cas au 2e tour des élections de 2012 ?
Justement, comment se porte «Bby» qui semble vouloir occulter la question de la candidature à la prochaine Présidentielle ?
La question de la candidature n’est pas posée. Même le chef de l’État dit qu’il n’est pas posé. Vous n’entendez plus les responsables de l’Apr en parler. Cela avait brouillé l’atmosphère et créé des crispations pour rien. Je pense que «Bby» se sent mieux par rapport à ce qu’elle était avant les élections locales. Avant les élections locales, beaucoup pensaient à la survie de «Bby» après élections locales. Mais, les résultats des Locales ont été tels qu’il y a eu dans le camp de l’Apr et de «Macky 2012», un sursaut qui leur a fait prendre en considération que la stabilité du régime et ses perspectives reposent sur la cohésion et la mobilisation de «Bby», et non dans son éclatement ou son affaiblissement. Donc, depuis lors, nous avons vu le chef de l’État réunir les leaders pour permettre au gouvernement d’échanger avec des leaders sur des politiques publiques. C’est le fameux séminaire de King Fahd Palace. Et puis après, on a vu qu’il a pris des dispositions pour permettre la structuration de «Bby». La structuration est en cours. Donc, l’état actuel de «Bby» est dix mille fois meilleur que son état avant les élections locales.
Selon vous, quelles sont les réformes institutionnelles les plus urgentes à faire ?
Il y a une réforme institutionnelle qui est en perspective, c’est la réforme des institutions de la République. Il y a un projet qui a été ficelé par la Commission nationale de réforme des institutions que le chef de l’Etat a incité, et nous attendons la suite qu’il va donner à ce projet de réforme des institutions. Il a prévu de tenir un référendum sur la réforme en 2016, nous, au Pit, même au Ps, nous disons que ce référendum devrait se tenir avant la fin de l’année 2015, et non en 2016, qui sera tout juste à proximité des élections présidentielles de 2017.