Président de l'Africaine de recherche et coopération pour l'appui au développement endogène (Arcade), Moussa Demba Dembélé n'y va pas par quatre chemins. L'économiste sénégalais estime que le facteur de stabilité souvent évoqué pour justifier le maintien du franc CFA, est plutôt l'une des principales raisons pour lesquelles cette monnaie ruine les économies des quatorze pays africains qui l'utilisent.
F CFA, une « servitude monétaire »
Pour l'économiste sénégalais, la stabilité dont on parle, n'est favorable qu'aux entreprises européennes et surtout françaises, qui opèrent dans cette zone monétaire. « Elles ne courent aucun risque de change et peuvent rapatrier la totalité de leur profit parce que, dans les mécanismes de fonctionnement de la zone franc, il y a une liberté totale des transferts entre nos pays et la France », explique le chercheur, qui considère le CFA comme une « servitude monétaire ».
La meilleure illustration à ses yeux en est que même entre les pays de la zone franc de l'Afrique de l'Ouest et du Centre, cette liberté totale de transfert de capitaux n'est même plus possible depuis la dévaluation de 1994. « Il n'y a plus de possibilité de transfert illimité entre l'Afrique de l'Ouest et du Centre, parce que les deux monnaies n'ont plus le même statut qu'auparavant », soutient Demba Moussa Dembélé, par ailleurs membre de la communauté des chercheurs du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria).
Les pays du F CFA, derniers de la classe africaine
Il fait remarquer que, selon les indicateurs des Nations-Unies, malgré le mérite de stabilité du CFA souvent vanté par les partisans de cette monnaie, les pays ouest-africains de la zone franc sont en bas de l'échelle. « Sur les huit pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), sept sont classés pays les moins avancés », note-t-il.
Et de rappeler que si l'une des vertus du CFA promise est de favoriser l'intégration économique entre les pays qui l'ont en partage, il y a lieu de noter que le compte n'y est pas vraiment. « Les échanges commerciaux entre les pays de l'UEMOA tournent autour de 15 %, alors que dans la zone de l'Afrique centrale, ce taux est en deçà de 10 % », observe-t-il. Et de poursuivre : « Donc, cette stabilité ne nous favorise pas du tout », en faisant remarquer que « tout l'avantage revient à l'Europe parce que ses relations commerciales avec la zone franc sont à plus de 60 % ».
Les politiques de la BCEAO et de la BEAC dénoncées
Pour le président de l'Arcade, c'est pour maintenir cette stabilité que la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) se fixe comme priorité, la lutte contre l'inflation à l'instar de la Banque centrale européenne (BCE).
« Comment pouvons-nous avoir une politique monétaire calquée sur celle de la BCE alors que nous sommes deux entités complètement différentes ? Cela n'a pas de sens », s'insurge Demba Moussa Dembélé, qui accuse les politiques menées pour la stabilité « de plutôt étouffer les petites et moyennes entreprises ». Au demeurant, fait-il remarquer, « toutes les études sérieuses sur l'inflation ont montré que pour des pays en voie de développement, un certain niveau de hausse des prix favorise la croissance économique ».
Et d'illustrer avec l'empire du Milieu : « La Chine a une inflation trois à quatre fois plus élevée que celles des pays de l'UEMOA, peut-on dire que nos performances sont meilleures que celles des Chinois ? ».
« Ce n'est même pas comparable », ponctue-t-il, avant de donner l'exemple du Rwanda, « dont l'inflation avoisine les 10 % et qui est pourtant classé parmi les pays africains qui ont les meilleurs indicateurs économiques ».
Pour le président de l'Arcade, il est temps que les pays de l'UEMOA décident collectivement de quitter la zone franc pour concrétiser le projet de monnaie commune de la Communauté économique et monétaire ouest-africaine (Cedeao). « Ainsi, poursuit-il, la zone franc n'aura plus vraiment de raison d'exister avec les seuls pays de l'Afrique centrale. Moi, je ne suis pas partisan de la création de monnaies individuelles, on ne doit pas sortir de la zone franc pour créer chacun sa propre monnaie, je ne supporte pas cette option. Nous devons rester solidaires. » Une manière de rejoindre les tenants de la non-balkanisation de l'Afrique, politique et économique, et de militer pour une monnaie africaine.
* Groupe de recherche qui entend faciliter l'orientation des politiques et actions de développement dans un sens conforme aux aspirations des peuples africains. Il se donne aussi pour mission de valoriser les capacités endogènes et de renforcer les capacités des communautés de base.
PAR LE POINT AFRIQUE (AVEC PANA)