Soumeylou Boubèye Maïga n’est plus. L’ancien Premier ministre de la République du Mali et président du parti de l’Alliance pour la solidarité au Mali (ASMA-CFP) est décédé, le lundi 21 mars dernier, des suites d’une longue maladie, à la Clinique Pasteur de Bamako où il a été admis, durant plus de trois mois. Depuis, une polémique est née. Certains accusent même la junte malienne de l’avoir «assassiné».
«Je viens d’apprendre avec consternation la mort de Soumeylou Boubèye Maïga, ancien Premier ministre malien. Sa mort en prison rappelle celle du président Modibo Keita en 1977. Je pensais que de tels assassinats relevaient d’une autre ère», avait même réagi le président nigérien Mohamed Bazoum.
Dans une déclaration parcourue par Seneweb, l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP) de la Référence syndicale des magistrats (REFSYMA) a prononcé un réquisitoire. Selon ses membres, «ce décès est survenu dans des circonstances émouvantes, lesquelles, tout en portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux ainsi qu’aux valeurs de justice et de l’Etat de droit, heurtent le sens moral et affligent les consciences». Ainsi, ils exigent, sous réserve de recourir aux instances habilitées tant au plan national qu’international, la réparation de l’arbitraire politico-judiciaire dont a été l’objet Soumeylou Boubèye Maïga.
Voici, in extenso, la déclaration complète de l’AMPP signée par leur président Cheick Mohamed Chérif Koné.
« En réaction à la mort, dans des circonstances émouvantes de l’Ancien Premier Ministre, Président de la formation politique ASMA/CFP, Soumeylou Boubèye Maiga, survenue le 21 mars 2022, suite à sa dure et longue détention arbitraire et illégale, pour des infractions imaginaires n’ayant jamais été commises, l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP) et la Référence syndicale des magistrats (REFSYMA), à l’instar du reste du monde saluent la mémoire de l’illustre disparu, homme d’Etat flegmatique hors pair, suffisamment imprégné des réalités nationales et des exigences internationales, leader politique charismatique, un cadre accompli au parcours enviable comme riche et exceptionnel,
Affectueusement appelé, entre autres « SBM » ou « le Tigre », patriote sincère et engagé, démocrate convaincu, homme politique par vocation et conviction, doublé de fin stratège politique, Président d’une des formations politiques organisées et bien structurées, suffisamment préparé pour briguer la magistrature suprême du pays, bon père de famille au sens noble de ce terme, Soumeylou Boubèye Maiga, journaliste de profession, a été un des dignes fils de la nation ayant joué un rôle crucial dans l’éveil des consciences, tant sur les bienfaits de la démocratie que sur les dangers du monopartisme constitutionnel, avant d’être au cœur de l’évolution politique du pays et des grandes réformes pour le renforcement de l’état de droit et des acquis démocratiques,
Victime de son rayonnement multidimensionnel, de son charisme et de son leadership, de son attachement aux principes démocratiques et aux valeurs républicaines à nul autre pareil, sa mort est une perte énorme pour sa famille, sa famille politique, la classe politique, les acteurs de la presse et des médias, les défenseurs des Droits de l’homme, les démocrates, le Mali, l’Afrique et le reste du monde,
Persécuté sur fond d’adversité et d’intolérance politique avant d’être arbitrairement privé de sa liberté au temps fort de sa formation politique, par la justice de son pays devenue méconnaissable, dont les premiers dirigeants lui ont dénué, entre autres, le droit à la justice, le droit à la présomption d’innocence reconnu à toute personne mise en cause tant que sa culpabilité n’aura pas été établie, le droit à des conditions de détention commodes adaptées à son état et dignes de son statut, le droit à la santé et au bénéfice de soins appropriés, contre l’avis des spécialistes, au mépris de toutes les expertises et contre-expertises médicales commandées par l’Etat lui-même,
Cyniquement arraché à la vie, SBM dont le seul tort aurait été d’exprimer son attachement au respect du délai de la période transitoire souverainement fixé par le Peuple, dans la Charte de la Transition, reste incontestablement le martyr parfait de la démocratie, mais encore de la justice à laquelle il a tant donné, comme en attestent les augmentations des traitements des magistrats en 2017 et la loi d’orientation et de programmation du secteur de la justice 2020-2024 de 190 milliards de FCFA qui sont ses oeuvres ;
Accueillant avec philosophie, la mort comme inhérente à la condition humaine, se disent indignées par les circonstances qui entourent cette mort, largement assimilée de « mort programmée », en ce qu’elles affligent profondément une famille fragilisée, heurtent le sens moral et troublent la conscience collective d’une nation inconsolable ;
Qualifiant cette mort de véritable tragédie judiciaire imputable aux seuls premiers dirigeants de la plus haute institution judiciaire du pays, dénoncent à l’instar de tous autres défenseurs des droits humains, démocrates et porteurs des valeurs de justice, les circonstances choquantes ainsi que les conditions draconiennes humiliantes et abaissantes de détention, voire, les traitements cruels, dégradants et inhumains dont l’illustre disparu a été contraint de subir par la cour suprême, en violation de son droit à la présomption d’innocence ;
Les fustigent sans réserve, comme offrant, d’une part, le décor triste et désolant de la négation achevée du droit, des valeurs morales, et des acquis démocratiques, en cette période de Transition, d’autre part, comme le comble de la méchanceté, de la cruauté et de la barbarie judiciaire, le summum même de l’arbitraire judiciaire au service des dérives du pouvoir n’ayant autre but que d’anéantir toute voix audible contraire à sa position ;
Conscientes du devoir de vérité inhérent au droit à la justice auquel l’illustre disparu attachait du prix, comme y allant de son honneur et de sa considération, ainsi que des siens, de ses partisans, de sa famille politique et de tous ceux qui lui ont fait le privilège de leur confiance, notamment sur ces affaires qui ont servi de prétexte à son incarcération tapageuse et son traitement discriminatoire à dessein, en l’occurrence les affaires dites de l’achat de l’avion présidentiel et des équipements et effets militaires ;
Se fondant sur des déclarations concordantes de personnalités dignes de considération ayant été proches de ces affaires d’une part, et d’autre part, sur des rapports rigoureux de contrôle et de vérification, se disent convaincues que l’illustre disparu, haut cadre honnête et intègre dont l’ambition était de servir dignement et loyalement son pays, mort avec le regret d’avoir été empêché de dire sa part de vérité, était en dehors de toute forme de malversation ;
Que par rapport aux déclarations concordantes, auxquelles elles font allusion :
- qu’elles informent l’opinion publique, que dès les premiers articles de presse faisant état de scandale financier autour de ces affaires, le Ministre de la Justice de l’époque, répondant à l’AMPP, faisait comprendre que «tout ce bruit qui alimente l’achat de cet avion dont le besoin était réel et pressant, n’était que la conséquence d’un déficit gouvernemental en matière de communication », sans qu’aucun fait de détournement ne soit imputable à un membre quelconque du gouvernement, notamment ceux nommément visés dans lesdits articles de presse et les réseaux sociaux ;
Qu’elles se réjouissent que le même ancien ministre, dans une de ses interviews récentes, en s’appesantissant sur le sort de madame Boiré Fily Sissoko, n’a pas manqué de dénoncer son maintien en détention dans des conditions également insalubres et malsaines, comme relevant du pur arbitraire judiciaire ;
-qu’elles informent par ailleurs que le Président de la République déchu, en réaction avant son décès à l’annonce de cette incarcération spectaculaire de SBM, s’exprimait avec surprise en ces termes : « Si SBM est blanc comme neige, c’est aussi certainement dans ces affaires pour lesquelles la justice vient de le priver de sa liberté » ;
Que s’agissant des pièces à conviction dont elles font allusion, lesquelles corroborent ces réactions sans support disponible et attestent que l’illustre disparu était exempt de tout reproche relativement à ces affaires ayant servi de prétexte pour le priver de sa liberté et le contraindre à des mesures discriminatoires, figurent entre autres :
-la décision de la Justice française le blanchissant en le mettant hors de cause, suite à son interpellation en France ;
- La décision de classement sans suite de ces affaires du Procureur de la République du Pôle Economique et Financier de Bamako de l’époque, sur la base d’une motivation irréprochable, suffisamment fournie et juridiquement cohérente ;
Regrettent que cette décision bien murie de classement ait été remise en cause à la légère par le procureur qui l’a succédé, ministre actuel de la justice, par la volonté duquel d’ailleurs SBM, Mme Boiré Fily Sissoko, entre autres, ont été privés de façon cavalière de leur liberté, par la Cour Suprême sur la base d’une autosaine que les premiers responsables de ladite cour, savaient manifestement irrégulière ;
- les conclusions de tous les rapports de contrôle et de vérification de la juridiction supérieure des comptes du pays établis et publiés, attestant à suffisance l’absence de toute trace de manœuvre frauduleuse à l’encontre de SBM, relativement à l’achat de l’avion sus précisé, ce, bien avant l’autosaisine hautaine, inconvenante et désinvolte, honteusement soutenue sans le moindre argument de droit ;
- la décision de la plus haute juridiction administrative du pays, laquelle, après avoir reconnu la régularité de toutes les opérations liées à l’achat des équipements et effets militaires sus spécifiés, comme étant conformes à la législation, aux règles et pratiques en cours, remettait le fournisseur dans tous ses droits ;
Tirant les enseignements du traitement infligé à SBM, sans perdre de vue la situation de toutes ces nombreuses victimes d’arbitraire politico judiciaire dont Madame Boiré Fily Sissoko, en cette période transitoire où la méconnaissance des règles de procédure et les atteintes graves aux droits et libertés fondamentaux, tendent à devenir la règle et le mode de gouvernance d’un gouvernement de plus en plus envahissant, à des fins purement populistes ou de propagande ;
Déplorent les arrestations judiciaires hâtives et arbitraires, la persécution des leaders politiques, d’opinion et autres, en violation des règles de procédure, des droits de la défense et de leur droit à la présomption d’innocence ; les brimades, vexations et harcèlements administratifs abusifs des cadres attachés à la légalité républicaine ; la réduction au silence et la contrainte à l’exil de candidats potentiels ; les atteintes graves inédites à la liberté d’opinion et d’expression, désormais garanties aux seuls tenants du pouvoir et à leurs partisans ; le musellement de la presse et l’étouffement de l’information sur des scandales de corruption et de népotisme impliquant des membres des organes de transition ; la censure et l’auto censure excessives des débats publics portant sur le délai de transition, le fonctionnement de la justice et les questions de l’indépendance judiciaire ;
Dénoncent toutes manœuvres en cours du gouvernement tendant à divertir, à entretenir l’amalgame ou à semer la confusion au sein de la population, fort de la caution d’une frange, encore très peu imprégnée des questions de droit et des exigences internationales, dans le seul dessein de faire perdurer démesurément, contre tout principe, la période transitoire sous le couvert faux et trompeur « de rectification de la transition » ;
Qu’elles tiennent à ces égards, à rappeler qu’une transition, sans être une période constitutionnelle normale, ne saurait être assimilée à une situation de non droit ; qu’étant une parenthèse devant être rapidement fermée en tant que situation accidentelle de courte durée par nature, elle n’a autre but que de permettre aux citoyens, d’élire démocratiquement leurs dirigeants, à l’issue d’élections libres et transparentes, au terme du délai de transition, convenu par le peuple souverain ;
Se désolent à ce jour, du flou créé autour de la fin de la transition en cours, lequel devrait pourtant prendre fin en février 2022, conformément au délai de 18 mois fixé dans la Charte de transition ;
Réaffirmant leur adhésion pleine et entière aux valeurs républicaines et à l’engagement démocratique pris en toute responsabilité par le peuple souverain ;
Se disent profondément préoccupées par les menaces graves exercées de plus en plus, sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, en cette période transitoire devenue incontrôlable dont nul ne connait la fin pourtant rapidement souhaitée, par une frange de la classe politique, les démocrates convaincus, ainsi que les amis du Mali et l’ensemble de la communauté internationale dont le pays ne saurait se défaire de l’accompagnement à l’instar de tout autre Etat moderne ;
Rappelant sans cesse le devoir pour chaque magistrat de veiller à l’indépendance du pouvoir Judiciaire dont le respect s’impose à tous avec comme le corolaire, la responsabilité du magistrat, et rappelant, d’autre part, que la magistrature est une école de subtilité où les actes doivent être commandés par l’intérêt de la justice et assis sur le droit, et non sur le bon vouloir de quiconque ;
Dénoncent l’autosaisine irrégulière de la Cour Suprême sur instruction et directives du gouvernement de la transition, en l’absence de toute résolution de mise en accusation de l’assemblée nationale, pour se livrer à des excès et cruautés sur la personne de SBM et autres, justiciables de la seule Haute Cour de Justice pour les faits à eux reprochés ; retiennent pour seuls responsables de la tragédie judiciaire décrite plus haut, les deux premiers responsables de ladite cour ;
Que condamnant tout état de fait, elles soutiennent avec la même insistance que c’est au plus fort des dérives d’un exécutif envahissant, que les magistrats doivent plus qu’à tout autre moment, trouver la force morale requise et le courage nécessaire pour défendre en toute responsabilité, cette indépendance, laquelle, garantie par la constitution, ne saurait être tributaire de l’humeur du Premier Ministre ou de celle du Ministre de la Justice actuellement en place, sur la conscience desquels d’ailleurs, la tragédie de SBM et la situation dramatique de l’ancienne ministre Mme Boiré Fily Sissoko, devraient lourdement peser ;
Qu’elles regrettent en tout état de cause, la prise en otage de la démocratie par la remise en cause des acquis démocratiques par le pouvoir, ayant comme bras séculier de dissuasion et de répression des voix dissidentes, les premiers dirigeants de l’appareil judiciaire d’Etat, désormais dédiés au pouvoir exécutif, au mépris de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance du pouvoir judiciaire, axe central de la démocratie et de l’Etat de droit des temps modernes ;
Que se fondant enfin d’une part sur les dispositions pertinentes de la Constitution et du code de procédure pénale engageant l’Etat à réparer les désagréments causés aux citoyens du fait du mauvais fonctionnement de la justice, nonobstant le droit de poursuite et des actions récursoires dont il dispose contre ses agents indélicats ;
Et d’autre part, sur les instruments juridiques sous régionaux, régionaux et internationaux relatifs aux Droits de l’homme qui engagent le Mali ;
Exigent, sous réserve de recourir aux instances habilitées tant au plan national qu’international, la réparation de l’arbitraire politico-judiciaire dont a été l’objet, l’illustre disparu, ce haut cadre vertueux, honnête, loyal et irréprochable, cet être exceptionnel serviable, discret, humble, affable et vertueux, qu’une famille, des amis et compagnons politiques, la nation et le monde pleurent encore. »