Le thème de l’Audience de rentrée solennelle des Cours et Tribunaux de l’année 2021-2022 qui était axé sur «Justice et conflits fonciers : application de la loi sur le domaine national», a remis sur la table la difficulté d’avoir une gestion vertueuse des terres au Sénégal. Le président de la République, Macky Sall, le reconnaissant lui-même, a donné l’information selon laquelle les problèmes fonciers reviennent souvent aux Réunions de Sécurité qui se tiennent sous sa direction, au Palais de la République ; un signe de l’état critique de la situation.
Mieux, le 22 octobre 2020, dans son discours à l’occasion de la Journée nationale de la Décentralisation, il avait dit que «la terre est le plus gros risque de conflit au Sénégal». Malgré tout, ce n’est qu’une législation «désuète» sur le Domaine nationale et vieille de 58 ans (la loi date de 1964), qui sert de boussole à la justice. Son importance reste toujours de mise, selon le chef de l’exécutif.
«La loi de 1964 sur le Domaine national reste un cadre légal, original, qu’il faut conserver dans ses principes fondateurs et ses finalités socio-économiques, en l’adaptant aux impératifs du présent et du futur. Il faut toujours veiller à ce que l’innovation, tout en favorisant le progrès, ne génère plus de conflits qu’il n’en règle. Je souscris à toutes vos recommandations pertinentes», a dit Macky Sall, à la cérémonie de démarrage de l’année judiciaire.
Même si cette importance y est toujours, il est à rappeler que cette loi sur le Domaine national est toujours remise en cause par les associations qui militent pour la préservation du foncier. Mieux, les acteurs de la justice, à la tête desquels le Premier président de la Cour Suprême, Cheikh Ahmed Tidiane Coulibaly, semblent émettre des réserves sur celle-ci. Dans son allocution à cette rentrée solennelle, il a conclu, au terme d’un long exposé, que «l’application de la loi sur le Domaine national continue à générer de nombreux conflits».
LA LOI SUR LE DOMAINE NATIONAL A DAVANTAGE PROVOQUE UNE «ANARCHIE ORDONNEE» QU’AUTRE CHOSE, DANS LA GESTION DU FONCIER AU SENEGAL
Par ailleurs, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Papa Leïty Ndiaye, en terminant son discours/plaidoirie, a demandé qu’au moment du délibéré, qu’il soit posé la question de savoir s’il est utile de laisser encore en vie la loi dite du Domaine national qui, dit-il, a davantage provoqué une «anarchie ordonnée» qu’autre chose, dans la gestion du foncier au Sénégal. Il ne s’est pas arrêté à cela.
Dans son allocution, l’avocat a fait ressortir que même l’initiateur de cette loi, à savoir le défunt-président poète, Léopold Sédar Senghor, avait, il y’a de cela plusieurs années, décelé les carences de cette loi en ces termes: «la qualité d’une réforme ne se mesure pas seulement aux intentions qui la sous-tendent. Elle s’apprécie aussi dans l’application qui en est faite : dans la manière dont elle est appliquée. Il nous faut donc analyser méthodiquement, sans complaisance, les leçons de l’expérience, corriger les erreurs s’il y en a, combler les lacunes s’il s’en trouve, supprimer les lenteurs, expliquer les résistances. C’est à ce prix que nous progresserons. Or l’analyse de l’application de la législation de 1964 et des textes subséquents fait apparaître un certain nombre d’écarts entre les prescriptions du législateur et la situation actuelle en matière foncière ».
Pour la robe noire, «force est de constater que les difficultés sont encore là , elles se sont même accrues, gravement accrues».
MISE EN PLACE D’UNE COMMISSION DE LA REFORME FONCIERE, L’UTILITE EN QUESTION
C’est dans ce contexte qu’a été mise sur pied la Commission nationale de la réforme foncière. Le rapport du decret de sa mise en place, rappelle le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, disait que «le régime de la propriété foncière au Sénégal est organisé par des normes juridiques diverses portant sur des domaines spécifiques et se caractérise par l’intervention de diverses autorités pour sa gestion. Si la propriété privée, actuellement régie par la loi N°2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière, pose moins de difficultés, il n’en est pas de même s’agissant du domaine de l’Etat et des terres du Domaine national.
En effet, il a été constaté une gestion et une occupation irrégulières du domaine de l’Etat, par le non-respect des procédures prescrites, conduisant ainsi, du fait de la forte pression sur le foncier, notamment dans la capitale, à des opérations de spéculation. De même, la gestion des terres du Domaine national par les Communautés rurales est restée approximative. Elle a toujours été source de conflits répétés entre les populations. Elle ne répond pas aux obligations de développement permettant le décollage économique de notre pays».
Le justificatif de la mise sur pied de la Commission nationale de la réforme foncière relevait aussi : «eu égard à la complexité des questions foncières, il est apparu utile de mettre en place une Commission nationale chargée d’analyser les textes législatifs et réglementaires existants, d’identifier les contraintes institutionnelles d’une gestion optimale du foncier et de proposer les mesures d’adaptation appropriées qui tiennent compte des réalités économiques et modernes, pour faire du Sénégal, un pays émergent capable de satisfaire seul, les besoins vitaux des populations».
MACKY SALL : «IL NOUS FAUT CONTINUER LA REFLEXION»
Le constat est qu’après quatre années de travaux et la remise des conclusions au président de la République, la commission a été dissoute sans qu’une application de ses recommandations ne soit effective. La réponse du Président Macky Sall, dans ce sens, est : «la commission a déposé son rapport le 20 avril 2017, avant d’être dissoute par décret, le 16 mai 2017. En mai 2016, j’avais recueilli l’avis du Conseil économique social et environnemental (Cese) sur le rapport de la commission qui demandait à l’Etat d’appliquer les conclusions de la commission dans le sens qu’elles vont renforcer le système de gouvernance foncière. Le gouvernement y travaille. Il reste que le foncier est complexe et que toute décision de portée générale y afférente, mérite précaution.
Ma conviction intime est que, si j’avais appliqué les conclusions du rapport de cette Commission nationale, en moins de douze mois, il n’existerait plus un seul mètre carré public sur les terres du Domaine national, puisque les Collectivités territoriales allaient octroyer toutes les terres et nous nous retrouverions dans une situation comme celle en Afrique australe, où toutes les terres sont octroyées à des privés. Je ne peux pas assumer cette responsabilité. Donc, il nous faut continuer la réflexion».
Le temps ne serait-il pas à la réflexion, si l’on prend en considération des cas comme Ndingler qui foisonnent et la volonté affirmée des pouvoirs publics d’aller vers une autosuffisance alimentaire, notamment en riz ? La réflexion qui sera engagée, serait-elle plus concluante que les travaux de l’équipe de la Commission nationale de réforme foncière dirigée par le défunt ministre de la Justice, Moustapha Sourang, et qui était de 75 membres, avec la participation d’universitaires et d’organisation paysannes ?
Pour rappel, la loi sur le Domaine national a été promulguée le 4 novembre 1980, à l’occasion de la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux dont le thème était axé sur «La Propriété foncière au Sénégal».
Mieux, le 22 octobre 2020, dans son discours à l’occasion de la Journée nationale de la Décentralisation, il avait dit que «la terre est le plus gros risque de conflit au Sénégal». Malgré tout, ce n’est qu’une législation «désuète» sur le Domaine nationale et vieille de 58 ans (la loi date de 1964), qui sert de boussole à la justice. Son importance reste toujours de mise, selon le chef de l’exécutif.
«La loi de 1964 sur le Domaine national reste un cadre légal, original, qu’il faut conserver dans ses principes fondateurs et ses finalités socio-économiques, en l’adaptant aux impératifs du présent et du futur. Il faut toujours veiller à ce que l’innovation, tout en favorisant le progrès, ne génère plus de conflits qu’il n’en règle. Je souscris à toutes vos recommandations pertinentes», a dit Macky Sall, à la cérémonie de démarrage de l’année judiciaire.
Même si cette importance y est toujours, il est à rappeler que cette loi sur le Domaine national est toujours remise en cause par les associations qui militent pour la préservation du foncier. Mieux, les acteurs de la justice, à la tête desquels le Premier président de la Cour Suprême, Cheikh Ahmed Tidiane Coulibaly, semblent émettre des réserves sur celle-ci. Dans son allocution à cette rentrée solennelle, il a conclu, au terme d’un long exposé, que «l’application de la loi sur le Domaine national continue à générer de nombreux conflits».
LA LOI SUR LE DOMAINE NATIONAL A DAVANTAGE PROVOQUE UNE «ANARCHIE ORDONNEE» QU’AUTRE CHOSE, DANS LA GESTION DU FONCIER AU SENEGAL
Par ailleurs, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Papa Leïty Ndiaye, en terminant son discours/plaidoirie, a demandé qu’au moment du délibéré, qu’il soit posé la question de savoir s’il est utile de laisser encore en vie la loi dite du Domaine national qui, dit-il, a davantage provoqué une «anarchie ordonnée» qu’autre chose, dans la gestion du foncier au Sénégal. Il ne s’est pas arrêté à cela.
Dans son allocution, l’avocat a fait ressortir que même l’initiateur de cette loi, à savoir le défunt-président poète, Léopold Sédar Senghor, avait, il y’a de cela plusieurs années, décelé les carences de cette loi en ces termes: «la qualité d’une réforme ne se mesure pas seulement aux intentions qui la sous-tendent. Elle s’apprécie aussi dans l’application qui en est faite : dans la manière dont elle est appliquée. Il nous faut donc analyser méthodiquement, sans complaisance, les leçons de l’expérience, corriger les erreurs s’il y en a, combler les lacunes s’il s’en trouve, supprimer les lenteurs, expliquer les résistances. C’est à ce prix que nous progresserons. Or l’analyse de l’application de la législation de 1964 et des textes subséquents fait apparaître un certain nombre d’écarts entre les prescriptions du législateur et la situation actuelle en matière foncière ».
Pour la robe noire, «force est de constater que les difficultés sont encore là , elles se sont même accrues, gravement accrues».
MISE EN PLACE D’UNE COMMISSION DE LA REFORME FONCIERE, L’UTILITE EN QUESTION
C’est dans ce contexte qu’a été mise sur pied la Commission nationale de la réforme foncière. Le rapport du decret de sa mise en place, rappelle le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, disait que «le régime de la propriété foncière au Sénégal est organisé par des normes juridiques diverses portant sur des domaines spécifiques et se caractérise par l’intervention de diverses autorités pour sa gestion. Si la propriété privée, actuellement régie par la loi N°2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière, pose moins de difficultés, il n’en est pas de même s’agissant du domaine de l’Etat et des terres du Domaine national.
En effet, il a été constaté une gestion et une occupation irrégulières du domaine de l’Etat, par le non-respect des procédures prescrites, conduisant ainsi, du fait de la forte pression sur le foncier, notamment dans la capitale, à des opérations de spéculation. De même, la gestion des terres du Domaine national par les Communautés rurales est restée approximative. Elle a toujours été source de conflits répétés entre les populations. Elle ne répond pas aux obligations de développement permettant le décollage économique de notre pays».
Le justificatif de la mise sur pied de la Commission nationale de la réforme foncière relevait aussi : «eu égard à la complexité des questions foncières, il est apparu utile de mettre en place une Commission nationale chargée d’analyser les textes législatifs et réglementaires existants, d’identifier les contraintes institutionnelles d’une gestion optimale du foncier et de proposer les mesures d’adaptation appropriées qui tiennent compte des réalités économiques et modernes, pour faire du Sénégal, un pays émergent capable de satisfaire seul, les besoins vitaux des populations».
MACKY SALL : «IL NOUS FAUT CONTINUER LA REFLEXION»
Le constat est qu’après quatre années de travaux et la remise des conclusions au président de la République, la commission a été dissoute sans qu’une application de ses recommandations ne soit effective. La réponse du Président Macky Sall, dans ce sens, est : «la commission a déposé son rapport le 20 avril 2017, avant d’être dissoute par décret, le 16 mai 2017. En mai 2016, j’avais recueilli l’avis du Conseil économique social et environnemental (Cese) sur le rapport de la commission qui demandait à l’Etat d’appliquer les conclusions de la commission dans le sens qu’elles vont renforcer le système de gouvernance foncière. Le gouvernement y travaille. Il reste que le foncier est complexe et que toute décision de portée générale y afférente, mérite précaution.
Ma conviction intime est que, si j’avais appliqué les conclusions du rapport de cette Commission nationale, en moins de douze mois, il n’existerait plus un seul mètre carré public sur les terres du Domaine national, puisque les Collectivités territoriales allaient octroyer toutes les terres et nous nous retrouverions dans une situation comme celle en Afrique australe, où toutes les terres sont octroyées à des privés. Je ne peux pas assumer cette responsabilité. Donc, il nous faut continuer la réflexion».
Le temps ne serait-il pas à la réflexion, si l’on prend en considération des cas comme Ndingler qui foisonnent et la volonté affirmée des pouvoirs publics d’aller vers une autosuffisance alimentaire, notamment en riz ? La réflexion qui sera engagée, serait-elle plus concluante que les travaux de l’équipe de la Commission nationale de réforme foncière dirigée par le défunt ministre de la Justice, Moustapha Sourang, et qui était de 75 membres, avec la participation d’universitaires et d’organisation paysannes ?
Pour rappel, la loi sur le Domaine national a été promulguée le 4 novembre 1980, à l’occasion de la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux dont le thème était axé sur «La Propriété foncière au Sénégal».