Comment en est-on arrivé là ?
La démission du chef d'état-major est l'issue d'une montée en tension depuis une semaine entre Emmanuel Macron et Pierre de Villiers. Tout a commencé avec l'annonce par Bercy, le 11 juillet, d'une réduction des dépenses de 850 millions d'euros pour le secteur de la Défense. Pierre de Villiers proteste dans un premier temps auprès d'Emmanuel Macron, mais c'est une fuite dans la presse sur l'audition du général à huis clos devant la commission de la Défense de l’Assemblée qui met le feu aux poudres.
"Je ne me laisserai pas baiser comme ça !", aurait lâché le général cinq étoiles, le 12 juillet, sous les applaudissements des députés, raconte Le Monde. Un épisode qui lui vaut un recadrage sans ménagement du président de la République dès le lendemain. "Il n'est pas digne d'étaler certains débats sur la place publique." Le général ne moufte pas, mais s'autorise une publication Facebook dans la soiréedu 14 juillet : "Parce que tout le monde a ses insuffisances, personne ne mérite d’être aveuglément suivi."
Une réponse implicite que n'apprécie pas le président. Le chef d'Etat ouvre la porte à une possible démission, le 16 juillet dans Le JDD. "Si quelque chose oppose le chef d'état-major des armées au président de la République, le chef d'état-major des armées change." Message reçu cinq sur cinq par le général qui présente sa démission le mercredi 19 juillet.
2Une telle décision, c'est du jamais-vu ?
La démission d'un chef d'état-major des armées est une première sous la Ve République. Le poste a pris sa configuration actuelle en 1962, rappelle l'historien Philippe Vial dans Le Monde , et depuis seuls des chefs d’état-major d’armée (marine, armée de l'air, armée de terre) ont osé démissionner, comme en 1983 le général Jean Delaunay, chef d'état-major de l'armée de terre, qui s'était opposé à l'époque à la réduction de 10% des effectifs de son corps d'armée.
Selon de nombreuses réactions, pour retrouver trace d'une telle crise entre l'exécutif et l'armée, il faut remonter à 1961 et au putsch des généraux en Algérie, affirme sur franceinfo le général de l'armée de terre Vincent Desportes : "Nous sommes dans une crise institutionnelle grave." Un avis partagé par Guy Tessier, député LR et président de la commission de la Défense de 2002 à 2012 : "Nous n'avons jamais connu une telle crise depuis la guerre d'Algérie."
Cette situation inédite s'explique aussi par le fait qu'il est rare de voir un président de la République s'en prendre à son chef d'état-major des armées. "A ma connaissance, c'est la première fois qu'un président de la République fait une déclaration aussi brutale vis-à -vis de son chef d'état-major des armées, déclaration qui ne peut conduire qu'à sa démission", analyse pour franceinfo Pierre Servent, expert en stratégie militaire et auteur du livre Les Présidents et la guerre.
3Emmanuel Macron a-t-il commis une faute politique ?
Le président a voulu rappeler qu'il était le chef et éteindre ainsi tout début de contestation dans les rangs de l'armée. Mais les réactions qui dénoncent une faute politique d'Emmanuel Macron sont nombreuses. "Macron préfère Darmanin au général de Villiers ! Quelle faute irresponsable !", a par exemple estimé le député LR Eric Ciotti. "Le départ du général de Villiers restera comme une tache sur le quinquennat de M. Macron", a renchéri Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République).
Du côté de l'armée et des experts, l'incompréhension est aussi de mise. "J'ai du mal à comprendre quelle mouche a piqué Emmanuel Macron, confie sur franceinfo Bruno Tertrais, spécialiste des relations politico-militaires. A mon avis, il a été extrêmement maladroit, le 13 juillet. Il avait la possibilité de dénouer la crise de manière beaucoup plus subtile, y compris en changeant de chef d'état-major si nécessaire."
Il a agi avec beaucoup de brutalité et ça laisse des traces.
Bruno Tertraisà franceinfo
Le général Vincent Desportes, très remonté, ne dit pas le contraire : "Le président Macron a délivré une humiliation gratuite. Il a accusé un homme d'excellence devant l'ensemble de ses collaborateurs, ce qu'aucun manager ne fait (...). Il n'aurait pas dû personnaliser le problème." Pierre Servent abonde : "Dans le monde militaire, ce sont des choses qui ne se font pas. Si le président de la République a des reproches à faire à son chef d'état-major des armées, il le fait entre quatre yeux."
C'est une faute politique importante de la part du président de la République, qui traduit un manque de connaissance du monde militaire.
Pierre Serventfranceinfo
4Quelles vont être les répercussions de cette démission ?
La première conséquence directe est la nomination d'un nouveau chef d'état-major des armées. Il s'agit du général François Lecointre. Ce dernier va vite se retrouver dans une position délicate. Son prédécesseur était une personnalité très appréciée dans les rangs de l'armée et il va devoir relever le défi de prendre sa suite. Mais surtout il "va se trouver dans une position très difficile parce qu'il va arriver pour accepter une réduction budgétaire", analyse Pierre Servent, qui ajoute que la séquence risque également d'affaiblir la ministre des Armées, Florence Parly.
L'autre conséquence, plus incertaine, est la possible détérioration des liens entre l'armée et Emmanuel Macron, après un début de quinquennat pourtant réussi au niveau des signaux envoyés aux armées. "Il avait resserré le lien, et là il l'a brisé, juge avec sévérité le général Vincent Desportes. L'institution militaire est aujourd'hui stupéfaite de ce qu'il vient de se passer."
5La situation peut-elle s'arranger ?
Emmanuel Macron va devoir rapidement reprendre la main pour calmer l'institution militaire et renouer le lien. Le président se rendra jeudi sur la base aérienne d'Istres (Bouches-du-Rhône), une visite prévue avant l'annonce de la démission du général de Villiers, assure l'Elysée. Après une visite de la base dans la matinée, le président doit s'adresser aux militaires présents à 13h20.
Emmanuel Macron sera notamment attendu par les militaires sur la tenue de ses promesses. Lors de la campagne présidentielle, il s'est engagé à porter le budget de la Défense à 2% du PIB en 2025. Les récentes coupes budgétaires annoncées ont entraîné un doute quant à la faisabilité de cet engagement.