A l’approche de l’élection présidentielle du 18 octobre en Guinée, des organisations de défense des droits humains s’inquiètent du niveau de violence exercé par les forces de sécurité lors de la répression de manifestations qui ont pavé la voie suivie par le président Alpha Condé pour pouvoir briguer un troisième mandat.
Dans un rapport intitulé « Marcher et mourir : urgence de justice pour les victimes de la répression des manifestations en Guinée », publié jeudi 1er octobre, Amnesty International estime qu’« au moins 50 personnes » ont été tuées entre octobre 2019, date correspondant au début de la mobilisation du Front national de la défense de la Constitution (FNDC), et juillet 2020. Il fait aussi état de 200 blessés, d’arrestations et de détentions arbitraires et au secret d’au moins 70 personnes pendant la même période.
Le bilan humain est beaucoup plus lourd sur cette période si l’on y ajoute les victimes enregistrées dans la région forestière de Nzérékoré, troisième ville du pays située dans le sud-est de la Guinée, proche de la frontière avec la Côte d’Ivoire et le Liberia. Des affrontements intercommunautaires s’y sont déroulés au mois de mars en marge des élections législatives et du référendum constitutionnel. Dans un autre rapport rendu public le 25 septembre, Human Rights Watch (HRW) estime ainsi qu’« au moins 32 personnes ont été tuées et plus de 90 blessées » à Nzérékoré. L’ONG a aussi recueilli « des éléments crédibles corroborant des déclarations des organisations guinéennes de défense des droits humains, selon lesquelles les corps de plus de 24 personnes tuées lors de ces violences avaient été retirés de l’hôpital régional pour être enterrés secrètement dans une fosse commune de la ville ».
Les affrontements entre partisans du gouvernement et de l’opposition ont rallumé de vieilles tensions politiques et ethniques. Mais « les forces de sécurité déployées pour assurer la sécurité des opérations de vote n’ont pas pris de mesures suffisantes pour empêcher ces meurtres, ni des destructions généralisées de biens. En outre, elles ont elles-mêmes tué deux personnes, et ont passé à tabac et arrêté arbitrairement des dizaines d’hommes », a constaté HRW.
Implication des forces de sécurité
L’attitude des forces de sécurité est au centre de l’enquête d’Amnesty International. Fondé sur une centaine d’entretiens et des analyses de documents officiels, de vidéos et de photographies, le rapport « apporte la preuve que (…) les forces de défense et de sécurité ont eu recours aux armes à feu de manière illégale dans plusieurs villes du pays. » Les autorités guinéennes ont, jusqu’à présent, toujours démenti l’usage d’armes létales dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre.
Amnesty International s’inquiète également de ce que des corps de personnes tuées durant des manifestations n’ont pas été acceptés dans des morgues des hôpitaux publics, après y avoir été transportés par des parents ou des passants. « Des informations crédibles laissent penser que les autorités ont empêché l’accueil dans les hôpitaux de corps de victimes déplacés sans la présence d’un officier de police judiciaire, » dénonce Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. « Le refoulement de ces corps par les hôpitaux publics signifie que les victimes ne figurent pas dans le bilan des morts du gouvernement. En conséquence, les familles n’ont pas obtenu de certificat de décès et il n’y a pas eu d’autopsie facilitant l’ouverture d’une enquête judiciaire », ajoute-t-elle.
HRW et Amnesty demandent aux autorités d’enquêter sur ces violences et que justice soit rendue. Cela tiendrait quasiment du miracle. Depuis l’indépendance en 1958 de cette ancienne colonie française, les crimes commis par les forces de sécurité bénéficient d’une impunité quasi totale. Il y a onze ans, le 28 septembre 2009, plus de 150 opposants étaient massacrés, par des militaires et des gendarmes, dans un stade de Conakry où ils manifestaient contre la junte du capitaine Daddis Camara. Plusieurs officiers supérieurs liés à cette tuerie ont depuis été promus et le procès demeure à ce jour une promesse non tenue faite aux victimes.
En conséquence, les organisations de droits humains appellent la communauté internationale à la vigilance à l’approche de la présidentielle. Ilaria Allegrozzi, chercheuse sur l’Afrique pour HRW, juge en effet que « ces événements sont un signe qu’en Guinée, le dangereux mélange – constitué de la crise politique, de vieilles tensions ethniques et intercommunautaires, et d’abus parfois commis en toute impunité par les forces de sécurité – fait planer le risque de nouvelles violations des droits humains avant et pendant l’élection ».