La question des agressions sexuelles subies par les athlètes dans le cadre sportif, amateur ou professionnel, semble devenir une priorité pour l’État français. Après de nouvelles révélations du site Internet Disclose, le sujet longtemps considéré comme tabou refait surface.
La fin de l’omerta ? « On essaye d’apporter des réponses concrètes à cette question ! », témoigne avec énergie Véronique Lebar pour RFI. La présidente du Comité éthique et sport (CES) est à la tête d’une association indépendante, qui travaille à des propositions concrètes. Depuis 2013, le CES vient en aide aux sportifs victimes de violences sexuelles et met en contact athlètes, psychologues, médecins et avocats.
Disclose relance le débat !
« Il y a une certaine omerta même au plus haut de l’État, presque comme dans les familles, dénonce avec fermeté Véronique Lebard, ancienne responsable du pôle sport, santé, bien-être du ministère des Sports. C’est très dur pour la personne qui parle. Elle a peur d’être mise au ban et je considère que le ministère des Sports n’a jamais pris réellement le problème à bras le corps. Il faut agir vite, ce n’est que le début de cette histoire. » Sur le numéro gratuit (01 45 33 85 62) du « réseau maltraitance » du CES, Véronique Lebar avoue recevoir beaucoup plus d’appels qu’auparavant.
Pendant près de huit mois, Disclose , un site web d’investigation français créé en 2018, a enquêté sur les violences sexuelles en milieu sportif sur le sol français. Une plongée inédite dans le monde fermé des clubs amateurs et professionnels qui démontre la faillite de tout un système, des associations sportives aux fédérations, jusqu’aux services de l’État.
Entre 1970 et aujourd’hui, l’enquête révèle 77 affaires marquées par des dysfonctionnements majeurs dans 28 sports, faisant 276 victimes. Et près d’une affaire d’infraction sexuelle sur deux est un cas de récidive.
« Le travail de prévention paie », affirmait Laura Flessel
Pourtant, en 2017, dans un entretien accordé à l’Express , Laura Flessel, ancienne ministre des Sports, avançait qu’au regard de l’affaire Weinstein dans le cinéma, elle n’avait pas « reçu de témoignage » du monde du sport français. « C’est sans doute que le travail [de prévention] paie », affirmait-elle. Alors que le monde entier vivait sa révolution #MeToo, le sport français n’avait pas l’air très concerné.
« Les gens doivent savoir que cela n’arrive pas qu’à Hollywood. Cela existe partout », témoignait à l’époque sur les réseaux sociaux, l’ex-vedette de la gymnastique américaine McKayla Maroney, accusant d’agressions sexuelles répétées l’ancien médecin de la fédération , Larry Nassar, en prison pour pédopornographie après que plus de 125 femmes eurent témoigné contre lui. « Notre silence a donné le pouvoir à de mauvaises personnes depuis trop longtemps et il est temps de reprendre le pouvoir », avançait l’ancienne gymnaste.
La gymnaste américaine Aly Raisman, autre victime de Larry Nassar.REUTERS/Brendan McDermid
Une conférence nationale sur le sujet ?
Selon The Human Rights Channel, la chaîne des droits humains du conseil de l’Europe, « près d’un enfant sur cinq est victime de violence sexuelle en Europe. Cela concerne des attouchements sexuels, des viols, des harcèlements et agressions sexuelles, de l’exhibitionnisme, de l’exploitation sous forme de prostitution et de pornographie, du chantage et des extorsions sexuelles en ligne. »
Une étude commanditée en 2009 par le ministère des Sports affirmait que 11,2 % des athlètes étaient exposés aux violences sexuelles contre 6,6 % hors de la sphère sportive. Dans le monde, les études sur les agressions sexuelles en milieu sportif sont relativement peu nombreuses.
Depuis les révélations de Disclose, le ministère des Sports a créé une cellule dédiée à la gestion de ce problème piloté par le directeur des Sports Gilles Quénéhervé. Après qu’un pongiste a été incriminé dans l’enquête de Disclose, la Fédération française de tennis de table a demandé au CNOSF (Comité national olympique sportif français) et au Ministère des Sports d’organiser de toute urgence « une conférence nationale afin de mettre en place un plan ORSEC et donner les moyens d’agir fermement et rapidement ». Le cadre juridique ne permet ni aux clubs ni aux fédérations d’accéder ou de disposer des fichiers des délinquants sexuels.
Le combat d’un ancien rugbyman victime de viol
Toujours depuis cette enquête, une convention a été signée entre le ministère des Sports et l’association « Colosse aux pieds d’argile ». L’ancien rugbyman Sébastien Boueilh, son fondateur, violé par le mari de sa cousine chaque vendredi entre 12 et 16 ans, achèvera en mars prochain son tour de France des Cresps (centres de ressources, d’expertise et de performance sportive), axé sur le bizutage et les agressions sexuelles. « Colosse aux pieds d’argile » a également signé des conventions avec 12 fédérations pour intervenir auprès des acteurs du sport : cadres techniques, licenciés et élus.
Certains pays ont pris en considération le problème de violences sexuelles dans le sport depuis plusieurs années. En Angleterre, c’est le gouvernement qui a mis en place une plateforme d’écoute et d’aide juridique. Au Canada, les parents peuvent se renseigner sur ce que le club de sport met en place en matière de prévention avant d’y inscrire leur enfant.
« Il faut faire cesser l’omerta et dénoncer ces violences sexuelles, a déclaré le sénateur Michel Savin, qui recevait Véronique Lebar au palais du Luxembourg le 13 novembre dernier. Nous avons des propositions pour cela et il est important d’écouter et de relayer la voix des acteurs de terrain. »