Le Congrès américain a créé la Fed en 1913 en tant qu’agence indépendante, préservée de la politique partisane, et chargée d’assurer la stabilité des prix sur le plan national ainsi que de favoriser l’emploi au sein du pays. C’est au fil du temps que son rôle s’est développé. Depuis la crise financière mondiale de 2008, et à l’instar de ses nombreuses entités homologues au sein des pays développés, la Fed entreprend une politique monétaire de moins en moins conventionnelle – assouplissement quantitatif, assouplissement du crédit, guidage des anticipations, etc.
Ce qui était autrefois peu conventionnel est désormais devenu conventionnel . Une certaine génération de participants opérant sur les marchés mondiaux n’a toujours connu qu’un monde de taux d’intérêts faibles (voire négatifs) et de prix des actifs artificiellement gonflés.
Le double mandat de la Fed n’en demeure pas moins en vigueur. Et bien que le récent discours de la Fed soit empreint de compromis, les fondamentaux de l’économie américaine – notamment ceux qui sont censés importer le plus à la Fed – laissent clairement présager de futures hausses des taux.
Prenons tout d’abord le mandat de la Fed en matière d’emploi. Le taux de chômage a diminué jusqu’à seulement 5 %, la croissance de l’emploi se révèle solide et cohérente, tandis que les demandes d’assurance-chômage sont clairement en baisse depuis plusieurs années.
Quant au mandat relatif à la stabilité des prix, et bien que l’effondrement des prix du pétrole ait naturellement affecté les chiffres de référence au cours de l’année passée, la tendance révélée par l’inflation de base (à l’exclusion de la composante énergétique) laisse à penser que la Fed échappe à la courbe de l’inflation. L’IPC de base se situe à un haut niveau d’après crise, présentant une hausse de 2,3 % en février par rapport à l’année précédente, et de 2,2 % au mois de mars.
En outre, il faut s’attendre à ce que les pressions inflationnistes s’accentuent au fur et à mesure de l’année. À l’heure où le ratio endettement/actif des ménages se rapproche de niveaux observés pour la dernière fois dans les années 1990, les consommateurs disposent d’une capacité bien suffisante pour contracter davantage d’emprunts. Dans le même temps, il est probable que les freins tarifaires à l’inflation faiblissent à mesure de la stabilisation des prix du pétrole, tandis que la récente mollesse du dollar implique davantage de pression inflationniste.
Ces progrès sur le plan national placent néanmoins la Fed dans une position difficile. En effet, la Fed se trouve de fait piégée entre d’une part une économie américaine qui justifierait de plus en plus la normalisation de sa politique monétaire, et d’autre part l’intérêt qu’un discours teinté de compromis peut représenter pour des marchés mondiaux fragiles – sur lesquels près de 60 % des transactions internationales sont libellées en dollar.
Les messages en provenance des marchés financiers influencent de plus en plus les décisions prises par la Fed. L’idée que la Fed procéderait à des hausses plus rapides ou plus précoces que prévu suscite la crainte du resserrement de l’environnement financier, ainsi que la peur de violents mouvements d’aversion au risque. À l’issue de plusieurs années de marché haussier concernant les actions et les titres à revenu fixe, hausse stimulée par ces mêmes politiques monétaires que la Fed s’efforce désormais d’abandonner, aucune valorisation attractive ne permet de décourager cette réaction. En l’absence d’une croissance mondiale véritablement solide, qui ne devrait pas faire son retour dans un avenir proche, les marchés financiers comptent sur une politique monétaire extrêmement assouplie pour soutenir les prix.
C’est ce qu’illustrent parfaitement la décision prise par la Fed au mois de mars en matière de taux, ainsi que les commentaires de la présidente de la Fed Janet Yellen à cet égard. Il semble que la Fed n’ait pas su encaisser les liquidations observées sur les marchés financiers mondiaux en janvier et février, principalement provoquées par les craintes d’un nouveau resserrement.
Ceci est étrange, dans la mesure où les effets des fluctuations de la richesse financière (actions et obligations) sur la consommation sont minimes. Les prix de l’immobilier constituent un facteur beaucoup plus important, et ils ne se sont pas détériorés. De même, les évolutions du coût du capital, y compris du coût des capitaux propres, n’engendrent qu’un faible impact sur l’investissement des entreprises.
Autrement dit, sur la question de son double mandat, la Fed n’a pas de raison de s’inquiéter outre mesure de la volatilité des marchés, pas même de l’ampleur observée en janvier et février. Or, tous les signaux envoyés par Yellen et la Fed indiquent précisément une telle inquiétude de la part de ceux qui élaborent les politiques. En outre, le redressement observé sur les marchés après que la Fed ait fait marche arrière concernant le rythme des hausses de taux n’a fait que renforcer la boucle de rétroaction entre probabilité de hausses des taux d’intérêt américains et volatilité des marchés mondiaux.
Cette boucle est venue s’ancrer jusqu’à concrétiser un nouveau mandat pour la Fed, les autres décideurs politiques mondiaux ayant de plus en plus tendance à y faire ouvertement référence. Le ministre adjoint des Finances de la Chine a ainsi récemment applaudi Janet Yellen pour sa communication et son approche prudente, saluant le fait que cette approche prenne les autres États « en considération ».
Ceci soulève des implications inquiétantes. En effet, si Yellen et la Fed venaient à se sentir obligés vis-à -vis des marchés financiers, le risque de hausses de taux futures plus sévères viendrait à augmenter, à mesure que la Fed échappe à la courbe de l’inflation.
Au-delà même de ces considérations, un certain nombre d’aspects importants interviennent à plus long terme. Compte tenu de cette base faible, et de l’évidente prudence de la Fed, il est peu probable que les taux d’intérêt nominaux augmentent excessivement d’ici la prochaine récession américaine. Face à un manque de puissance de frappe traditionnelle sur le plan de la réduction des taux, le prochain ralentissement économique pourrait être plus prolongé qu’à l’habitude, et nécessiter un recours encore plus prononcé aux politiques monétaires non conventionnelles – potentiellement au-delà des démarches de taux d’intérêt nominaux négatifs actuellement entreprises en Europe et au Japon.
En effet, le prédécesseur de Janet Yellen, Ben Bernanke, a récemment évoqué ce type de possibilités, et notamment celle d’une augmentation permanente de la masse monétaire (la fameuse notion d’« helicopter money »). Cette démarche pourrait revêtir différentes formes : assouplissement quantitatif en parallèle d’une expansion budgétaire (plus fortes dépenses d’infrastructure, par exemple) transferts directs de liquidités au gouvernement, ou, plus radical encore, transferts directs de liquidités aux ménages.
Des politiques aussi extrêmes demeurent encore au stade de la théorie, et leur mise en œuvre ferait sans aucun doute l’objet d’un examen accru de la part du Congrès. Pour autant, la pression en faveur d’un soutien aux marchés financiers mondiaux et autres économies extérieures suggère la raison pour laquelle la question est débattue.
À l’heure où la Fed vient de décider de maintenir une nouvelle fois ses taux, à l’issue d’une réunion du mois d’avril, le dilemme auquel l’institution est confrontée devrait s’intensifier au cours de l’année : normaliser la politique monétaire, comme le justifieraient les fondamentaux nationaux, ou céder aux pressions des marchés financiers mondiaux. Le premier de ces choix est voué à engendrer un futur extrêmement volatile, et le second à concrétiser encore davantage l’existence d’un nouveau mandat de la Fed – mandat mettant à mal l’indépendance à laquelle on s’attendrait de la part d’une banque centrale.
Ce qui était autrefois peu conventionnel est désormais devenu conventionnel . Une certaine génération de participants opérant sur les marchés mondiaux n’a toujours connu qu’un monde de taux d’intérêts faibles (voire négatifs) et de prix des actifs artificiellement gonflés.
Le double mandat de la Fed n’en demeure pas moins en vigueur. Et bien que le récent discours de la Fed soit empreint de compromis, les fondamentaux de l’économie américaine – notamment ceux qui sont censés importer le plus à la Fed – laissent clairement présager de futures hausses des taux.
Prenons tout d’abord le mandat de la Fed en matière d’emploi. Le taux de chômage a diminué jusqu’à seulement 5 %, la croissance de l’emploi se révèle solide et cohérente, tandis que les demandes d’assurance-chômage sont clairement en baisse depuis plusieurs années.
Quant au mandat relatif à la stabilité des prix, et bien que l’effondrement des prix du pétrole ait naturellement affecté les chiffres de référence au cours de l’année passée, la tendance révélée par l’inflation de base (à l’exclusion de la composante énergétique) laisse à penser que la Fed échappe à la courbe de l’inflation. L’IPC de base se situe à un haut niveau d’après crise, présentant une hausse de 2,3 % en février par rapport à l’année précédente, et de 2,2 % au mois de mars.
En outre, il faut s’attendre à ce que les pressions inflationnistes s’accentuent au fur et à mesure de l’année. À l’heure où le ratio endettement/actif des ménages se rapproche de niveaux observés pour la dernière fois dans les années 1990, les consommateurs disposent d’une capacité bien suffisante pour contracter davantage d’emprunts. Dans le même temps, il est probable que les freins tarifaires à l’inflation faiblissent à mesure de la stabilisation des prix du pétrole, tandis que la récente mollesse du dollar implique davantage de pression inflationniste.
Ces progrès sur le plan national placent néanmoins la Fed dans une position difficile. En effet, la Fed se trouve de fait piégée entre d’une part une économie américaine qui justifierait de plus en plus la normalisation de sa politique monétaire, et d’autre part l’intérêt qu’un discours teinté de compromis peut représenter pour des marchés mondiaux fragiles – sur lesquels près de 60 % des transactions internationales sont libellées en dollar.
Les messages en provenance des marchés financiers influencent de plus en plus les décisions prises par la Fed. L’idée que la Fed procéderait à des hausses plus rapides ou plus précoces que prévu suscite la crainte du resserrement de l’environnement financier, ainsi que la peur de violents mouvements d’aversion au risque. À l’issue de plusieurs années de marché haussier concernant les actions et les titres à revenu fixe, hausse stimulée par ces mêmes politiques monétaires que la Fed s’efforce désormais d’abandonner, aucune valorisation attractive ne permet de décourager cette réaction. En l’absence d’une croissance mondiale véritablement solide, qui ne devrait pas faire son retour dans un avenir proche, les marchés financiers comptent sur une politique monétaire extrêmement assouplie pour soutenir les prix.
C’est ce qu’illustrent parfaitement la décision prise par la Fed au mois de mars en matière de taux, ainsi que les commentaires de la présidente de la Fed Janet Yellen à cet égard. Il semble que la Fed n’ait pas su encaisser les liquidations observées sur les marchés financiers mondiaux en janvier et février, principalement provoquées par les craintes d’un nouveau resserrement.
Ceci est étrange, dans la mesure où les effets des fluctuations de la richesse financière (actions et obligations) sur la consommation sont minimes. Les prix de l’immobilier constituent un facteur beaucoup plus important, et ils ne se sont pas détériorés. De même, les évolutions du coût du capital, y compris du coût des capitaux propres, n’engendrent qu’un faible impact sur l’investissement des entreprises.
Autrement dit, sur la question de son double mandat, la Fed n’a pas de raison de s’inquiéter outre mesure de la volatilité des marchés, pas même de l’ampleur observée en janvier et février. Or, tous les signaux envoyés par Yellen et la Fed indiquent précisément une telle inquiétude de la part de ceux qui élaborent les politiques. En outre, le redressement observé sur les marchés après que la Fed ait fait marche arrière concernant le rythme des hausses de taux n’a fait que renforcer la boucle de rétroaction entre probabilité de hausses des taux d’intérêt américains et volatilité des marchés mondiaux.
Cette boucle est venue s’ancrer jusqu’à concrétiser un nouveau mandat pour la Fed, les autres décideurs politiques mondiaux ayant de plus en plus tendance à y faire ouvertement référence. Le ministre adjoint des Finances de la Chine a ainsi récemment applaudi Janet Yellen pour sa communication et son approche prudente, saluant le fait que cette approche prenne les autres États « en considération ».
Ceci soulève des implications inquiétantes. En effet, si Yellen et la Fed venaient à se sentir obligés vis-à -vis des marchés financiers, le risque de hausses de taux futures plus sévères viendrait à augmenter, à mesure que la Fed échappe à la courbe de l’inflation.
Au-delà même de ces considérations, un certain nombre d’aspects importants interviennent à plus long terme. Compte tenu de cette base faible, et de l’évidente prudence de la Fed, il est peu probable que les taux d’intérêt nominaux augmentent excessivement d’ici la prochaine récession américaine. Face à un manque de puissance de frappe traditionnelle sur le plan de la réduction des taux, le prochain ralentissement économique pourrait être plus prolongé qu’à l’habitude, et nécessiter un recours encore plus prononcé aux politiques monétaires non conventionnelles – potentiellement au-delà des démarches de taux d’intérêt nominaux négatifs actuellement entreprises en Europe et au Japon.
En effet, le prédécesseur de Janet Yellen, Ben Bernanke, a récemment évoqué ce type de possibilités, et notamment celle d’une augmentation permanente de la masse monétaire (la fameuse notion d’« helicopter money »). Cette démarche pourrait revêtir différentes formes : assouplissement quantitatif en parallèle d’une expansion budgétaire (plus fortes dépenses d’infrastructure, par exemple) transferts directs de liquidités au gouvernement, ou, plus radical encore, transferts directs de liquidités aux ménages.
Des politiques aussi extrêmes demeurent encore au stade de la théorie, et leur mise en œuvre ferait sans aucun doute l’objet d’un examen accru de la part du Congrès. Pour autant, la pression en faveur d’un soutien aux marchés financiers mondiaux et autres économies extérieures suggère la raison pour laquelle la question est débattue.
À l’heure où la Fed vient de décider de maintenir une nouvelle fois ses taux, à l’issue d’une réunion du mois d’avril, le dilemme auquel l’institution est confrontée devrait s’intensifier au cours de l’année : normaliser la politique monétaire, comme le justifieraient les fondamentaux nationaux, ou céder aux pressions des marchés financiers mondiaux. Le premier de ces choix est voué à engendrer un futur extrêmement volatile, et le second à concrétiser encore davantage l’existence d’un nouveau mandat de la Fed – mandat mettant à mal l’indépendance à laquelle on s’attendrait de la part d’une banque centrale.