Tous racontent la même histoire. Lorsqu'un client pousse pour la première fois la porte de leur cabinet, une fois le petit moment de gêne passé, il commence invariablement par énumérer ses multiples comptes bancaires, ses biens immobiliers à travers le monde, ses participations dans des entreprises cotées et non cotées, avant de tenter, en vain, de se rappeler les acronymes barbares de ses produits financiers...
Pour finir tout aussi invariablement par lâcher: "Et franchement, je ne m'y retrouve plus!"
Un problème de riche? En effet, voire d'ultrariche , que se proposent de régler les family offices , des gestionnaires de haut vol, qui cultivent l'art du secret, gage de la confiance de leurs clients, des familles disposant au minimum d'un capital de 20 millions d'euros.
Leur spécificité : des compétences qui vont de la gestion d'actifs à la fiscalité, en passant par le juridique et la médiation familiale.
"Comme les chefs d'orchestre, nous nous entourons des meilleurs solistes - fiscalistes, notaires, avocats, conseillers financiers...- pour interpréter le morceau que le client veut entendre", métaphorise Jean-Marie Paluel-Marmont, président de l'Association française du family office (Affo). Cela permet ainsi à l'ensemble des membres de la parenté, de n'avoir qu'un seul référent pour suivre et piloter leur patrimoine.
Une profession récente en France
Née aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle, sous l'impulsion des Rockefeller , qui cherchaient des hommes de confiance pour gérer leur fortune, cette profession n'est arrivée en France que dans les années 1970.
On compte aujourd'hui, moins d'une centaine de family offices,basés pour l'essentiel dans les quartiers chics de Paris, chargés d'assurer la prospérité de quelques milliers de familles françaises.
Nombre de leurs clients ont franchi le pas après la crise de 2008, quand ils ont vu leur patrimoine tanguer dangereusement.
"Même les investisseurs les plus aguerris ont compris que tout était désormais plus volatil, plus compliqué, et donc, risqué", souligne François Mollat du Jourdin, président fondateur de MJ & Cie.
Dans ses fonctions de secrétaire général de l'Affo, ce dernier essaie par ailleurs, de structurer les contours d'un métier qui, n'étant soumis à aucune réglementation, peut attirer des personnes peu scrupuleuses.
Un juteux business
Aucun diplôme spécifique n'est en effet nécessaire pour apposer sur sa porte, la très chic plaque de "Family Office".
Ces gestionnaires d'élite sont néanmoins le plus souvent des fiscalistes ou des conseillers financiers de métier. L'autre bataille de l'Affo porte sur la rémunération: elle demande notamment à ses adhérents, qu'au minimum 70% de leurs revenus proviennent d'honoraires. L'objectif ?
Limiter le système des rétrocommissions sur les produits financiers, qui risque de biaiser l'appel d'offres, en poussant à sélectionner non pas le meilleur produit pour le client, mais celui qui sera le plus généreux avec le gestionnaire.
Au final, le salaire de ces Jiminy Cricket de la finance représenterait de 0,3 % à 1 % du patrimoine géré chaque année.
Mais le job n'est pas de tout repos. Le b.a.-ba consiste à rassembler l'ensemble des informations afin de présenter chaque mois aux clients, un tableau de bord précis et exhaustif de leur patrimoine.
"Nous prenons également le temps de décrypter pour eux, les conseils des spécialistes, qui ne sont pas forcément accessibles au commun des mortels", explique Jean- François Fliti, associé fondateur du cabinet Allure Finance.
Un mode de fonctionnement un brin "old school" selon Ivesta, un tout jeune family office qui espère bien bousculer le marché, en développant la toute première application de gestion de patrimoine pour s'adapter à sa clientèle d'entrepreneurs issus du high-tech.
"Comptes en banque, placements financiers cotés et non cotés, investissements dans l'immobilier... Ils pourront tout gérer sur une appli intuitive et ultrasécurisé", s'enthousiasme Pierre-Marie de Forville, cofondateur d'Ivesta.
Dénicher des pépites
L'autre grande mission de nos super-conseillers est bien évidemment, de faire fructifier le patrimoine de leurs clients, en dénichant des placements ultrarentables auxquels ils ne pourraient pas accéder de leur propre initiative.
Un exemple? Les sociétés non cotées du high-tech américain, qui représentent encore pour nombre d'investisseurs, un véritable eldorado, mais qui n'est accessible qu'aux fonds les plus puissants.
"Même pour une structure comme la nôtre, le ticket d'entrée est trop élevé, alors nous nous associons avec des gestionnaires basés outre-Atlantique, à qui nous faisons profiter en retour de nos contacts en Europe, détaille Luc Granger, associé fondateur d'Intuitae, en soulignant que "la force de ce métier, c'est avant tout celle du réseau". Mais tous ne courent pas forcément après un rendement maximal.
"Certaines familles nous demandent de donner du sens à leur fortune, assure Charles Bienaimé. Comment? Par exemple en finançant du PPP (partenariat public privé) , qui va permettre de bâtir des hôpitaux, des stades, des écoles...".
Gérer la transmission au sein des familles
Mais c'est lorsque l'heure de la transmission approche, que le rôle du family office prend tout son sens. "La clef, c'est justement de ne pas attendre le moment de la succession . Il faut informer en permanence les membres de la famille pour anticiper et déminer les éventuels conflits", précise Jean-François Fliti.
"Cela consiste à gérer les assemblées familiales annuelles et à élaborer une charte prévoyant l'arrivée des nouvelles générations et des conjoints dans l'entreprise, les règles de ventes des participations, voire le nom du dauphin", poursuit Werner Peyer, administrateur délégué de la Compagnie monégasque de banque (CMB).
"Il faut normer au maximum les choses pour éviter notamment que les problèmes liés à l'enfance des héritiers ne viennent perturber le pacte d'actionnaires, au risque de voir un concurrent faire main basse sur l'entreprise", souligne de son côté, François Mollat du Jourdin.
Mais, parfois, les conflits sont trop importants pour être abordés sereinement. "Nous faisons alors appel à des psychologues spécialisés", raconte Luc Granger.
Et il ne s'agit là que des grandes missions de ces conseillers, qui doivent aussi pouvoir, dans le désordre: gérer les propriétés - et les employés qui vont avec - de leurs clients, faire traverser la France à une collection de voitures de luxe pour suivre son propriétaire qui déménage, affréter un jet en urgence, monter tout à trac une fondation philanthropique pour aider des artistes contemporains et, accessoirement, trouver une occupation pour le petit dernier dont on ne sait pas trop quoi faire.
Faut-il le préciser? La patience est un atout précieux pour qui voudrait se lancer dans le métier.
L'Express