En effet, l’affaire Thione Seck ne doit pas être lue sous l’angle judiciaire stricto sensu, mais de façon plus profonde comme une crise de la société sénégalaise embourbée dans de violentes contradictions. Thione Seck est victime d’un système dont personne n’ignore les méthodes.
Tout le monde est au fait des immenses sommes d’argent qui circulent dans le showbiz dakarois. Le train de vie insolent de certains artistes a souvent provoqué des interrogations légitimes, vite réprimées par une machine qui tenait à constamment vendre du rêve sans laisser place à une lecture lucide.
Ce train de vie est d’autant plus surprenant qu’on est en Afrique dans un contexte d’absence d’industrie musicale structurée et de marché restreint, avec un pouvoir d’achat faible des consommateurs. Pourtant, les concerts sont le lieu de distribution, avec toute la symbolique du « m’as tu vu », d’énormes sommes d’argent dont l’origine licite n’est jamais démontrée.
A force de vivre dans cette bulle où les liasses de billets répondent aux louanges chantées et aux épopées familiales entonnées, une société du spectacle, une étrange communauté affublée du titre idiot de jet set, a pris en otage la culture et tient ses acteurs par la corde du gain facile.
Le cas Thione Seck est la traduction concrète de la fin de la méritocratie dans la société sénégalaise. Le rêve ultime dans le pays : réussir par magie, par un coup d’éclat. Les idoles fabriquent du rêve jusqu’au jour de leur crépuscule. On est en face du symptôme saisissant d’une société profondément malade, mais qui feint de ne rien voir derrière ses paillettes et ses icônes.La prise de conscience sur une triple crise de valeur, d’éthique et de représentation devrait pourtant constituer une lame de fond qui doit conduire à l’identification urgente d’un modèle pour la jeunesse.
Mais, hélas, nous sommes dans une absence de réflexion structurelle sur la place de la culture dans notre pays et dans l’accompagnement de son ambition économique. La culture n’est guère vue comme un impératif d’éducation du peuple, de son élévation intellectuelle et de la capacité de déclinaison d’un dessin national commun. Le ministère de la culture est attendu dans ce sentier. Mais il est totalement absent de ce combat d’avant-garde.
Au Sénégal, où on vante chaque jour les valeurs de ngor, fit et kersa, la société a permis à certains de s’arroger le droit de vivre à l’aise financièrement sans travailler, et d’autres celui de faire étalage de leur fortune devant le regard complice des médias et connivent de l’Etat.
Depuis l’éclatement de l’affaire Thione Seck, son traitement médiatique et ses répercussions dans l’espace public renseignent sur le degré de profondeur, au Sénégal, des liaisons dangeureuses entre artistes, religieux, médias et politiques. Parmi ces castes, des voix ont constamment demandé la libération de l’artiste en invoquant une situation « triste pour l’homme et sa famille. »
Selon quel principe ? Pourrait-il y avoir une justice pour tout le monde, sauf les célébrités ? Certains pourraient ainsi se soustraire au principe d’équité et d’égalité devant la loi, au mépris de la promesse d’égalité républicaine ?
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