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Témoignage du Général français Maurice Chevance BERTIN sur le président Hissein HABRE


Rédigé le Jeudi 30 Juillet 2015 à 23:51 | Lu 232 fois | 0 commentaire(s)




Témoignage du Général français Maurice Chevance BERTIN sur le président Hissein HABRE
Ce témoignage de Feu le Général Maurice Chevance Bertin est celui d’un homme d’expérience, au contact de la réalité vécue par le peuple tchadien mais surtout loin des bureaux feutrés des spécialistes de l’Afrique et du Tchad en particulier. Ce témoignage est précieux pour les Tchadiens car il nous éclaire sur la position des Français pendant la Grande Guerre qui a opposé les 10 chefs de tendances politico-militaires au service de la Libye, au seul Hissein Habré. Les Français soutenaient résolument Goukouni Weddeye en lui livrant armes et munitions.  Le Général Chevance BERTIN a connu le Président Habré et loue ses qualités d’homme d’Etat, de patriote, d’homme ayant une forte personnalité mais aussi souligne les qualités d’un homme engagé pour une véritable réconciliation entre tous les fils du Tchad et pour reconstruire son pays. Ce grand homme a aussi souligné que Hissein Habré a subi seul le choc de l’armée libyenne puissamment armée, en cela, il s’est battu pour tous, pour sauver toute l’Afrique Noire de la folie destructrice de Kadhafi prêt à tout pour mettre en œuvre sa politique expansionniste.  Ainsi, deux grands hommes de la guerre de Libération de la France à savoir le Général Jean Grangeon et le Général Maurice Chevance Bertin, deux grands résistants, deux hommes qui ont mis leur personne, leur vie au service de leur pays à un moment où il était sous occupation étrangère, ont compris et apprécié l’homme Hissein Habré et son engagement à mettre son pays avant tout, mais surtout, ont eu le mérite et l’honnêteté de le dire haut et fort.    
  
  
LE FRUIT DES HESITATIONS 
En décembre 1981, au début du septennat de M. François Mitterrand, je me permettais de lui écrire pour lui faire part de mes préoccupations concernant le Tchad. Je le faisais en raison de mes activités antérieures dans cette région de l’Afrique, puisque de 1933 à fin 1938, j’avais commandé notamment les postes d’Aozou, de Bardai, d’Ounianga-Kebir, servi à Faya-Largeau et rempli les fonctions administratives dans une partie de ce qui deviendrait la bande d’Aozou. 
  
Depuis 1977, j’avais renoué le contact avec N’Djamena, suivi de près sur place le déroulement des événements politiques et militaires et rencontré nombre de responsables nationaux et des responsables français militaires ou diplomatiques. 
J’avais  eu, avec les uns et les autres, de nombreux entretiens, notamment avec Hissène Habré, dont j’appréciais dès notre première rencontre la forte personnalité. 
Témoin souvent présent sur place des secousses successives du pays, je pouvais me rendre compte de la persistance des erreurs de notre politique depuis la date du premier soulèvement. 
A la suite de cette lettre, j’étais reçu par M. Guy Penne. Au cours d’un long entretien, j’avais pu mesurer l’ampleur  de nos divergences quant à l’appréciation du problème que posait la situation d’alors. M. Penne, à cette époque, soutenait sans restriction Goukouni, alors en lutte contre Hissène Habré. J’avais jugé «  hautement condamnable » l’envoi de 18 tonnes de munitions. L’aide morale et matérielle apportée à Goukouni ne pouvait que le renforcer dans son intransigeance et dans sa farouche opposition à toute réconciliation nationale, souhaitable et possible. 
Malgré cette aide, Goukouni fut battu. M. Penne avait joué la mauvaise carte. Hissène Habré devenait Chef d’Etat. 
Hissène Habré, après avoir été chef de gouvernement sous Malloum, ministre de la défense sous Goukouni, devenait président de la République. Il allait faire preuve, dans ses nouvelles fonctions, d’incontestables qualités d’homme d’Etat : l’autorité d’abord, indispensable dans un pays à la dérive ; une intégrité reconnue par tous et tranchant avec la corruption du régime précédent. Si l’on ajoute un sincère désir d’apaisement et de réconciliation nationale, les conditions se trouvaient réunies pour un renouveau. 
La paix, la paix souhaitée par tous, s’installait. La vie reprenait son cours, marquée par le retour de nombreux nationaux qui avaient fui au Cameroun et par celui de nombreux résidents étrangers, français notamment. Les fonctionnaires, même, qui avaient déserté leur poste, regagnaient leurs bureaux et, faisant preuve d’un esprit civique rare, acceptaient une amputation de leur salaire de 50 %. 
  
Pour la première fois depuis des années, toutes les préfectures étaient reliées à l’administration centrale. 
A l’extérieur, le nouveau gouvernement bénéficiait d’une reconnaissance sans ambiguïté à laquelle se joignait enfin le gouvernement français.  
La renaissance du Tchad se dessinait. 
L’amorce de ce relèvement sous l’autorité d’Hissène Habré, adversaire déterminé de Kadhafi, ne pouvait rencontrer l’assentiment de ce dernier, dont les plans se voyaient ainsi contrecarrés. La reprise du conflit était inévitable ; cela mérite explication. 
Il est clair que la présence antérieure à la tête du Tchad de Goukouni, homme sans consistance, sans autorité, empêtré dans la conduite d’une dizaine de tendances politiques, servait les desseins  de Kadhafi, en maintenant le pays dans une anarchie défavorable au redressement. 
  
L’arrivée au pouvoir d’un homme fort, intransigeant, capable de rassembler le pays et de conduire ce redressement constituait à terme un obstacle aux projets du dictateur Libyen, et pour deux raisons. 
La première est qu’un pays pacifié, recouvrant sa place au cœur de l’Afrique, serait moins dépendant à son égard et plus à même d’assurer son rôle de clef de voûte à l’égard de ses voisins africains. 
La seconde, moins apparente, c’est que, dans un deuxième temps, le pays ressoudé pouvait exiger la restitution de la bande d’Aozou-Alsace Lorraine africaine- indûment annexée, et mettre ainsi fin aux rêves d’hégémonie libyens, d’où l’importance capitale de cette zone.  
Cette importance échappe à une opinion mal informée qui ne voit dans le Tibesti qu’un «  caillou stérile » pour certains (Laval 1935), qu’une possibilité de richesses pour d’autres (problématiques à mon avis), alors que le véritable intérêt est d’ordre stratégique. 
  
« L’esprit de Munich » 
  
La région d’Aozou constitue un facteur essentiel des plans du colonel Kadhafi. Quels sont ces plans ? Mainmise sur le Tchad d’abord, sur une partie du Sahel ensuite, avec pour conséquence la déstabilisation de l’Afrique. Leur réalisation nécessite l’existence d’une base de départ permettant de rassembler une masse considérable de moyens offensifs et ceux de leur logistique. 
  
Aozou offre tous les avantages requis en raison de la nature du pays, et de sa plus grande proximité du centre de l’Afrique. La perte de cette bande obligerait Kadhafi à reporter cette base au nord, non pas, aux 100 kilomètres correspond à l’épaisseur de cette bande, mais à une distance beaucoup plus grande (plusieurs centaines de kilomètres) en raison de la nature désertique du proche environnement. Ces données sont essentielles à la compréhension des évènements récents.   
Nier les projets expansionnistes de Kadhafi, ignorer l’importance de la bande d’Aozou comme base de départ éventuelle et ignorer la menace résultant d’une concentration démentielle de moyens offensifs sur cette zone, c’est se condamner à l’incompréhension du problème tchadien, et conduit à ramener le conflit aux dimensions d’une guerre civile, d’un «  combat de chefs », d’une «  rivalité de bandes », clichés périmés relevant de l’incompétence. 
Une telle appréciation des événements fait le jeu de ceux qui souhaitent la déstabilisation de l’Afrique et de tous ceux qu’habite «  l’esprit de Munich », lequel resurgit toujours dans les périodes critiques. C’est là un danger réel. Les déclarations du parti communiste ont déjà ouvert la voie. Elles iront en se multipliant si le gouvernement se montre ferme dans ses positions d’assistance réelle à Hissène Habré ; lequel demeure le seul en première ligne à subir le choc libyen et à se battre pour tous. 
  
Kadhafi vient de se démasquer. En bloquant ses projets expansionnistes, le gouvernement français s’engage dans la bonne voie. On ne peut que se réjouir de l’avoir vu dans les semaines précédentes se ranger résolument aux cotés d’Hissène Habré. L’envoi de matériel a largement contribué à rétablir une situation compromise.              Mais que d’hésitations, d’atermoiements, de temps perdu. 
  
Il est temps de rompre avec la politique antérieure, qui a toujours consisté à «  suivre » l’événement et non à le « précéder ». Les événements de ces dernières années étaient prévisibles, leur connaissance devait guider notre conduite et nous aurait évité l’engrenage dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. 
Il est temps aussi de ne plus accompagner nos décisions de commentaires qui en diminuent la portée, tentent de ménager la chèvre et le chou et font douter nos amis de notre détermination. 
L’Afrique appelle la France 
Assister franchement le Tchad. Rassurer nos amis, tenir notre place de grande nation responsable. C’est une tâche délicate. Il n’est qu’une voie qui en permette la réalisation qu’une personne qui puisse en assurer la charge : le président François Mitterrand. 
C’est à lui, et à lui seul, de définir la politique de la France et de la faire connaître à l’opinion, sans l’accompagner de commentaires rassurants qui ne pourraient qu’en atténuer la portée. 
Le conflit tchadien entre dans une nouvelle phase, suite logique des précédentes.                     La vérité doit être regardée en face. Le succès d’Hissène Habré est une nécessité pour le Tchad, pour permettre à ce pays de se relever sous l’autorité d’un patriote aux qualités éminentes et au désir sincère de réconciliation nationale. 
C’est aussi une nécessité pour l’Afrique, qui a besoin de paix, et une nécessité pour la France et le monde occidental, qui se doivent d’assumer leurs responsabilités dans le monde libre. 
  
L’Afrique attend et appelle la France ! Ne la décevons pas ! 
Le gouvernement est toujours à la recherche d’un grand dessein. Un grand dessein africain s’offre à lui, qu’il le saisisse, il est à sa mesure. Il lui vaudra la reconnaissance des peuples dont nous avions accompagné autrefois le destin, destin aujourd’hui menacé et pour lequel, actuellement, seul combat Hissène Habré. 
  
Faya-Largeau est tombée, résultat de nos hésitations. Kadhafi est en position de force : on parle déjà de négociations, on s’achemine ainsi vers la solution la plus catastrophique pour l’avenir de l’Afrique. On croit quitter le « guêpier », on tombe dans le « piège ». 
  
Que peuvent faire des gens réunis autour d’un tapis vert ? S’efforcer de trouver un compromis, résultat de tractations et de marchandages en coulisse. L’issue ne fait aucun doute. Hissène Habré- donc le Tchad – en fera les frais, Pourquoi ? Parce que, seuls des négociateurs, Kadhafi sait ce qu’il veut, et ce qu’il veut, c’est la bande d’Aozou. On sera sans doute prêt à tout pour avoir la paix, donc à lui concéder ce qu’il demande, la reconnaissance officielle de son annexion. Que lui importe le reste ? Seule cette bande compte, car elle lui permettra à tout moment de reprendre sa marche vers le sud. Ce sera le triomphe de «  Munich ». On verra ainsi, cinquante ans plus tard, un gouvernement de gauche reprendre la politique de Laval de 1935. Le quel pour avoir la paix avec Mussolini lui cédait un morceau de désert, un «  caillou stérile ». On croira avoir trouvé la bonne solution, on se donnera bonne conscience, en fait on aura tout simplement occulté les vrais problèmes. 
  
Hissène Habré regagnera quelque maquis, réapparaîtra un jour, lui ou un autre : les combats reprendront, les événements se répéteront. Nous avons déjà connu des «  guerres de trente ans », des « guerres de cent ans ». Cette fois nous ferons mieux, nous aurons inventé la guerre perpétuelle. Et tout cela pourquoi ? 
  
Parce qu’on se refuse à voir la vérité en face et qu’en fait tout les soi-disant conseillers et autres responsables ont une méconnaissance totale des problèmes dont ils ont la charge, méconnaissance qui n’a d’égale le plus souvent que leur suffisance. 
  
Le Général CHEVANCE-BERTIN (*)    
  
(*) Compagnon de la Libération, ancien président de la commission de défense de l’Union française. 
  
 Maurice Chevance-Bertin a servi dans l'Infanterie Coloniale, il est sous-lieutenant de réserve le 1er octobre 1930, puis sous-lieutenant d'active et lieutenant le 1er octobre 1933. Il prend une part active au développement du Mouvement de Libération nationale. Il est affecté successivement en Algérie, en Tunisie et au Tchad où le surprend la déclaration de guerre de septembre 1939. un des quatre généraux FFI, avec Jacques Chaban-Delmas (1915-2000), Pierre de Benouville (1914-2001) et Alfred Malleret-Joinville (1911-1960)."Ces officiers ont reçu le titre de Général de Brigade en raison de leurs fonctions dans la Résistance et pour la durée de leur mission. Ce titre a été transformé en celui de Général honoraire après la libération de la France”. 
•              Commandeur de la Légion d'honneur  
•              Croix de guerre 1939-1945   avec palmes 
•              Compagnon de la Libération  
             Médaille de la Résistance   avec rosette.  
Le Général Maurice Chevance-Bertin est décédé le 17 juin 1996 à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris. 
TEXTE PARU DANS LE JOURNAL « Le Monde » du 17/08/1983


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