Des études menées par l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (Ipao), en 2020, au Mali, au Niger et au Sénégal, ont montré que seuls 9% des personnes interrogées par les médias sont des femmes, en dépit de l’existence d’une expertise féminine. En Côte d’Ivoire, le taux de femmes interrogées a atteint 23% pendant la période de l’étude. Dans ces quatre pays, en pleine pandémie du Covid-19, les sujets consacrés aux droits des femmes et à la contribution féminine dans tous les secteurs d’activité, étaient à moins de 4% des contenus médiatiques.
Le sixième rapport du Global media monitoring project (Gmmp, 2020), une initiative mondiale de suivi des contenus éditoriaux, a couvert 116 pays. 30 172 contenus publiés dans des journaux, diffusés dans les médias audiovisuels, sur des sites d’informations et via des tweets de médias d’information, ont été examinés. Avec un contexte sanitaire mondial fortement marqué par une pandémie, 25% des publications ont porté sur un sous-thème ou un thème principal relatif au coronavirus. A l’échelle mondiale, 25% des contenus analysés ont fait référence aux femmes en tant que sujets et sources d’information, soit une progression de 1% comparé à 2010.
Une perspective éditoriale «femmes» en Afrique : utopie ?
En Afrique, dans 30 pays, 3687 contenus médiatiques provenant de médias traditionnels et de nouveaux médias, ont été monitorés en 2020. Cette étude a montré que la présence des femmes comme sources et sujets traités n’a pas dépassé 22%, contre 19% en 2010.
Vu sous l’angle des rubriques médiatiques, les femmes ont occupé 18% des sujets politiques, 24% des informations relatives à des crimes, 30% des articles liés à la santé et aux sciences, 19% pour le volet économique, etc. De plus, beaucoup de biais ont été notés dans les contenus éditoriaux, à travers l’utilisation de certaines expressions qui ne valorisent pas les femmes. A ce rythme, il faudra «67 ans» pour atteindre l’équilibre homme-femme dans les contenus médiatiques au niveau mondial, selon le sixième rapport du Gmmp.
Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs socio-économiques et culturels, mais aussi de l’absence d’un certain réflexe de diversifier les sources et sujets selon le sexe, dans les processus de collecte et de traitement de l’information, en dépit de multiples recommandations qui se veulent parfois normatives.
En effet, avant l’avènement des Objectifs de développement durable (2015), la sous-représentation et le mauvais traitement auxquels les femmes sont soumises dans les médias africains, allaient à l’encontre des recommandations internationales et régionales émises à travers différents instruments politiques et juridiques.
Le Programme d’action de Beijing de 1995 avait recommandé «aux gouvernements de promouvoir une politique active et visible d’intégration des considérations liées à la sexospécificité dans les politiques et programmes (article 243)» et «un partage équilibré des responsabilités familiales, une visibilité des femmes qui assurent des postes de direction et concilient responsabilités familiales et professionnelles (245)».
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), à travers son «Acte additionnel relatif à l’égalité entre les hommes et les femmes pour le développement durable» (2015), souligne que «les Etats membres s’assurent de la prise en compte de l’égalité de droits entre les femmes et les hommes dans les lois, politiques, programmes de formation et de recrutement des médias, adoptent des mesures pour s’assurer que les médias et les organismes qui leur sont associés intègrent l’égalité de droits entre les femmes et les hommes dans leurs politiques et procédures, et prennent toutes les mesures nécessaires pour promouvoir la représentation égale des femmes dans la pratique des médias et dans leurs structures décisionnelles, (…)et œuvrer pour une plus grande présence, visibilité et expression des femmes dans et à travers les médias, et pour une représentation non stéréotypée».
Toutefois, ce cadre normatif a, jusqu’à présent, peu d’effets sur les choix éditoriaux. La raison ? En formulant de telles recommandations aux Etats, leurs auteurs ont choisi d’ignorer le fonctionnement des médias dans un système démocratique. Des médias qui se veulent indépendants ne s’accommodent pas d’injonctions venant d’un Etat. Ils sont, en principe, souverains dans leurs choix éditoriaux. Ce choix est souvent le fruit d’un intérêt supposé ou réel des publics par rapport à certains sujets, d’un contexte socio-économique, d’un jeu d’acteurs, d’un agenda qui s’impose souvent aux médias, d’une histoire, et donc d’un rapport à l’information qui ne peut pas changer sur la base de recommandations internationales, souvent inconnues de la plupart des acteurs médiatiques.
Bâtir un environnement médiatique favorable aux femmes : par où commencer ?
Les analyses de contenus et de l’environnement médiatiques sous une perspective femme sont souvent menées sur la base de 6 indicateurs :
– Le pourcentage des reporters et responsables éditoriaux femmes dans les médias ;
– La place des femmes dans tous les sujets d’information ;
– Les femmes dans l’actualité politique ;
– Les femmes dans les sujets économiques ;
– Les femmes citées comme sources d’information, en tant qu’expertes ;
– Les femmes citées porte-paroles, autorités, etc.
Toutefois, il faudra y ajouter la manière dont les médias parlent des femmes et l’exploitation de données sexospécifiques dans les productions médiatiques.
Jusqu’ici, les institutions de régulation, à travers leurs différentes missions de supervision, ne font de la place des femmes un indicateur dans le cadre de leurs activités de monitoring.
L’écosystème des acteurs de l’information médiatique doit prendre conscience de la place marginale réservée aux femmes dans les programmes médiatiques. Cette étape est cruciale, car les journalistes produisent au quotidien, sans se rendre compte qu’ils reproduisent des inégalités sociales à travers la collecte et le traitement de l’information. Dans les processus de collecte et de traitement des informations, les médias gagneraient à davantage se tourner vers des personnes ressources femmes lorsqu’il s’agit de recueillir des avis d’experts, dès lors qu’une masse critique d’expertes existe dans tous les secteurs. Cela permettra de parler des femmes, non pas dans des situations de victimes ou de simples gardiennes du cadre familial, mais également dans des positions d’expertes et de décideuses.
Ensuite, les journalistes doivent se convaincre de la pertinente nécessité de traiter des sujets relatifs aux conditions des femmes autant que celles des hommes. Dans ce cadre, ils doivent aborder des sujets à caractère politique, économique, social, de manière à susciter un intérêt équitable chez les deux groupes, car la contribution des femmes à la création de richesses n’est plus à démontrer, là où leur influence dans les sphères de décision politique reste à consolider. Par ailleurs, au regard de la représentation peu valorisante des femmes par les médias, une discrimination positive pourrait contribuer à réduire le gap en termes de représentativité éditoriale.
En définitive, des réflexes doivent être installés chez les journalistes, sans oublier les responsables de rédaction chargés des orientations éditoriales. Dès lors, la formation s’impose comme un moyen de sensibilisation des professionnels de l’information. Les écoles de journalisme doivent intégrer, dans les curricula de formation des journalistes, des modules qui initient les futurs journalistes à un traitement qui n’ignore pas les femmes dans le choix des experts et des sujets à traiter.
Plusieurs institutions de formation et d’appui aux médias ont conçu de nombreuses ressources pédagogiques sur les femmes, mais elles n’ont pas encore une incidence éditoriale significative en Afrique. De nombreuses autres bonnes pratiques en lien avec «médias et genre» existent en Afrique. Il convient de les capitaliser et les diffuser, afin de faciliter l’expérimentation. C’est dire que la représentation des femmes et l’évolution de leurs rôles sociaux par les médias sont des domaines de recherche et de plaidoyer qui méritent d’être davantage investis.
Enfin, en dépit de l’insuffisance de données sexospécifiques, le journaliste doit faire l’effort de représenter les catégories de la population sur lesquelles porte son article, à travers des chiffres désagrégés qui peuvent renseigner sur le rôle et la place des femmes. Ceci, d’autant que la pandémie du Covid-19 qui a affecté toutes les catégories socio-économiques, a aujourd’hui révélé l’intérêt du journalisme de données comme une réponse à la désinformation globale qui accentue la crise de confiance entre le citoyen et l’information médiatique.
A la lumière de ce qui précède, il convient de souligner qu’il ne s’agit pas ici de positionner le «journalisme sensible aux femmes» comme une spécialité. Celui-ci se positionne plutôt comme un indicateur de qualité éditoriale. Quel que soit le sujet traité. Rapporte Vipeoples