Le gouvernement tchadien ne va sans doute pas tarir d'éloges sur son rôle de premier plan dans la lutte contre le terrorisme. Mieux encore, il mettra peut-être en avant sa coopération militaire avec les Etats-Unis qui lui fournissent de l'aide et du matériel militaire. Mais est-ce suffisant aux oreilles de Rex Tillerson pour solder les différends entre les deux pays ?
Dossiers qui fâchent dans des «journées villes mortes»
Coïncidence ou message adressé à Washington ? L'opposition tchadienne a fait de l'arrivée du chef de la diplomatie américaine à N'Djamena une tribune pour se faire entendre. Au moment où se pose l'avion du secrétaire d'Etat, elle appelle les Tchadiens à une «journée ville morte» en soutien à la grève générale des syndicats. Au niveau diplomatique, la préoccupation est ailleurs. Au menu des discussions entre Idriss Déby et son hôte, des dossiers qui fâchent.
D'abord cette interdiction de visa d'entrée sur le sol américain qui frappe depuis bientôt six mois les détenteurs du passeport tchadien -dont la délivrance est assurée par une société privée. Dans un décret sur l'immigration en date du 24 septembre 2017, l'Administration Trump avait placé le Tchad sur la liste des «Etats parias» au même titre que l'Iran, la Libye, la Syrie, la Somalie, le Yémen, le Venezuela et la Corée du Nord, pour un déficit dans le partage d'informations.
Le pays d'Idriss Déby Itno délivrerait aussi des passeports à des personnes autres que ses ressortissants. Les pourparlers entamés entre N'Djamena et Washington, le lobbying intense de la CEMAC et de diplomates africains accrédités aux Etats-Unis avaient peu fait avancer le dossier resté «à l'étude» du côté américain. Mais avec la visite d'une délégation américaine pour scruter les failles du passeport tchadien et les déclarations d'intention des deux côtés, l'on s'achemine peut-être vers une levée de l'interdiction.
Tillerson abordera-t-il la question de la démocratie au Tchad ?
Autre dossier chaud sur la table du tête-à-tête entre Rex Tillerson et Idriss Déby Itno, cette ténébreuse affaire de pots-de-vin impliquant le président tchadien. Dans un scénario proche d'une guerre économique américano-chinoise, Chi Ping Patrick Ho, ancien ministre de l'Intérieur de Hong Kong, aidé par Cheikh Tidiane Gadio, ancien chef de la diplomatie sénégalaise, aurait versé une somme de 2 millions de dollars à Idriss Déby en échange d'une concession pétrolière pour le compte de la CEFC China Energy, une société de Shanghai dirigée par Ye Jianming. Des accusations démenties par Idriss Déby qui y a vu une «tentative de déstabilisation du Tchad et de son régime».
Pour l'opinion publique tchadienne, Rex Tillerson, chantre d'une Amérique se posant en «défenseur de la démocratie», devrait aussi aborder la question des droits de l'Homme avec le régime Idriss Déby Itno qui rêve d'un septennat sur fond de réforme de la Constitution. Dans un rapport particulièrement accablant, l'Administration américaine avait dénoncé la marginalisation des droits humains, la corruption qui gangrène le gouvernement et le manque de transparence dans la vie démocratique. C'est plus sur ce terrain que Rex Tillerson est attendu. Mais pour un secrétaire d'Etat qui dit faire une «tournée d'écoute», ce dossier sera difficile à poser s'il écoute plus qu'il ne parle.