Reportage au cœur du monde de la drogue : Kolda, les territoires de la mafia


Rédigé le Mardi 10 Janvier 2017 à 13:48 | Lu 126 fois | 0 commentaire(s)



Dans la commune de Kolda, la ‘’confrérie’’ de consommateurs de drogue continue à recruter de nouveaux disciples. Pendant un mois (du 20 novembre au 20 décembre 2016), EnQuête s’est invité au cœur de ce monde qui ne se cache presque plus. Trafiquants, catégories d’usagers, prix pratiqués, nature des stupéfiants, lieu de consommation, rien n’a été laissé au hasard.


Reportage au cœur du monde de la drogue : Kolda, les territoires de la mafia
Derrière le visage de rêve que présente la région de Kolda, à travers sa forêt luxuriante et son paysage, se cache une laideur profonde : la prolifération des fumoirs et de réseaux de fournisseurs de drogue. Le phénomène a connu une ampleur telle que la région est presque devenue une plaque tournante du trafic. Une situation qui est surtout favorisée par le fait que Kolda soit entourée de la Gambie et des deux Guinées, avec des frontières poreuses. Le marché hebdomadaire de Diaobé où se côtoient plusieurs nationalités n’est pas pour arranger les choses. 

Ainsi, pour en avoir le cœur net, nous avons emprunté les pistes des trafiquants de la commune. Pour y arriver, nous avons pris contact avec un baron de la drogue. Il se nomme Salimou (un nom d’emprunt), mais on le surnomme Zal. Il a la réputation d’être au courant de tout ce qui se passe dans le milieu interlope. C’est donc lui qui nous a servi de guide. Dans les quartiers de Kolda, comme un peu partout dans la région, ce dealer endurci s’est attaché les services d’une armada de revendeurs. Par ailleurs, il fait dans le social en nourrissant bon nombre de familles démunies. Ce qui lui a valu des ‘’amis’’ influents. Avec lui, nous effectuons le tour de la commune, à bord d’une moto Jakarta. 

Notre périple débute à la zone Lycée. Dans ce quartier périphérique, les hautes herbes et le déficit d’éclairage public font que le secteur s’est transformé en fumoir de drogues. Sur place, nous avons côtoyé trois personnes dont un vendeur et deux individus en possession du chanvre indien destiné à la consommation. ‘’La vie devient de plus en plus difficile. Pas de travail, ni d’argent. Face à cette crise financière, j’ai décidé de me lancer dans ce business de la drogue pour pouvoir subvenir à mes besoins et ceux de ma famille’’, se défend le trafiquant. 

Vu les revenus que le dealer déclare gagner quotidiennement et la satisfaction qu’il en tire, il est difficile de croire qu’il va renoncer de lui-même. ‘’Ce business commence à porter ses fruits. Je parviens à gagner en une seule nuit 6000 à 10 000 francs Cfa’’ révèle-t-il. A propos des deux clients à côté de lui, il soutient que chacun a acheté une quantité équivalente à 5 000 francs. Ces derniers admettent eux-mêmes qu’ils sont devenus des ‘’prisonniers’’ de la drogue. ‘’Si je ne fume pas durant toute la journée, je ne peux pas travailler correctement et je deviens très colérique. Pour éviter tout ça, je fais tout pour en avoir’’, avoue l’un d’eux. 

Gadapara, le pont de Sinthiang Idrissa… 

Son ami renchérit : ‘’Quand je ne fume pas, je n’ai pas d’appétit, ni le goût du travail. C’est ce qui me pousse à en chercher pour satisfaire mon désir.’’ Selon leurs dires, ils achètent beaucoup pour en consommer petit à petit dans leur chambre, afin d’éviter surtout d’être fréquents dans ces lieux ‘’surveillés’’ par la Police. Leur astuce est celui de tous les ‘’partenaires’’. A chaque fois que leur stock est épuisé, vendeurs et acheteurs se donnent rendez-vous quelque part. Une fois l’échange accompli, ils se séparent pour ne se retrouver qu’à la prochaine livraison. 

Après la zone Lycée, cap sur le quartier Gadapara, l’autre fumoir niché dans un endroit coincé entre les cimetières et les concessions. L’obscurité et les hautes herbes aidant, les consommateurs n’ont peur de rien dans ce no man’s land. On se croirait dans le Bronx de New York des années 80. De chaque côté du mur, des hommes assis sur des briques cassés ou des morceaux de bois tirent tranquillement sur des joints. Une odeur âcre flotte dans l’air. Ces hommes, pour la plupart, semblent jouir de leurs facultés mentales, hormis un adolescent aux cheveux en mode « afro ». 

Il porte des vêtements sales et pose son regard sur les nouveaux visiteurs sans intérêt, comme s’il ne les voyait pas. C’est à se demander s’il est réellement présent. Chaque fois qu’il inhale la fumée, il semble s’endormir les secondes qui suivent. A quelques mètres, debout, un autre jeune, maigre comme une tige de paille, les nerfs à fleur de peau. Il hume un joint qui lui fait balancer la tête dans tous les sens. Pas question de s’adresser à eux, ni même de rester longtemps avec eux. ‘’Partons, dit notre guide. Ce lieu n’est pas sûr. Ils risquent de nous agresser.’’ 

Après Gadapara, direction le pont de Sinthiang Idrissa. Ici, nous rencontrons l’un des dealers du quartier. A la tombée de la nuit, il se cache sous les ombres des manguiers pour écouler son produit dans un silence absolu. ‘’Le Pont est un lieu de passage des piétons, des automobilistes et des motos Jakarta. Ils peuvent nous voir et nous dénoncer à la Police. Donc, la meilleure des choses est de se méfier’’, fait remarquer le vendeur. Au cours des échanges, un jeune se pointe sans saluer. Il tend un billet de 1000 francs au vendeur. Ce dernier, sans un mot, lui remet un petit sachet noir contenant cinq petits cornets de chanvre indien. Le jeune rebrousse chemin. ‘’Qui est-il ?’’, lui demande-t-on. ‘’C’est l’un de mes collaborateurs qui me facilitent la tâche entre mes clients et moi’’, répond-il. 

Dans le refuge d’Azou 

De là, nous nous rendons à Sinthiang Tountouroung. Plus précisément chez Azou, un autre caïd. Il nous mène dans sa pièce mal éclairée. Azou allume une cigarette mais ne la fume pas. Il la pose sur le tabouret et la laisse se consumer. Il sort une petite pipe de son pantalon jeans puis s’étire longuement, comme s’il s’apprêtait à livrer une partie de lutte. A l’aide d’une lame, il introduit la cendre de cigarette dans la pipe et jette les grains du chanvre indien dans cette poudre blanche avant de sortir son briquet pour allumer la pipe. On s’attendait alors à ce qu’il se mette à fumer, mais non. Il ne fume pas, il respire la fumée qui s’en dégage et qui envahit la case. Le mélange d’odeur de cigarette et de drogue est étouffant. Nous avons du mal à respirer. Azou l’a peut-être remarqué. Il se contente juste d’une remarque. ‘’Cette fumée-là dégage un parfum nauséeux’’, souligne-t-il. 

Des chuchotements s’ensuivent. Alors, il sort un sachet noir dans lequel est emballé deux kilogrammes de drogue. Azou ne vend que du chanvre indien et du cannabis. Un ballet ininterrompu de jeunes et d’adultes est noté chez lui. ‘’Ici, le gramme de crack, c’est-à-dire la ‘’dose adulte’’ est vendu à 5 000 francs CFA. Le demi-gramme du chanvre indien est à 3 000 francs. Le quart de gramme est à 1 000 francs. C’est la dose préférée des jeunes Koldois’’, ajoute-t-il. 

Contrairement aux endroits ci-devant cités où nous avons été accueillis sans hostilité, il existe d’autres coins où nous sommes indésirables. Ainsi, nos tentatives de percer les mystères de Saré Moussa et Saré Kémo ont été vaines. Les collaborateurs de Zal, le guide, n’ont pas accepté de nous rencontrer. Ils disent avoir peur et veulent surtout éviter le risque d’être dénoncés. Toutefois, au quartier Hafia, notre descente n’a pas été inutile. Certaines cases et maisons inachevées servent de cachettes pour les amoureux des sensations évasives. D’ailleurs, il suffit de circuler dans certaines rues pour être titillé par cette odeur si particulière. Mais mieux vaut se limiter aux exhalaisons que d’aller voir les auteurs. 

En effet, notre guide nous conseille vivement de ne jamais venir seul dans ce quartier. L’aventurier pourrait bien se faire tuer ou, au meilleur des cas, être chassé des lieux. ‘’Ils sont toujours armés de pierres. S’ils constatent que vous êtes un étranger du milieu, ils peuvent vous faire du mal. Les policiers le savent. Ils sont toujours chassés à l’aide de pierres’’, prévient-il. Il faut donc aller voir ailleurs. Dans un coin du quartier, nous trouvons un dealer déjà averti par nos soins, de notre arrivée. L’accueil a eu lieu dans un bâtiment inachevé et sans toiture. 

C’est dans cette bâtisse que les drogués et autres revendeurs du quartier se donnent rendez-vous. Ici, on ne fait pas de mystère sur les activités et les revenus que procure le trafic de drogue. ‘’Un paquet de chanvre indien coûte 500 francs Cfa. Un kilogramme coûte 25 à 30 000 francs Cfa. Dans un paquet, le consommateur peut avoir 3 à 4 cornets’’ explique cet interlocuteur. Après quelques minutes de conversation, il reçoit un Sms (Short Message Service) d’un consommateur avec précision de la quantité souhaitée. C’est la preuve aussi que le milieu de la drogue n’est pas en retard sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. 

‘’Ils sont plus que jamais proches des tombes qu’ils profanent’’ 

A Kolda, le chanvre indien et le cannabis sont considérés comme la drogue des pauvres. En effet, ils sont consommés par de jeunes désœuvrés, des aboyeurs et des agresseurs qui rôdent autour des gares routières. On les reconnaît facilement dans les rues comme à la nouvelle gare. Leurs dents abîmées, leurs corps squelettiques, leurs yeux rougis et leur hyperactivité circonstancielle constituent des indices qui ne trompent pas. Ceux qui fréquentent la gare routière, les cabarets et les bars peuvent les reconnaître facilement. 

Des loques humaines aux déhanchements fantomatiques, ces silhouettes fragiles ont l’air d’être balancées de toutes parts par le vent. On a le sentiment qu’elles ne vont pas tarder à faire le voyage ultime. ‘’Les consommateurs de drogue ont tous un point commun. Ils sont plus que jamais proches des tombes qu’ils profanent sans ménagement’’, souligne un accro bien connu des services de la police. Cependant, ils ne sont pas seuls dans la liste des consommateurs. Des maçons, mécaniciens, chauffeurs et acteurs éducateurs sont aussi des adeptes de l’herbe qui tue. 

Dans la région de Kolda, certaines communes qui abritent des marchés hebdomadaires sont réputées zones de transit des stupéfiants. Il s’agit de Diaobé, de Saré Yoba Diéga, de Bayoungou, de Médina Yoro Foula, de Pata, de Kolda commune, etc. A en croire certains trafiquants et consommateurs, il y a plusieurs sortes de drogues. Outre celles dites dures, il y a les psychotropes ou drogues synthétiques. Les plus courants de ces produits sont l’immenoctal (IM10), les amphétamines et le Mandrax. ‘’Ces drogues sont consommées dans les milieux des travailleurs de l’informel, ceux qui n’ont pas assez d’argent et qui veulent s’empoisonner. Ils imbibent leurs mouchoirs de la colle forte et aspirent violemment’’, soutient notre guide. 

Du fait de la porosité des frontières, la capitale du Fouladou est ainsi donc devenue un lieu de grande consommation et de trafic de drogue. Du coup, les fumoirs se multiplient dans la localité. Il ne se passe pas une journée sans que des personnes ne soient appréhendées, soit pour détention et/ou consommation personnelle, soit pour vente. La Brigade mobile de la subdivision de la douane de Kolda a révélé que durant ‘’l’année 2016, au total 472 kg de chanvre indien ont été saisis dans l’ensemble de la région’’. Une année auparavant, c’est-à-dire en 2015, les éléments de ladite brigade ont pu mettre la main sur une autre quantité de 22 kg de Méthamphétamine évaluée à deux (2) milliards 622 millions francs CFA. 

Aujourd’hui, ‘’malgré la détermination et les efforts consentis par les soldats de l’Economie et les forces de défense et de sécurité, en dépit des moyens modestes mis à leur disposition, la drogue continue de faire des ravages chez les jeunes’’, se désole une autorité administrative sous le sceau de l’anonymat. 

EnQuête
 
( La rédaction )


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