"Il m'arrivait, lorsque j'étais en froid avec quelqu'un, de lui envoyer des répliques en chantant. Cela faisait rigoler les gens", raconte Aminata.
Son passe-temps sera d'écrire et de chanter. Mais ses parents ne veulent pas qu'elle s'adonne à la musique. Ils lui fixent alors une priorité : se concentrer sur les études. Ce qu'elle fera d'ailleurs avec brio. Elle enfouit sa passion dans son subconscient et se met à étudier. Elle est décrite comme une très brillante élève.
"Mes parents ont émis le souhait de me voir réussir dans mes études. J'avais reçu l'interdiction formelle de faire de la musique un métier, tant que je n'aurais pas fini mes études. Mais la musique continuait à circuler dans mes veines, mais je me gardais d'enfreindre le vœu de mes parents. Je chantais à la maison, parfois en classe ou avec mes amies, et c'était tout. A chaque fois que ma maman se plaignait de m'entendre chantonner, j'entendais quelqu'un lui rétorquer que c'était un dada passager et que je finirai par m'en passer", se rappelle-t-elle.
Aminata entame son cycle primaire à l'école Saint-Joseph de Cluny (Médina), avant de fréquenter le lycée des jeunes filles Ameth Fall de Saint-Louis. En classe de 5e, elle ne manque pas de s'impliquer dans les activités socioculturelles du lycée, tout en excellant dans les études.
Le baccalauréat en poche, elle est orientée à l'université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb), précisément à la faculté des Sciences juridiques. Son diplôme en droit en poche, elle tente le concours du greffe. Elle le réussit et elle entame une formation de deux ans au Centre de formation judiciaire (Cfj).
Ce qu'elle ne savait pas, c'est que la musique sera pour elle une forme de thérapie qui soignera ses peines, eu égard aux tournures que prendra sa vie.
En effet, un événement malheureux va venir bouleverser la vie d’Aminata. Elle perd son mari en 2011 ; ce qui la plonge dans une profonde méditation.
"La perte de mon mari a été un élément déclencheur dans mon choix de faire de la musique. D'où le titre de mon premier single ‘’Djirim’’. L'inspiration m'est venue lors de mon veuvage. Je regardais mon jeune garçon dans la maison et j'ai commencé à écrire le texte. Je me suis posé des questions sur la vie, son sens. En tant que musulmane, j'ai trouvé refuge dans ma foi. La foi en Dieu m'a permis de surmonter la perte de mon mari. La musique est perceptible partout. Même le Coran est descendu sous forme de poèmes, afin d'atteindre les cœurs. Les versets sont rimés. Toutefois, il n'y a pas que la mélodie. Les textes sont plus importants que la mélodie", philosophe-t-elle.
Sa passion ayant résisté au fil du temps, pour noyer sa peine, elle se réfugie dans la musique. Elle ressent le besoin de prendre sa plume pour griffonner ses craintes, ses peines. La musique sera alors un exutoire pour elle.
En 2012, l'idée de se donner à fond à sa passion germe de nouveau en elle. Elle se lance ainsi sérieusement. "J'y trouvais une paix intérieure. La chanson m'a consolée face à toutes les épreuves. Elle m'a aidée à m'engager dans les causes réelles qui interpellent ma société", défend-elle.
Elle enlève sa toge, pour vivre sa passion
Actuellement en service au ministère de la Justice, Aminata trouve le temps de s'adonner à sa passion. Auparavant, elle a été greffière au tribunal départemental, ensuite au tribunal régional, au parquet, au cabinet d'instruction, à la Cour d'appel de Saint Louis.
Faire de la musique ne sera pas de tout repos pour Aminata. Mais son amour pour la musique la pousse à aller de l'avant. D'ailleurs, pour vivre sa passion, elle s’en donne les moyens. C'est ainsi qu'après avoir servi à la Cour d'appel de Saint-Louis, elle décide de perfectionner sa voix. Pour cela, elle décide de rejoindre la capitale Dakar. Elle dépose une demande d'affectation au niveau de sa hiérarchie judiciaire. Elle sera affectée au tribunal du travail hors classe de Dakar. Puis, elle suivra des cours de chant avec le professeur Adolphe Coly.
"Après cela, j'étais carrément dans le bain. Ainsi, il était difficile pour moi de porter la robe noire avec toute la solennité qu’elle confère. C'était devenu compliqué de tourner des clips, faire des concerts et de continuer à porter la toge. Personne ne m'a dit de quitter le greffe ; mais j'ai trouvé nécessaire de demander un détachement au ministère de la Justice", confie Me Yade.
Entre les ‘’Khassaides’ pleins d'enseignements et de sagesse du guide du mouridisme et les litiges qu'elle voit couramment au tribunal, Aminata sait dans quel genre musical elle va s'engager. De la musique pour servir, éveiller les consciences.
"Je suis pour l'art au service du développement socioéconomique de notre nation", aime-t-elle dire. D'où son premier titre intitulé "Njirim" (orphelin : Ndlr) sorti en 2018 et le maxi ‘’Xarit’’ sorti en 2016. Le deuxième album s'appellera "Yermande".
Allier son travail et sa passion était très difficile, mais cette maman qui se réclame ‘’mère de l'humanité’’, se donne les moyens pour garder l'équilibre et réussir ses ambitions.
"Lorsque j'étais à la Cour d'appel de Saint-Louis, j'ai commencé à faire de la musique de manière informelle. Durant cette période, j'ai décidé de suivre des cours de musique avec le professeur Khabane Thiam. Ainsi, j'ai décidé de faire des cours de vocalisation et je ne pouvais pas les faire à Saint-Louis, d'où ma demande de rejoindre Dakar. Lorsqu'on veut quelque chose, on trouve les moyens pour y parvenir. Toujours se donner les moyens de les réussir", insiste-t-elle.
Maman de Daara et d'enfants en difficulté, elle accorde son temps à défendre la cause des enfants. Dans ses chansons, elle aborde des thèmes de société tels que le droit à l'éducation, la défense des droits des femmes, la non-violence, l'émigration irrégulière, la nécessite de retourner à la terre qui, selon elle, est gage de développement. Elle chante dans plusieurs langues.
"Je trouve aussi ma force à travers les retours que j'ai. Par exemple, un gars est venu me dire qu'il a renoncé à aller à l'émigration clandestine, après avoir écouté ma chanson ‘Yeurmandé’. Ce témoignage est plus important que des millions de francs Cfa, car la vie humaine n'a pas de prix. Ce sont ces choses-là qui nous font avancer dans la vie. C'est pourquoi on prévoit de faire le tour du Sénégal, afin de sensibiliser les jeunes pour qu'ils abandonnent l'idée d'aller à l'émigration clandestine. D'où le thème de la tournée ’Non à l'émigration clandestine’".
Appelez-moi Anita à l'antenne
Grâce à son professeur de droit constitutionnel, elle fera la connaissance de celui qui deviendra son mari. Elle raconte : "Mon professeur m'a dit qu'un de ses collègues cherchait une étudiante avec une belle voix, pour déclamer ses poèmes."
Elle rencontre le professeur de technique d'expression qui avait besoin d'une speakerine pour déclamer des poèmes. "Je suis allée à sa rencontre et dès que j'ai commencé à parler, il m’a tout de suite dit que c'était moi qu'il lui fallait. C'est comme ça que j'ai commencé à l'accompagner dans des émissions à la station régionale de la Rts de Saint-Louis", explique Aminata. Le professeur de technique d'expression était son défunt époux...
Aminata a plusieurs cordes à son arc. Lors d'un concours organisé par la radio Téranga Fm à Saint-Louis, elle sera choisie en tant que présentatrice du journal et animatrice d'émissions. Mais son père, qui voulait que sa fille se concentre exclusivement dans ses études, ne donnera pas son accord.
Elle trouve un subterfuge, et se fait appeler ‘’Anita’’ à l'antenne. ‘’Appelez-moi Me Yade au tribunal, Anita à l'antenne et Aminata Khass au micro’’. Comme pour dire, entre Aminata, l'écriture et le micro, une longue histoire d'amour les lie.