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Profession: intellectuel africain


Rédigé le Lundi 3 Juin 2013 à 12:13 | Lu 180 fois | 0 commentaire(s)



Tant qu’ils n’ont pas donné leur point de vue, vous ne savez rien de ce qu’il y a à savoir de l’Afrique et une fois qu’ils se sont exprimés, vous êtes encore plus ignorant qu’au lever du jour. Voici, ramassée en quelques lignes, une revue kaléidoscopique des caractères et des personnages qui parlent avec autorité au nom de l’Afrique ou à son sujet.


Profession: intellectuel africain
Descendants de griots, ils ont appris à écrire mais privilégient plus souvent la parole… Tout engagement vrai commence par l’écriture, eux ils ont en horreur «la page écrite»! De nos jours la parole n’alimente que le sensationnalisme, l’instant, la presse, Internet… Les intellectuels africains, lorsqu’ils parlent de l’Afrique sont des électrons libres sans contrepoids, ils se craignent au point de s’éviter soigneusement, mais ne se respectent pas assez pour se nourrir mutuellement de leurs lumières. Chacun d’eux est détenteur d’une somme «infalsifiable», c’est-à-dire insusceptible de négation, de rejet : l’Olympe même ne saurait héberger tous ces dieux africains.
Au Cameroun (charité bien ordonnée…), il n’y a pas une grande tradition d’intellectuels. Le Président de la république, par exemple, n’a fait qu’une école coloniale, où il a obtenu un diplôme de premier cycle. Ce qui est bien fruste quand on lit le curriculum studiorum d’Abdoulaye Wade du Sénégal, qui est sans doute l’un des présidents les plus diplômés de la planète. Fruste, mais déjà mieux que son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo, télégraphiste breveté qui n’a pas fait d’études supérieures.
Si l’on veut filer la comparaison et l’étendre par exemple à la deuxième personnalité de l’Etat du Cameroun, le président de l’Assemblée Nationale, on se heurte au certificat d’études primaires de celui qui en son temps ne fut qu’un modeste instituteur : le très honorable Cavayé Yeguié Djibril (lire le tèrè zonorable…). L’un de ses homologues sénégalais a le bonheur d’être le professeur Iba der Thiam, historien de haut vol, membre du comité scientifique de l’UNESCO chargé de rédiger l’Histoire générale de l’Afrique.

Qui sont-ils? Que font-ils? Que valent-ils?

Non. L’intellectuel n’est pas forcément l’universitaire ou le diplômé de troisième cycle. Mais il est évident que pour éclairer, il faut être éclairé, et de nos jours il est rarissime de trouver des autodidactes magnifiques. Quand on pense aux intellectuels africains, il faut donc d’abord regarder parmi la masse des écrivains, éditorialistes, et autres «hyperdiplômés». En dehors d’eux, il y a des sages, mais pas d’intellectuels.
Le Cameroun dispose aussi d’intellectuels de grande envergue, d’historiens émérites… Achille Mbembe par exemple! Voilà un historien qui fait en permanence l’actualité, du moins la commente-t-il. Dans les antennes de RFI, il a affirmé récemment qu’il y a au Cameroun «une opposition imbécile». Il lui a manqué assez de lucidité pour reconnaître que c’est parce que cette opposition s’appuie sur des intellectuels limités qu’elle est si imbécile.
Son attitude est symptomatique de la malédiction africaine. Il a été donné à l’Afrique le don de produire des génies culminants, mais la fée carabosse (la garce!) a fait en sorte que ceux-ci lui soient parfaitement improductifs. Comment peut-on être si intelligent mais aussi totalement inutile dans un continent qui a tant de besoin de ses intelligences? Les intellectuels ont-ils choisi de se cantonner dans des rôles de pirates de la politique à la recherche de trésors improbables, semant l’angoisse dans les esprits et s’étonnant, étonnamment, de récolter l’apathie?
Ils se spécialisent dans le «vocabulaire de l’insulte politique», la formule hautaine et sentencieuse, et transforment l’Afrique en mur des lamentations. Ils font toute leur carrière intellectuelle dans des postures d’observateurs engagés dans la critique courte et savante. Le fringant Mathias Eric Owona Nguini partage avec A. Mbembé de nombreuses vues. Notamment quand il faut jouer les Cassandre et promettre aux Camerounais une alternance par les armes.
Ils ne disent pas précisément si c’est ce même peuple qu’ils déconsidèrent dans leurs analyses qui prendra ces armes. Quel peut être l’effet sur les jeunes qui les écoutent de ces noires prédictions? Je vous le donne en mille : fuir au plus loin, voyager comme eux ou mourir d’avoir essayé. Un peuple qui n’a pour seule expérience que la misère ne va raisonnablement pas se hâter d’emprunter le chemin le plus long pour arriver à Rome, la voie de la guerre, qui n’est pas la voix de Dieu.

Diagnostic sans nuances

Ils vont et viennent entre discours pessimistes qui sonnent creux et formules brillantes qui sont vaines. Parce que rares sont de toute manière ceux qui trouvent grâce à leurs yeux. Des éloges médiocres pour leur peuple qui manque de l’imagination et de la maturité nécessaires pour réussir une alternance pacifique, des critiques sévères pour les leaders politiques qui n’y comprennent rien et n’arrivent à rien, le mépris facile pour les dirigeants en place, solidairement et pleinement responsables du marasme. Ils ont posé un diagnostic sans nuances alors qu’ils sont eux-mêmes inaptes à organiser la communauté la plus urgente à constituer : la communauté intellectuelle.
Ces penseurs abstraits, ces byzantins intellectuels ont fait vœu d’inactivité politique, au sens de politique politicienne, au sens de tremper ses mains dans le cambouis et dans le sang, ils font, si cela est possible, du dilettantisme intellectuel, se posent, par rapport à leur peuple devenu la risée de l’univers, en génies impuissants qui fonctionnent dans un mode satellitaire, «contre une partie de leur gré», s’il est permis d’ainsi torturer l’expression. Les Africains restés au champ d’honneur n’ont plus besoin qu’on leur fasse des leçons, ils veulent qu’on se joigne à eux, pour tenir des rôles restés vacants, délaissés par ceux qui croient que les leviers du développement et de l’alternance, c’est en France qu’il faut les trouver.
Tous les grands génies de l’histoire ont souffert en leur temps. Eux, ils ne veulent pas souffrir, n’acceptent pas qu’il puisse exister de souffrance puisqu’ils ont immigré dans des pays où tous les grands combats ont été menés et toutes les révolutions ont eu lieu. Beaucoup de ces savants éphémères n’appartiennent à aucune société savante, ils ont écrit une fois pour toutes le chef d’œuvre de leur vie, une thèse de doctorat de 2000 pages et, 20 ans après, pas un seul livre! Leur distinction suprême a été leur parchemin, leurs fonctions officielles sont des médailles en chocolat... Ils se font appeler docteur dans des écoles maternelles et parfois acceptent même du professeur, alors qu’ils n’ont jamais obtenu d’agrégation. Et s’ils l’ont eue, c’est sans gloire qu’ils en sont venus à bout.

L’éternelle négritude

Les grands hommes rencontrent de grands événements, ils en prévoient les prolongements, en analysent les suites dans une imposante et cohérente unité, un «système» qui confine toujours à l’universel… Arjun Appadurai est un auteur classique de son vivant, Edgar Morin est cité comme s’il était mort, imaginez l’un d’eux, publiant une tribune dans Le Figaro, et signant au bas Pr Edgar Morin, Dr Arjun Appadurai… Tour à tour absolument comique et infiniment pathétique! Dans une certaine Afrique, les politiques font les événements et les intellectuels les commentent, incapables qu’ils sont d’ouvrir des débats sociaux; quand ils publient c’est souvent à compte d’auteur et sans daigner obtenir de code ISBN ou, dans le meilleur des cas, c’est de la littérature grise.
Quand bien même ce sont des maisons d’édition respectables qui le font, elles ne daignent jamais reproduire l’expérience: soit que les œuvres produites se soient mal vendues, soit que les auteurs en question aient asséché leur source d’inspiration… Ils ignorent ce que leurs devanciers ont fait et raillent ce que leurs confrères produisent. Enfin, les intellectuels dont il est question veulent diviser la classe politique en socialistes et libéraux, dans des contextes préindustriels et des superstructures qui n’évoquent en rien les pays de naissance de ces idéologies!

Nos futurs Cheikh Anta Diop

Que leur devra la prochaine génération d’intellectuels? A qui devront nos futurs Cheikh Anta Diop d’exposer avec éclat et grâce? La mort même ne saurait être pour ces «pères absents» une promotion, attendu qu’il n’y aura plus rien pour témoigner de leurs sacrifices ni personne pour rendre justice à leur œuvre. Ceux qui les survivront ne les pleureront pas parce que la démocratie leur tombera du ciel, comme en Côte d’Ivoire. Et tous, à l’instar de la génération qui les aura précédés, professeront Senghor, Sankara, Mongo Béti, etc.
Un vrai et grand intellectuel africain ne sera pas invité par un média uniquement pour des faits circonscrits à son continent comme un simple correspondant de presse. C’est une lumière qu’on verra s’irradier sur tous les sujets d’importance et dont on pourra présenter une publication majeure toutes les fois qu’une caméra de télévision se mettra en travers de son chemin. Car l’éclairage des projecteurs, ils ne le cherchent pas, ils l’attirent. Sans demander que leurs travaux soient admirés, ils savent qu’ils seront distingués… Un intellectuel c’est surtout un homme dont la parole est souvent redoutée, constamment attendue, partout présente, toujours précieuse.
Le président français dit une énormité à Dakar ? A quoi cela sert-il de lui répondre puisque Frantz Fanon avait déjà élevé le débat dans d’autres altitudes. Va-t-on réchauffer les combats de la négritude, continuer de s’adresser aux anciens maîtres quand c’est notre peuple qui écoute? Va-t-on prouver qu’on a une histoire, en écrivant comme l’avait voulu l’historienne Adama Ba Konaré, épouse du président Alpha Oumar Konaré, un livre d’histoire toutes les fois qu’un insensé se trompera? Ce serait comme vouloir démontrer qu’on est en essayant de prouver qu’on a été.
En Côte d’Ivoire, Célestin Monga, Olympe Bhêly-Quenum, Tierno Monénembo, le sud-africain Aziz Pahad, Gaston Kelman, Fweley Diangitukwa, tous des intellectuels authentiques, ont voulu parler d’une seule voix pour crier au loup, le problème c’est qu’ils réagissaient en militants de base d’une cause passagère. Où étaient-ils avant que cela ne vire au pire? Pourquoi ont-ils aujourd’hui donné leur langue aux chars? La Force Licorne en maîtrisant Gbagbo et Simone les a carrément rendus atones, alors que les aberrations continuent en s’exacerbant. La terreur a été rééquilibrée, la vengeance a eu lieu, l’humiliation s’est passée, la danse funèbre des vainqueurs continue sur les ruines d’une CPI (Cour pénale internationale) illégitime et une CVR (Commission dialogue, vérité et réconciliation) illégale.

Et pourtant ils existent…

S’il fallait établir une cartographie de l’intelligentsia africaine, elle serait par trop clairsemée en Afrique centrale. Si l’on se fie pour cela à des indicateurs aussi simples que les publications régulières qui ne soient pas exclusivement des Å“uvres scientifiques, l’impact de leurs contributions au-delà du cercle de leur émission, leur diffusion, leur présence dans des répertoires comme JSTOR, Science Direct, etc. Un intellectuel, ça n’est pas un épicier, qui n’est connu que de la ménagère du quartier : il doit avoir des références constantes urbi et orbi, il doit être connu et reconnu.
Il n’existe plus de génie méconnu, les artistes les plus mal aimés finissent toujours par trouver leur public. Wole Soyinka, le premier auteur noir lauréat prix Nobel de littrature, qui a des positions parfois déconcertantes, mais allant toujours dans le sens du progrès des peuples africains, l’égyptien Amr Khaled, l’universitaire ougandais Mahmood Mamdani, le philosophe ghanéen Kwamé Anthony Appiah, Dambisa Moyo qui, dans Dead Aid, affirmait, contrairement à Barack Obama, que l’Afrique avait besoin d’hommes et de femmes forts, sauf qu’elle exigeait d’eux qu’ils soient en plus bienveillants pour que le continent prospère… Tout n’est donc pas noir dans ce continent, puisqu’il y a d’incontestables lumières!
Eric Essono Tsimi


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