Ancien soldat subalterne de l’armée gambienne Yaya Jammeh est devenu aujourd’hui l’un des pires symboles de la dictature africaine. Arrivé accidentellement au pouvoir en juillet 1994 en compagnie d’une équipe de jeunes officiers rêveurs, Yaya Jammeh régnait il y’a quelques jours, en main de maitre sur ce petit pays pauvre et enclavé dans le Sénégal. En 20 ans de pouvoir, le dirigeant gambien a réussi à couper son pays de tous ses soutiens au point de le transformer en premier «Etat islamique» de l’Afrique noire et en «royaume de Baabiili». Retour sur le parcours d’un Sénégalais que le destin a transformé en Gambien.
1965, la Gambie venait d’arriver à la souveraineté internationale et c’est en cette même année que naquit Yaya Diémé. Au Sénégal, le retraité français Léopold Sédar Senghor est aux affaires -en tant que président de la République – et venait depuis 1962 de faire interner Mamadou Dia, le président du Conseil, véritable patron de l’exécutif, accusé de tentative de coup d’Etat à la prison à perpétuité et transféré à Kédougou. Conspué par tous les nationalistes africains, le président sénégalais s’était lancé dans une campagne de communication.
Au nord, il avait décidé, pour assouvir son voeu de voir la carte du Sénégal ressembler à une tête de lion, que les frontières du Sénégal avec la Mauritanie seraient désormais situées après le fleuve Sénégal. Sans la moindre consultation des populations, il abandonne l’autre partie de Rosso à la Mauritanie, transformant du coup de nombreux Sénégalais, installés depuis des millénaires sur ces terres, en Mauritaniens.
Au Sud, il fera la même haute trahison envers le Sénégal sans que personne ne bronche. Lors de sa visite à son homologue Daouda Kaïraba Jawara -en Gambie, la seule d’ailleurs-, Léopold Sédar Senghor a décidé, en 1970, d’offrir à la Gambie tous les villages situés en dehors du tracé de son « Sénégal tête de lion ». « Le tracé de la frontière n’est pas droit, il y a trop de zigzag, et c’est pour corriger cela qu’il a fait cet acte. » Se sont justifiés ses partisans. Pourtant, ces mêmes courbes existent aux frontières nord de la Gambie avec Keur Madiabel et autre Paoskoto mais rien n’ a été fait de tel.
Cinq années avant cet acte de haute trahison est né à Kanilaï, l’enfant Yaya Abdoul Aziz Diémé de parents sénégalais devenus du jour au lendemain des gambiens. Ce changement brutal dans la vie des populations de cette partie du Sénégal a créé un grand mal être, transformant des frères et cousins, en citoyens de pays différents.
Avant ce fait, Diadiaw Diémé de Kanilaï, le plus grand tradi-praticien -spécialiste de réparation de fractures sans chirurgie ni plâtre- de toute la Casamance et au delà avait conseillé à son fils -le père de Yaya Jammeh- de confier Yaya Diémé à son oncle qui est à Bonna, en Casamance. C’est là bas que l’enfant Yaya Diémé a fait ses humanités en terre casamançaise.
Après le passage de nombreux villages de Kanilaï dans le jargon gambien, les parents, qui avaient envoyé leurs enfants en Casamance pour étudier à école française, étaient obligés d’aller les chercher pour les mettre à l’école anglaise. C’est ainsi que Yaya Diémé qui était à Bonna avec son oncle est devenu Yaya Abdul Aziz Jammeh sur les registres de l’état civil gambien.
Si peu de récits sont, pour le moment, disponibles sur l’enfance de Yahya, c’est parce que rien d’extraordinaire ne prédestinait ce jeune broussard aux fonctions qui sont les siennes. Néanmoins, deux événements majeurs avaient attiré l’attention des officiels sénégalais sur le soldat; c’était dans les années 1980: «outré par les quolibets et les moqueries des officiers sénégalais en mission à Banjul, le jeune soldat n’hésitait pas à insulter de mère et de père les militaires sénégalais. » Témoignages du colonel Abdoul Aziz Ndao, « Pour l’honneur de la gendarmerie », Edition l’Harmattan.
En Casamance, c’est connu, depuis de nombreuses années, les filles après l’hivernage quittaient leurs villages pour aller travailler comme domestiques au Sénégal -comprenez Dakar et le nord. Et à l’approche de l’hivernage, ces filles chargées de bagages et de leurs économies revenaient au village participer aux travaux champêtres. Lorsque l’une d’elles ne rentrait pas, elle était automatiquement remarquée et les spéculations à son sujet foisonnent. C’est ce qui est arrivé à une des cousines de Yaya Jammeh. L’oncle de Jammeh -chez qui il vivait à Bonna- ne supportant pas que des rumeurs courent sur sa fille restée à Dakar, a décidé d’aller à sa recherche.
Il se racontait que la fille sortait avec son patron douanier et que c’est ce dernier qui ne voulait pas la laisser rentrer. Mais, venu chercher sa fille, l’oncle de Yaya Jammeh a été accusé de trafic et d’usage de chanvre indien et emprisonné à Reubeus. A en croire Mamadou Nkrumah Sané, le secrétaire général du MFDC, «c’est le douanier qui a mis la drogue dans la chambre du vieux et a appelé la police. Il voulait de ce fait retenir la fille à Dakar et continuer son idylle avec elle.»
Lorsqu’il a appris cela, Yaya Jammeh, devenu officier de l’armée gambienne, est entré dans une colère noire. Ses insultes contre le Sénégal et les Sénégalais ont redoublé. Sa méfiance envers les Ouolof n’a fait que grandir. En ses qualités d’homme de loi et gardien des valeurs de la famille, c’est à lui qu’est revenu le devoir de protéger les siens. C’est au nom de ce devoir qu’il s’est présenté à la prison de Reubeus à Dakar voir son oncle. C’est là bas que l’oncle qui partageait la cellule des «rebelles casamançais» a présenté à ses parents le lieutenant Yaya Jammeh.
Babacar Touré(Kewoulo.info)