Le président du Rwanda, Paul Kagamé, le président du Sénégal Macky Sall et le président du Cap-Vert, Jorge Carlos Fonseca, ont répondu présents à l'invitation de la Commission européenne pour les JED 2019. A leurs côtés, la reine Mathilde, le président du Parlement européen, Antonio Tajani, ou encore les Premiers ministres du Bhoutan, Lotay Tshering et de Belgique, Charles Michel, ont également participé à cette rencontre de haut niveau.
«Je vais m'exprimer en français, car je veux être sûr d'être bien compris... sauf au Royaume-Uni !», a lancé Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne en fin de mandat, sous les rires des invités, en cette période de Brexit. Il a rappelé son engagement pour un « triple A social », soulignant «ce qui a été fait à Göteborg depuis 2 ans : 20 milliards d'euros d'investissement pour les droits sociaux».
La réduction des inégalités inscrites à l'Agenda 2030 des Nations unies était le thème phare choisi pour cette 13e édition. «Les inégalités sont le cancer de la société ! [...] En dépit de la croissance mondiale, il existe un problème de redistribution, car 26 personnes possèdent autant de richesses que 3,7 milliards d'habitants», a introduit Stefano Manservisi, directeur général pour la Coopération internationale et le développement de la Commission européenne. « Malgré une croissance moyenne de 4% sur les dix dernières années en Afrique, les problèmes de redistribution interne sont considérables», a-t-il souligné. Un constat qui ne touche pas seulement les pays en développement : «Ces inégalités existent en Europe, si l'on se réfère aux analyses de Thomas Piketty. L'ascenseur social est bloqué [...] Les mobilités humaines et la mobilité des marchandises doivent aller de pair», a-t-il poursuivi. Une déclaration qui est loin de faire l'unanimité au sein d'une Europe qui se crispe sur fond de crise migratoire, générée par ces mêmes inégalités, lesquelles font désormais le jeu des populismes européens.
Les migrations africaines au menu des JED 2019
En 2015, plus d'un million de migrants arrivaient en Europe, un chiffre qui a largement diminué au cours des quatre dernières années pour atteindre 144 166 en 2018, selon l'Office international des migrations (OIM). Au-delà des critiques autour des Accords de Dublin (régulant les conditions de demande d'asile dans l'UE), les Européens cherchent à renforcer les coopérations bilatérales avec les pays d'origine des migrants pour soutenir le développement des économies locales d'une part, tout en finançant les gardes-côtes libyens en charge de juguler les flux migratoires de l'autre côté de la Méditerranée, en dépit des situations d'esclavage subies par les Subsahariens en terre libyenne et régulièrement dénoncées par les ONG internationales.
«Le Niger accueille 400 000 réfugiés, c'est-à -dire entre 2% et 4% de la population nationale», a rappelé la «Young leader» Judicaëlle Irakoze, lors du panel consacré aux migrations, afin de relativiser les craintes des ressortissants de l'UE, sous les applaudissements nourris des participants. «L'Europe est en pleine crise identitaire», a d'ailleurs admis Antonio Tajani, président du Parlement européen.
Pour rappel, sur les 258 millions migrants internationaux recensés par l'ONU en 2018, les Africains représentent 36 millions, dont 80% restent sur le Continent. De plus, 80% des migrants venus d'Afrique sont en situation régulière.
Il semble encore difficile de trouver un consensus pour réglementer la question migratoire, au regard de la levée de boucliers provoquée par le Pacte de Marrakech pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, adopté fin 2019. «L'Europe a des obligations mondiales et quelles que soient les circonstances, elle ne doit pas être une forteresse», a prévenu Jean-Claude Juncker.
L'Afrique veut un partenariat renouvelé avec l'UE
«La situation des pays industrialisés est préoccupante», a lancé Paul Kagamé, précisant que «l'Afrique est dans les starting-blocks» du développement. Le temps de la «main tendue» est terminé : «Nous ne devons pas tout attendre de l'extérieur», a-t-il insisté. Le président rwandais a affiché son optimisme pour l'avenir, avec la zone économique de libre-échange continentale en ligne de mire.
Pour sa troisième participation aux JED, le président Macky Sall n'a pas mâché ses mots : «Quand la redistribution des richesses naturelles ignore la redistribution sociale, la stabilité est menacée». Le président du Sénégal a par ailleurs appelé à un nouveau partenariat avec l'UE.
«Dès lors que les déséquilibres entre pays pauvres et pays riches augmentent, nous faisons face à l'insécurité et aux migrations. Nous avons donc solidairement intérêt à défendre la lutte contre les inégalités. C'est un impératif de paix et de sécurité pour tous», a-t-il poursuivi, rappelant ainsi les responsabilités partagées concernant les migrations transméditerranéennes. Pour conclure son propos, Macky Sall a proposé de réunir les prochaines JED au Sénégal. «A votre charge bien sûr !», a-t-il lancé.
De son côté, Juan Carlos Fonseca, président du Cap-Vert, s'est félicité des progrès sanitaires et sociaux accomplis dans l'archipel. «Au niveau de la santé, les indicateurs nous placent au sommet sur le Continent avec une espérance de vie moyenne de 80 ans et des progrès importants en matière de réduction de la pauvreté». En dépit d'un développement manifeste, le président cap-verdien a néanmoins rappelé l'importance d'intensifier les efforts : malgré les progrès accomplis, notre croissance économique n'a pas atteint un niveau suffisant pour se soustraire à l'aide extérieure». En effet, le taux de pauvreté reste élevé et atteint 35,4% de la population. Selon les derniers indicateurs de la Banque mondiale, malgré une croissance de 4,5% en 2018, l'archipel se classe encore à la 163e place (sur 228 pays) de l'Indice de développement humain.
Alors que le Cap-Vert est engagé dans une diversification économique et dans la refonte de son environnement des affaires, l'agriculture, qui emploie (seulement) 15% de la population, est à la peine et se retrouve sévèrement affectée par les aléas climatiques, comme en témoigne la sécheresse de 2017. Le développement sera «durable» ou ne sera pas.
L'Afrique, première victime du changement climatique ?
«Il n'est pas normal que l'Afrique soit le continent le plus touché par le changement climatique, alors qu'il est celui qui pollue le moins», a constaté Antonio Tajani. Fin 2018, le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) alertait dans son rapport annuel l'opinion internationale sur les conséquences du réchauffement sur l'agriculture. «Si on atteint +2° Celsius, on peut s'attendre à une perte de bétail située entre 7% et 10% », avertissait le GIEC, tandis que la Banque mondiale notait qu'un réchauffement de 1,5° d'ici 2030 conduirait à la réduction de 40% des surfaces cultivées en maïs.
«Ceux qui en sont les moins responsables sont ceux qui souffrent le plus du réchauffement climatique. Mon père était cultivateur et possédait quelques vaches en Ouganda. Il lui aurait fallu 198 ans pour émettre autant d'émission de gaz à effet de serre qu'un New-yorkais moyen en une seule année ! Ce ratio est plus ou moins le même en Somalie ou en Mozambique», explique Winnie Byanyima, directrice exécutive d'Oxfam International.
Les JED 2019 ont également été l'occasion d'initier de nouveaux partenariats. Le 18 juin, un accord de 102 millions d'euros a été signé entre l'UE et l'OMS pour renforcer les systèmes de santé dans 80 pays d'Afrique, d'Asie et des Caraïbes. Le 19 juin, deux accords ont été conclus entre l'UE, la Banque hollandaise de développement et l'institution de microfinance jordanienne Tamweelcom pour former des entrepreneurs et aider les banques locales à soutenir les groupes les plus démunis (jeunes, femmes et migrants). Enfin, le Fonds Bêkou de l'UE pour la stabilisation de la République centrafricaine a été prolongé jusqu'à la fin de 2020.