Je ne sais si le personnage de la comtesse peut bénéficier de circonstances atténuantes, quant à moi je les revendique pleinement. L’unique spécimen à ma portée que je considérais comme prototype, était athée, célibataire et lunatique. Rien de surprenant qu’aucun potache de ma génération ayant fréquenté Saint Louis n’ait été tenté par la philosophie. Pour ma part, j’ai évité tout contact, toute proximité avec ce maitre qui, cependant, de tous ses collègues, était le plus proche des lycéens. Ceci ne suffit pas pour me faire baisser la garde. Blotti au fond de la classe, j’ai survolé à haute altitude le programme sans y attacher un quelconque intérêt. Voilà une discipline qui adopte les modes d’investigation des sciences notamment la logique, l’analyse et la synthèse sans pour autant aboutir à des résultats probants. Ainsi les théories étudiées ne concourent pas à la formulation d’un théorème fondamental ou de son corollaire, la synthèse en l’absence d’un creuset centralisateur ne donne pas lieu à la formation d’un eutectique fécond pour lequel « chacun a sa part et tous l’ont en entier » selon la belle expression hugolienne ; l’analyse, faute de sublimation et d’isolement de produit de grande pureté et de spécificité déterminée, peut engendrer toute forme de divagation ou de diversion ( « c’est la dérive de la raison qui produit les monstres » Goya). Ce cours particulièrement décousu me donne l’impression que les philosophes ne sont que des hérauts prêchant dans le désert leurs théories respectives variées et souvent inconciliables. Chacun essayant de se ménager un territoire à la manière de ces primates qui secrètent des phéromones pour baliser leur domaine réservé, interdit à tout autre mâle. L’errance et la déshérence semblent caractériser cette discipline.
Bien sûr, depuis lors mon jugement est fortement nuancé par la fréquentation de philosophes croyants, pères de famille, ayant les pieds sur terre, faisant même l’exégèse des Ecritures Saintes. On ne se juche pas sur une termitière pour médire du sol dit le pulaar. Je m’en tiens à cette sagesse. Plus prés de nous quand Abdoulaye Elimane KANE obtint le baccalauréat , tout Saldé, son village, fut ulcéré d’apprendre son intention d’entreprendre des études de philosophie.
Lorsque mon oncle Abdoulaye Elimane KANE m’offrit, avec une généreuse dédicace, son dernier ouvrage, Philosophie « sauvage », je fus transporté de joie à l’idée d’une nouvelle théorie philosophique initiée par un membre important de mon honorable famille. Ne doutant pas des puissants sentiments avunculaires qu’il nourrit à mon égard, je me dis, tout heureux, qu’en fin de compte, entre Comte et Kant il y a bien de la place pour Kane ! Ce sera le Balandier sénégalais. Regardant de plus près – cataracte et glaucome obligent- ce titre qui m’enchante, je suis surpris par les guillemets qui enserrent le qualificatif. Jugez de ma perplexité ! Un substantif libre de ses mouvements affublé d’un qualificatif menottes aux poings, signe de dévalorisation, de dépréciation, de dénaturation, d’atténuation de la portée de l’acception du terme. S’agit-il d’une philosophie dévaluée, domestiquée, apprivoisée, domptée ou dénaturée ?
Sans plus tarder, malgré mes yeux fatigués et des lunettes inadaptées, je vais à l’assaut de cette montagne de papier à la découverte de la vérité dans le cas où il ne s’agirait pas d’un artifice d’auteur.
Philosophie « sauvage » s’ouvre sur un avant-propos bien à propos ; il est concis, précis, clair et limpide. Il n y a pas de détournement d’objectif : l’intention première demeure. Il y a simplement un dédoublement d’objectifs et une inversion. En effet, par leurs interpellations et sollicitations répétées, les enfants de l’auteur, acculturés, transplantés à Dakar ou à l’étranger, assoiffés de connaitre la vie quotidienne au Fouta, soucieux d’en savoir davantage sur la saga familiale, ont réussi à convaincre leur père d’écrire sur ce volet qui leur tient à cœur.
Le Fouta, le « roman familial », la « geste inaugurale », la jeunesse et la carrière du père occuperont l’orchestre et la corbeille, sous les feux de la rampe tandis que le couple plaisir/ennui trouvera sa place dans la mezzanine. La trame est cousue de blanc, seul le liseré interstitiel ou interfacial sera de gris vêtu.
Nous sommes en présence de deux parties très intéressantes, l’une particulièrement volumineuse -abondance de la matière oblige – tandis que la seconde est d’une certaine brièveté. De même le style est diffèrent dans les deux parties du livre. Dans la première, une revue relative à des dizaines et des dizaines de sujets, la marche est longue, il faut presser le pas. Admirez ces longues phrases d’une douzaine de lignes qui permettent d’épuiser la matière dans l’espace et le temps impartis. C’est une prouesse à mettre sur le compte du talentueux auteur car, malgré tout, la clarté ne fait pas défaut dans toutes ces longues tirades sauf s’agissant du chapitre réservé à la dialectique.
Avec ses yeux neufs, l’auteur s’intéresse à tout. Rien ne lui étant familier, il se focalise sur chaque nouvel environnement pour s’exercer, se former, seul ou en compagnie d’un groupe d’amis, amitiés hâtivement nouées dans le quartier ou à la sortie des classes. C’est le moment de l’insouciance, de la détente, de toute forme d’apprentissage des choses de la vie. Un tel style s‘adapte parfaitement au roman familial, à la geste inaugurale au plongeon dans la dialectique (que je découvre être le dialecte des philosophes), au plaidoyer pour l’éducation.
Le style de la seconde partie et encore plus expressif et saisissant. Des phrases particulièrement courtes mais mélodieuses régulées par le bien-être né du « silence des organes. » Elles marquent la re-naissance due à la rémission. Elles s’accordent aux pulsations d’un cœur rasséréné, rassuré, raffermi par l’éloignement de la douleur ; troubles et sédition dont l’organisme est venu à bout temporairement. Ce style symbolise la joie de vivre retrouvée. Les bronches libérées, ventilées, la fibre du coeur, diapason par excellence, donne le la.
Il faut souligner par ailleurs, que l’auteur est conteur et capteur d’odeurs ; les exhalaisons tantôt aromatiques, tantôt putrides flottent dans cette œuvre saisissante de senteurs. Est-ce de l’acquis ou de l’inné ? Si l’on sait qu’Abdoulaye Elimane s’exerce à ce genre de test dès l’âge de cinq ans, on est en droit de privilégier ce dernier. Tout y passe, les embruns de la baie de Soumbédioune, le fleuve, son argile, son souffle crépusculaire…..Avec l’âge, le phénomène s’amplifie et se précise. L’odeur est probablement une source d’inspiration pour l’écrivain .F.Coppée écrit : »Toute odeur est fée ».
Ce livre présente quelques facettes insoupçonnées de l’écrivain : le scoutisme, le secourisme, le journalisme, le syndicalisme, l’humanitaire, les activités nautiques, le basket et les arts. Rien de ce qui participe à l’épanouissement de l’être ne lui est étranger. A l’exception toutefois, des chansonniers. Il est difficilement concevable qu’un homme, d’une telle dimension culturelle, par ailleurs habitué de la rue Caulaincourt, tourne le dos à ce qui fait tout à la fois la noblesse, le renom et la notoriété de Pigalle. Il me parait difficile de ne pas souligner cet oubli dans un ouvrage qui consacre une place prépondérante aux arts et à la culture.
Philosophie « sauvage » est une œuvre riche, variée et agréable à lire. Il faut déplorer les nombreuses coquilles qui n’ont pas leurs places dans un ouvrage de cette qualité. Le secret de maitre Cornil est cinq fois attribué à maitre Corneille. Les verbes ceindre et saigner en troquant leur participe présent éclaboussent de vermeil l’écharpe des maires qui n’en demandait pas davantage. C’est à croire que l’éditeur n’a pas de lecteur pour corriger les épreuves.
Philosophie « sauvage » est surtout un hommage appuyé à la tendresse maternelle. Ce que l’auteur appelle tantôt « fil conducteur » tantôt«fil directeur » selon son humeur du jour, nous conduit auprès de Racky Dickel, toujours égale à elle-même, actrice de la cohésion familiale, animatrice et guide d’une fratrie, dont elle a contribué à raffermir les liens de Bamako au Fouta en passant par Dakar. Adaptatrice et vulgarisatrice de contes qu’elle remodèle selon les circonstances ; elle a favorisé l’instauration de soirées récréatives au bénéfice de la progéniture de son Amadou, lequel d’ailleurs, s’inspirera, à son tour des ficelles de la mère-l’oie Racky pour s’imposer conteur en second lorsque cette dernière est indisponible.
Philosophie « sauvage » prône le culte de l’effort, la recherche de la perfection et le sens des responsabilités. C’est un hymne à la gloire de l’amitié, de la fraternité et de la solidarité. C’est la défense de tous les symboles chers à la jeunesse : la joie de vivre, d’apprendre et de former. C’est aussi beaucoup d’humour à travers des situations burlesques.
A Cotonou, la philosophie, « prise de parti », rudement prise à partie, ne trouve aucun congressiste pour la tirer d’affaire. Que faire contre un hold up officiel, un braquage légal, régal du pouvoir régalien ?
La réédition se fera à Kinshasa. A chacun ses moyens. Docteur Antonio disposant de l’éducation pour seule minution, tente d’arraisonner la santé. La tactique d’Abdoulaye Elimane KANE sera payante. Exhibant un carquois rempli de principes concurrents de l’éducation, arpentant le pont de bâbord à tribord, il installe un dispositif de dissuasion. Ici, la réédition finit en reddition sans condition. Ni abordage, ni sabordage. Il est vrai que, dans l’un et l’autre cas, les armes sont inégales.
Attaquez-vous sans plus tarder à cette montagne de papier ; l’ascension sera facilitée par bison futé ou tonton Hibou qui, dédaignant la linéarité, a aménagé des bivouacs, où le soir venu, l’amitié s’en donne à cœur joie. C’est une belle aventure qui n’a rien à envier à d’autres dans tous les domaines visités. Heureux Hibou, « plein d’usage et raison », Ulysse en pâlirait !
Bien sûr, depuis lors mon jugement est fortement nuancé par la fréquentation de philosophes croyants, pères de famille, ayant les pieds sur terre, faisant même l’exégèse des Ecritures Saintes. On ne se juche pas sur une termitière pour médire du sol dit le pulaar. Je m’en tiens à cette sagesse. Plus prés de nous quand Abdoulaye Elimane KANE obtint le baccalauréat , tout Saldé, son village, fut ulcéré d’apprendre son intention d’entreprendre des études de philosophie.
Lorsque mon oncle Abdoulaye Elimane KANE m’offrit, avec une généreuse dédicace, son dernier ouvrage, Philosophie « sauvage », je fus transporté de joie à l’idée d’une nouvelle théorie philosophique initiée par un membre important de mon honorable famille. Ne doutant pas des puissants sentiments avunculaires qu’il nourrit à mon égard, je me dis, tout heureux, qu’en fin de compte, entre Comte et Kant il y a bien de la place pour Kane ! Ce sera le Balandier sénégalais. Regardant de plus près – cataracte et glaucome obligent- ce titre qui m’enchante, je suis surpris par les guillemets qui enserrent le qualificatif. Jugez de ma perplexité ! Un substantif libre de ses mouvements affublé d’un qualificatif menottes aux poings, signe de dévalorisation, de dépréciation, de dénaturation, d’atténuation de la portée de l’acception du terme. S’agit-il d’une philosophie dévaluée, domestiquée, apprivoisée, domptée ou dénaturée ?
Sans plus tarder, malgré mes yeux fatigués et des lunettes inadaptées, je vais à l’assaut de cette montagne de papier à la découverte de la vérité dans le cas où il ne s’agirait pas d’un artifice d’auteur.
Philosophie « sauvage » s’ouvre sur un avant-propos bien à propos ; il est concis, précis, clair et limpide. Il n y a pas de détournement d’objectif : l’intention première demeure. Il y a simplement un dédoublement d’objectifs et une inversion. En effet, par leurs interpellations et sollicitations répétées, les enfants de l’auteur, acculturés, transplantés à Dakar ou à l’étranger, assoiffés de connaitre la vie quotidienne au Fouta, soucieux d’en savoir davantage sur la saga familiale, ont réussi à convaincre leur père d’écrire sur ce volet qui leur tient à cœur.
Le Fouta, le « roman familial », la « geste inaugurale », la jeunesse et la carrière du père occuperont l’orchestre et la corbeille, sous les feux de la rampe tandis que le couple plaisir/ennui trouvera sa place dans la mezzanine. La trame est cousue de blanc, seul le liseré interstitiel ou interfacial sera de gris vêtu.
Nous sommes en présence de deux parties très intéressantes, l’une particulièrement volumineuse -abondance de la matière oblige – tandis que la seconde est d’une certaine brièveté. De même le style est diffèrent dans les deux parties du livre. Dans la première, une revue relative à des dizaines et des dizaines de sujets, la marche est longue, il faut presser le pas. Admirez ces longues phrases d’une douzaine de lignes qui permettent d’épuiser la matière dans l’espace et le temps impartis. C’est une prouesse à mettre sur le compte du talentueux auteur car, malgré tout, la clarté ne fait pas défaut dans toutes ces longues tirades sauf s’agissant du chapitre réservé à la dialectique.
Avec ses yeux neufs, l’auteur s’intéresse à tout. Rien ne lui étant familier, il se focalise sur chaque nouvel environnement pour s’exercer, se former, seul ou en compagnie d’un groupe d’amis, amitiés hâtivement nouées dans le quartier ou à la sortie des classes. C’est le moment de l’insouciance, de la détente, de toute forme d’apprentissage des choses de la vie. Un tel style s‘adapte parfaitement au roman familial, à la geste inaugurale au plongeon dans la dialectique (que je découvre être le dialecte des philosophes), au plaidoyer pour l’éducation.
Le style de la seconde partie et encore plus expressif et saisissant. Des phrases particulièrement courtes mais mélodieuses régulées par le bien-être né du « silence des organes. » Elles marquent la re-naissance due à la rémission. Elles s’accordent aux pulsations d’un cœur rasséréné, rassuré, raffermi par l’éloignement de la douleur ; troubles et sédition dont l’organisme est venu à bout temporairement. Ce style symbolise la joie de vivre retrouvée. Les bronches libérées, ventilées, la fibre du coeur, diapason par excellence, donne le la.
Il faut souligner par ailleurs, que l’auteur est conteur et capteur d’odeurs ; les exhalaisons tantôt aromatiques, tantôt putrides flottent dans cette œuvre saisissante de senteurs. Est-ce de l’acquis ou de l’inné ? Si l’on sait qu’Abdoulaye Elimane s’exerce à ce genre de test dès l’âge de cinq ans, on est en droit de privilégier ce dernier. Tout y passe, les embruns de la baie de Soumbédioune, le fleuve, son argile, son souffle crépusculaire…..Avec l’âge, le phénomène s’amplifie et se précise. L’odeur est probablement une source d’inspiration pour l’écrivain .F.Coppée écrit : »Toute odeur est fée ».
Ce livre présente quelques facettes insoupçonnées de l’écrivain : le scoutisme, le secourisme, le journalisme, le syndicalisme, l’humanitaire, les activités nautiques, le basket et les arts. Rien de ce qui participe à l’épanouissement de l’être ne lui est étranger. A l’exception toutefois, des chansonniers. Il est difficilement concevable qu’un homme, d’une telle dimension culturelle, par ailleurs habitué de la rue Caulaincourt, tourne le dos à ce qui fait tout à la fois la noblesse, le renom et la notoriété de Pigalle. Il me parait difficile de ne pas souligner cet oubli dans un ouvrage qui consacre une place prépondérante aux arts et à la culture.
Philosophie « sauvage » est une œuvre riche, variée et agréable à lire. Il faut déplorer les nombreuses coquilles qui n’ont pas leurs places dans un ouvrage de cette qualité. Le secret de maitre Cornil est cinq fois attribué à maitre Corneille. Les verbes ceindre et saigner en troquant leur participe présent éclaboussent de vermeil l’écharpe des maires qui n’en demandait pas davantage. C’est à croire que l’éditeur n’a pas de lecteur pour corriger les épreuves.
Philosophie « sauvage » est surtout un hommage appuyé à la tendresse maternelle. Ce que l’auteur appelle tantôt « fil conducteur » tantôt«fil directeur » selon son humeur du jour, nous conduit auprès de Racky Dickel, toujours égale à elle-même, actrice de la cohésion familiale, animatrice et guide d’une fratrie, dont elle a contribué à raffermir les liens de Bamako au Fouta en passant par Dakar. Adaptatrice et vulgarisatrice de contes qu’elle remodèle selon les circonstances ; elle a favorisé l’instauration de soirées récréatives au bénéfice de la progéniture de son Amadou, lequel d’ailleurs, s’inspirera, à son tour des ficelles de la mère-l’oie Racky pour s’imposer conteur en second lorsque cette dernière est indisponible.
Philosophie « sauvage » prône le culte de l’effort, la recherche de la perfection et le sens des responsabilités. C’est un hymne à la gloire de l’amitié, de la fraternité et de la solidarité. C’est la défense de tous les symboles chers à la jeunesse : la joie de vivre, d’apprendre et de former. C’est aussi beaucoup d’humour à travers des situations burlesques.
A Cotonou, la philosophie, « prise de parti », rudement prise à partie, ne trouve aucun congressiste pour la tirer d’affaire. Que faire contre un hold up officiel, un braquage légal, régal du pouvoir régalien ?
La réédition se fera à Kinshasa. A chacun ses moyens. Docteur Antonio disposant de l’éducation pour seule minution, tente d’arraisonner la santé. La tactique d’Abdoulaye Elimane KANE sera payante. Exhibant un carquois rempli de principes concurrents de l’éducation, arpentant le pont de bâbord à tribord, il installe un dispositif de dissuasion. Ici, la réédition finit en reddition sans condition. Ni abordage, ni sabordage. Il est vrai que, dans l’un et l’autre cas, les armes sont inégales.
Attaquez-vous sans plus tarder à cette montagne de papier ; l’ascension sera facilitée par bison futé ou tonton Hibou qui, dédaignant la linéarité, a aménagé des bivouacs, où le soir venu, l’amitié s’en donne à cœur joie. C’est une belle aventure qui n’a rien à envier à d’autres dans tous les domaines visités. Heureux Hibou, « plein d’usage et raison », Ulysse en pâlirait !
( La rédaction... )