Ce Franco-Algérien de 37 ans a provoqué la colère des intégristes en unissant deux femmes.
Il a créé le scandale en Algérie, son pays natal, mais compte bien continuer ses combats. A bientôt 37 ans, Ludovic-Mohamed Zahed se considère comme un «imam sans frontières»: il a célébré cette année en Suède le mariage de deux Iraniennes, dont une est atteinte d’une maladie génétique.
Cette union religieuse, qui venait compléter le mariage civil norvégien des deux femmes, lui a valu d’être menacé par les salafistes algériens, qui ont appelé à le déchoir de sa nationalité, le traitant d’«apostat homosexuel». Malgré les critiques émanant de son pays d’origine, le trentenaire ne regrette nullement son geste: «C’est une super histoire.
Si on avait pu choisir le couple idéal pour être uni par un imam inclusif, on n’aurait pas fait mieux. C’était vraiment une bénédiction», nous raconte-t-il. Il met de côté les critiques et menaces, et relativise: «En Algérie, n’importe quel citoyen qui va réclamer des droits va avoir des problèmes».
Le parcours de Ludovic-Mohamed Zahed n’a pas été simple. Né en Algérie, il a passé une partie de son enfance et son adolescence en France. Très intéressé par la religion, il s’imagine théologien mais, à 17 ans, lorsqu’il découvre qu’il est homosexuel, c’est un choc pour lui: «C’était impossible, à l’époque en tout cas, de m’imaginer en imam homosexuel. Ca m’a pris à peu près dix ans pour revenir vers la spiritualité, vers l’islam à travers le bouddhisme.»
Avant de se revenir à 100% dans la religion, Ludovic-Mohamed s’est tourné vers le monde associatif, tout d’abord concentré sur le Sida, lui-même ayant été contaminé à l’âge de 19 ans. «J’ai fini par mettre à profit cette expérience associative lorsque je me suis remis à la spiritualité en fondant l’association Homosexuels musulmans de France (HM2F), en 2010.» Deux ans plus tard, il ouvre à Paris une «mosquée inclusive», ouverte à tous «peu importe la couleur de peau ou le sexe».
En véhiculant ses messages de tolérance et d’ouverture, «les gens sont venus [lui] demander de faire l’imam»: «Pour les marier, faire la prière pour les morts, donner des fatwa… Je n’ai pas de communauté organisée. J’essaie de réunir les gens et de trouver ce que l’on peut faire ensemble.» Il admet recevoir «quelques insultes, quelques menaces, mais très peu par rapport aux messages d’encouragement et de remerciement».
« EN ALGÉRIE, L’HOMOSEXUALITÉ EST UN TABOU »
Ludovic-Mohamed Zahed, qui a appris le Coran par cœur, assure que l’homosexualité n’est pas interdite par le livre saint de l’islam, et déplore ce tabou qu’est devenue l’homosexualité dans les pays du Maghreb, notamment en Algérie: «Je me suis découvert homosexuel sans savoir ce que c’était. On n’en parlait pas, il n’y avait pas lieu de discuter de sexualité en général. C’est un tabou, mais cela ne veut pas dire que l’homosexualité n’existe pas. Elle n’est pas tolérée, en tout cas dans la sphère publique.»
Désormais marié à un homme, Quiyaam, il vit en Afrique du Sud. Ses parents l’ont accepté: «Ils ont compris que ce n’était pas une maladie et que je ne changerai pas. Ils ont vu que j’étais très malheureux de ne pas pouvoir partager comme mes frères et sœurs», raconte l’homme, titulaire d’un doctorat en anthropologie. Il a passé le dernier ramadan chez ses parents, avec son mari, à Marseille. Ses tantes l’ont accepté, ses oncles l’ont, pour certains, «menacé et répudié». «Je suis l’original de la famille», plaisante-t-il.
Ludovic-Mohamed et son mari Quiyaam, photographiés en novembre 2012.© Christophe Ena/AP/SIPA
Lors du débat sur le mariage pour tous, Ludovic-Mohamed était en première ligne, aux côtés d’autres associations confessionnelles LGBT. «C’était une occasion historique de se débarrasser des discriminations», note-t-il, déplorant le ton qu’a pu prendre le débat chez certains, «que certains homophobes, qui sont une minorité dans la population française, aient saisi l’occasion pour faire passer tout un tas d’idées».
Prochainement, il accueillera en Afrique du Sud d’autres imams qui, comme lui, assument leur homosexualité –notamment l’Américain Daayiee Abdullah. Même si les situations sont différentes dans leurs pays d’origines (Canada, Pakistan, Pays-Bas, Etats-Unis…), il note «sensiblement les même problèmes»: «L’intransigeance d’une partie minoritaire des communautés musulmanes, qui se referment peu à peu sur elles-mêmes car les individus qui les composent se sentent de plus en plus, à juste titre, en danger, victimes de racisme, d’islamophobie…»
En l’Afrique du Sud, un pays qu’il «apprécie particulièrement», il mène une vie plus apaisée, justement sur le plan sociétal: «Cela fait 300 ans que l’islam y est présent, cela pose beaucoup moins de problèmes aux musulmans, ils se questionnent moins sur leur identité. Tout n’est pas rose, il y a notamment beaucoup de communautarisme des suites de l’apartheid, mais la population ne se sent pas menacée par un islam qu’elle connaît.» Epanoui, il compte bien continuer à mener sa vie, loin d’être à contre-Coran.
Il est l’auteur du livre «Le Coran et la Chair», aux éditions Max Milo (mars 2012, 200 pages).
SOURCE PARISMATCH