Après les récentes attaques terroristes sur Bamako,Ouagadougou, Grand Bassam et à la frontière du Niger, il est important de répertorier sommairement les groupes terroristes présents en Afrique de l’Ouest (I), leur affiliation supposée ou réelle á Al Qaeda ou Daesh(2), de scruter le contexte politico sécuritaire sous régional dans lequel sont survenues ces attaques(3) et essayer de comprendre dans quelle mesure le Sénégal est menacé (4).
1 .Le microcosme Djihadiste en Afrique de l’Ouest.
Al Qaeda au Maghreb Islamique. (Aqmi)
Al Qaeda au Maghreb Islamique est l’appellation actuelle du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) né en Algérie en 1998, groupe issu d'une dissidence du Groupe Islamique Armé (GIA). L’objectifd’alors de ce groupe était l’installation d’un état islamique en Algérie.
Si les racines d’Aqmi se trouvent en Algérie, sa zone d'opération actuelle comprend le Sahel dans ses zonesMauritanienne, Malienne et Nigérienne. Il est également présent en Tunisie et en Libye. Le groupe est formellement rattachéà Al Qaeda.
Le Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) devenu Al Mourabitoune.
Né des flancs d’Aqmi en Décembre 2011, le Mujao était dirigé à l’origine par un Mauritanien du nom de Hamada Ould Mohammed Kheirou et se donne pour mission d’instaurer et de propager un Islam Salafiste basé sur la Charia dans toute l’Afrique de l’Ouest.L’un de ses faits d’armes majeur reste l’occupation (avec d’autres groupuscules) du Nord Mali et de Gao en particulier en 2002.En 2013, les "Signataires par le sang», une aile dissidente d’Aqmi amenée par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, responsable des attentats du site gazier de In Amenas en Algérie, intègre le groupe qui devient "Al Mourabitoune" (Les Almoravides). L’objectif déclaré est de “ réaliser l’unité des musulmans du Nil à l’Atlantique “.
Ansar Dine.
Apres avoir vainement tenté de prendre le contrôle du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) un mouvement rebelle séculier dont le but est d’avoir le contrôle exclusif du Nord Mali, Yhad Ag Ghali fonde Ansar Dine en Mars 2012. Les deux mouvements étaient cote à cote lors de de la déroute des forces gouvernementales Maliennes au Nord Mali en 2002, mais avec des objectifs différents.Pendant que le MNLA cherchait à se tailler un territoire autonome sous son contrôle, Ansar Dine se préoccupait d’imposer la Charia d’où la confrontation entre les deux groupes qui aboutit à la victoire de ce dernier avec contrôle des principales villes du Nord Mali dont Tombouctou et Kidal en Janvier 2013.
Le Front de libération du Macina. (FLM)
Le FLM, un autre groupe issu du Mujao/Al Mourabitoune est actif dans le centre du Mali. Il est dirigé par un marabout prêcheur du nom de Hamadoun Kouffa et est majoritairement composé de Peulhs. L’objectif déclaré est le rétablissement de l’Empire du Macina et en même temps la propagation du Salafisme au Sud du Mali. Le groupe se fait connaitre en 2015 par l’attaque de Nampala le 5 Janvier et celle de Tenenkou le 16 Janvier.
Boko Haram ou Etat Islamique en Afrique de l’Ouest
Fonde en 2002 par Mohamed Yusuf à Maiduguri au Nord Nigeria, Boko haram est un mouvement d’obédience Salafiste Djihadiste en quête à la fois d’un califat et d’une application intégrale de la Charia. Apres avoir revendiqué une affiliation aux Talibans Afghans et à Al-Qaïda, le groupe prête allégeance à Daesh en Mars 2015 et devient Etat Islamique pour l’Afrique de l’ouest. Daesh considère la zone d’opérations de l’ex Boko Haram comme une province et la dénomme :”Wilayat al Sudan-Gharbi”.
2/ Affiliations déclarées ou induites.
Ainsi donc, et à l’exception de l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest ex Boko Haram, on se trouve en présence de groupuscules presque tous issus d’un moule originel (en l’occurrence Aqmi) né en Algérie avec à l’époque, des objectifs limités à L’Algérie. Au fil du temps, des intérêts et ingérences de pays de la sous-région et de grandes puissances on en est arrivé à une situation de composition- recomposition de ces groupes avec des objectifs qui se chevauchent et/ou s’excluent faisant du nord Mali un lieu d’incubation et d’épanouissement du Djihadisme qu’il soit d’obédience Daesh ou Al Qaeda.
Il faut bien comprendre la différence entre Daesh et Al quaida avant de classer les mouvements précités comme étant sous obédience de l’un ou de l’autre.
Al Qaida s’efforce d’exporter et de disséminer ses attaques partout dans le monde pour disperser et affaiblir l’adversaire avant d’instaurer une base territoriale, un califat,ce qui pose une menace globale commune à pratiquement tous les pays.
Par contre, Daesh veut son califat, sa base territoriale avant de lancer son Jihad global. Dans le premier cas, la lutte, la subversion et la propagande globalisées précèdent l’établissement de l’état, dans le deuxième cas, les mêmes éléments sont mis en avant mais de façons localisées de manière à établir un état Islamiquehic et nunc. Certains experts y voient des stratégies qui rappellent Che Guevara pour Al Qaida et Staline en ce qui concerne Daesh.
Al Qaida entretient ainsi une menace mondiale et globale et peut frapper partout où se trouvent ses cellules, tandis que Daesh a des visées territoriales immédiates et par conséquent reste actif dans une zone géographique déterminée de préférence celles plus vulnérables avec cependant une possibilité de projection sur une autre aire géographique en général à titre de représailles(une « hot pursuit » qui ne dit pas son nom) ou sous forme de repli stratégique comme c’est le cas en Lybie.
En réalité, le clivage entre visées territoriales et prosélytisme salafiste violent n’est que factice. Al Qaeda, Daesh et leurs satellites ont pour fonds de commerce commun leurs repères idéologiques et des modus operandi similaires et interchangeables á bien des égards. Seules les approches diffèrent et en fin de compte il est très probable que Daesh finisse par recourir à la même stratégie qu’Al Qaeda sous la pression de la force de frappe de l’Occident.
Dès lors, et en prenant en compte les objectifs déclarés des uns et des autres,on peut percevoir la classification qui suit.
a/Boko Haram et le FLM,émules de Daesh
La conquête territoriale prônée par le FLM visant la restauration de l’ancien Empire Peulh du Macina s’apparente aux objectifs de Daesh qui prône la création d’un Califat. Il faut noter que le FLM est essentiellement composé de Peulhs et la seule relation que l’on peut faire avec le Sénégal et le reste de la sous –région demeure l’existence d’une forte communauté peulh disséminée au Sénégal (Fuuta Toro), en Guinée(Fuuta Djalon) et dans les autres pays d’Afrique en général , tous partageant une forte identité de groupe qui , couplée à une revendication territoriale et/ou religieuse peut faire le lit du terrorisme dans une ceinture allant du Sénégal au Soudan et certainement bien au-delà. Si pour ce groupe cette éventualité reste a priori dans le domaine de la construction théorique, pour l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest ex Boko Haram, l’enjeu est clair et demeure l’établissement d’un califat en Afrique de l’ouest d’où l’internationalisation de ses attaques qui suivent le tracé des frontières avec les pays voisins du Nigeria dont Cameroun, le Tchad le Niger et peut être bientôt d’autres pays.
b/Aqmi, AlMourabitoun et Ansar dine, satellites d’Al Qaeda.
Aqmi est l’agrégat de plusieurs mouvements islamistes Maghrébins qui, vers les années 2000 se sont déportés au Sud Algérien et au Nord Mali sous la pression de l’Armée Algérienne. Dirigé alors par Abdel Malik Drugdel, le groupe prête allégeance á Al Qaeda. Il est composé de cellules semi autonomesá l’image de la maison mère (Al Qaeda) où rien ou presque n’est centralisé. Très vite des dissensions internes apparaissent et Moktar Bel Moktar et son groupe (les signataires du sang) s’allient au Mujao pour créer Al Mourabitoune. Il s’autoproclamera ensuite Emir de “Al Qaeda en Afrique de l’Ouest”
C/Ansar- al-Dine.
Fondé par Yyad Ag Ghali,un Touareg qui a longtemps travaillé avec le Gouvernement Malien, Ansar Dine est compose de Touaregs Ifoghas, d’arabes berbères et d’autres groupes ethniques tous Maliens qui militent pour l’implantation de la Sharia au Mali et à travers le monde sans pour autant admettre une quelconque affiliation à Al Qaeda.En principe, le groupe évite de verser du sang malien pour ne pas donner au gouvernement Malien un prétexte pour délégitimer son combat.
Au total, on est en présence d’un magma d’instabilitéchronique au Mali avec unemosaïque de groupes salafistes, ethnicistes et séculiersdont les ramifications en Afrique de l’ouest pourraientépouser les vulnérabilités politiques, économiques et sociales de la sous-région.
3/ Le contexte politico-sécuritaire Ouest Africain.
La sous–région est caractérisée par une situation politique et sécuritaire fragile avec des tensions liées à une situation économique difficile, à la menace terroriste, à la criminalité organisée et transfrontalière, l’épidémie Ebola et aux problèmes politiques généralement liés aux modes de conquête et de conservation du pouvoir.
Sur le plan politique, on peut noter la récente crise d’octobre 2014 au Burkina Faso et ses soubresauts toujours d’actualité, l’attaque du Palais présidentiel en Gambie le 30 Décembre 2014 visant à renverser le Président Jammeh au pouvoir depuis 20 ans et qui a récemment manifesté des velléités d’instauration d’une République Islamique les frictions entre opposition et pouvoir au Niger sous fond d’attaques terroristes avec la proximité du Mali, de la Lybie et du Nigeria. En plus de l’insécurité prévalant au Nord Nigeria du fait de Boko Haram qui commence à impacter l’Afrique centrale, il faut noter les tensions sécuritaires persistantes en Côte-D’Ivoire avec des attaques récurrentes à la frontière Libérienne et la présence signalée d’Ansar Dineá sa frontière avec le Mali prélude aux récentes attaques sur Grand Bassam. La piraterie maritime au large du golfe de Guinée constitue un autre point de préoccupation sécuritaire. Le Liberia et la Sierra Leone tombent de Charybde en Scylla en passant d’une effroyable guerre civile à une épidémie d’Ebola dont l’impact sur l’économie locale persiste tandis que le Mali continue à s’embourber du fait d’une kyrielle de mouvements rebelles soit djihadistes, séculiers ou tout simplement ethniques avec des effets contaminateurs sur les pays limitrophes que sont , Le Burkina Faso , la Mauritanie et le Niger.
La Guinée Bissau jusqu’à très récemment estampillée narco-état avec une instabilité politique chronique, reste avec le Mali un déversoir de drogue sur la Guinée et le Sénégal avec son corollaire de blanchissement d’argent sale .Pendant que le Togo reste a priori stable avec un régime qui dure depuis 1967 , le Benin membre de la coalition militaire contre Boko-Haram n’est pas à l’abri de représailles. En fait la menace reste évidente pour toute l’Afrique de l’ouest et le seul verrou qui en empêche la progression territoriale demeure l’action conjuguée de l’Opération Barkhane, de Frontex dans sa nouvelle version, de la Minusma et la posture préventive de nos forces de défenses et de sécurité en ce qui concerne le Sénégal.
4/ Le cas du Sénégal
La porosité des frontières, la proximité du Mali et de la Mauritanie déjà en proie au terrorisme, les échanges religieux et économiques dans la sous-région sont autant de facteurs qui peuvent faciliter la pénétration des réseaux terroristes dans le pays. Dès lors, la menace transcende le scenario d’une progression militaire similaire à celle qui a abouti à la prise momentanée du Nord Mali par les Djihadistes. La propagation du fléau se fait aussi par les esprits, l’exportation des idées djihadistes empruntant autant les chemins des hommes que les boulevards virtuels des nouvelles technologies de l’information.
La menace globale apanage du Salafisme djihadiste.
Pour les Djihadistes Salafistes et leurs mentors les cibles sont toutes trouvées: l’Islam confrérique qualifie “d’idolâtre”, les intérêts juifs et occidentaux. En réalité, dans la hiérarchie des cibles terroristes potentielles au Sénégal,figurent en première place tous les symboles de l’Occident, de la France en particulier, les établissements recevant en majorité des expatriés occidentaux et les bureaux des Nations Unies.Dans ce cadre, le Sénégal est logé à la même enseigne que tous les autres pays et reste une cible par destination, les intérêts et symboles visés étant par essence étrangers même si une attaque éventuelle produirait des dommages collatéraux affectant le pays dans son image et son économie . Pour les Djihadistes, une attaque sur le Sénégal en tant qu’état n’a pas de valeur médiatique ou symbolique comme le serait une attaque en Occident. Le choix des cibles terroristes ne se fait pas au hasard, celles-ci sont sélectionnées parce qu’elles sont exposées, vulnérables, destructibles en général; occupées et légitimes du point de vue des terroristes, vitales et symboliques pour le pays visé. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre tous les programmes de coopération militaires ou de Police conduits par des pays comme la France et les Etats-Unis. Il s’agit d’un simple échange de bons procédés pour se sécuriser mutuellement au-delà des apports de capacitance à l’endroit de nos Forces de Défense et de Sécurité. Le PACT (sigle assez évocateur au demeurant) entre la France et le Sénégal et les manœuvres Américano -Sénégalaises Flintlock et Tonnerre du Nord avec l’Arabie Saoudite sont à ranger dans ce domaine.
Le Sénégal n’est pas non plus à l’abri d’une attaque en représailles à sa présence dans les théâtres d’opérations militaires extérieurs ou sont impliqués des groupes terroristes. Il peut aussi l’être en relation avec ses prises de position internationales. A cet égard, si le Sénégal ne peut faire l’économie d’une présence au Mali pour des raisons géostratégiques évidentes, impliquer les « Jambars » dans le conflit Yéménite ne me semble ni opportun, ni nécessaire. Ceci serait plutôt porteur d’une menace supplémentaire. La guerre de leadership entre l’Iran et L’Arabie Saoudite sous-bassement de ce conflit dans cette région doit pouvoir trouver une solution dans un cadre diplomatique multilatéral avec l’OCI comme tête de pont.
Une menace intra- muros ou sénégalo-sénégalaise ?
S’il est constant que des Djihadistes Sénégalais sont présents au Mali comme ils le sont en Lybie et avec Boko Haram, il est difficile de savoir combien ils sont .Un retour au pays de ces éléments n’est pas à exclure d’autant plus que la pression militaire internationale s’accentue sur Daesh du fait des enjeux économiques et stratégiques énormes en jeu, la Lybie étant aux portes de l’Europe et de l’Otan. Les Etats –Unis viennent de donner le signal de départ de cette pression en bombardant le 19 Février une base de Daesh à Sabratha á une centaine de kilomètres de la frontière Tunisienne.
Au niveau interne, les arrestations de présumés terroristes qui continuent, constituent un indicateur solide de l’existence de cellules dormantes liées au Salafisme djihadiste mondial.
Sur le plan politique, il faut se rappeler que le Sénégal a connu des années de plomb en termes de violence après les élections de 1988 avec des actes que l’on peut qualifier de terroristes. On peut citer pêle-mêle le plasticage d’un véhicule de l’Administration (12977SO) devant le Commissariat de Police de Dieuppeul le 8 Décembre 1988, la destruction par explosif d’une conduite d’eau a Dalifort le 14 Mars 1988 (j’ai fait le constat de cet incident moi-même en qualité de Commissaire de Police de Pikine en compagnie du Ministre de l’intérieur de l’époque Mr Andre Sonko) Le 8 Mai de la même année , une autre voiture a été détruite à l’explosif á Gueule- Tapée.A l’époque, plusieurs de ces attentats avaient été revendiqué par un groupe dénommé «Mouvement de résistance du 29 Février » .On peut aussi mentionner l’assassinat du Juge Babacar Seye alors Vice-Président du Conseil Constitutionnel en 1993. Parallèlement à cette violence planifiée et organisée,qui rappelle les modus operandi des mouvements terroristes occidentaux d’extrême Gauche et de Droite des années 70 tels que les Brigades Rouges, et la Bande à Baader, il faut mentionner l’assassinat de policiers en Février 1994 lors d’un meeting de l’opposition politique élargi à une organisation religieuse islamique.
De nos jours, il y a lieu de se poser la question de savoir si les miasmes de la politique politicienne qui polluent actuellement le Sénégal sont de nature à réveiller ces vieux démons, les acteurs du landerneau politique n’ayant fondamentalement pas changés depuis cette époque. Il faudrait aussi se préoccuper de ce que la violence verbale qui caractérise actuellement le débat politique proposé au Sénégalais et qui atteint son paroxysme durant la récente campagne référendaire, ne glisse point vers une violence physique organisée du genre des années 80 et 90. Dans le même ordre d’idées, l’irruption dans l’espace politique sénégalais et á sa périphérie de plusieurs pôles religieux (dont certains peuvent se muer en milice si l’état n’y prend garde), pourrait servir de Cheval de Troie à une immixtion insidieuse et progressive de courants salafistes dans le champ politique avec à terme,une capacité de nuisance réelle.
Au total, le Sénégal n’est pas plus menacé qu’un autre pays, il n’est pas non plus, plus à l’abri que les autres.La survenance d’un attentat terroriste au Sénégal reste fonction d’une jonction opportune de déterminants objectifs extérieurs et intérieurs.
En conséquence, et dans une logique d’anticipation, il appartient aux services des Renseignements et aux experts du Contre- terrorisme d’identifier ou de décrypter à temps les signes avant- coureurs et les éléments déclencheurs d’une éventuelle attaque, les neutraliser ensuite pour ainsi résoudre l’équation du qui, quand, comment et où de cette éventualité.Une réaction a posteriori équivaudrait à un simple constat de médecin après la mort ou plus militairement á du « damage control ».
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Mamadou Diouf.
Expert Conseiller en Sécurité aux Nations Unies/RCA.
Diplômé d’études supérieures sur le Terrorisme.
Université St Andrews (Centre d’études sur le terrorisme et la violence politique) Royaume Uni.
Diouf1@un.org
1 .Le microcosme Djihadiste en Afrique de l’Ouest.
Al Qaeda au Maghreb Islamique. (Aqmi)
Al Qaeda au Maghreb Islamique est l’appellation actuelle du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) né en Algérie en 1998, groupe issu d'une dissidence du Groupe Islamique Armé (GIA). L’objectifd’alors de ce groupe était l’installation d’un état islamique en Algérie.
Si les racines d’Aqmi se trouvent en Algérie, sa zone d'opération actuelle comprend le Sahel dans ses zonesMauritanienne, Malienne et Nigérienne. Il est également présent en Tunisie et en Libye. Le groupe est formellement rattachéà Al Qaeda.
Le Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) devenu Al Mourabitoune.
Né des flancs d’Aqmi en Décembre 2011, le Mujao était dirigé à l’origine par un Mauritanien du nom de Hamada Ould Mohammed Kheirou et se donne pour mission d’instaurer et de propager un Islam Salafiste basé sur la Charia dans toute l’Afrique de l’Ouest.L’un de ses faits d’armes majeur reste l’occupation (avec d’autres groupuscules) du Nord Mali et de Gao en particulier en 2002.En 2013, les "Signataires par le sang», une aile dissidente d’Aqmi amenée par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, responsable des attentats du site gazier de In Amenas en Algérie, intègre le groupe qui devient "Al Mourabitoune" (Les Almoravides). L’objectif déclaré est de “ réaliser l’unité des musulmans du Nil à l’Atlantique “.
Ansar Dine.
Apres avoir vainement tenté de prendre le contrôle du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) un mouvement rebelle séculier dont le but est d’avoir le contrôle exclusif du Nord Mali, Yhad Ag Ghali fonde Ansar Dine en Mars 2012. Les deux mouvements étaient cote à cote lors de de la déroute des forces gouvernementales Maliennes au Nord Mali en 2002, mais avec des objectifs différents.Pendant que le MNLA cherchait à se tailler un territoire autonome sous son contrôle, Ansar Dine se préoccupait d’imposer la Charia d’où la confrontation entre les deux groupes qui aboutit à la victoire de ce dernier avec contrôle des principales villes du Nord Mali dont Tombouctou et Kidal en Janvier 2013.
Le Front de libération du Macina. (FLM)
Le FLM, un autre groupe issu du Mujao/Al Mourabitoune est actif dans le centre du Mali. Il est dirigé par un marabout prêcheur du nom de Hamadoun Kouffa et est majoritairement composé de Peulhs. L’objectif déclaré est le rétablissement de l’Empire du Macina et en même temps la propagation du Salafisme au Sud du Mali. Le groupe se fait connaitre en 2015 par l’attaque de Nampala le 5 Janvier et celle de Tenenkou le 16 Janvier.
Boko Haram ou Etat Islamique en Afrique de l’Ouest
Fonde en 2002 par Mohamed Yusuf à Maiduguri au Nord Nigeria, Boko haram est un mouvement d’obédience Salafiste Djihadiste en quête à la fois d’un califat et d’une application intégrale de la Charia. Apres avoir revendiqué une affiliation aux Talibans Afghans et à Al-Qaïda, le groupe prête allégeance à Daesh en Mars 2015 et devient Etat Islamique pour l’Afrique de l’ouest. Daesh considère la zone d’opérations de l’ex Boko Haram comme une province et la dénomme :”Wilayat al Sudan-Gharbi”.
2/ Affiliations déclarées ou induites.
Ainsi donc, et à l’exception de l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest ex Boko Haram, on se trouve en présence de groupuscules presque tous issus d’un moule originel (en l’occurrence Aqmi) né en Algérie avec à l’époque, des objectifs limités à L’Algérie. Au fil du temps, des intérêts et ingérences de pays de la sous-région et de grandes puissances on en est arrivé à une situation de composition- recomposition de ces groupes avec des objectifs qui se chevauchent et/ou s’excluent faisant du nord Mali un lieu d’incubation et d’épanouissement du Djihadisme qu’il soit d’obédience Daesh ou Al Qaeda.
Il faut bien comprendre la différence entre Daesh et Al quaida avant de classer les mouvements précités comme étant sous obédience de l’un ou de l’autre.
Al Qaida s’efforce d’exporter et de disséminer ses attaques partout dans le monde pour disperser et affaiblir l’adversaire avant d’instaurer une base territoriale, un califat,ce qui pose une menace globale commune à pratiquement tous les pays.
Par contre, Daesh veut son califat, sa base territoriale avant de lancer son Jihad global. Dans le premier cas, la lutte, la subversion et la propagande globalisées précèdent l’établissement de l’état, dans le deuxième cas, les mêmes éléments sont mis en avant mais de façons localisées de manière à établir un état Islamiquehic et nunc. Certains experts y voient des stratégies qui rappellent Che Guevara pour Al Qaida et Staline en ce qui concerne Daesh.
Al Qaida entretient ainsi une menace mondiale et globale et peut frapper partout où se trouvent ses cellules, tandis que Daesh a des visées territoriales immédiates et par conséquent reste actif dans une zone géographique déterminée de préférence celles plus vulnérables avec cependant une possibilité de projection sur une autre aire géographique en général à titre de représailles(une « hot pursuit » qui ne dit pas son nom) ou sous forme de repli stratégique comme c’est le cas en Lybie.
En réalité, le clivage entre visées territoriales et prosélytisme salafiste violent n’est que factice. Al Qaeda, Daesh et leurs satellites ont pour fonds de commerce commun leurs repères idéologiques et des modus operandi similaires et interchangeables á bien des égards. Seules les approches diffèrent et en fin de compte il est très probable que Daesh finisse par recourir à la même stratégie qu’Al Qaeda sous la pression de la force de frappe de l’Occident.
Dès lors, et en prenant en compte les objectifs déclarés des uns et des autres,on peut percevoir la classification qui suit.
a/Boko Haram et le FLM,émules de Daesh
La conquête territoriale prônée par le FLM visant la restauration de l’ancien Empire Peulh du Macina s’apparente aux objectifs de Daesh qui prône la création d’un Califat. Il faut noter que le FLM est essentiellement composé de Peulhs et la seule relation que l’on peut faire avec le Sénégal et le reste de la sous –région demeure l’existence d’une forte communauté peulh disséminée au Sénégal (Fuuta Toro), en Guinée(Fuuta Djalon) et dans les autres pays d’Afrique en général , tous partageant une forte identité de groupe qui , couplée à une revendication territoriale et/ou religieuse peut faire le lit du terrorisme dans une ceinture allant du Sénégal au Soudan et certainement bien au-delà. Si pour ce groupe cette éventualité reste a priori dans le domaine de la construction théorique, pour l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest ex Boko Haram, l’enjeu est clair et demeure l’établissement d’un califat en Afrique de l’ouest d’où l’internationalisation de ses attaques qui suivent le tracé des frontières avec les pays voisins du Nigeria dont Cameroun, le Tchad le Niger et peut être bientôt d’autres pays.
b/Aqmi, AlMourabitoun et Ansar dine, satellites d’Al Qaeda.
Aqmi est l’agrégat de plusieurs mouvements islamistes Maghrébins qui, vers les années 2000 se sont déportés au Sud Algérien et au Nord Mali sous la pression de l’Armée Algérienne. Dirigé alors par Abdel Malik Drugdel, le groupe prête allégeance á Al Qaeda. Il est composé de cellules semi autonomesá l’image de la maison mère (Al Qaeda) où rien ou presque n’est centralisé. Très vite des dissensions internes apparaissent et Moktar Bel Moktar et son groupe (les signataires du sang) s’allient au Mujao pour créer Al Mourabitoune. Il s’autoproclamera ensuite Emir de “Al Qaeda en Afrique de l’Ouest”
C/Ansar- al-Dine.
Fondé par Yyad Ag Ghali,un Touareg qui a longtemps travaillé avec le Gouvernement Malien, Ansar Dine est compose de Touaregs Ifoghas, d’arabes berbères et d’autres groupes ethniques tous Maliens qui militent pour l’implantation de la Sharia au Mali et à travers le monde sans pour autant admettre une quelconque affiliation à Al Qaeda.En principe, le groupe évite de verser du sang malien pour ne pas donner au gouvernement Malien un prétexte pour délégitimer son combat.
Au total, on est en présence d’un magma d’instabilitéchronique au Mali avec unemosaïque de groupes salafistes, ethnicistes et séculiersdont les ramifications en Afrique de l’ouest pourraientépouser les vulnérabilités politiques, économiques et sociales de la sous-région.
3/ Le contexte politico-sécuritaire Ouest Africain.
La sous–région est caractérisée par une situation politique et sécuritaire fragile avec des tensions liées à une situation économique difficile, à la menace terroriste, à la criminalité organisée et transfrontalière, l’épidémie Ebola et aux problèmes politiques généralement liés aux modes de conquête et de conservation du pouvoir.
Sur le plan politique, on peut noter la récente crise d’octobre 2014 au Burkina Faso et ses soubresauts toujours d’actualité, l’attaque du Palais présidentiel en Gambie le 30 Décembre 2014 visant à renverser le Président Jammeh au pouvoir depuis 20 ans et qui a récemment manifesté des velléités d’instauration d’une République Islamique les frictions entre opposition et pouvoir au Niger sous fond d’attaques terroristes avec la proximité du Mali, de la Lybie et du Nigeria. En plus de l’insécurité prévalant au Nord Nigeria du fait de Boko Haram qui commence à impacter l’Afrique centrale, il faut noter les tensions sécuritaires persistantes en Côte-D’Ivoire avec des attaques récurrentes à la frontière Libérienne et la présence signalée d’Ansar Dineá sa frontière avec le Mali prélude aux récentes attaques sur Grand Bassam. La piraterie maritime au large du golfe de Guinée constitue un autre point de préoccupation sécuritaire. Le Liberia et la Sierra Leone tombent de Charybde en Scylla en passant d’une effroyable guerre civile à une épidémie d’Ebola dont l’impact sur l’économie locale persiste tandis que le Mali continue à s’embourber du fait d’une kyrielle de mouvements rebelles soit djihadistes, séculiers ou tout simplement ethniques avec des effets contaminateurs sur les pays limitrophes que sont , Le Burkina Faso , la Mauritanie et le Niger.
La Guinée Bissau jusqu’à très récemment estampillée narco-état avec une instabilité politique chronique, reste avec le Mali un déversoir de drogue sur la Guinée et le Sénégal avec son corollaire de blanchissement d’argent sale .Pendant que le Togo reste a priori stable avec un régime qui dure depuis 1967 , le Benin membre de la coalition militaire contre Boko-Haram n’est pas à l’abri de représailles. En fait la menace reste évidente pour toute l’Afrique de l’ouest et le seul verrou qui en empêche la progression territoriale demeure l’action conjuguée de l’Opération Barkhane, de Frontex dans sa nouvelle version, de la Minusma et la posture préventive de nos forces de défenses et de sécurité en ce qui concerne le Sénégal.
4/ Le cas du Sénégal
La porosité des frontières, la proximité du Mali et de la Mauritanie déjà en proie au terrorisme, les échanges religieux et économiques dans la sous-région sont autant de facteurs qui peuvent faciliter la pénétration des réseaux terroristes dans le pays. Dès lors, la menace transcende le scenario d’une progression militaire similaire à celle qui a abouti à la prise momentanée du Nord Mali par les Djihadistes. La propagation du fléau se fait aussi par les esprits, l’exportation des idées djihadistes empruntant autant les chemins des hommes que les boulevards virtuels des nouvelles technologies de l’information.
La menace globale apanage du Salafisme djihadiste.
Pour les Djihadistes Salafistes et leurs mentors les cibles sont toutes trouvées: l’Islam confrérique qualifie “d’idolâtre”, les intérêts juifs et occidentaux. En réalité, dans la hiérarchie des cibles terroristes potentielles au Sénégal,figurent en première place tous les symboles de l’Occident, de la France en particulier, les établissements recevant en majorité des expatriés occidentaux et les bureaux des Nations Unies.Dans ce cadre, le Sénégal est logé à la même enseigne que tous les autres pays et reste une cible par destination, les intérêts et symboles visés étant par essence étrangers même si une attaque éventuelle produirait des dommages collatéraux affectant le pays dans son image et son économie . Pour les Djihadistes, une attaque sur le Sénégal en tant qu’état n’a pas de valeur médiatique ou symbolique comme le serait une attaque en Occident. Le choix des cibles terroristes ne se fait pas au hasard, celles-ci sont sélectionnées parce qu’elles sont exposées, vulnérables, destructibles en général; occupées et légitimes du point de vue des terroristes, vitales et symboliques pour le pays visé. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre tous les programmes de coopération militaires ou de Police conduits par des pays comme la France et les Etats-Unis. Il s’agit d’un simple échange de bons procédés pour se sécuriser mutuellement au-delà des apports de capacitance à l’endroit de nos Forces de Défense et de Sécurité. Le PACT (sigle assez évocateur au demeurant) entre la France et le Sénégal et les manœuvres Américano -Sénégalaises Flintlock et Tonnerre du Nord avec l’Arabie Saoudite sont à ranger dans ce domaine.
Le Sénégal n’est pas non plus à l’abri d’une attaque en représailles à sa présence dans les théâtres d’opérations militaires extérieurs ou sont impliqués des groupes terroristes. Il peut aussi l’être en relation avec ses prises de position internationales. A cet égard, si le Sénégal ne peut faire l’économie d’une présence au Mali pour des raisons géostratégiques évidentes, impliquer les « Jambars » dans le conflit Yéménite ne me semble ni opportun, ni nécessaire. Ceci serait plutôt porteur d’une menace supplémentaire. La guerre de leadership entre l’Iran et L’Arabie Saoudite sous-bassement de ce conflit dans cette région doit pouvoir trouver une solution dans un cadre diplomatique multilatéral avec l’OCI comme tête de pont.
Une menace intra- muros ou sénégalo-sénégalaise ?
S’il est constant que des Djihadistes Sénégalais sont présents au Mali comme ils le sont en Lybie et avec Boko Haram, il est difficile de savoir combien ils sont .Un retour au pays de ces éléments n’est pas à exclure d’autant plus que la pression militaire internationale s’accentue sur Daesh du fait des enjeux économiques et stratégiques énormes en jeu, la Lybie étant aux portes de l’Europe et de l’Otan. Les Etats –Unis viennent de donner le signal de départ de cette pression en bombardant le 19 Février une base de Daesh à Sabratha á une centaine de kilomètres de la frontière Tunisienne.
Au niveau interne, les arrestations de présumés terroristes qui continuent, constituent un indicateur solide de l’existence de cellules dormantes liées au Salafisme djihadiste mondial.
Sur le plan politique, il faut se rappeler que le Sénégal a connu des années de plomb en termes de violence après les élections de 1988 avec des actes que l’on peut qualifier de terroristes. On peut citer pêle-mêle le plasticage d’un véhicule de l’Administration (12977SO) devant le Commissariat de Police de Dieuppeul le 8 Décembre 1988, la destruction par explosif d’une conduite d’eau a Dalifort le 14 Mars 1988 (j’ai fait le constat de cet incident moi-même en qualité de Commissaire de Police de Pikine en compagnie du Ministre de l’intérieur de l’époque Mr Andre Sonko) Le 8 Mai de la même année , une autre voiture a été détruite à l’explosif á Gueule- Tapée.A l’époque, plusieurs de ces attentats avaient été revendiqué par un groupe dénommé «Mouvement de résistance du 29 Février » .On peut aussi mentionner l’assassinat du Juge Babacar Seye alors Vice-Président du Conseil Constitutionnel en 1993. Parallèlement à cette violence planifiée et organisée,qui rappelle les modus operandi des mouvements terroristes occidentaux d’extrême Gauche et de Droite des années 70 tels que les Brigades Rouges, et la Bande à Baader, il faut mentionner l’assassinat de policiers en Février 1994 lors d’un meeting de l’opposition politique élargi à une organisation religieuse islamique.
De nos jours, il y a lieu de se poser la question de savoir si les miasmes de la politique politicienne qui polluent actuellement le Sénégal sont de nature à réveiller ces vieux démons, les acteurs du landerneau politique n’ayant fondamentalement pas changés depuis cette époque. Il faudrait aussi se préoccuper de ce que la violence verbale qui caractérise actuellement le débat politique proposé au Sénégalais et qui atteint son paroxysme durant la récente campagne référendaire, ne glisse point vers une violence physique organisée du genre des années 80 et 90. Dans le même ordre d’idées, l’irruption dans l’espace politique sénégalais et á sa périphérie de plusieurs pôles religieux (dont certains peuvent se muer en milice si l’état n’y prend garde), pourrait servir de Cheval de Troie à une immixtion insidieuse et progressive de courants salafistes dans le champ politique avec à terme,une capacité de nuisance réelle.
Au total, le Sénégal n’est pas plus menacé qu’un autre pays, il n’est pas non plus, plus à l’abri que les autres.La survenance d’un attentat terroriste au Sénégal reste fonction d’une jonction opportune de déterminants objectifs extérieurs et intérieurs.
En conséquence, et dans une logique d’anticipation, il appartient aux services des Renseignements et aux experts du Contre- terrorisme d’identifier ou de décrypter à temps les signes avant- coureurs et les éléments déclencheurs d’une éventuelle attaque, les neutraliser ensuite pour ainsi résoudre l’équation du qui, quand, comment et où de cette éventualité.Une réaction a posteriori équivaudrait à un simple constat de médecin après la mort ou plus militairement á du « damage control ».
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Mamadou Diouf.
Expert Conseiller en Sécurité aux Nations Unies/RCA.
Diplômé d’études supérieures sur le Terrorisme.
Université St Andrews (Centre d’études sur le terrorisme et la violence politique) Royaume Uni.
Diouf1@un.org