Menaces de la grippe aviaire sur la volaille : Les producteurs avicoles, la peur au ventre, craignent le pire


Rédigé le Jeudi 30 Mars 2023 à 15:05 | Lu 104 fois | 2 commentaire(s)




Les mots sont lâchés. La douleur intense au cœur. «Je suis complètement ruiné. J’ai tout perdu aujourd’hui», s’apitoie Ass Diobé Sylla, producteur avicole, propriétaire d’une ferme sise à Potou, dans la région de Louga. Lui qui avait investi une cinquantaine de millions FCfa dans le secteur de la volaille en perspective de la campagne pour la fête de Korité, ne vendra malheureusement pas un seul poulet, une épidémie de grippe aviaire s’étant déclarée dans sa ferme où il élevait 11 400 sujets. Conformément au protocole édicté par l’Organisation mondiale de la santé animale, ses nombreux poulets ont été abattus sur place, puis ensevelis dans un trou de 3 mètres couvert de chaux vive.

Cette perte énorme qu’il a subie, n’a pas laissé indifférents ses camarades producteurs avicoles. Ces derniers, depuis qu’ils ont appris que cette maladie mortelle a décimé une ferme sise à Potou, ont la peur au ventre. Craignant le pire, déboussolés, ils vivent une inquiétude sans commune mesure. Dr. Mamadou Bâ, vétérinaire de formation par ailleurs Secrétaire général de l’Interprofession avicole du Sénégal (Ipas), vit lui aussi ces mêmes sentiments :

« Après qu’on a détecté un foyer dans une ferme de Potou, c’est normal que les acteurs restent inquiets, car ils avaient tous mis en place des lots pour la Korité. Ils avaient investi des sommes colossales et espéraient un retour sur investissement. Donc, si la grippe aviaire décime leurs sujets, ils subiront une perte énorme. Cela peut susciter une inquiétude auprès d’eux et de ce fait, ils pourraient hésiter à remettre de nouveaux lots. C’est compréhensible. Seulement, il faut préciser que la maladie a fait son apparition en 2005 en Asie, le Sénégal avait pris les dispositions en interdisant toutes les importations des cuisses de poulets, du matériel avicole déjà utilisé…

Cette option a porté ses fruits, car la filière avait connu un développement fulgurant en l’espace de quelques années. N’empêche, l’Etat du Sénégal, les techniciens avicoles et les partenaires, ont pris des mesures pour préserver le pays de la maladie. Donc de 2005 à nos jours, presque près de 20 ans, les dispositifs ont bien fonctionné. Les services du ministère de l’Elevage continuaient de veiller au grain. Ils surveillaient toutes les importations sur tout le territoire national avec la collaboration des techniciens vétérinaires qui encadrent les éleveurs, lesquels remontent tout cas suspect. Une équipe pluridisciplinaire composée du parc national et du ministère de l’Elevage examinent les risques. Un premier foyer a été signalé en 2022 et nous l’avons circonscrit. Ce même dispositif a été installé cette année, c’est pourquoi nous étions en alerte quand un cas nous a été signalé à Potou. Toutes les dispositions ont été prises pour que la grippe aviaire ne se propage pas
», confie Dr. Bâ.

«La menace est réelle, je crains que ma ferme soit contaminée»

Ahmedou Mouctar Mbodj, Président de l’Ipas, trouve lui aussi normale l’inquiétude de ses camarades, après que la grippe aviaire a commencé à frapper à leurs portes. «La couche est hautement pathogène. Rien ne nous dit que les oiseaux migrateurs qui ont contaminé la ferme de Potou, nous épargnera. C’est normal que nous vivions sous la hantise d’une attaque de la grippe aviaire. Même si nos autorités ont pour le moment, circonscrit la maladie, nous ne sommes pas totalement rassurés. Nous avons déjà investi des millions pour espérer vendre durant la fête de la Korité», signale M. Mbodj.

Parlant sous le couvert de l’anonymat, un autre producteur avicole proteste amèrement. «La menace est réelle. Nous risquons tous d’être traînés en justice par nos banques. Je ne peux plus dormir car je crains que ma ferme soit contaminée. J’ai investi plus de 40 millions FCfa. Depuis des années, nous luttons contre le H9. De décembre à février, elle nous a causé beaucoup de pertes. Le H5, plus mortelle, est venue pour nous achever parce que nous avons déjà mis en place des bandes de poussins pour la Korité. Dès que la maladie touche nos sujets, nous sommes foutus», indique notre interlocuteur.

Risques de rareté de poulets pour la Korité

Beaucoup de producteurs avicoles sont très pessimistes. Ils craignent que le poulet soit introuvable durant la fête de la Korité. «Je doute que le poulet se fasse rare pour cette korité, parce que le H9 avait touché certains producteurs qui se sont retrouvés avec des sujets morts. Cela a installé une peur chez eux. C’est pourquoi ils ne voulaient pas prendre le risque d’investir. Quand le H5 a commencé à faire des ravages à Potou, certains n’ont pas voulu prendre le risque d’investir à nouveau. Moi-même, j’ai revu à la baisse mon investissement. Seulement, les 3 abattoirs nous imposent leur diktat. Ce sont eux qui fixent leurs prix, alors que leur aliment et leurs poussins sont de mauvaise qualité», souffle dans l’anonymat, un producteur.

Cette position n’est pas partagée par Dr. Mamadou Bâ, lequel est d’avis que «cette grippe ne peut pas avoir des effets néfastes sur la fête de la Korité, dans la mesure où elle a été circonscrite et puis les producteurs avicoles ont déjà placé les bandes de poussins qui ont commencé à pousser». Ahmedou Mouctar Mbodj, président de l’Ipas est du même avis. Il défend sa position: «Si la maladie s’arrête, le poulet sera en abondance durant les préparatifs de la Korité, cependant si elle se propage, nous craignons le pire».

Le danger du retard dans l’indemnisation des victimes

Revenant à la charge, Ahmedou Mouctar Mbodj s’est fait l’avocat des victimes ayant perdu leurs investissements à cause de la grippe aviaire. «L’indemnisation des victimes était prévue dans le cadre du Conaga (Comité national pour la prévention etle contrôle de la grippe aviaire). Des barèmes ont été fixés, mais le fonds n’a pas été alimenté. C’est un risque énorme parce que les producteurs avicoles touchés par la maladie, pourraient rechigner à aviser les autorités, s’ils sont conscients qu’ils ne seront pas indemnisés. Ils pourraient être tentés d’introduire leur produit dans le marché, ce qui serait une catastrophe sanitaire», avise-t-il.

Le producteur, qui s’est exprimé sous le couvert de l’anonymat, partage cet argumentaire : «Pour éviter de subir une perte énorme, l’éleveur qui a investi des millions, sachant qu’il ne sera pas indemnisé à temps, ne prendrait pas le risque d’aviser les autorités quand la grippe se déclare dans sa ferme. S’il est cupide et inconscient, il pourrait abattre les sujets malades et les vendre aux populations, ce qui facilitera la propagation rapide de la maladie. Il faut que cette donne soit prise en compte par nos autorités. Il faut qu’elles fassent des diligences pour que la victime puisse être indemnisée à temps». Cependant, pour Dr. Bâ, les producteurs avicoles sont éligibles au fonds de la calamité. Seulement, cette indemnisation obéit à certaines conditions que la victime doit remplir. Ce processus prendra du temps parce qu’il faut des enquêtes sérieuses en amont.

Les fermes se barricadent

Les acteurs de l’aviculture qui tiennent ce mardi un conclave pour se prononcer sur les mesures à prendre pour faire face à cette maladie, ont déjà pris certaines dispositions draconiennes pour que leur poulailler ne soit pas infecté.

Dans un document intitulé «Conduite à tenir face au risque d’exposition à la grippe aviaire H5N1», il est mentionné : «Interdiction de l’accès du poulailler à toute personne étrangère. Ne pas se rendre dans les autres poulaillers ou appliquer des mesures, au retour, après y avoir séjourné (se laver et changer de vêtements et ses chaussures). Ne pas introduire, dans le poulailler, du matériel venant d’autres poulaillers.

Porter des tenues et chaussures propres et se désinfecter avant d’accéder à l’intérieur des poulaillers. Désinfecter les véhicules avant leurs accès dans la ferme. Ne pas déverser le fumier dans la ferme, ni le vendre à un tiers. Mais, il faut plutôt le détruire. Brûler systématiquement les cadavres ou bien les enfouir sous deux couches de chaux vive.

Ces mesures sont vitales pour éviter ou limiter la propagation de la maladie. Lutter contre l’introduction et la présence des d’oiseaux sauvages dans le poulailler. Limiter l’accès du périmètre du poulailler aux animaux domestiques. Pulvériser un désinfectant tolérable ou un assainissement, deux fois par semaine dans le poulailler. Informer son vétérinaire prestataire ou l’autorité vétérinaire locale de toute situation sanitaire suspecte dans son poulailler et ses environs…
».

Ce sont, entre autres, les mesures décidées par les acteurs l’aviculture pour se mettre à l’abri des dégâts de la grippe aviaire.
L’Observateur



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